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En 2003, le Premier ministre Jean Chrétien, et par le fait même le Canada, s’est prononcé contre l’invasion militaire de l’Irak par une coalition internationale menée par les Américains. Cette décision est d’ores et déjà considérée comme l’un des événements marquants de la politique étrangère canadienne à cause de son caractère singulier et du casse-tête théorique qu’il génère. Aujourd’hui, plusieurs chercheurs à travers le monde se penchent sur les facteurs qui permettraient d’expliquer les positions et les actions des États dans cette tendance que sont les coalitions militaires internationales ad hoc.

Dans l’ouvrage War and Democratic Constraint : How the Public Influences Foreign Policy, Matthew A. Baum et Philip B. K. Potter proposent la théorie de la contrainte démocratique. Celle-ci suggère que les institutions politiques et médiatiques propres à chacun des pays modulent le flux d’information des dirigeants vers les citoyens. Ce flux d’information pourrait générer une contrainte démocratique lors de la prise de décision sur les réponses à adopter vis-à-vis d’un conflit international telles que l’appui ou encore la participation à une coalition. Cette contrainte démocratique serait conditionnelle à une interaction entre l’opposition politique et le monde des médias. À la croisée de plusieurs champs d’études, cet ouvrage saura plaire autant aux chercheurs dans le domaine de la communication politique qu’à certains chercheurs en science politique s’intéressant à la sécurité internationale, la politique étrangère ou aux politiques publiques.

Baum et Potter souhaitent remettre en question certaines idées reçues sur le rôle des institutions démocratiques et leurs effets sur la prise de décision en politique étrangère. Ils suggèrent qu’il y a une distance entre les théories normatives sur la démocratie et les véritables pratiques démocratiques. À priori, il est souvent tenu pour acquis que les décideurs sont rarement soumis à une responsabilité démocratique dans la conduite de la politique étrangère. À l’inverse, les citoyens seraient peu informés, voire peu concernés par la politique étrangère menée par leur pays. Baum et Potter suggèrent que les médias seraient en fait un facteur indirect pour expliquer l’action des États et que les chercheurs en relations internationales devraient s’y intéresser davantage.

La revue de la documentation scientifique menant à l’élaboration des hypothèses sur la contrainte démocratique est laborieuse, mais concluante (chapitre 2). Cette discussion intègre un grand nombre de théories sur les différentes formes de relations ou d’interactions entre les médias, le système électoral, les citoyens et les décideurs dans les systèmes démocratiques. L’exercice est chargé et il est difficile de comprendre de prime abord la filiation entre les travaux discutés. Les constats effectués à partir des études empiriques mobilisées par les auteurs permettent néanmoins d’établir la pertinence de la problématique de recherche à propos de l’effet qu’exerce l’opinion publique sur la conduite de la politique étrangère.

Baum et Potter font ainsi la démonstration que la qualité et la quantité d’information disponible varient largement d’une démocratie à une autre. Les formes d’interactions entre l’accès aux médias et les institutions électorales sont les variables indépendantes déterminantes. Ensuite, les auteurs découpent l’objet d’étude, les décisions lors d’une crise internationale, en trois moments clés : l’initiation, la réponse et la formation de la coalition. Ce découpage permet d’élaborer différentes hypothèses inter reliées sur une concordance forte ou faible de l’opinion publique avec les différentes décisions des gouvernements selon que l’accès aux médias et un nombre de parties sont élevés ou faibles.

Pour vérifier leurs différentes hypothèses, Baum et Potter utilisent un devis de recherche mixte crédible et, somme toute, innovateur. La démonstration empirique (du chapitre trois au chapitre sept) inclut plusieurs ensembles de données, de méthodes et de techniques de recherche. Les nombreux choix méthodologiques sont, contrairement à d’autres ouvrages, présentés en profondeur et justifiés de manière systématique. En contrepartie, quelques éléments pourraient échapper à ceux qui ne sont pas initiés aux termes ou aux logiques propres à certaines méthodes, comme celle du process tracing, utilisée au chapitre sept.

Les implications politiques qui forment essentiellement le dernier chapitre nous semblent moins convaincantes que le reste de l’ouvrage. Par exemple, Baum et Potter proposent quelques avenues de politiques publiques sur la communication politique ou l’accessibilité à des médias de qualité et indépendants. Toutefois, leurs recommandations ne sont pas clairement énoncées et sont peu appuyées par des exemples concrets. Malgré tout, l’ouvrage de Baum et Potter reste stimulant à plusieurs égards.