Comptes rendusÉtudes stratégiques et sécurité

Des hommes vraiment ordinaires ? Les bourreaux génocidaires, Didier Epelbaum, 2015, Paris, Stock, 304 p.[Notice]

  • Myrto Hatzigeorgopoulos

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  • Myrto Hatzigeorgopoulos
    Institut royal supérieur de défense, Bruxelles, Belgique

Le caractère « ordinaire » de l’être humain est au coeur du plus récent ouvrage de Didier Epelbaum, consacré à la recherche des méthodes et mécanismes de recrutement des bourreaux génocidaires. L’argument d’Epelbaum se situe aux antipodes de la thèse de l’historien américain Christopher Browning selon laquelle tout individu plongé dans des conditions très spécifiques dans un contexte de guerre (obéissance, esprit de corps, cohésion du groupe, lien social, brutalisation, bonne organisation et « déshumanisation » des victimes) peut se transformer en bourreau. À travers quatre périodes marquantes du XXe siècle, à savoir l’extermination des Arméniens, la Shoah, le régime de Pol Pot et le génocide rwandais, Didier Epelbaum soutient au contraire que les bourreaux sont une minorité très spécifique de l’espère humaine, savamment détectée, conditionnée et préparée à commettre le mal absolu. Plutôt que de se livrer à une analyse philosophique ou psychologique de la problématique du génocide, l’auteur choisit de se consacrer à une étude méthodique du fonctionnement de la machine génocidaire, allant des architectes du système aux critères et aux moyens de recrutement des exécutants. Afin de définir les rouages d’un système consacré au meurtre et à l’extermination, l’auteur crée le terme de « cidocratie », qui fait son apparition dans le deuxième chapitre de l’ouvrage. Il qualifie par-là un régime dans lequel le pouvoir appartient aux maîtres et aux bourreaux. Pénétrant dans l’élite de la cidocratie, les profils proches et comparables des « chefs » apparaissent dans les différentes études de cas. Outre la classe sociale privilégiée de ces chefs, sur les échelles sociales de leurs pays respectifs, ceux-ci se présentent également comme des êtres exceptionnels auxquels un culte est voué. L’élite, elle, serait recrutée selon quatre critères : l’adhésion à l’idéologie, la volonté, la jeunesse et la capacité à exercer la violence, la cruauté. Il s’agit des milices de l’Organisation spéciale ottomane dans le cas du génocide arménien, des SS du 3e Reich ou des Interahamwe au Rwanda. L’élite de la cidocratie est donc composée d’hommes « qui adhèrent à l’idéologie, qui sont volontaires, jeunes, vigoureux et endurants, loyaux et obéissants, ne reculant pas devant la violence extrême » (page 121). Le profil des exécutants de l’appareil génocidaire, néanmoins, diffère selon les pays. Tandis qu’en Allemagne les troupes de choc représentaient l’élite de la race aryenne, dans l’Empire ottoman, au Cambodge et au Rwanda les bourreaux étaient recrutés au plus bas de l’échelle sociale. Les couches les plus vulnérables de la population, les personnes peu éduquées, les illettrés, les pauvres constituaient un vivier de recrutement de volontaires idéal. Là réside l’une des principales contradictions de l’ouvrage. Tandis que l’auteur argue que les attributs du bourreau génocidaire sont de nature extraordinaire et que, par conséquent, un individu ordinaire, dans quelques conditions qu’il se trouve, ne se résoudra pas à devenir bourreau, il souligne dans le même temps la perméabilité des milieux ruraux modestes à la propagande comme étant propice au recrutement d’exécutants du génocide. Il reconnaît donc l’existence de conditions psychologiques et socioéconomiques, favorables à l’adhésion à une « idéologie du génocide » (page 235). En effet, si l’ouvrage d’Epelbaum se présente d’emblée comme une critique de l’ouvrage de Browning Des hommes ordinaires, de part et d’autre les titres suggestifs, en apparente opposition, cachent des textes beaucoup plus nuancés qu’il n’y paraît. Un constat fait par Epelbaum lui-même, évoquant « un décalage entre un bon titre incisif et les nuances du texte » (page 165) de l’ouvrage de Browning, qui malgré tout, reconnaissait une certaine forme de sélection parmi les bourreaux du 3e Reich. Ainsi, le manichéisme qui oppose les titres de …