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Certes, la littérature scientifique est riche de publications sur l’islam politique, particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont marqué le monde à plusieurs niveaux. Mais l’étude de Quinn Mecham sur les origines institutionnelles de la mobilisation politique islamiste est pertinente, selon lui, en raison de l’étendue historique et géographique de son étude (quatre décennies d’observations sur plus de cinquante pays), ainsi que du champ de recherche choisi, soit le domaine institutionnel, peu étudié à ce jour.

L’auteur s’est fixé deux objectifs : la description précise des conséquences de la mobilisation politico-religieuse à travers le monde musulman, et l’élaboration des bases d’une théorie sur les sources de la mobilisation politique islamiste en général. Ces sources peuvent être basées sur la structure (liées à la structure de l’État ou les mouvements islamistes), sur les incitations (présentées par les promoteurs du discours islamiste), sur le grief (ressenti par l’individu musulman) et/ou sur les théories du mouvement social. Ainsi les facteurs qui déterminent cette mobilisation sont : une compréhension de l’islam commune au locuteur et au récepteur, les opportunités pour un entrepreneuriat religieux et la création de points focaux publics (évènements qui suscitent des questions d’appartenance ou de conscience).

Les principaux acteurs du processus de mobilisation, selon l’auteur, sont les individus musulmans, les entrepreneurs religieux, l’élite religieuse et l’État. Ce processus commence par l’entrepreneur (initiateur ou incitateur) et se termine chez l’individu qui décide de répondre, ou non, à l’appel de la mobilisation. Entre ces deux parties, des intermédiaires prennent des mesures particulières à chacun. Le premier intermédiaire, l’élite religieuse, peut agir par le contrôle de la structure hiérarchique des institutions dont les entrepreneurs font partie. Quant au deuxième intermédiaire, l’État, il peut s’opposer à ce processus par l’affrontement direct ou par l’inclusion des meneurs dans ses rangs, pour garantir leur silence, car les entrepreneurs islamistes tendent à s’opposer à l’État quand ils sont faiblement incorporés dans les réseaux étatiques de décision et de distribution des ressources.

En étudiant le phénomène de la mobilisation politique islamiste dans l’espace et le temps, l’auteur montre que le nombre des États qui ont connu des actes de violence et des manifestations islamistes a augmenté dramatiquement, à partir de 1970, tout en constatant une nette différence des niveaux de mobilisation entre les régions à prédominance islamique, le monde arabe étant en avant-garde. L’auteur étudie la corrélation entre la mobilisation islamiste et certains facteurs, comme le pourcentage de chiites dans les différents pays, les relations avec l’Occident, la richesse du pays, les changements démographiques ou sociaux, le rôle et la nature des institutions de l’État et la libéralisation politique après une période autoritaire.

Mecham a choisi trois États pour illustrer les niveaux de mobilisation politique : le Sénégal, la Turquie et l’Algérie, comme exemples de faible, moyenne et forte mobilisation politique islamiste, respectivement.

Les causes de la faible mobilisation politique au Sénégal, selon l’auteur, découlent d’une combinaison de facteurs institutionnels, ces derniers étant : une compréhension partagée et diversifiée de l’islam (mêmes idées religieuses dans une grande partie de la population), une concordance des intérêts de l’élite islamique et de l’État, un contrôle effectif des sous-groupes islamistes, et un nombre relativement limité de points focaux de crises internes de l’État ou de libéralisation rapide.

Contrairement aux arguments socioéconomiques simples habituellement présentés comme bases de la mobilisation politique dans le cas de la Turquie, l’auteur développe un argument complexe pour expliquer cette mobilisation, particulièrement la mobilisation électorale, cause principale de réussite du Parti de la justice et du développement.

Ces arguments sont de trois niveaux. Économiquement, cette mobilisation tient à la variation provinciale des taux de chômage entre les provinces gérées par les islamistes et les autres provinces : politiquement, elle tient à la crise de l’État au niveau de l’ordre et de la justice (perturbations sociales et injustice, réelle ou illusoire, ressentie par les islamistes), et à la capacité de mobilisation des entrepreneurs religieux dans la société : et enfin, elle tient au niveau de la relation de l’État avec les mouvements islamistes, soit par l’inclusion ou l’exclusion, et au développement de la pénétration des institutions religieuses islamiques.

Les niveaux élevés de la mobilisation politique islamiste en Algérie sont dus, selon l’auteur, à plusieurs facteurs réunis, qui sont des institutions islamiques fragmentées, la divergence des objectifs poursuivis par les islamistes et par l’État, la pénétration sociale dense des institutions islamiques, les grandes crises d’ordre et de justice, et l’expérience rapide de la libéralisation politique, ce qui a abouti à la confrontation entre l’État et les mouvements islamiques.

L’étude exploite bien les données recueillies pour analyser les origines institutionnelles de la mobilisation politique islamiste. Pourtant, certaines questions s’imposent et remettent en cause les résultats obtenus. Quelles sont les raisons du choix de ces trois États comme exemples de leurs groupes ? Prenons l’exemple de l’Algérie : ce pays n’a pas connu d’invasion militaire extérieure ou de révolution comme d’autres éléments de son groupe (Irak, Afghanistan ou Iran). À quel niveau les facteurs choisis influencent-ils le phénomène étudié ? Jusqu’à quel point peut-on généraliser les résultats de la recherche aux autres États, eu égard à la particularité de chaque État et de son contexte historique, politique et social ? N’y a-t-il pas des facteurs extérieurs négligés dans l’étude du phénomène ?