Résumés
Mots-clés :
- éducation à l’environnement et au développement durable,
- milieu associatif,
- GRAINE Rhône-Alpes,
- recherche partenariale,
- laboratoire de recherche,
- collectif de recherche,
- pratique enseignante
Keywords:
- environmental education and sustainable development,
- associations,
- teaching practice
Corps de l’article
La recherche doctorale présentée ici (Leininger-Frézal, 2009) s’est faite au sein d’une association, le GRAINE Rhône-Alpes qui est le réseau des parties prenantes de l’éducation à l’environnement et au développement durable (EEDD) sur le territoire régional. Le GRAINE n’était pas le sujet de recherche, mais il a constitué le milieu dans lequel a été effectuée cette recherche. L’auteure a en effet été recrutée par le Rectorat[1] de Lyon en tant que professeur-relais au sein de l’association pour favoriser les liens entre l’Éducation nationale, les enseignants et les acteurs de l’EEDD[2].
Le poste de professeur-relais au sein du GRAINE Rhône-Alpes a rendu possible la recherche doctorale évoquée. L’association a été un lieu de cueillette de données et de productions de savoirs scientifiques. Un lieu est un « élément de base de l’espace géographique […] un point, mais un point singulier, identifiable et identifié, distinct des autres. » (Brunet, Ferras, et Théry, 1992, p. 298). Le GRAINE a été un lieu au sens premier du terme : des bureaux où nous avons travaillé ensemble. Ce qui a rendu ce travail possible, ce sont nos échanges continus au cours des quatre années de la recherche doctorale. L’enjeu de ce texte est de saisir comment les interactions association/chercheur se sont opérées. L’hypothèse qui guide cette réflexion est que l’association a joué le rôle d’un laboratoire.
Nous allons explorer cette hypothèse par le biais d’une relecture distanciée de la thèse et plus particulièrement d’une action de recherche réalisée conjointement avec l’association, soit une enquête internet réalisée auprès d’enseignants de l’Académie de Lyon sur les pratiques en EEDD. La reconstruction a posteriori soulève trois biais possibles. Tout d’abord, le cadre théorique proposé par la thèse ne permet pas d’explorer en profondeur ce questionnement. Nous avons dû l’enrichir. C’est sur la sociologie de la traduction (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001) et les travaux de Latour et Woolgar (1979) que nous nous appuierons. Par ailleurs, les traces (comme le carnet de recherche et les notes) n’ont pas toutes été conservées. Le matériau est donc plus restreint que lors de la recherche initiale. Enfin, il y a toujours le risque de vouloir distordre la réalité pour valider l’hypothèse émise. Pour éviter ces pièges, nous avons travaillé principalement à partir de la thèse telle qu’elle a été soutenue.
En tenant compte des remarques précédentes, nous montrerons dans un premier temps, que le questionnement de la recherche doctorale s’est construit dans l’interaction avec les acteurs du GRAINE Rhône-Alpes et est entré en résonnance avec les préoccupations de l’association, ce qui a débouché sur un dispositif de recherche partenariale dans lequel l’association, mais également le Rectorat, ont été impliqués. Néanmoins, parler de recherche partenariale ne permet pas d’épuiser les interactions chercheure/association : c’est ce qui nous conduira dans un second temps à mobiliser le concept de laboratoire pour modéliser les interactions chercheure/association.
La co-construction d’un questionnement de recherche
Le GRAINE Rhône-Alpes a été en tant qu’association et en tant que réseau, le médiateur grâce auquel a émergé le questionnement de recherche sur lequel s’est construite la thèse mentionnée ci-dessus.
D’une problématique universitaire vers une problématique ancrée sur le terrain.
Cette thèse s’appuie sur un mémoire de Master 2 (Frézal, 2005) qui a conduit au constat que le territoire est un terme très présent dans le discours des éducateurs à l’environnement pour désigner le local, l’espace de vie du public ; celui-ci est arpenté en animation, la finalité des animations étant de modifier le lien du public à son environnement proche. Le terme de territoire tel qu’il est employé ici, ne correspond pas à son acception géographique : « un espace approprié avec conscience de son appropriation » (Brunet et coll.., 1992, p. 480). Paradoxalement, le contenu des animations observées est générique, adapté au lieu de l'animation sans correspondre à une problématique spécifique au territoire. Par ailleurs, les associations n’avaient pas une vision d’ensemble des territoires bénéficiant d’actions d’EEDD. Le GRAINE Rhône-Alpes ne disposait pas de données plus précises. Pour y remédier, le conseil d’administration du GRAINE a décidé de créer un outil, le Tableau de bord[3]. Un groupe de travail, auquel je participais, a été mis en place en 2006 pour développer cet outil. Ainsi les travaux du GRAINE Rhône-Alpes et le questionnement de la recherche doctorale ont développé un questionnement commun et se sont nourris conjointement comme le montre le Tableau 1.
L’association et la chercheure poursuivaient un objectif commun : construire une connaissance sur les lieux et les pratiques de l’EEDD en Rhône-Alpes. Toutefois, les buts poursuivis n’étaient pas identiques puisque la recherche doctorale avait une visée théorique, alors que l’association avait une intention pragmatique, soit accompagner le développement de l’EEDD en Rhône-Alpes à partir de données fiables. Nous avons néanmoins été confrontés à la même nécessité méthodologique, à savoir construire un outil ou une démarche permettant de recueillir les données escomptées. Le GRAINE Rhône-Alpes a conçu, mis en œuvre et tenté de diffuser son Tableau de bord.
Dans le cadre de la recherche doctorale, trois actions de recherches ont été mises en œuvre :
Le recueil et l’analyse de l’ensemble des projets pédagogiques déposés par les enseignants du primaire et du collège auprès du Rectorat de Lyon, sur une période de 5 ans ;
Le recueil et l’analyse de l’ensemble des actions d’EEDD entreprises ou financés sur le thème de l’eau par l’ensemble des parties prenantes au cours d’une année de référence : septembre 2005- juin 2006 ;
La réalisation d’une enquête auprès des enseignants de l’Académie de Lyon sur leurs pratiques en EEDD.
La réalisation du Tableau de bord et de l’enquête a conduit à échanger sur les catégories à construire pour ces deux outils. Le GRAINE Rhône-Alpes a joué le rôle d’un collectif réfléchissant en vue de construire des connaissances. Il a été un lieu d’émergence du questionnement de recherche et un lieu de formalisation et d’intensification de ce questionnement. Au-delà d’un questionnement commun, la collaboration avec le GRAINE Rhône-Alpes s’est ensuite matérialisée dans une action de recherche commune.
Une recherche partenariale : une enquête sur les pratiques enseignantes
Une enquête a donc été menée avec l’appui de l’Éducation nationale et du GRAINE auprès des enseignants[4]. L’enquête ciblait 11 480 enseignants de l’Académie de Lyon : professeurs des écoles (8 500), enseignants de sciences de la vie et de la terre (SVT) (785), de physique-chimie (912) et d’histoire/géographie (1 283) (C. Leininger-Frézal, 2009). Le questionnaire portait sur les pratiques des enseignants en matière d’EEDD et leurs relations avec les associations d’EEDD. Le GRAINE Rhône-Alpes a mobilisé les moyens techniques (logiciel Sphinx on line) et humains (travail d’un informaticien) nécessaires à l’enquête. Les réponses à l’enquête ont été trop peu nombreuses pour être statistiquement significative (taux de réponses de un pour mille, soit 125 réponses). Les résultats ont été exposés et mis à la discussion lors d’une conférence-débat organisée en partenariat avec le Rectorat et le GRAINE.
Nous pouvons parler d’une recherche partenariale au sens fort (Sauvé, 2001-2002) : co-construction du dispositif de recherche et des savoirs qui en ont résulté. Ce n’est pas toutefois une recherche collaborative avec les acteurs de terrain. En effet, « dans son acception la plus répandue, le concept de recherche collaborative prend forme autour de l’idée de faire de la recherche « avec » plutôt que « sur » les enseignants » (Lieberman, 1986, cité dans Desgagné, 2001, p 373). Or, l’enquête a été menée avec les acteurs qui encadrent les enseignants et peu d’enseignants ont été impliqués directement. Si certains l’ont été, c’était souvent au titre de responsabilités exercées au Rectorat. De plus, l’enquête visait un état des lieux et ne s’inscrivait pas réellement dans un processus de conscientisation et de modification des pratiques enseignantes.
Parler de recherche partenariale ne permet pas cependant de rendre compte de l’ensemble des interactions entre l’association et la chercheure. Ces interactions ont permis et alimenté le questionnement de la recherche doctorale au long cours, c’est-à-dire sur plusieurs années : c’est ce qui conduite à émettre l’hypothèse que le GRAINE Rhône-Alpes a fonctionné comme un laboratoire.
Le GRAINE Rhône-Alpes, un laboratoire ?
Le lieu n’est pas seulement un point, c’est aussi un espace de rencontre, celui d’une expérience individuelle ou collective. « Les humains vivent leurs existences dans un lieu et ainsi développent simultanément un sens d’être dans un lieu et hors d’un lieu » (Lévy et Lussault, 2003, p. 557). Ici, le GRAINE Rhône-Alpes est le lieu d’une expérience d’un collectif de recherche.
Le GRAINE Rhône-Alpes : émergence d’un collectif de recherche
Ce collectif a émergé des échanges décrits en première partie, entre les membres de l’association et la chercheure, et des moyens déployés pour mettre en œuvre les actions de recherche.
Le collectif de recherche, si l’on accepte de désigner par ce terme l’ensemble des éléments qui participent à la fabrication des savoirs, inclut évidemment les êtes humains, chercheurs et techniciens qui, à travers des débats et discussions souvent acharnés, montent les manipulations et en interprètent les résultats, mais également, et l’on n’insistera jamais assez sur ce point, les non-humains. (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001, p. 83)
Les échanges et les moyens mis en œuvre ont participé à l’émergence du questionnement de recherche et ont abouti à la production de traces écrites. Ce sont là deux caractéristiques centrales d’un laboratoire. Dans cette perspective, l’analogie entre l’association et le laboratoire de recherche semble pertinente d’un point de vue heuristique.
Le GRAINE Rhône-Alpes en figure de laboratoire ?
Le laboratoire a trois caractéristiques majeures. Tout d’abord, c’est une organisation dont la finalité est la recherche. C’est un lieu d’émergence de questionnement et d’objet de recherche :
[Ce] n’est alors pas simplement une organisation qui coordonne des individus ou des groupes aux compétences connues établies en vue d’une production sociotechnique identifiée, mais un dispositif de réouverture des objets, des instruments et des compétences, évalué par sa capacité à accroître l’exploration et l’intensité du questionnement. (Vinck., 2005, p. 162)
Pour cela, le laboratoire procède d’« un système d’inscription littéraire » (Latour et Woolgar, 1988, p. 41). Le terme d’inscription littéraire désigne l’ensemble des personnes et des moyens matériels qui participent à la production d’écrits au sein du laboratoire[5]. Il renvoie plus particulièrement au terme d’inscripteur qui désigne un dispositif qui transforme de la matière en écriture. Cela peut être une machine à électrocardiogramme par exemple qui transforme les battements du cœur en ligne sur une feuille.
En sciences humaines et sociales, la notion d’inscripteur telle qu’elle a été définie initialement, n’est pas directement transposable. En effet, à la différence des sciences expérimentales, les chercheurs ne travaillent pas à partir de la matière, mais à partir de faits sociaux et humains. Les travaux plus récents de sociologie des sciences (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001) proposent une acception plus large de la notion d’inscription, qui s’adapte aux sciences humaines et sociales. La production de faits scientifiques à partir de faits sociaux nécessite l’emploi de dispositifs de recherche (enquête, entretiens, observation, etc.) qui requièrent des outils (logiciels, enregistreurs, caméra, etc.) qui sont des inscripteurs et produisent des inscriptions.
Le GRAINE Rhône-Alpes répond parfaitement à deux des critères énoncés précédemment. L’association a été le lieu de production et d’intensification du questionnement de recherche de la thèse en question. Il a produit de nombreux écrits : newsletter, courriels, site internet, dossiers, etc. Ces écrits participent de l’échange et de la diffusion d’informations, ou de la vulgarisation scientifique. Ce ne sont pas des écrits a priori scientifiques. La scientificité d’un écrit s’apprécie en fonction de normes qui encadrent le contenu (références bibliographiques, méthodologie, production de preuves, argumentation) et la forme (normes rédactionnelles), mais aussi en fonction du lieu de publication et du statut du rédacteur. Toutefois, les écrits du GRAINE ont participé à la construction du questionnement de recherche.
Nous pouvons donc conclure que le GRAINE Rhône-Alpes a opéré dans le cadre de ce qui a été évoqué comme un laboratoire de sciences humaines et sociales. Néanmoins, l’association n’a pas pour mission principale la création de connaissances, ce qui constitue la raison d’être des laboratoires scientifiques ; toute son organisation et ses moyens ne sont pas dédiés à une finalité heuristique et cognitive. Par ailleurs, le GRAINE n’opère pas comme un laboratoire sur les autres actions entreprises. Cela nous conduit à penser le GRAINE Rhône-Alpes comme un laboratoire éphémère. C’est une organisation de nature non scientifique à l’origine, qui va ponctuellement, dans le cadre d’un projet ou d’une action circonscrite, opérer comme un laboratoire.
La notion de laboratoire éphémère repose sur le postulat postmoderne que les chercheurs ne sont pas les seuls artisans de la création de savoirs et que les laboratoires formels ne sont pas les seuls lieux de production de ces savoirs. Il autorise de penser qu’à un moment donné, une organisation peut s’impliquer dans la production de savoirs de type scientifique.
Parties annexes
Notes
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[1]
Le Rectorat est une division de l’administration scolaire en France. C’est une circonscription plus vaste qu’une commission scolaire.
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[2]
Source : le site du Graine Rhône-Alpes : http://www.graine-rhone-alpes.org/site/index.php/leedd-en-rhone-alpes/le-graine-ra.html#GRAINE, consulté le 26 novembre 2013
-
[3]
Un outil portant le même nom est aujourd’hui développé dans le cadre du réseau École et Nature à l’échelle de la France.
-
[4]
L’enquête a nécessité l’autorisation de diffusion de l’institution scolaire et plus particulièrement de Monsieur Morvan, Recteur de l’Académie de Lyon en 2007 et des Inspecteurs d’Académie de la Loire, de l’Ain et du Rhône. La diffusion de l’enquête n’aurait pas pu être possible sans le soutien actif de la délégation académique à l’action culturelle (service du Rectorat) qui a envoyé l’enquête à tous les établissements scolaires de l’Académie et aux inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN).
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[5]
Latour et Woolgar ont réalisé leurs observations à une époque où des dactylographes tapaient à la machine les notes manuscrites des chercheurs.
Bibliographie
- Brunet, R., Ferras, R. et Théry, H. (1992). Les Mots de La Géographie. Dictionnaire Critique. Paris : GIP-Reclus, La Documentation française.
- Callon, M., Lascoumes, P. et Barthe, Y. (2001) Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris : Éditions le Seuil.
- Chervel, A. (1998). La culture scolaire. Une approche historique. Paris : Belin.
- Desgagné, S. (1997). Le concept de recherche collaborative : l’idée d’un rapprochement entre chercheurs universitaires et praticiens enseignants. Revue des sciences de l'éducation, 23 (2),. 371-393.
- Frézal, C. (2005). La sensibilisation à l’environnement, entre culture et patrimoine scolaire. Mémoire de Master 2. Université Lyon 2.
- Latour, B. et Woolgar, C. (1988). La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques. Paris : La Découverte.
- Leininger-Frézal, C. (2009). Le développement durable et ses enjeux éducatifs. Acteurs, savoirs et territoires. Thèse de doctorat. Université Lyon 2.
- Lévy, J.et Lussault, M. (2003). Dictionnaire de la géographie et de l’espace des Sociétés. Paris : Belin.
- Reuter, Y. (éd.) (2007). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, Bruxelles : De Boeck.
- Sauvé, L. (2001-2002). « Le partenariat en éducation relative à l'environnement : pertinence et défis ». Éducation relative à l'environnement : Regard – Recherches - Réflexions, vol 3, 21-35.
- Vinck, D. (2007). Retour sur le laboratoire comme espace de production de connaissances. Revue d'anthropologie des connaissances, 1 (2), 159-165.