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Le livre de Uwe Becker traite de l’analyse et de la comparaison des variétés de capitalisme (VoC), au-delà de la tradition capitaliste anglo-américaine et de l’Europe occidentale. Chacun des pays étudiés – Chine, Brésil, Inde, Russie, Afrique du Sud, Turquie – constitue un modèle différent, avec ses caractéristiques historiques et institutionnelles. L’auteur en fait une description solide en identifiant les principaux changements survenus dans l’économie nationale et les relations capital-travail.

Le point de départ théorique est que les VoC dépassent une conception rigide de la complémentarité et la classification statique des économies politiques nationales, libérales ou coordonnées. Selon l’approche de Becker, les complémentarités institutionnelles sont mises en évidence, mais il insiste davantage sur la distinction entre les types idéaux et les cas empiriques examinés, ce qui est la principale contribution de l’ouvrage.

Becker mentionne dans l’introduction les caractéristiques du capitalisme classique pour les appliquer aux bric+ et ainsi pouvoir faire les comparaisons. Son approche consiste à identifier un nombre limité de types idéaux, puis à établir une distinction entre les cas typiques et les cas réels.

L’analyse commence avec le capitalisme chinois. D’après McNally, les caractéristiques de ce modèle et la façon dont il diffère des autres capitalismes asiatiques viennent du fait que le sino-capitalisme est un hybride, combinant des éléments libéraux et étatistes comme une forme de réseau de capitalisme fondé sur la nécessité d’être « de bons amis », une variété de clientélisme/patrimonialisme. Ce VoC n’est pas un système de capitalisme purement étatique, puisque les organisations professionnelles sont fondées sur des pratiques différentes par la forte liaison des réseaux « guanxi », conçus comme des relations mutuelles qui génèrent une confiance durable entre les membres d’un réseau et diffèrent donc qualitativement du capitalisme occidental.

Mazumdar explore les éléments de continuité et de changement associés depuis 1991 à la transition du capitalisme indien vers sa phase libérale, l’Inde comptant encore un secteur agricole important. Il ne s’agit donc pas d’une économie industrielle capitaliste classique. Elle présente des caractéristiques ou des continuités stables et un parcours lié au temps qui ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble du capitalisme. Dans cette économie originale, les capitalismes indien et chinois renforcent la perspective d’une variété de capitalismes.

Vasileva analyse le capitalisme russe après la chute du communisme en décrivant la présidence d’Eltsine, vue comme une période de libéralisation, et celle de Poutine qui, en 2003, a marqué le début d’un processus de renationalisation consistant à renverser l’ancien processus de libéralisation centré sur la recentralisation du gouvernement et la prise de contrôle des entreprises dans des secteurs économiques stratégiques.

« Le capitalisme à la russe » a subi des transformations, mais conserve certaines caractéristiques de l’ère soviétique qui continuent de façonner l’économie politique. Toutefois, son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (omc) peut exercer une pression sur la Russie pour qu’elle libéralise son économie.

Boschi analyse le cas du Brésil, qui peut être décrit comme une variété de capitalisme plus orientée par l’État et, collectivement, avec des relations industrielles basées sur l’intermédiation de l’État. Le rôle des grandes sociétés d’État créées dans le processus d’industrialisation dans les années 1930 et le rôle de celui-ci dans les relations capital-travail ont maintenu sa continuité pendant les réformes libérales des années 1990. Ce VoC est un modèle de développement capitaliste basé sur l’inclusion sociale et la croissance interne. L’accent mis sur le rôle joué par l’axe capital-travail est un aspect central du modèle brésilien. Puis Lula a fixé la réduction de la pauvreté et de l’inégalité sociale comme un objectif prioritaire pour le développement. Ce changement résume une stratégie fondée sur l’inclusion sociale et l’expansion du marché intérieur.

Pour Özel, la Turquie, jusqu’en 1960, était basée en grande partie sur l’agriculture. Par la suite, elle a commencé sa modernisation et, comme pour le Brésil, l’Inde et de nombreux autres pays, la voie choisie a été celle de l’industrialisation par substitution des importations, dont le succès a été modeste. Le changement est arrivé dans les années 1990, quand la Turquie a entrepris une libéralisation sélective et limitée, avec des privatisations et encourageant la concurrence internationale. Mais elle a conservé son caractère étatique et patrimonial.

Pour l’Afrique du Sud, présentée par Nattrass, le changement économique a coïncidé avec la démocratisation et la transformation sociopolitique à l’ère postapartheid. Les résultats obtenus à partir du mélange de ces trois processus ont fait en sorte que le cas de ce pays est à la fois très particulier et guère réussi.

Dans le dernier chapitre, Becker réfléchit sur les perspectives du bric+ dans les années à venir. Il est probable que sa croissance économique, en particulier celle de la Chine et l’Inde, va se poursuivre, ce qui cause des changements relativement rapides sur le plan de l’économie mondiale. Et sans doute aussi sur le plan géopolitique.

L’ouvrage traite des « brics » ainsi que de la Turquie, et il s’agit bien d’une étude sur l’économie politique et non sur la politique internationale. Chacun des cas présente des caractéristiques distinctives dans son développement capitaliste, mais certaines des analyses commencent à dater (2008). Des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil, engagés dans des processus hautement dynamiques et expansifs de croissance, deviennent des modèles alternatifs de développement économique pour les pays du tiers-monde. De ce point de vue, le livre est une contribution importante pour bien comprendre la diversité des avenues de développement possibles.