Corps de l’article

Introduction

Cet article fait suite à un premier article qui présentait une partie des résultats d’une recherche-action dont l’objet est les changements d’orientation de l’Université de l’Ontario français (UOF) sur le plan de la pédagogie. Le premier article portait sur le passage du paradigme de la transmission en enseignement au paradigme de l’apprentissage guidé.

Dans ce second article, nous présentons la suite des résultats de la même recherche-action. Cette partie porte sur les orientations de l’Université de l’Ontario français en matière de programmation, c’est-à-dire d’élaboration des programmes qui y sont offerts.

En pédagogie comme dans bien des domaines, la planification est une étape primordiale qui met la table pour tout le reste. Dans cette recherche, une analyse de la programmation pédagogique prévue par l’UOF a été faite. Suite à cette analyse et à la mise en exergue des différents types de programmation possibles, nous mettons en lumière l’orientation fondamentale qui constitue une opérationnalisation de l’approche par compétences (APC) dans sa programmation pédagogique. Un cadre conceptuel est établi pour présenter l’APC préconisée et des recommandations sont faites afin d’appliquer celle qui correspond le mieux à la réalité de l’université, selon la recherche en éducation.

1. Problématique

L’expérience de l’UOF est unique en tant que c’est la fondation d’une nouvelle université. Cette expérience constitue une occasion pour mettre en place des orientations d’enseignement et de recherche qui ne sont pas tributaires de traditions à reproduire ni de pratiques à maintenir en conformité avec ce qui se fait dans une institution mère ou une institution partenaire.

À l’UOF, la tâche de la fondation inclut la programmation pédagogique, c’est-à-dire l’élaboration des programmes et l’élaboration des plans de cours. Les responsables de la mise en place des programmes à l’UOF ont choisi résolument d’adopter l’approche par compétences comme modèle principal de programmation de l’enseignement (Johnson, 2020). Cela étant acquis, la tâche qu’il reste à réaliser est la clarification de ce qu’est ce modèle et ce qu’il appelle concrètement comme orientations dans l’élaboration des programmes. C’est ce que notre recherche-action nous a permis de réaliser, avec la méthodologie suivante.

2. Méthodologie

Nous reproduisons ici les trois paragraphes de description de la méthodologie qui se trouvent dans le premier article (Guillemette, 2020).

La méthodologie qui a été utilisée pour en arriver aux résultats de cette recherche est une méthodologie de recherche-action, d’abord, dans le sens de la tradition méthodologique qui remonte à Kurt Lewin (Baribeau, 1992) et qui consiste à comprendre, par l’observation et l’analyse, un changement social qui arrive dans une collectivité plus ou moins nombreuse. Dans cette approche, il s’agit, pour un chercheur, de documenter et d’analyser les traces du cheminement (Morin, 2010) d’un groupe engagé dans un changement

Allard-Poesi & Perret, 2003; Barbour, 2008; Berg, 2007; Burns, 2000

Dans cette recherche, la communauté est l’Université de l’Ontario français(UOF) et le changement est celui de l’adoption d’une orientation pédagogique fondamentale par laquelle les enseignants et les personnes impliquées en pédagogie de l’UOF, autant sur le plan des programmes que sur le plan de l’enseignement comme tel, passeront du paradigme de la transmission au paradigme de l’apprentissage guidé. Le chercheur est l’auteur de cet article. Il a collecté les données dans les nombreux documents produits par l’UOF durant le processus de mise en place de cette nouvelle université et il a participé à de nombreux échanges synchrones durant ce processus. Notons, au passage, que le caractère participatif et collégial du processus lui-même a fait en sorte que cette recherche en a été une de type recherche-action participative (Argyris & Schön, 1989; Kemmis & McTaggart, 2000). De plus, le chercheur ayant été impliqué en tant qu’expert à qui on demandait de faire des recommandations au terme du processus, on peut considérer que cette recherche est une recherche-action-formation selon la démarche proposée par Guay, Dolbec et Prud’homme

2016

Nous ne pouvons pas nous étendre ici sur la description diachronique du processus de changement, mais rappelons que, dès l’étape du Conseil de planification en 2016, des orientations précises ont été décidées sur le plan pédagogique. Ces orientations ont fait l’objet de nombreuses consultations auprès de plus d’une centaine de personnes, soit dans des groupes de discussion, soit dans des entretiens individuels, soit dans des avis écrits, soit dans des comptes-rendus de réunions. Des rapports officiels, notamment à l’attention du gouvernement de l’Ontario, sont publiés sur le site de l’UOF. Le Conseil de planification a été suivi par un comité technique; puis, par le Conseil de gouvernance. Les résultats présentés dans cet article sont l’aboutissement de toute cette démarche, mais ils n’en constituent pas le point final. Ils seront intégrés à la démarche dynamique de mise en place des premières activités avec les étudiants

pp. 47-49

3. Résultats en termes de clarifications conceptuelles

Les résultats de cette recherche-action en ce qui concerne la planification des différents programmes et des plans de cours sont organisés autour de l’approche par compétences. On verra dans ce qui suit que la compétence est essentiellement une action qui se développe. Ainsi, cette APC est en cohérence avec les orientations pédagogiques adoptées par l’UOF comme l’apprentissage expérientiel, de même que l’approche pédagogique qui considère l’enseignant comme un guide et l’apprentissage comme une pratique (voir le précédent article : Guillemette, 2020).

3.1 L’approche par compétences (APC)

Il y a des centaines d’APC, notamment parce qu’il y a des centaines de définitions du terme compétence. C’est un premier point sur lequel de nombreux auteurs se sont prononcés : les définitions du terme compétence sont légion et sont non seulement diverses, mais souvent incompatibles, voire contradictoires, entre elles. On ne compte plus les publications qui rappellent l’impossibilité « de dégager la notion de compétence du brouillard sémantique dans lequel elle se tapit » (Jonnaert et al., 2015, p. 9), tout en étant utilisée à toutes les sauces (Degui, 2010). Ici comme ailleurs, il faut faire des choix dans la clarification conceptuelle en commençant par éliminer les définitions qui ne veulent rien dire, soit parce qu’elles sont floues et tellement abstraites que complètement « invisibles », soit parce qu’elles veulent tout dire (et donc elles ne veulent rien dire). Joannert et al. (2015) donnent un exemple où la compétence est définie comme « la capacité de faire quelque chose » (p. 10) et un autre exemple où la compétence est définie comme « un rapport de la personne aux situations » (p. 10). Ces auteurs dénoncent les formules lapidaires, les slogans, les expressions creuses, les définitions tautologiques comme de dire qu’avoir une compétence se manifeste dans le fait d’être compétent dans un domaine, et les définitions purement synonymiques réciproques comme de dire que la compétence est une capacité et que la capacité est une compétence.

Dans les définitions floues qui désignent des réalités invisibles, nous plaçons celles qui définissent la compétence comme une capacité, un potentiel, un savoir ou un ensemble de savoirs. Dans les définitions qui veulent tout dire, nous plaçons celles qui incluent dans un seul terme – compétence – à la fois un état (être compétent)…, et un avoir (avoir des compétences)…, et une qualité (celui qui est compétent est supérieur au novice mais inférieur à l’expert)…, et une pratique (par exemple les actes réservés à telle profession)…, et un pouvoir au sens juridique qu’a souvent le terme, par exemple dans les responsabilités de divers secteurs de gouvernance; la signification du terme perd sa pertinence dans cet amalgame sémantique.

Deux orientations nous ont guidé dans le processus de clarification. Premièrement, nous avons cherché les éléments de définitions qui font que le terme compétence est univoque et original, c’est-à-dire une définition claire et non ambiguë de même qu’une définition qui n’a pas de synonyme adéquat. Deuxièmement, nous avons cherché les éléments de définition qui semblent faire consensus ou du moins qui semblent rallier la majorité des chercheurs universitaires qui se sont penchés sur cette clarification conceptuelle.

Dans nos recherches sur l’APC, nous avons analysé plus de 1500 publications académiques. Nous osons proposer quelques éléments qui semblent faire consensus lorsque l’on parle des compétences à développer dans un cadre académique.

3.2 La compétence est de l’ordre de l’action

Nous préférons ne pas parler d’un savoir-agir parce que nous estimons que c’est trop obscur comme terme et parce qu’un savoir n’est pas une action. Encore une fois, il nous apparaît nécessaire de faire des choix dans le but d’être opérationnel : est-ce un savoir (invisible parce qu’interne)? Ou est-ce une action (avec son extériorité observable, même si aucune action humaine ne peut être réduite à son extériorité observable)? Il semble que de dire que la compétence est une action fasse le plus large consensus. Dans un effort de synthèse des très nombreuses publications sur la notion de compétence, Jacques Tardif (qui est l’auteur francophone le plus cité sur cette notion) affirme : « Dans l’ensemble des définitions, on considère que toute compétence est nécessairement de l’ordre de l’action » (Tardif, 2017, p. 19)[1]. Prieur et al. (2014) écrivent qu’il existe un consensus pour dire que « la compétence se situe du côté de l’action » (p. 18). Mercier-Dequidt & Bécu-Robinault (2014) vont dans le même sens en affirmant que les multiples définitions ont en commun de dire que « la compétence est reliée à l’action » (p. 30).

Ainsi, et par exemple, au lieu de formuler une compétence en termes de « est capable d’identifier les parties et les systèmes présents dans une épaule » (la capacité est invisible), on formulera de la façon suivante : « identifie les parties et les systèmes… ». Il ne suffit pas non plus d’utiliser des verbes d’action (en français, très peu de verbes ne sont pas des verbes d’action); l’action désignée comme compétence doit être observable. Des verbes comme connaître, comprendre, analyser, prendre conscience, expérimenter – pour ne donner que quelques exemples – sont des verbes d’action, mais ne désignent aucunement des actions observables. Ces termes sont trop équivoques pour être utiles, à moins que l’on veuille justement laisser les significations tellement floues que nul ne pourra être en désaccord.

3.3 La compétence ne peut être réduite à un comportement précis

L’action implique toujours une certaine réflexion. Cela aussi semble faire consensus. Dans l’approche par compétences où l’on considère la compétence comme une action, l’enseignement ne consiste pas à faire apprendre des routines ou à « entraîner », ou encore à faire répéter des comportements pour acquérir des automatismes (Le Boterf, 1998; Parlier, 1999). L’apprentissage d’une compétence est essentiellement un processus cognitif, comme toute forme d’apprentissage scolaire. C’est le processus qui est enseigné et appris.

3.4 La compétence est une action pérenne et stable

La compétence n’est pas un simple comportement réalisé une seule fois, ni même répété mécaniquement. C’est lorsqu’une action se reproduit dans des situations semblables, en tant qu’action sur ces situations, que l’on peut considérer que c’est une compétence. Noam Chomsky (1955), qui est considéré comme l’initiateur de l’utilisation du terme compétence dans le sens qu’il a en général depuis le milieu du XXe siècle, avait déjà, dans sa thèse de doctorat, mis en lumière ce caractère stable de toute compétence (Kahn, 2014). Plusieurs auteurs parlent alors de pérennité (Allal, 2002; Loisy, 2014) dans le sens qu’au terme d’un développement initial, la compétence-action s’actualise de manière adaptative comme réponse à des situations appartenant à une même famille de situations.

3.5 La compétence est une mobilisation de ressources

Letor & Vandenberghe (2003) affirment que la conception « selon laquelle une compétence se caractérise par la mobilisation spontanée et pertinente de ressources » a été « adoptée dans le monde éducatif francophone » (Letor & Vandenberghe, 2003, p. 5). Selon cette conception, la compétence « ne réside donc pas dans les ressources elles-mêmes, mais dans la mobilisation de ces ressources » (Lacasse et al., 2016, p. 134)[2]. Dans un article synthèse fort important, Jonnaert et al. (2015) affirment aussi que cette conception fait consensus. De même, Mottier-Lopez (2016) reconnaît que les définitions vont généralement en ce sens.

Il apparaît logique que la compétence ne puisse pas être à la fois l’action de mobilisation et ce qui est mobilisé, comme le souligne Le Boterf déjà dans ses premières publications sur la notion de compétence (Le Boterf, 1994). Elle ne peut donc pas être définie comme un ensemble de ressources (dont les savoirs), mais plutôt comme une action de mobilisation de ces ressources (Bellier, 2000; Chartier & Jacquet-Francillon, 1998; Demailly, 1994; Fernagu-Oudet, 2001; Le Boterf, 1999, 2001, 2018; Morier, 2001; Parlier, 1997; Ruano-Borbolan, 2000; Tardif, 2006). Ces ressources peuvent être de divers ordres. C’est dans les ressources que l’on va placer les connaissances, les savoirs. Il n’y a donc pas d’incompatibilité épistémologique entre cette approche par compétences et une approche par connaissances, à condition d’en comprendre les liens logiques. Ainsi, on ne dira pas que la compétence est un ensemble de savoirs de divers ordres (savoirs, savoir-faire, savoir-être, par exemple), mais une mobilisation de différentes ressources, dont les savoirs ou les connaissances. Nous pensons pouvoir dire qu’il y a un consensus sur le fait que les ressources sont internes (par exemple, les connaissances, les habiletés) et externes (par exemple, la possibilité de consulter des experts de différents domaines ou d’utiliser de l’équipement spécialisé). Dans une approche par compétences, la mobilisation de ces ressources constitue le processus de construction des ressources internes. Ainsi, on n’acquiert pas des connaissances en elles-mêmes, mais on les construit dans l’action (ou la pratique guidée), dans la mobilisation et dans le développement des compétences.

3.6 L’action est toujours située dans un contexte, un environnement

La compétence est une action « sur » un environnement, « sur » un contexte, « sur » une situation. Bien que chaque situation ait un caractère irréductiblement unique, elle appartient à une famille de situations. C’est dans cette famille de situation que la compétence se développe. Elle a donc un certain caractère transversal. Par contre, dans certaines définitions de la compétence transversale, le lien avec le contexte est tellement large (par exemple, lorsque le contexte est le 21e s.) que la compétence devient une abstraction non opérationnalisable. Il nous semble préférable de ne pas utiliser ce terme (compétence transversale) dans l’élaboration de programmes de formation parce que la sémantique est trop floue. Par contre, on peut regrouper des compétences (spécifiques ou particulières) dans des catégories plus larges ou plus générales (compétences générales).

Lorsque l’on détermine les compétences d’un programme de formation, il est nécessaire d’identifier les familles de situations en lien avec chacune des compétences. Une même compétence peut être en lien avec plus d’une famille de situations, mais elle ne peut pas être en lien avec toutes les familles de situations parce qu’elle serait alors sans lien avec aucune en particulier.

3.7 Cette conception de la compétence appelle une certaine pédagogie

Dans cette conception de la compétence comme une action mobilisatrice de ressources diverses, on conçoit logiquement que la pédagogie en cohérence avec cette conception sera en lien avec l’approche de l’apprentissage expérientiel et avec l’approche de la pratique guidée (Altet, 1998; Bélair, 2001; Colardyn, 1998; Faingold, 2001; Parlier, 1999). Ainsi, les stratégies d’apprentissage associées seront en général de l’ordre d’une pratique, par exemple les exercices de résolution de problèmes, les travaux dirigés, les mises en situation, les simulations, les jeux de rôles, les enquêtes de terrain, la planification et la gestion de projets, la mise en place de petites entreprises, les stages en milieu de travail, l’engagement communautaire, la prise de parole dans les médias, les expositions, etc. (Allal, 2002; Barkatoolah, 2000; Bellier, 1999; Clot, 2001; Jonnaert, 2002; Lemoine, 2002; Paquay, 2000; Romainville et al., 1997; Wittorski, 2000; Zarifian, 2001).

3.8 Proposition d’une définition du terme compétence pour l’UOF

En guise de synthèse sur la clarification conceptuelle, nous donnons ici la définition du concept de compétence. La compétence est une action réflexive de mobilisation de ressources internes structurées et de ressources externes disponibles; cette mobilisation inclut une sélection et une combinaison de ces ressources et est adaptée à une famille de situations (Guillemette & Gauthier, 2006; Le Boterf, 2001; Masciotra & Medzo, 2009; Schön, 1994; Tardif, 2017).

4. Résultats en termes de recommandations sur le plan pédagogique

Dans cette partie, nous recommandons une opérationnalisation de l’APC dans la programmation pédagogique.

4.1 Identification des compétences

Il est recommandé de déterminer les compétences à développer dans chacun des programmes et dans chacune des activités, et de les formuler précisément en termes d’actions concrètes ayant une dimension observable précise. Pour ce faire, on part des pratiques ou des actions à apprendre. Ce peut être des pratiques professionnelles ou des pratiques liées à des compétences transdisciplinaires, par exemple l’analyse d’un texte, la démarche historique, le raisonnement clinique, etc. On peut faire appel à des experts ou à des personnes expérimentées. Il s’agit d’élaborer les visées d’apprentissage, notamment en précisant les profils de sortie du programme en élaboration.

Ces cibles d’apprentissage possèdent une certaine structure qui doit être explicitée, par exemple en précisant les compétences générales et les compétences spécifiques. Elles possèdent aussi une certaine logique séquentielle (processus avec des étapes) qu’il faut également expliciter. Il est nécessaire aussi de clarifier l’ensemble des éléments de contenu à développer, par exemple les connaissances et les habiletés qui doivent être mobilisées dans le développement de la compétence.

Enfin, il s’agit de définir les familles de situations dans lesquelles l’apprenant se retrouvera durant ses activités de formation et, éventuellement, une fois entré sur le marché du travail. Dans ces familles de situations se trouvent les tâches complexes et les conditions d’exercice (ressources et contraintes).

Plus précisément, durant l’élaboration du programme, la procédure consiste à collecter des données sur l’exercice concret la compétence. Ces données peuvent être récoltées lors de discussions de groupes avec des professionnels et/ou des experts, mais aussi avec des étudiants, ou encore avec des citoyens en relation avec les futurs diplômés. Par exemple, dans des programmes en santé, on peut travailler la définition des compétences avec des patients partenaires.

4.2 Identification de la structure du programme

Il s’agit ici d’établir la structure du programme en fonction du réseau de compétences à développer. À partir de cette structure fondamentale, on développera les divers plans de cours, les guides de stage, les portfolios, les principales stratégies d’enseignement-apprentissage, les éléments de l’évaluation (méthodes, critères, indicateurs de réussite, etc.), le tout dans une cohérence interne liée à la structure logique générale du programme. À terme, on retrouve l’alignement constructif (Biggs, 1999, 2003; Milgrom et al., 2010; Wiggins & McTighe, 2006; Tardif, 2004), c’est-à-dire une cohérence entre les cibles d’apprentissage, les stratégies pédagogiques et les éléments d’évaluation.

4.3 Le développement des compétences

Un élément essentiel à l’approche par compétences est la pédagogie de la progression. Une compétence se développe. Elle ne s’acquiert pas tout d’un coup. Et elle continue de se développer tout au long de la vie. Par contre, dans l’élaboration des programmes, pour chacune des compétences, on définira non seulement des stades de développement, mais aussi le stage terminal de la formation (Tardif, 2004). On peut appeler ce stade terminal le profil de sortie.

Il y a certains principes qui ont fait leurs preuves pour maintenir les apprenants dans la progression et pour les mener – tous – à la réussite.

Premièrement, il est important de partir des apprentissages antérieurs (Berthiaume & Rege Collet, 2013; Gauthier et al., 2007; Piaget, 1969, 1974; Prégent et al., 2009) ou de là où se situe l’apprenant dans sa progression. Il s’agit de toujours partir de ses acquis, et non de ses lacunes. Concrètement, on peut faire un exercice de révision des apprentissages antérieurs, faisant vivre ainsi une expérience de réussite qui aura comme conséquence d’augmenter la motivation à progresser davantage et à relever des défis exigeants. Au passage, nous précisons que la motivation, selon les experts en la matière, est davantage une conséquence de l’apprentissage qu’un préalable à celui-ci, même si la dynamique correspond à un cercle vertueux (Deci, 1971, 1972; Deci & Ryan, 1980; Harackiewicz, 1979; Lepper & Greene, 1975; Ryan, 1982; Swann & Pittman, 1977).

Deuxièmement, la progression implique que l’apprenant fait des liens entre les nouveaux apprentissages et ceux qu’il a déjà faits. Il s’agit ici du processus d’assimilation-accommodation bien documenté par Piaget (1969, 1974). Consciemment ou non, l’apprentissage commence toujours par de l’assimilation, c’est-à-dire par une phase de « reconnaissance » des informations en les identifiant à du connu. En d’autres mots, l’apprentissage commence toujours par la perception que l’on connaît déjà – au moins en partie – ce qu’on s’apprête à connaître. C’est la perception d’une connaissance qui est préalable à ce que l’on s’apprête à connaître davantage. En neuropsychologie, on dira que les liens nouveaux qui se font dans le cerveau sont possibles d’abord et avant tout parce que les informations cheminent en empruntant des liens anciens. C’est pour cette raison que Piaget affirme que l’on n’apprend que ce que l’on connaît déjà (Piaget, 1969, 1974). C’est aussi pour cette raison qu’il affirme qu’il faut réussir pour apprendre, c’est-à-dire, d’une part, qu’il faut lier un nouvel apprentissage à un apprentissage déjà réussi et, d’autre part, qu’un apprentissage réussi rend possible un apprentissage plus avancé (Piaget, 1969, 1974; voir aussi Mason, 1996).

Pour favoriser la réussite « terminale », l’enseignant doit faire vivre des réussites progressives aux apprenants. L’enseignant doit donc « découper » l’apprentissage en apprentissages progressifs au lieu de faire vivre des échecs en étant trop exigeant dès le départ de la démarche d’apprentissage ou par rapport à la prochaine étape à parcourir. Il ne s’agit pas de réduire l’exigence du parcours qui mène à la ligne d’arrivée, mais de faire réussir une étape à la fois. Au début de la progression, l’enseignant favorise l’assimilation chez l’apprenant en faisant activer ses apprentissages antérieurs (« Qu’est-ce que vous avez déjà appris? ») et en l’aidant à prendre conscience de ses acquis, de ses apprentissages antérieurs. L’enseignant facilite aussi l’assimilation en aidant l’apprenant à voir les liens entre ses apprentissages antérieurs et le nouveau contenu à apprendre. Au besoin, l’enseignant fera une mise à niveau avec les apprenants pour s’assurer que tous ont bien réussi les apprentissages préalables. L’enseignant soutient un nouvel apprentissage lorsqu’il reconnaît les acquis et les réussites lors des activités de révision.

Pour ce qui est de l’accommodation qui suit l’assimilation, il s’agit du processus qui consiste à transformer ce qui est déjà connu (les schèmes déjà existants) pour intégrer les informations, pour les « apprendre », en quelque sorte. Ainsi, le connu (ou les schèmes qui servent pour l’assimilation des informations) se développe par la transformation des schèmes existants et par l’élaboration de nouveaux schèmes. C’est l’apprentissage en tant que tel. Chez l’apprenant, durant cette phase d’accommodation, les liens avec le connu sont de plus en plus complexes et riches. Les schèmes se transforment pour devenir eux aussi plus complexes et plus riches. L’apprenant connaît davantage (ou apprend davantage) parce que ses processus cognitifs se transforment, se développent, s’adaptent, s’accommodent. L’enseignant favorise l’accommodation en proposant de nouveaux apprentissages qui sont en lien avec ce qu’il a déjà appris et en montrant ces liens. Il le fait aussi lorsqu’il aide l’apprenant à prendre lui-même conscience des processus qui établissent les liens entre le connu et ce qui est nouveau dans l’apprentissage.

L’accommodation passe par un déséquilibre. Lorsque les informations ne sont pas assimilables à un schème existant, cela crée un déséquilibre chez l’apprenant. L’assimilation ne fonctionne pas. Ce déséquilibre ne provoque pas d’apprentissage en lui-même; c’est le rééquilibrage qui constitue un apprentissage. Le rééquilibrage se fait par l’accommodation. On n’apprend pas du déséquilibre. En d’autres mots, on n’apprend ni de ses erreurs ni de la prise de conscience de son ignorance. On apprend lorsqu’on rectifie ses erreurs, lorsqu’on réussit, lorsqu’on se rééquilibre. Évidemment, il n’y a pas de rééquilibration s’il n’y a pas de déséquilibre, mais il n’y a pas d’apprentissage s’il n’y a que le déséquilibre. L’apprentissage consiste donc à retrouver un équilibre qui est « majorant » (en termes piagétiens) ou « supérieur ». Ce nouvel équilibre « majoré » est plus solide parce que plus nuancé, plus complexe, plus riche. Il permet d’assimiler ou de traiter davantage d’informations, de même que des informations plus complexes.

Il y a une « zone » d’apprentissage progressif en deçà de laquelle il n’y a pas d’apprentissage parce que le défi est trop facile à relever et au-delà de laquelle il n’y a pas d’apprentissage parce que le défi, étant trop difficile, mène à l’échec. Vygotski (Chaiklin, 2009; Vergnaud, 2000; Vygotski, 1997) appelle cette zone la « zone proche de développement » (ZPD). À l’intérieur de cette zone, il y a progression dans l’exigence des défis d’apprentissage. Plus l’apprenant avance à l’intérieur de sa ZPD, plus c’est difficile et plus il a besoin d’aide pour réussir, et plus il apprend. Et c’est la responsabilité de l’enseignant de maintenir la tâche d’apprentissage à l’intérieur de cette zone, c’est-à-dire de proposer des apprentissages ni trop faciles ni trop difficiles. Aider l’apprenant (scafolding) ne signifie pas qu’on réalise la tâche à sa place. Le scafolding est littéralement l’échafaudage pour « soutenir » l’apprentissage autonome. L’enseignant favorise la progression à l’intérieur de la ZPD lorsqu’il commence une séquence d’apprentissage par des défis plutôt faciles (pour s’assurer de faire vivre des réussites) et qu’il augmente, par la suite, la difficulté de la tâche pour faire vivre de plus grandes réussites, et ce, en évitant de faire vivre des échecs. De plus, l’enseignant fait avancer la ZPD sur la flèche du développement en faisant répéter des réussites exigeantes sans augmenter la difficulté (afin que la réussite devienne de plus en plus facile) et en retirant progressivement son aide (descafolding) de telle sorte que l’étudiant vit des réussites autonomes. Ainsi, c’est la zone qui se déplace sur la flèche de l’apprentissage et non la tâche elle-même. À mesure que la ZPD avance, il faut augmenter la difficulté des tâches pour que l’apprentissage progresse tout en s’assurant que l’apprenant demeure dans la réussite, sans jamais vivre d’échec. Le soutien pédagogique fait en sorte que l’apprenant avance sur l’axe du développement en faisant un apprentissage de plus en plus difficile. Au fur et à mesure des réussites progressives, une tâche d’apprentissage qui était vouée à l’échec auparavant se transforme en tâche réussie.

4.4 Faire rectifier les erreurs au fur et à mesure

En matière de programmation et de planification, il est très utile que, dans la structure du programme, une place soit faite à l’identification des principales erreurs prévisibles ou des erreurs les plus fréquentes. Il ne s’agit pas ici de provoquer ces erreurs, mais de les prévenir et surtout de les faire rectifier au fur et à mesure qu’elles se manifestent. L’anticipation des erreurs permet de les reconnaître dès leur apparition et de les faire rectifier rapidement.

La vie scolaire donne amplement d’occasions de faire des erreurs et de se retrouver en déséquilibre. Il est rarement nécessaire de provoquer ces déséquilibres et il n’est jamais utile de souligner les erreurs, ni de laisser volontairement les apprenants dans le déséquilibre. L’enseignant doit guider l’apprenant pour que ce dernier rectifie rapidement ses erreurs. L’enseignant doit faire vivre des rééquilibrations, des réussites, que ce soit des réussites faciles ou, mieux encore, des réussites difficiles (suite à un déséquilibre) pour un rééquilibrage majorant. Lorsqu’on laisse un apprenant en déséquilibre (ou, pire, lorsqu’on accentue trop l’expérience du déséquilibre), on nuit à son développement. De plus, si un apprenant reste longtemps dans l’erreur, il y a un risque qu’il apprenne l’erreur de manière stable sans apprendre comment la rectifier ni apprendre l’apprentissage approprié. L’erreur n’est utile que lorsqu’elle est rectifiée. Lorsqu’elle se manifeste, il ne s’agit pas de la nier, mais de la transformer en défi pour une plus grande réussite. Il ne s’agit donc pas d’interdire l’erreur. L’enseignant permet l’erreur, mais il la dédramatise. Il ne la souligne pas. Il s’assure que les erreurs sont rectifiées. Il s’assure que l’apprenant réussit. Il ne parle pas de faiblesses, de lacunes ou de points à améliorer, mais de défis à relever. Il identifie des défis qui sont possibles, qui mènent à une réussite avec une certaine assurance. Par exemple, si l’enseignant n’a pas l’assurance que l’erreur sera rectifiée avant la fin d’un cours, il s’abstient de souligner cette erreur. Il la fera rectifier à une autre occasion.

4.5 Favoriser le self-efficacy

Plus l’apprenant vit des réussites et plus il perçoit sa compétence, plus il s’engage dans son apprentissage et plus il apprend effectivement, et plus il réussit (Bandura, 1993, 1997; Galand & Vanlede, 2004).

De nombreux résultats viennent corroborer la thèse selon laquelle une profonde croyance en son efficacité personnelle [self-efficacy] élève le niveau d’effort et de persévérance dans les entreprises difficiles. […] De nombreux résultats démontrent que la perception de son efficacité personnelle [self-efficacy] détermine non seulement son niveau d’effort, mais aussi la « productivité » de l’effort déployé

Bandura, 1993, p. 47[3]

Ainsi, la perception de sa compétence influence positivement l’effort fourni de même que la persévérance à l’effort et « améliore la performance par son influence sur les processus de la pensée et la mise au point de stratégies aussi bien que par son impact sur la motivation » (Bandura, 1993, p. 47).

Tout au long des réussites, l’enseignant souligne les forces de l’apprenant en reconnaissant ses compétences et ses réussites. Cela augmente la confiance de l’apprenant en ses moyens, en ses compétences et en ses ressources internes. Les rétroactions positives peuvent être de la reconnaissance assez générale, mais il est grandement préférable de reconnaître des éléments précis et concrets dans les réussites de l’apprenant, par exemple, reconnaître que, dans la tâche, l’apprenant a pris soin de bien comprendre les consignes, qu’il a posé des questions sur des aspects plus flous, qu’il a bien suivi les procédures, qu’il a eu recours à des outils de références, qu’il a bien travaillé en équipe en respectant les règles de la collaboration, etc. Il est important que l’enseignant prépare une liste d’indicateurs de réussite pour pouvoir les reconnaître et les souligner au fur et à mesure qu’ils se manifestent dans l’évolution de l’apprentissage. En d’autres mots, il est préférable de reconnaître les efforts et le travail concret plutôt que le talent. Une fois que l’enseignant a fait cela, il peut proposer des défis plus exigeants, tout en continuant à fournir de l’aide (scafolding) et à progressivement retirer cette aide (descafolding), en s’assurant de maintenir toujours les défis dans une zone de réussite.

Les recherches de Bandura (1997) montrent que ce qui influence le plus la montée de la perception de sa compétence (self-efficacy) chez un apprenant, ce sont les rétroactions positives de l’enseignant, à condition que ces rétroactions soient très concrètes et précises. Un autre élément positif est la reconnaissance par les pairs. Ainsi, lors de travaux d’équipe, l’enseignant peut demander à chaque équipier de donner des rétroactions positives à chacun des autres équipiers (souligner l’apport concret de chacun). On peut mettre en lien les recherches de Bandura sur le self-efficacy avec la théorie de la zone proche de développement (ZPD). L’enseignant qui favorise une montée de la perception de sa compétence (self-efficacy) chez l’apprenant peut lui faire vivre des réussites plus exigeantes. De ce fait, cet apprenant pourra relever des défis toujours plus grands. L’enjeu ici est que l’enseignant doit donner des exemples très concrets de réussites que l’apprenant a réalisées et ne pas s’en tenir à des généralités comme « tu es un étudiant brillant ».

Si l’on veut soutenir l’engagement des apprenants, il faut se préoccuper de la réussite de ceux-ci, mais aussi des processus d’auto-évaluation qui l’accompagne. […] Des échecs et certaines réactions de l’entourage (formateurs, pairs…) peuvent durablement ébranler les croyances d’efficacité d’un apprenant. Mais des interventions pédagogiques peuvent favoriser le développement d’une confiance durable dans son pouvoir d’action sur son apprentissage, même chez un apprenant en difficulté. […] Il s’agit d’amener les apprenants à focaliser sur les progrès accomplis et sur la façon d’accroître leur maîtrise plutôt que sur l’évaluation de leur rang par rapport aux autres. Globalement, les études présentées démontrent qu’il est possible de mettre en place une structuration des activités d’apprentissage qui soutient une acquisition graduelle des compétences et leur validation progressive

Galand & Vanlede, 2004, pp. 107-108

4.6 Définir les trajectoires de développement des compétences

Une autre tâche recommandée en lien avec la programmation consiste à préciser les trajectoires de développement des compétences en identifiant différents stades de développement et leurs indicateurs. On passe alors d’une logique de quantification (proportionnalité) de ce qui a été appris – logique verticale, par exemple en pourcentage – à une logique de reconnaissance du stade de développement atteint – logique horizontale.

Pour définir ces trajectoires, il est préférable de commencer en spécifiant la fin, c’est-à-dire de décrire la compétence telle qu’on s’attend à ce qu’elle soit développée au terme de la formation (indicateurs observables terminaux). Par la suite, on détermine des stades de développement avec des indicateurs observables pour chacun des stades. Lors de l’élaboration des programmes, durant le travail – collectif – de définition des trajectoires, les différents stades, et leurs indicateurs respectifs, peuvent apparaître à l’esprit dans un certain désordre. Il s’agit alors de les définir tout en les organisant au fur et à mesure.

L’utilisation d’indicateurs permet de passer d’une reconnaissance des acquis fondée sur une quantité temporelle (par exemple, 15 heures = 1 crédit) à une reconnaissance de la progression réelle de la compétence, reconnaissance fondée sur des indicateurs précis et observables (Lacasse et al., 2016). Il est un peu pléonastique de dire que les indicateurs doivent être observables. Mais il y a là un enjeu très important. Les indicateurs doivent indiquer précisément ce qui a été développé, appris, réussi. Et ils doivent indiquer la progression, le développement. On voit parfois des indicateurs énoncés de la manière suivante : « l’exposé est très clair ». Pour qu’un indicateur soit utile, il faut que l’on voie (ou que l’on entende, etc.) ce qu’il indique; il faut que l’on puisse observer ce qu’il indique. Dans l’exemple ici, il faut que l’indicateur indique en quoi l’exposé est clair; il faut que l’enseignant – et l’apprenant – puisse utiliser l’indicateur pour constater la clarté et puisse la montrer, l’indiquer.

4.7 Favoriser la mobilisation des ressources plutôt que l’acquisition des ressources

En ce qui concerne des recommandations en lien avec la définition de la compétence comme une mobilisation de ressources, il s’agit de s’assurer que la formation inclut des mécanismes pour apprendre par cette mobilisation et non par l’acquisition décontextualisée des ressources. La mobilisation suppose une compréhension, un jugement et une rétention intelligente des ressources. Il faut donc, dans la formation, que les ressources soient mobilisées dans l’action qui est toujours située concrètement. Le processus de mobilisation lui-même est un processus complexe qui implique une sélection parmi l’ensemble des ressources pertinentes. Cette sélection ne se fait pas comme une simple application ou un simple recours à des savoirs entreposés, mais se fait plutôt dans une opération de combinaison des ressources sélectionnées. De plus, la mobilisation des ressources se fait de manière adaptée au contexte de la situation et selon un processus d’intégration et de coordination des différentes ressources, ces ressources n’étant pas simplement « additionnées »[4] dans un répertoire, mais bien « organisées » en structures, en réseaux, en schèmes opératoires ou en « architecture » (Guillemette & Gauthier, 2006).

Dans la programmation pédagogique, il est essentiel d’identifier les ressources internes et externes à mobiliser dans chacune des compétences. Il faut aussi planifier des formations à la mobilisation – dans toute sa complexité – des ressources internes (connaissances et habiletés) dans les apprentissages et non des formations à l’acquisition décontextualisée de ces ressources. Enfin, on s’assurera de la disponibilité des ressources externes.

4.8 Favoriser le transfert des compétences

La dernière recommandation dans cette série liée à la programmation pédagogique est de planifier plusieurs situations semblables à l’intérieur d’une famille de situations dans lesquelles se déploie chaque compétence. Ainsi, on peut former l’apprenant à transférer la compétence d’une situation à l’autre. Au terme de cet apprentissage du transfert, l’apprenant actualisera sa compétence dans toutes les situations semblables qu’il rencontrera dans son quotidien.

S’inspirant de Tardif et Meirieu (1996), Presseau définit le transfert comme étant un processus qui consiste à actualiser dans un nouveau contexte (la situation d’apprentissage cible) une compétence développée dans un contexte particulier (la situation d’apprentissage source) pour la développer davantage (Presseau, 2000).

Selon Tardif et Meirieu (1996), l’enseignant favorise le transfert par une séquence d’interventions en trois phases : contextualiser, décontextualiser et recontextualiser. Au cours de la première phase, la contextualisation, l’enseignant propose une situation d’apprentissage. Le concept de situation source fait référence à l’environnement dans lequel se déploie la compétence.

Au cours de la deuxième phase, la décontextualisation, l’apprenant doit sortir les apprentissages de leur contexte source. Il fait abstraction du contexte de la situation source. C’est une phase d’objectivation, d’abstraction. Cette opération sollicite une prise de conscience de ses compétences et de ses apprentissages par rapport à la situation source. C’est une occasion pour expliciter les actions réalisées dans la situation source, de dégager un schème d’action, des principes d’action, etc. En d’autres mots, l’enseignant aide l’apprenant à prendre conscience de ce qu’il a appris dans la phase de contextualisation. De plus, il faut faire ressortir les caractéristiques de la situation source afin de permettre que ces caractéristiques soient perçues dans une éventuelle situation cible, lors de la phase de recontextualisation.

La troisième phase est celle de la recontextualisation. Tardif considère que « le transfert fait essentiellement référence au mécanisme cognitif qui consiste à utiliser dans une tâche cible une connaissance construite ou une compétence développée dans une tâche source » (1999, p. 58). Au cours de la phase de recontextualisation, l’apprenant est amené à repérer les similitudes et les différences entre la situation source et plusieurs situations cibles pour identifier des conditions de transférabilité. Le fait de définir ces conditions permet à l’apprenant d’anticiper des occasions où il pourra actualiser la compétence développée. Cette opération permet de regrouper des situations en familles de situations.

Une famille de situations est un ensemble de situations semblables les unes aux autres. En vue de favoriser le transfert, Roegiers (2000) préconise l’exploitation de différentes situations significatives issues de la même famille. Il illustre le concept de famille de situations en utilisant l’analogie suivante :

Prenons par exemple la compétence de « Conduire une voiture en ville ». Les situations sont les types de parcours différents, à des moments différents, avec des conditions atmosphériques différentes, avec des densités de circulation différentes, etc. Dans certains cas, lorsque l’on passe son permis de conduire, on tire au hasard une carte à jouer (de l’as jusqu’au dix de coeur par exemple), qui est un parcours particulier. Ces différents parcours constituent autant de situations différentes qui appartiennent à une même famille de situations

Roegiers, 2000, p. 130

Pour Perrenoud (2002), lorsque l’apprenant développe une compétence, il développe l’aptitude à maîtriser une famille de situations et de processus complexes en agissant dans un but précis. Philippe Gagnaire (2002) établit une analogie entre le processus de transfert et le bricolage. En effet, selon lui, l’enseignant qui amène les apprenants à développer des compétences et à les transférer valorise une forme d’action à l’intérieur d’une famille de situations. Le transfert correspondrait alors au bricolage que réalise un apprenant pour adapter les apprentissages antérieurs et pour agir dans une situation nouvelle.

Presseau suggère deux moyens de favoriser le transfert spécifiquement dans la phase de recontextualisation. Le premier consiste à amener les apprenants « à envisager hypothétiquement les contextes à l’intérieur desquels ils pourraient réutiliser les apprentissages qu’ils viennent d’effectuer et à justifier pourquoi ils peuvent l’être » (Presseau, 2003, p. 117). Le deuxième moyen consiste à « dépasser le caractère hypothétique » (p. 117) pour guider les apprenants dans une actualisation de la compétence à l’intérieur d’un nouveau contexte (recontextualisation) réel, dans une activité concrète engageant activement l’apprenant à agir sur une nouvelle situation (Presseau, 2003). Jonnaert (2002) rappelle que, pour soutenir le transfert, il ne s’agit pas de simplement évoquer des tâches cibles possibles. Il faut permettre à l’apprenant d’établir lui-même des liens entre les différents contextes dans lesquels ses compétences peuvent être actualisées.

Conclusion

Cet article présente comment l’Université de l’Ontario français (UOF) peut opérationnaliser son désir d’innover et de baser ses pratiques pédagogiques sur la recherche en utilisant une certaine forme d’APC comme méthode de programmation pédagogique.

Le cas de l’UOF étant un exemple particulier en raison du caractère nouveau de l’université, l’implantation de nouvelles pratiques y est facilitée. Il serait intéressant d’étendre la réflexion débutée dans le cadre de cette recherche en explorant les processus de transformation de programmes déjà en place depuis plusieurs années ailleurs dans le milieu universitaire, dans un contexte de changement plutôt que dans un contexte de définition initiale et d’implantation des pratiques.