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Les médiations internationales n’ont pas bonne presse auprès des gouvernements nationaux. Leur utilité est fréquemment remise en question au nom de statistiques jugées décevantes. C’est ce constat qui a mené deux spécialistes à se pencher sur les modalités d’une plus grande efficacité de l’effort médiationnel et du partage des expériences à l’échelle globale. Le Canadien David Carment (professeur de relations internationales à l’Université Carleton d’Ottawa) et le suédois Evan Hoffman (consultant senior pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) ont su fédérer autour de ce projet de recherche un certain nombre de contributeurs en provenance du milieu diplomatique comme des sphères académiques et de la société civile. Affirmons-le d’emblée : le résultat de cette louable collaboration est inégal et accuse de nombreux contrastes susceptibles de rebuter certains praticiens, pourtant les principaux destinataires de cette publication.

Composé de huit chapitres, International Mediation in a Fragile World se présente comme un véritable livre vert destiné à vanter les mérites de la médiation internationale auprès des puissances moyennes. L’idée maîtresse qui transcende cet ouvrage collectif est que ces dernières – à l’image de la Suisse, de la Norvège, du Canada ou de la Suède – seraient les mieux placées pour ce type d’action, leur capacité financière et leur poids plus modeste dans la gouvernance mondiale garantissant leur nécessaire neutralité.

Le chapitre le plus enrichissant est sans conteste celui d’Ira William Zartman, qui revisite cinq débats ayant récemment animé la communauté scientifique quant aux usages et avantages des médiations sur la scène mondiale. Selon l’auteur, la démarche médiationnelle ne saurait être polyvalente, c’est- à-dire qu’elle ne peut s’amorcer en tout temps (le débat spatio-temporel), par tout moyen (praxistique), par tout postulant (attributionnel) et sans une définition précise de ses conditions (ontologique) et de ses buts (épistémologique). La perception d’une « impasse mutuellement nuisible » et d’une « voie de sortie » (page 9) est le prérequis de toute action de médiation. Parmi la panoplie de modalités comportementales, Zartman identifie rapidement la persuasion pour être la pratique la plus fructueuse lors d’une tentative de médiation, celle-ci favorisant l’instauration primordiale de la confiance entre le médiateur et les parties liées au conflit. S’agissant des protagonistes les mieux disposés à se soumettre au labeur médiationnel, l’auteur avance que les puissances moyennes ont tout intérêt à s’investir dans la médiation des conflits en raison de leur réputation d’impartialité et de leur expertise déjà conséquente dans le domaine.

L’analyse empirique proposée par Joakim Kreutz et Johan Brosché offre également une réflexion argumentée sur les efforts médiationnels. Constatant que plus de 75 % des procédures de médiation effectuées entre 1993 et 2004 ont été lancées au cours du mois suivant un massacre de civils, les auteurs maintiennent que ce sont moins les événements qui se produisent sur le champ de bataille qui influencent l’émergence de la médiation que les canons normatifs internationaux, tels que le concept de la Responsabilité de protéger (r2p). Les aspirants médiateurs seraient ainsi particulièrement motivés par les situations d’exterminations de civils.

Une dernière contribution d’intérêt se focalise sur les expériences médiationnelles de trois diplomates canadiens, au Niger, en République dominicaine et au Nicaragua. Sont ainsi partagées, à tour de rôle et sous la forme d’entretiens, leurs impressions générales sur le contexte spécifique de leurs initiatives respectives et sur leur positionnement au moment des faits, les défis et les obstacles qu’ils ont dû affronter, les points d’amélioration rétrospective, les principales leçons tirées de leur expérience et les recommandations concomitantes adressées à leur gouvernement.

Issu d’un numéro thématique antérieur du Canadian Foreign Policy Journal (vol. 19, no 1, 2013), l’ouvrage dirigé par Carment et Hoffman identifie une série de propositions préconisant une meilleure prise en compte du potentiel médiationnel des puissances moyennes. Il met plus particulièrement en lumière les mérites pratiques de la diplomatie préventive pour le gouvernement canadien et son ministère des Affaires étrangères, à qui s’adresse de manière à peine voilée cette publication.

Cependant, l’organisation de l’ensemble risque d’amoindrir l’impact de ce plaidoyer auprès du public visé. Le déséquilibre, tant du point de vue numérique qu’en termes de richesse documentaire des chapitres, n’en facilite pas la lecture : si certains chapitres sont trop succincts, d’autres sont inutilement denses. L’alternance étanche entre des séquences théoriques, des usages prescriptifs et des proses plus expérientielles peut également indisposer un lectorat universitaire habitué à un peu plus de structure. Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’intérêt de reproduire, de façon assumée, à cinq ans d’écart, ces textes dans une nouvelle maison d’édition : les auteurs n’auraient-ils pas pu actualiser leurs travaux ?

Sur le plan théorique, la recherche d’une systématisation de l’analyse médiationnelle et de ses enseignements demeure une entreprise honorable, mais elle néglige de manière accablante les contingences politiques qui exercent de fortes pressions sur les médiations. Des contextes aux enjeux en passant par les protagonistes du jeu médiationnel, les circonstances de l’échec ou du succès d’une médiation semblent à bien des égards aléatoires et toute tentative de classification et de montée en généralité semble vouée à une impasse – toutes subtilités absentes de l’étude. C’est que la pratique médiationnelle n’est pas une science, mais bien un art rhétorique qui ne saurait se confondre avec une rigueur de raisonnement : aucun cheminement médiationnel n’est identique et linéaire. Le partage des expériences engage, certes, de très stimulantes discussions, mais outille insuffisamment l’homme de terrain confronté aux vicissitudes de la vie internationale.

International Mediation in a Fragile World suscite quelques réflexions intéressantes, mais son désir passionné de réorienter la politique étrangère canadienne vers la médiation en assombrit les horizons prometteurs. Il n’est pas non plus certain que cette nouvelle conversion puisse satisfaire la recherche constante de gains politiques du parti au pouvoir, les médiations apparaissant moins spectaculaires auprès des électeurs que les incursions militaires multilatérales.