Comptes rendusThéorie, méthode et idéesReviewsRecensión

Politics and Time, Michael Shapiro, 2016, Cambridge, Polity Press, 208 p.[Notice]

  • Nicolas Bautista-Beauchesne

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  • Nicolas Bautista-Beauchesne
    École Nationale d’Administration Publique (Énap), Montréal, Canada

Comment concevoir l’interaction entre la politique et le temps ? De quelle manière un cadre de référence temporel permet-il de déconstruire les événements politiques de portée internationale ? Comment faire contraster les représentations médiatiques conventionnelles avec les pratiques contre-narratives offertes par l’art et le cinéma ? Dans son ouvrage Politics and Time, Michael J. Shapiro, professeur en science politique à l’Université d’Hawaï, contribue aux théories, méthodes et idées du champ à travers une analyse interprétative et critique de la représentation temporelle de quatre événements internationaux : la dévastation nucléaire de Hiroshima, les ravages de l’ouragan Katrina, les luttes de travailleurs contre l’oppression au sein des sweatshops, et finalement, le processus décisionnel des opérations d’assassinats par drones pilotés à distance. Dans son essence, l’objectif de l’auteur se résume à mettre en exergue l’importance fondamentale du temps pour comprendre le politique. Afin d’introduire sa pensée, Shapiro expose la notion de temporalité critique, qui structure son analyse de cas. En puisant dans un riche héritage de philosophie politique, notamment Kant, Deleuze, Ricoeur ou encore Foucault, l’auteur souhaite montrer le contraste entre les discours gouvernementaux et médiatiques et une interprétation critique de la conceptualisation temporelle des évènements politiques. D’une part, l’argumentaire adopte une posture critique, où l’auteur étudie les contre-récits apportés par des sujets et des individus oubliés, ignorés ou opprimés. D’autre part, l’analyse présentée se veut temporelle, dans la mesure où elle s’intéresse en profondeur au phénomène du temps comme élément central des événements. Méthodologiquement, cela implique un regard analytique minutieux porté sur des aspects souvent négligés des études internationales, comme la grammaire, et l’analyse de scènes cinématographiques, de danse rythmique ou de séries télévisées. Par exemple, l’auteur accorde une importance particulière à l’utilisation du futur antérieur comme temps grammatical pour relater les contre-récits présentés : il s’agit d’interpréter le will-have-been des moments historiques de portée internationale représentés dans l’art. Fort de cette approche théorique et conceptuelle, l’auteur procède à un examen de plans et de séquences cinématographiques de films portant sur l’après-Hiroshima. L’analyse met l’accent sur les séquelles oubliées sur la santé psychologique, les relations sociales, ou encore la sexualité des survivants. L’explosion étant habituellement représentée comme historiquement et temporellement circonscrite, Shapiro met à mal cette vision en critiquant « l’éthique de l’attention » médiatique qui révèle sa sélectivité en omettant la souffrance humaine à long terme des victimes. Ainsi, une violence sans précédent s’est déroulée selon une temporalité défiant les guerres classiques : une destruction colossale instantanée a éclipsé la réalité des tragédies humaines prolongées. L’auteur poursuit dans la même veine avec une analyse de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005. En effet, Shapiro s’appuie sur un documentaire et une série télévisée portant sur la catastrophe naturelle afin de souligner l’étonnement médiatique d’une situation depuis longtemps ignorée : la condition socioéconomique des Afro-Américains. Selon lui, la surreprésentation médiatique des individus afroaméricains lors de l’ouragan témoigne de la surprise générale de la population qui, jusque-là, traitait avec des oeillères la précarité de ces citoyens. L’auteur décompose ce qu’il appelle des « bio-temporalités » afin de cristalliser ce traitement médiatique obtus. Par la suite, l’auteur change de registre en se servant de la musique et de la danse pour analyser les luttes ouvrières des travailleurs au sein de sweatshops. Ainsi, il étudie la symbolique cachée derrière la cadence des chorégraphies de danse et des rythmes musicaux qui relatent le quotidien de ces milieux : la résistance des travailleurs propose un contre-rythme aux forces capitalistes mondiales, coercitives et oppressives, qui souhaitent imposer un rythme de travail corporel sans relâche et nuisible pour la santé. Shapiro propose une réflexion sur …