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Pourquoi et comment (re)conceptualiser le rapport entre politique et capitalisme dans son contexte mondialisé ? C’est la question transversale à laquelle le Dictionnaire d’économie politique tente de répondre. Dirigé par Colin Hay, professeur de science politique à Science Po Paris, et Andy Smith, directeur de recherche au Centre Émile Durkheim à Science Po Bordeaux, l’objectif de cet ouvrage est de remettre au coeur de l’analyse critique du capitalisme globalisé le rapport d’interdépendance entre économie et politique.
L’enjeu principal du dictionnaire est d’interroger les prémices formulées par le paradigme néoclassique sur la base de trois arguments. Premièrement, cette tradition aurait sous un angle ontologique soustrait les rapports de pouvoir de l’étude économique – dont ceux de classes et de genres – et ainsi conduit la discipline à une technicisation excessive. En effet, le politique et l’économique se co-constituent et doivent se penser de manière interdépendante dans des structures économiques désormais mondialisées. Deuxièmement, Hay et Smith soulignent que la dépolitisation de l’économie menée par les études néoclassiques omet le rôle essentiel des institutions, notamment celui de l’État, qui garantit le respect des droits de propriété et, de fait, rend le marché fonctionnel. Troisièmement, l’hypothèse néoclassique de l’équilibre général serait obsolète. Les régimes capitalistes ont des contradictions internes qui génèrent des crises économiques, et donc des situations de déséquilibre. Les auteurs néoclassiques conçoivent un monde certain et un futur tangible. Autrement dit, ils négligent la contingence, la dimension évolutive, l’incertitude radicale des évènements économiques à venir ainsi que les changements sans cesse suscités par les variétés de capitalisme.
Le titre de l’ouvrage pourrait suggérer qu’il s’agit d’un format classique de dictionnaire à la Léon Say ou Robert Palgrave. Or, contrairement aux recueils antérieurs, il nous offre une perspective interdisciplinaire et éclectique. Sans amalgames ni contradictions, le dictionnaire conjugue sociologie, science politique et relations internationales pour appréhender les formes de capitalisme globalisé. Inspiré par l’école française de la régulation, le marxisme, l’économie institutionnelle, la sociologie économique et les approches féministes, Hay, Smith et leurs contributeurs mettent en place un appareil théorique pluraliste cohérent. D’autre part, le dictionnaire remplit pleinement son objectif pédagogique. Les théories, thématiques et concepts sont riches en contenu mais développés de manière succincte. Ils répondent à des controverses et enjeux propres à notre période historique. De plus, les notices sont rédigées de telle sorte qu’elles soient accessibles aussi bien à un public averti qu’à un plus large public curieux de découvrir un champ universitaire pluridisciplinaire.
Ce dictionnaire recueille des perspectives, concepts et controverses saillantes à l’intervalle entre l’économie politique et l’économie politique internationale. Il recouvre des aspects allant de la définition du travail et du marché en passant par l’explication des théories marxistes et constructivistes, à la régulation des marchés financiers et le phénomène de mondialisation. Parmi les notices ayant retenu notre attention, nous pouvons notamment souligner l’importance accordée au processus de financiarisation de l’économie ou encore l’émergence de l’économie numérique.
L’entrée sur la financiarisation propose une compréhension variée de ce processus. Mettant d’abord l’accent sur sa portée matérielle, il fait référence à un régime d’accumulation basé sur des revenus financiers. Les instituts financiers et leurs professionnels domineraient le champ des décisions politiques. Et cette même financiarisation transformerait les logiques de l’entreprise par le besoin impératif de liquidités. Mais ce processus recouvre aussi une perspective immatérielle. En effet, la portée des marchés financiers, notamment l’expansion du crédit immobilier parmi les classes populaires, conditionnerait les subjectivités individuelles. Le numérique, pour sa part, est analysé en intégrant sa dimension politique. La numérisation de l’infrastructure économique ne poursuit pas, selon les auteurs, un changement de type d’accumulation. Celui-ci résulterait plutôt d’arrangements politiques qui organisent l’évolution du capitalisme à l’ère digitale. Par exemple, le modèle économique basé sur la plateforme domine l’espace économique en exploitant les liquidités et les données issues des transactions grâce à un cadre réglementaire non établi.
Le Dictionnaire d’économie politique a le mérite d’éclairer non seulement les synergies existantes entre science économique et politique, mais aussi de mettre en évidence la diversité analytique des approches critiques quant à ce champ d’étude. On peut émettre une réserve quant au nombre malheureusement restreint de participantes féminines à la rédaction des entrées. Mais une des grandes difficultés de la constitution d’un dictionnaire est le choix des entrées. Certes, ainsi que nous l’avons mentionné dans l’introduction, l’ouvrage ne vise aucune forme d’exhaustivité dans les notices choisies. Cependant, il nous paraît fondamental de mettre l’accent sur un élément omis. L’héritage colonial intrinsèque au développement et au fonctionnement du système capitaliste ne ressort que relativement peu dans l’ouvrage. Outre la notice relative aux stratégies de développement économique en lien avec la croissance, l’approche postcoloniale et la matrice racialisante de l’organisation des moyens de production restent dans l’ombre. Pourtant, de nombreuses études en économie politique et économie politique internationale illustrent l’héritage colonial présent aussi bien dans le monde de la finance que celui de l’assurance. Au-delà des points de discussion susmentionnés, l’ouvrage apporte une contribution significative à la compréhension des systèmes capitalistes, et de manière générale, au champ d’études de l’économie politique internationale.