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Le temps n’est plus où le pouvoir politique contrôlait en temps de guerre les nouvelles qui provenaient du front, tandis que la population aux destinées desquelles il présidait se devait d’être fidèle aux thèses qu’il prônait, tout au moins jusqu’à l’annonce d’une éventuelle défaite. Les gouvernants victorieux se paraient aisément de l’aura de sauveurs ; la nation, s’attachant à oblitérer pertes humaines et matérielles, rendait également hommage à l’armée.
Dans l’introduction à son ou- vrage intitulé Military Strategy as Public Discourse. America’s War in Afghanistan, Tadd Sholtis (2014 : 5), lieutenant-colonel au sein des forces aériennes états-uniennes – l’us Air Force –, nous rappelle que « la politique née de la globalisation et le déclin des guerres » qui, traditionnellement, opposaient les États ont fait place à des conflits bien plus complexes. Il est vrai que la tâche des puissances mondiales que l’auteur qualifie de « libérales » est ardue, puisque des concepts qui semblaient jusqu’alors immuables, tels que la guerre, la victoire ou l’ennemi, requièrent une nouvelle définition. Les hommes politiques occidentaux, quelle que soit leur affiliation politique, se sont pour leur part attachés à esquiver un tel débat.
L’apparition récente d’acteurs non étatiques, pour tenter de traduire une expression que les médias francophones empruntent à leurs équivalents anglophones, a remis à l’honneur deux problématiques en terres occidentales. La première a trait à la détermination d’une stratégie viable qui assurerait la victoire (renforçant, au reste, la légitimité du pouvoir politique). La seconde procède des délicates relations que les représentants élus entretiennent avec une armée qui s’en tient, si l’on use d’une expression qui fut longtemps en vigueur en France, à son rôle de Grande Muette. Les forces armées se doivent de passer sous silence les questionnements auxquels elles sont confrontées, alors que les stratégies guerrières qu’ont adoptées les décideurs mondiaux, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont le plus souvent eu des objectifs éminemment idéologiques.
À la suite des récents conflits afghan et irakien dont Washington eut l’initiative, il est un troisième enjeu peut-être plus important que les deux premiers mentionnés ci-dessus : l’exigence de convaincre les opinions nationale et internationale (ou plus exactement – osons, pour notre part, le mot – occidentales) de la justesse de la voie choisie. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les puissances mondiales, usant d’un messianisme qui avait des relents à tout le moins coloniaux, manièrent avec talent le slogan de l’instauration d’une démocratie universelle qui autoriserait, de surcroît, les femmes musulmanes à se défaire du joug d’un patriarcat archaïque. Elles employèrent d’autres expressions, comme les frappes chirurgicales, l’objectif étant de rassurer les populations quant au nombre limité de soldats issus de leurs rangs qui, favorisant la réalisation militaire de ces nobles objectifs, succomberaient.
Se penchant sur un conflit afghan qui a pris les atours d’un sinistre bourbier, Sholtis – soumis, il est vrai, au devoir de réserve – passe sous silence les dimensions, pourtant importantes, que nous évoquons dans le paragraphe précédent. Par ailleurs, les récents événements dont l’Irak est aujourd’hui le théâtre augurent mal du bilan de la stratégie que le gouvernement présidé par George W. Bush choisit. La mise en place, en Afghanistan et en Irak, de gouvernements représentatifs stables capables d’y rétablir la paix constitue désormais une préoccupation secondaire. Les puissances mondiales s’inquiètent à juste titre de l’existence, à travers le monde, de foyers qu’elles qualifient de terroristes ; l’objectif de ces derniers est, en tout état de cause, de semer la terreur par des actions spectaculaires qui viseraient les populations civiles, en particulier celles des pays industrialisés.
Titulaire d’un doctorat en stratégie militaire de l’Air University étatsunienne, l’auteur envisage l’étude des discours stratégique, opérationnel et, enfin, tactique. Il accorde une place toute particulière à la narration (pour tenter de rendre, en langue française, une méthode que les écoles de pensée anglophones affectionnent). En effet, la narration de ce qui fut, d’après l’expression adoptée par les États-Unis, une « counterinsurgencey warfare » (une guerre qui visait à faire face à une insurrection) représenta l’une des préoccupations majeures du gouvernement, mais également des forces armées des États-Unis. Grâce au soutien (d’aucuns diraient la complicité) des médias occidentaux, la Maison-Blanche parvint cependant à cantonner dans les limites de l’acceptable le débat sur la légitimité de la stratégie nationale et internationale en territoire afghan. Le portrait d’un dangereux ennemi fut habilement dressé, les souffrances au sein de la population civile afghane – déshumanisée – minimisées, voire occultées, les pertes occidentales vivement déplorées.
Tadd Sholtis insiste, à juste titre, sur le rôle fondamental de l’élite, laquelle est traversée par divers courants ; aussi le pouvoir politique se doit-il de la ménager, maniant avec tact transparence et censure ; il permet ainsi à l’élite ou plutôt aux élites de s’assurer de la validité des thèses officielles et éventuellement d’y adhérer. Délicat exercice, du reste, puisque le succès militaire repose sur l’effet de surprise.
Le conflit afghan, c’est une lapalissade, est complexe. L’espace nous manque pour traiter de divers aspects de la contribution à la réflexion d’un auteur un peu particulier, puisqu’il est issu des rangs de l’armée américaine. Il nous faut donc nous contenter de renvoyer le lecteur à l’ouvrage que nous avons ici évoqué.