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Rappelons que l’acronyme brics désigne depuis le début des années 2000 un groupe de pays à forte croissance économique. Il s’agissait initialement du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine, auxquels s’est jointe l’Afrique du Sud en 2011. Ces pays se réunissent annuellement : le premier sommet a eu lieu en Russie en 2009, le second au Brésil en 2010 et le troisième en Chine en 2011, auquel a participé pour la première fois l’Afrique du Sud. Le quatrième sommet a eu lieu en Inde en 2012, le suivant en Afrique du Sud en mars 2013 et le plus récent s’est tenu en juillet 2014 au Brésil. Le poids de ces pays dans l’économie mondiale a augmenté de façon appréciable au fil des ans. La littérature spécialisée sur les brics comporte plusieurs études et réflexions. En fait, il s’agit à juste titre d’un sujet d’actualité important dans l’économie politique internationale.

L’émergence des brics soulève bien des questions. Les brics sont-ils un réseau intergouvernemental informel ou un bloc économique puissant qui peut engendrer des changements de paradigme dans l’économie mondiale ? Ou s’agit-il plutôt d’un groupe de pression mettant en lumière ce que certains voient comme des dysfonctionnalités de l’économie politique mondiale ? Voilà la question ambitieuse au centre du présent ouvrage sous la direction de Vai Io Lo et de Mary Hiscock. Il faut savoir que ce livre a pour source une conférence multidisciplinaire tenue les 10 et 11 août 2012 en Australie. L’événement était parrainé par la Faculté de droit de la Bond University. Chaque participant à la conférence a travaillé à la rédaction d’un chapitre et quelques contributions additionnelles ont été sollicitées.

Les dix-huit chapitres du livre offrent des perspectives distinctes. Ensemble, ils brossent un portrait impressionnant des spécificités des brics. Le sujet est ainsi abordé sous de nombreux angles et selon plusieurs perspectives disciplinaires, dont celles du droit, de la science politique, de l’économie politique et des relations internationales, fournissant au lecteur un portrait très utile des brics. Les chapitres qui abordent les perspectives institutionnelles des brics sont particulièrement bien menés. On y traite habilement de zones de libre-échange, de multilatéralisme et de régionalisme. La réflexion sur les institutions est certainement l’un des éléments les plus riches de cette monographie. Les chapitres portant sur le système financier international sont également de grand intérêt et présentent bien les objectifs des pays membres. Les institutions existantes sont convenablement décrites et placées dans le contexte international. On sait que les brics visent à mettre en place des institutions alternatives à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international et que, de cette façon, ils remettent en question l’hégémonie américaine.

Il convient de mentionner le chapitre 5, intitulé « Brazil : A soft power rising with the brics towards a multipolar world ». Ce texte sur l’évolution de la stratégie internationale du Brésil est très intéressant. Selon Raquel Dos Santos, le Brésil compterait plus sur ses relations avec les brics que sur ses activités traditionnelles au sein du Mercosur, par exemple. Le Brésil chercherait ainsi à stimuler des changements dans des forums comme le G20 et des organisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (omc). Les ambitions du Brésil au sein des brics sont synthétisées dans ce chapitre, soulignant de quelle façon les brics transforment certaines des relations avec des pays occidentaux.

Le chapitre 9, « The brics : Experiments with state capitalism and institutional investment », rédigé par John Farrar et Mohamed Ariff, est particulièrement bien mené. Il porte sur les expériences de capitalisme d’État dans plusieurs pays, dont la Chine et le Brésil. La Chine a une approche, au regard des entreprises d’État, qui est très élaborée et complexe. Une comparaison internationale de cette activité offre un portrait d’ensemble de son évolution et de ses spécificités. Le chapitre montre qu’il existe une diversité de modes d’investissement étatique dans les pays des brics. Les approches à l’égard du capitalisme de marché divergent aussi. Le chapitre conclut que les brics sont une construction artificielle, qui serait une expérimentation institutionnelle devant faire ses preuves. Il s’agit d’un regroupement ayant des intérêts collectifs qui doit composer avec des sources de discorde internes tout en montrant une façade unique dans ses relations avec les autres pays. Cette conclusion doit néanmoins être mise en relation avec l’analyse qui se trouve au chapitre 10, signé par Ahmed Khalid, et qui brosse un tableau fort utile des incidences macro-économiques au sein des brics et du poids de ce regroupement dans l’économie mondiale. On y voit bien, grâce au survol minutieux d’indicateurs économiques, à quel point les brics doivent être pris au sérieux et de quelle façon ils changent la donne du système économique mondial.

Enfin, un dernier chapitre rédigé par Vai Io Lo et Mary Hiscock tire des conclusions à savoir si l’union que sont les brics est en progression, en déclin ou si elle a atteint un rythme de croisière. On y compare les brics avec d’autres formes d’unions, telles la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (apec) et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (asean). On souligne le soft power que les brics ont développé ensemble. Il fait peu de doute que ce regroupement joue un rôle important, mais les auteurs voient mal comment les liens entre ces pays peuvent se maintenir en l’absence d’institutions plus formelles. Cette question demeure donc en suspens. La lecture de ce livre alimentera la réflexion des chercheurs, praticiens et étudiants sur le rôle des brics dans les relations internationales contemporaines.