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La question dont traite l’ouvrage dirigé par J. Linarelli est à la fois actuelle et pertinente. Les auteurs s’intéressent en effet à la relation entre, d’une part, le droit international économique et, d’autre part, les droits et le bien-être des peuples dans le monde. Le débat est certes connu des cercles altermondialistes, mais la question n’avait jusque-là pas été posée selon une perspective de justice globale. En cela, l’ouvrage sera d’une utilité indéniable pour la société civile en général et pour les chercheurs en droit, science politique, relations internationales et économie en particulier. Au-delà de l’intérêt des juristes pour la cohérence du droit international économique (die) et des économistes pour son efficacité, c’est plus profondément des fondements ontologiques de ce régime de droit qu’il est question. En onze chapitres, les auteurs parviennent de fort belle manière à susciter une discussion stimulante.

Dans le premier chapitre, Gillian Brock procède à une explicitation des théories de justice globale. Si le caractère juste des institutions économiques internationales doit être établi, il est en effet crucial de préciser ce que peut bien signifier cette exigence de justice. On perçoit ainsi l’importance de clarifier si par justice globale on fait référence à la justice entre États ou à la justice entre citoyens du monde. Brock oppose à travers cette dichotomie la justice étatique et la justice cosmopolite. En livrant une critique de Law of Peoples, dans lequel Rawls conteste l’application de sa Theory of Justice à la société internationale, l’auteur de ce chapitre démontre magistralement les effets pervers sur la condition des individus de la sacralisation de l’interétatisme. L’ensemble de sa contribution consiste alors à prouver que l’idée de justice globale est atteignable, soit en termes d’égalité entre les hommes à l’échelle mondiale, soit en termes d’institutions à même de poursuivre et de réaliser cette justice. Comme M. Nussbaum, il considère que le besoin de justice globale est irréductible. Seules seraient discutables les modalités de sa réalisation.

Dans le deuxième chapitre, cette question est directement posée, précisément en ce qui concerne les rapports entre die et droits de la personne. Selon Petersmann, ces régimes juridiques remplissent des fonctions constitutionnelles complémentaires pour l’autonomie individuelle et démocratique. D’après lui, il faut passer à une conception cosmopolite du die, qui serait alors fondé sur les droits cosmopolites des citoyens en tant que sujets principaux du droit international. L’auteur défend la vision, inspirée de la jurisprudence des cours de l’Union européenne (ue), que le die doit être transformé pour promouvoir le bien-être des consommateurs, l’état de droit et les droits de la personne dans le monde. Il invite en conséquence les organes de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (omc) à se prononcer de la même manière sur le conflit entre droits de la personne et règles du commerce international, considérant qu’en contexte de mondialisation les constitutions nationales et régionales ne parviendront à la protection des biens communs mondiaux qu’en coopération avec le droit et les institutions internationales.

Fort bien documenté, le troisième chapitre aurait pu apparaître en deuxième place. Il est en effet au coeur du sujet de l’ouvrage, puisque Garcia et Ciko se demandent si les institutions économiques internationales peuvent être considérées comme justes. Après avoir expliqué l’intérêt de mener une telle recherche, les auteurs proposent deux approches pour répondre à la question, à savoir une critique externe du die, à partir d’une théorie morale qui, extérieure au droit, s’intéresse à son caractère équitable, et une critique interne qui consiste à se demander quels sont les principes inhérents au die à respecter afin que ce système de normes atteigne ses finalités déclarées. Les auteurs concluent aux limites d’une critique externe en raison du caractère transnational des relations économiques qui invite à poser avec réserve la question de la légitimité et de l’effectivité des institutions et des règles qui les régulent. Ils considèrent que l’approche interne constitue un début de solution à cette difficulté, suggérant que la justice du die doit être examinée à la lumière de la structure propre à cette discipline. Pour autant, ils reconnaissent que, quelle que soit l’approche, il reste beaucoup à faire pour que le die remplisse son rôle dans la quête de justice globale.

L’ouvrage se serait achevé sur ce troisième chapitre que les auteurs auraient déjà pleinement atteint leurs objectifs. Mais, dans la continuité du caractère didactique de ce livre, les trois tiers sont constitués de contributions appliquant la théorie de la justice globale à un domaine particulier du régime économique mondial. Il en est ainsi de la discussion pertinente que propose le chapitre 4 sur les finalités de justice globale des clauses de préférence du droit de l’omc, qui seraient en péril au regard de la prolifération des accords de libre-échange basés sur le principe de discrimination à l’égard d’États tiers. Le chapitre 5 analyse de la même manière comment les institutions financières internationales, mises en place à l’origine pour contribuer à une sorte de justice distributive mondiale, ont dérivé de manière regrettable vers la sauvegarde des intérêts des plus forts et des plus riches au détriment des pauvres. Un tel constat légitime naturellement une critique tiers-mondiste du die (chapitre 9) qui appelle à voir, au-delà des règles formelles de cette branche du droit, non un instrument de justice, mais un véritable outil de politique internationale. Pour autant, l’heure n’est pas à la dissolution des institutions économiques internationales, si l’on en croit la conclusion de John Linarelli, qui pose le problème plus large du rôle du droit dans le développement des sociétés (chapitre 11). Selon l’auteur, c’est le défi de tous les temps et de toutes les sociétés d’amener les institutions qu’elles mettent en place à réaliser exactement les objectifs qui leur sont assignés. Si cela peut souvent paraître comme une tâche titanesque, voire irréalisable, il n’en demeure pas moins que le droit aurait, d’une manière ou d’une autre, un rôle à jouer.

En définitive, Research Handbook offre une lecture documentée, nuancée, actualisée et interdisciplinaire d’une problématique complexe dont on n’a certainement pas fini d’entendre parler : celle du caractère équitable des institutions économiques internationales. Bien que l’éditeur n’ait pas structuré les chapitres autour de thèmes spécifiques pour donner à ses lecteurs des clés de lecture, le souci d’exhaustivité a presque été atteint. Si l’on excepte l’absence d’un chapitre portant sur les rapports du die avec la protection de l’environnement, l’ouvrage apporte une contribution éclairante, du point de vue de la théorie et de la pratique, sur les enjeux sociaux, politiques et juridiques les plus pressants auxquels la communauté internationale doit faire face dans l’élaboration et la mise en oeuvre du droit et des politiques économiques. Sa lecture devrait être recommandée aux acteurs politiques nationaux et internationaux afin qu’ils prennent la pleine mesure du lien indissociable qui existe entre la poursuite de l’intérêt de leurs États et la réalisation du bien-être des peuples dans le monde.