Comptes rendusDéveloppement et coopération internationale

Food Security Governance. Empowering Communities, Regulating Corporations, Nora McKeon, 2015, New York, Routledge, 264 p.[Notice]

  • Christelle Genoud

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  • Christelle Genoud
    Département de science politique, Institut d’études politiques, historiques et internationales (iephi), Université de Lausanne, Lausanne, Suisse

1er prix du concours de recensions 2016

La littérature sur la gouvernance alimentaire oppose de plus en plus la sécurité alimentaire à la souveraineté alimentaire. La première, apparue à la suite de la crise alimentaire des années 1970, était initialement porteuse d’une solution progressiste. Elle fait désormais l’objet de nombreuses critiques en raison de sa tendance à transposer le discours néolibéral de la productivité en occultant les conflits d’intérêts des différents acteurs impliqués et la manière dont les aliments sont produits. Le concept de souveraineté alimentaire a été élaboré pour pallier ces manquements et pour réinstaurer le droit des paysans à choisir quoi et comment produire. L’ouvrage de Nora McKeon s’inscrit dans cette seconde approche, tout en cherchant à transcender l’opposition entre la littérature critique et la littérature praticienne pour mettre en lumière les relations de pouvoir au sein de la gouvernance alimentaire. Il s’appuie pour cela sur les observations faites de l’intérieur lors de l’engagement professionnel de l’auteure au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (fao) et avec plusieurs mouvements sociaux et paysans. Le but de l’ouvrage est également de rappeler l’existence de systèmes alimentaires alternatifs sur la base desquels une gouvernance alimentaire tenant compte des intérêts des petits paysans est possible. Trois questions constituent le fil conducteur de l’ouvrage : qui exerce le pouvoir, avec quels effets et au profit de qui ? Pour y répondre, le premier chapitre pose les bases historiques et théoriques de la sécurité alimentaire à partir de l’approche néomarxiste des régimes alimentaires. De 1870 à 1930, l’Empire britannique a dominé le premier régime alimentaire grâce aux importations en provenance de ses colonies. Le plan Marshall et les politiques de développement ont amené l’hégémonie de la puissance américaine, qui caractérise le deuxième régime alimentaire et s’étend jusque dans les années 1970. Depuis, la production agro-industrielle est intimement liée aux processus de financiarisation. L’ébranlement du dénommé régime alimentaire entrepreneurial depuis la triple crise de 2007-2008 (alimentaire, financière et environnementale) a généré une phase de troubles. Le débat porte sur la possibilité que celle-ci marque la fin de ce troisième régime ou qu’elle débouche simplement sur une reconfiguration. Dans le deuxième chapitre, l’auteure dévoile les interactions des acteurs engagés dans le régime alimentaire entrepreneurial, en discutant les limites de différents cadres conceptuels : chaînes de valeur, réseaux et systèmes alimentaires. Ce régime est caractérisé par la concentration du pouvoir et du profit ainsi que par le rôle de la spéculation et de la volatilité des prix. En se référant à la littérature sur la financiarisation de l’agriculture et de l’alimentation, d’une part, et sur le pouvoir des entreprises, d’autre part, Nora McKeon illustre les dangers de l’agriculture contractuelle visant à lier les petits paysans aux marchés globaux, les défis des réseaux alimentaires globaux ainsi que le rôle de l’Organisation mondiale du commerce (omc) dans la régulation de l’agriculture. La critique de notions néoclassiques, telles que la modernité, la croissance ou la durabilité, se poursuit dans le troisième chapitre. L’auteure y remet en question plusieurs mythes de la gouvernance alimentaire, notamment celui de la nécessité de doubler la production alimentaire d’ici à 2050 afin de nourrir la population mondiale et le discours de la Banque mondiale sur le supposé choix des petits paysans entre augmenter leur productivité ou migrer en ville pour exercer d’autres emplois. Elle contrebalance ce paradigme néolibéral de la sécurité alimentaire limitée à l’accès à l’alimentation avec le droit à l’alimentation, mettant en avant son caractère contraignant ainsi que la nécessité d’assurer également l’accès aux ressources productives. Jusque dans les années 1990, la gouvernance alimentaire a été cantonnée aux négociations multilatérales entre gouvernements …