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Ce petit ouvrage ose le pari de balayer de manière synthétique le phénomène terroriste dans ses multiples caractéristiques doctrinales, sociologiques, médiatiques et politiques. On y décrit la menace terroriste et les multiples facettes de la lutte pour tenter de la réduire, mais le risque zéro n’existe pas. L’espace de confrontation lui-même est à haut risque, sachant que l’on peut assister à une surenchère sécuritaire et à l’apparition de processus de stigmatisation et de suspicion. Il est aussi question, dans une deuxième partie, des ambitions du djihadisme, entre Al-Qaïda et l’État islamique, les loups solitaires, les cellules autonomes et les réseaux d’extrême-droite et d’extrême-gauche pouvant être lus comme des réponses au radicalisme islamiste. L’auteure n’oublie pas de traiter d’Internet et du Darknet en tant qu’outils d’influence et de propagande, de communication (réseaux sociaux), de financement, de recrutement et de socialisation (l’entre-soi, la solidarité et le sentiment d’appartenance dans la clandestinité) – sans oublier, par ailleurs, que l’acte terroriste violent reste associé à un message politique.
Dans ce cadre, plusieurs questions se posent. Les médias sont-ils les alliés des terroristes dès lors que, sans eux, le terrorisme serait invisible et politiquement inopérant ? L’ambivalence relationnelle entre terrorisme et journalisme est particulièrement visible, alimentée par le mortifère et le sensationnalisme. Doit-on montrer la violence et jusqu’où ? Doit-on médiatiser les otages au risque de légitimer cet acte criminel ? Doit-on indirectement héroïser le terroriste en le présentant nommément ? Les victimes ont-elles reçu « assez de place » dans l’image compassionnelle face à la logique mercantile médiatique ?
Dans un style fluide et clair, Aurélie Campana nous entraîne ensuite vers d’autres questionnements et tentatives de réponse. Il s’agit ici du concept de radicalisation qui a fait son apparition au début des années 2000. L’auteure nuance la problématique en précisant que la définition du radicalisme est loin de faire consensus, car on confond parfois terrorisme et djihadisme sous ce vocable, en oubliant le radicalisme des extrêmes politiques. De même, le radicalisme doit être relativisé selon les sociétés et les moments ; par exemple, le voile islamique très couvrant est devenu davantage anxiogène dans les sociétés occidentales dès lors que son port a augmenté sous la pression des mouvements les plus radicaux et historiquement avec la révolution iranienne (les générations antérieures s’en étant débarrassées). Enfin, le radicalisme ne peut être associé systématiquement à la violence. Il nous faut donc distinguer la radicalisation cognitive (celle des idées) de la radicalisation comportementale avec passage à l’acte violent.
D’évidence, ce qui semble le plus utile – au-delà de l’étude technique de la violence terroriste pour pouvoir la combattre en amont et en aval – est de parvenir à détecter les motivations des terroristes. Objectif ô combien difficile, car il faut à la fois analyser les trajectoires individuelles et les interactions provenant du milieu social (ressorts psychologiques, dimensions normatives, environnements culturels et convictionnels), le degré de porosité aux influences radicales, l’autojustification (par la rancune, le ressentiment, la discrimination, l’infériorisation) des actes à venir, etc.
L’ouvrage résume parfaitement le processus de justification a posteriori, le rôle majeur des mécanismes cognitifs et émotionnels tendant à enfermer l’individu dans une logique d’opposition systématique au système jusqu’à l’aboutissement de croyances totalisantes embrassant alors toute la réalité sociale.
Nous retiendrons le sous- chapitre intitulé « Les terroristes sont-ils des fous ? » où Campana mobilise de manière pertinente les travaux de McCauley, Segal, Hendrick, Silke, Crettiez, Filiu et Kaczynski sur le degré de fragilité psychologique et mentale, avec toute la question du passage d’un radicalisme d’idées à un radicalisme physique violent, associé peut-être à une fragilité personnelle réduisant les barrières morales et autres mécanismes d’inhibition.
Ce qui fonde tout l’intérêt de cet ouvrage réside dans cette volonté de nuancer les perceptions qui naissent de ce phénomène déroutant qu’est le terrorisme. Campana montre comment nous sommes face à une impasse définitionnelle en ce qui concerne les mots « terrorisme » et « radicalisme », d’autant plus que les courants de recherche qui s’y attellent proviennent de la science politique, de la sociologie, de la psychologie, du droit ou de l’économie, disciplines qui, selon elle, ne se rejoignent pas souvent. Considérons néanmoins que, ces toutes dernières années, les analystes pensent que c’est par l’interdisciplinarité que l’on pourra cerner ces phénomènes afin de les dépasser, les réduire, les combattre. Mais il ne faut pas être dupe : la course aux subventions, les priorités politiques et l’urgence post-attentats orientent pragmatiquement les trajectoires de recherche et les champs à couvrir prioritairement. Pour le chercheur, la tâche est rude et les écoles sont en concurrence. Pour le décideur politique et les acteurs de la sécurité, l’urgence est ailleurs, mais les uns doivent pouvoir travailler pour les autres en interaction pour une meilleure efficience dans la compréhension et dans la lutte contre ce fléau.
Reste un livre facile à consulter et parfaitement maîtrisé même si son petit format ne pouvait accueillir les multiples travaux sur ces questions, y compris en criminologie, qui remplissent bien des rangées de bibliothèques.