Comptes rendusÉtudes stratégiques et sécurité

Maintenir la paix en zones postconflit. Les nouveaux visages de la police, Samuel Tanner et Benoît Dupont (dir.), 2012, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 296 p.[Notice]

  • Frédéric Mérand

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  • Frédéric Mérand
    Département de science politique, Université de Montréal

« En quoi un policier, formé dans le cadre d’une société pacifiée, peut-il être utile dans un contexte postconflit ou de sortie de guerre ? » Cette phrase extraite de la page 239 résume bien le puzzle que cherchent à élucider les deux criminologues à l’origine de ce projet collectif. S’appuyant sur une démarche de recherche originale faisant dialoguer praticiens et théoriciens sur le rôle de la police dans les opérations de maintien de la paix, Samuel Tanner et Benoît Dupont proposent un ouvrage érudit, soigné, élégamment écrit et instructif à de nombreux égards. On y apprend qu’il se passe bien des choses dans la police au 21e siècle. Celle-ci est de plus en plus sollicitée par les organisations internationales pour des tâches de stabilisation et de reconstruction des États fragiles, comme Haïti, l’Afghanistan ou le Kosovo. Depuis 1995, le nombre de policiers en déploiement international a augmenté de 810 % ; il tourne aujourd’hui autour de 14 000. Enseignant les techniques d’enquête et de gestion des foules, mais aussi les rudiments de l’État de droit à des individus recrutés sur le tas, qui sont eux-mêmes parfois des anciens miliciens et qui doivent être formés en quelques semaines, les forces professionnelles de police du Canada comme de la Jordanie ou du Sénégal sont désormais un complément essentiel aux troupes militaires déployées dans ces zones postconflit. Pourtant, la projection internationale des forces de police ne semble pas avoir suscité la convergence de leurs pratiques de policing. Les méthodes et les modèles policiers demeurent différents, le degré de professionnalisme extrêmement inégal, et les échanges culturels marqués par la méfiance bien plus que par la solidarité professionnelle. L’ouvrage défriche plusieurs champs de recherche négligés, mais qui s’insèrent parfaitement dans les débats de la science politique, de l’histoire ou de la sociologie. L’internationaliste trouvera dans les chapitres de Nathalie Duclos sur la formation de la police au Kosovo ou de Andrew Goldsmith et Vandra Harris sur les îles Salomon, la Papouasie et le Timor oriental, des résultats passionnants sur les limites de la « socialisation » des acteurs locaux aux normes internationales. La spécialiste des conflits pourra utilement comparer les effets des opérations policières par rapport aux opérations militaires de maintien de la paix, notamment grâce au chapitre de Nathalie Duclos mais aussi ceux d’Antoine Mégie sur les opérations civiles de gestion de crise de l’Union européenne, de Juan Carlos Ruiz Vasquez sur le rôle des forces de police latino-américaines et de Francis Pakyaf sur la formation de la police afghane. À l’image des opérations conduites par les militaires, on y apprend notamment comment ces missions sont instrumentalisées par différents acteurs sur le terrain. L’historien s’intéressera évidemment à l’évolution de la police, pilier du « monopole de la violence légitime » dans le processus de formation ou de reconstruction de l’État. Selon un des contributeurs, Marcel-Eugène Lebeuf, les zones postconflit se caractérisent pour le policier par une ambiguïté moins structurée que dans un État de droit déjà constitué. Finalement, le sociologue s’étonnera de constater qu’il existe une sociologie policière en émergence, certes moins développée que la sociologie militaire, mais dont les préoccupations sont les mêmes sur une institution tout aussi importante. À l’image de la sociologie militaire, plusieurs chapitres abordent les tendances communes aux organisations policières, notamment la professionnalisation (Ruiz Vasquez), la féminisation (Lebeuf) et la privatisation (Nadia Gerspacher). Mais on y souligne surtout les différents visages de la police qui invalident l’hypothèse d’une convergence des pratiques de policing. Mentionnons par exemple les clivages entre modèles gendarmique (militarisé) et civil, police professionnelle et communautaire ou, encore, entre police démocratique et police …