Comptes rendusHistoire

Gorbatchev, le pari perdu ? De la perestroïka à l’implosion de l’URSS, Andreï GRATCHEV, 2011, Paris, Armand Colin, 285 p. Préface d’Hubert Védrine[Notice]

  • Jacques Lévesque

…plus d’informations

  • Jacques Lévesque
    Université du Québec à Montréal

Dans les vingt années maintenant écoulées depuis de fin de l’URSS, une grande quantité d’ouvrages ont été publiés sur les années Gorbatchev qui, de façon totalement inattendue, ont changé la face du monde. L’importance de cette courte, mais combien décisive période historique justifiait amplement une prolifération d’ouvrages de toute nature, allant des travaux universitaires d’historiens, de politologues, d’économistes, jusqu’aux mémoires des principaux acteurs ou témoins privilégiés, dont ceux de nombreux journalistes. En conséquence, avec toutes les explications ou interprétations qui ont été avancées et les débats qui ont eu lieu, on peut se demander, comme les éditeurs qui considèrent que le marché est saturé, s’il y a encore des choses intéressantes à dire sur cette période. Heureusement, même si le défi est de taille, c’est toujours possible et le livre d’Andreï Gratchev en fait foi. Gratchev fait partie des témoins privilégiés, mais ce n’est pas de mémoires qu’il s’agit ici. Il a été le porte-parole officiel de Gorbatchev qu’il accompagnait partout après avoir été l’un des experts du Département international du Comité central du Parti communiste de l’URSS, soit le plus proche « think tank » des plus hautes autorités soviétiques en matière de politique internationale. En raison de ses connaissances et de ses capacités d’analyse, il a été au cours des vingt dernières années interrogé par des dizaines d’universitaires et a participé à tellement de colloques, que ce soit en France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Allemagne et ailleurs, qu’il est pour ainsi dire devenu universitaire, peut-être malgré lui… Bien qu’il en soit tributaire, l’ouvrage qu’il nous propose ne repose pas seulement sur l’expérience directe de l’auteur. Ses sources premières sont les principaux acteurs de la politique internationale des dernières années de l’URSS. La plupart de ceux-ci ont déjà écrit leurs mémoires. Mais Gratchev a voulu aller au-delà de ces écrits. En s’appuyant sur ces acteurs politiques et sur de nombreux travaux universitaires et documents, il a conduit une série d’entrevues avec un grand nombre d’entre eux, à commencer par Gorbatchev lui-même et y compris avec ceux qui se sont opposés à ses politiques, pour éclairer des angles morts, répondre à des questions laissées en suspens de façon à mieux cerner les enjeux, les calculs et les conflits entourant les grandes décisions qui ont marqué les principaux succès et déboires soviétiques dans la sortie de la guerre froide. Pour utiliser des termes de science politique, on peut dire que la contribution de Gratchev relève du domaine de l’étude des processus de décision en matière de politique étrangère. Le cas de l’URSS dans ses dernières années est étonnant à divers égards. On suit le contexte et les paramètres intérieurs et extérieurs de décisions spectaculaires comme celles sur les euromissiles qui ont fini par vaincre les résistances initiales de Reagan qui s’était engagé à ne plus conclure d’accords de contrôle des armements avant que les États-Unis aient reconquis une supériorité militaire tous azimuts sur l’URSS. On est frappé par la capacité de manoeuvre interne de Gorbatchev. On voit comment la centralisation extrême du pouvoir soviétique a pu paradoxalement aider une démocratisation poussée par le haut et lui permettre de faire prévaloir des décisions qui remettaient en cause les principaux « acquis » de la superpuissance soviétique sur le plan militaire. Dans la course à obstacles pour parvenir tant à la percée du premier accord de véritable réduction des armements nucléaires que par la suite au retrait soviétique d’Afghanistan, les obstacles internes ont été plus faciles à surmonter que ceux posés par les interlocuteurs américains de Gorbatchev malgré les concessions inespérées qu’il mettait sur la table. C’est ainsi que le retrait d’Afghanistan …