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L’urgence d’intégrer une éducation pour un avenir viable (EAV)[1] à la formation initiale à l’enseignement (FIE) est une nécessité reconnue (Association of Canadian Deans of Education, 2022). En effet, si plusieurs travaux[2] démontrent depuis des décennies l’importance d’intervenir dès la formation du futur personnel enseignant, plusieurs défis restent à relever pour faire place aux cadres didactiques et pédagogiques de l’EAV, notamment celui de miser sur des dynamiques interdisciplinaires pour décloisonner les nombreux savoirs mobilisés dans l’action enseignante en ce domaine (Barth et Michelsen, 2013 ; Sims et Falkenberg, 2013 ; Diemer, 2014 ; Evans et coll., 2017).

Bien que des initiatives pour remédier à la situation soient amorcées dans des programmes de FIE de certaines universités, les changements au regard de l’action en faveur de l’environnement global[3] demeurent limités (Evans et coll., 2017). Pour accroître et accélérer les changements souhaités, il pourrait être judicieux d’intégrer l’EAV par la voie privilégiée de la pratique lors de la FIE et de circonscrire les savoirs à développer pour y arriver. Cet article propose certaines avenues reposant sur les résultats d’une recherche que nous avons réalisée en collaboration avec des personnes détenant des rôles centraux en formation pratique de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire (groupe praticien) ainsi qu’auprès de personnes ayant une expérience spécifique en EAV (groupe expert). Cette étude s’est intéressée de manière générale aux caractéristiques que devrait comporter un écodispositif d’intégration de l’EAV à la formation pratique du futur personnel enseignant, du préscolaire et du primaire.

Contexte initial de la recherche

Les citoyens et citoyennes du monde contemporain sont interpellés pour contribuer aux changements permettant de faire face aux enjeux sociaux-environnementaux. À cette fin, le développement d’une citoyenneté tournée vers la viabilité de notre humanité est inéluctablement un objectif à atteindre (Sauvé et Villemagne, 2006 ; Boutet, 2008 ; Csikszentmihalyi, Bouchard et Lucas, 2008 ; Boutet et Samson, 2010 ; UNESCO, 2015). De nombreuses compétences citoyennes demeurent à développer pour contribuer à favoriser l’harmonie entre les êtres humains et les autres êtres vivants et non-vivants. Une des initiatives proposées pour remédier à la situation est, depuis le premier Sommet de la Terre (1972), la formation du personnel enseignant à cet effet. L’influence potentielle des pratiques enseignantes sur les citoyens et citoyennes du futur est reconnue comme étant un facteur important du développement de la citoyenneté en faveur de l’environnement (Boutet, 2000 ; Berryman, 2007 ; Pellaud et coll., 2013 ; DEEPER, 2014 ; Falkenberg et Babiuk, 2014 ; Block, Sims et Beeman, 2016 ; Linhares et Reis, 2016 ; Evans et coll., 2017 ; Walshe et Tait, 2019).

Or, à la suite d’une recension des écrits portant sur l’intégration de l’EAV à la formation du personnel enseignant, nous constatons qu’elle serait, bien qu’en progression, encore peu présente dans les programmes de formation à l’enseignement, notamment dans les programmes de FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire (Evans et coll., 2017 ; Marques et Xavier, 2020).

Le triple constat du déficit d’actions en faveur de l’environnement, des lacunes en matière du développement d’une citoyenneté tournée vers la viabilité et le manque d’intégration de l’EAV en FIE, est à l’origine de la recherche dont il est question ici.

Principaux repères théoriques de l’étude

Cette section présente le cadre théorique sous-jacent à la recherche dont témoigne cet article.

L’éducation pour un avenir viable (EAV)

L’expression éducation pour un avenir viable (EAV), qui implique les notions de viabilité et de vie, inclut des savoirs se situant à la fois en éducation relative à l’environnement (ERE) et en éducation pour le développement durable (EDD). Dans cette étude, l’EAV est définie comme suit :

Un domaine lié au développement individuel et collectif mettant de l’avant une perspective interdisciplinaire, critique, systémique qui favorise la construction de savoirs coopératifs et non mercantiles afin d’établir une relation de parenté, d’empathie et de bienveillance à l’égard de l’environnement global (éco-socio-bio-physique). Elle repose fondamentalement sur la pérennité de la coexistence de la vie et du temps, où le vivant et les composantes du temps (passé-présent-futur) sont en constante métamorphose renouvelant perpétuellement le devenir de l’environnement global. Elle vise la progression du processus de développement d’une citoyenneté dans, par et pour l’action environnementale globale (Gilbert, 2021, p. 89).

Cette définition qui rallie plusieurs visions de l’environnement dont celle de Sauvé (1997, 2002) ainsi que celle de Boutet (2002, 2008) au sujet de la relation étroite de l’humain avec l’environnement naturel inclut non seulement les interactions Homme-Nature mais également les interactions entre les humains. L’éducation pour un avenir viable doit donc favoriser le développement de savoirs (connaissances, savoir-faire, savoir-être) chez les citoyens, citoyennes et futurs citoyens, citoyennes de ce monde de manière à cohabiter et interagir en harmonie avec l’environnement global.

La citoyenneté dans une perspective d’EAV

Un repère important de cette étude est la définition de la citoyenneté que devrait promouvoir l’EAV. Elle pose l’être humain comme un être complexe (Csikszentmihalyi et coll., 2008) en relation avec l’environnement naturel (Boutet et Samson, 2010) et avec une humanité commune (UNESCO, 2015) s’incarnant dans une vision éthique, démocratique ainsi qu’une réflexion critique au regard des enjeux socio-environnementaux (Sauvé et Villemagne, 2006). Ainsi la citoyenneté à développer dans une perspective d’EAV est 

celle qui place l’humain comme citoyenne et citoyen faisant partie intégrante de l’environnement global (éco‑socio‑bio-physique), dont le développement de l’identité repose sur un soi complexe, authentique, en synchronie ainsi qu’en interaction constante avec l’environnement vivant et non-vivant, mettant de l’avant des valeurs s’appuyant sur l’ouverture (à soi, aux autres) et sur un passage à l’action prenant source dans des choix éthiques issus d’une réflexion critique ainsi que dans des pratiques démocratiques, non mercantiles, réparatrices, régénératrices, inclusives et créatives (Gilbert, 2021, p. 92). 

Cette définition générale de la citoyenneté peut se décliner en des aspects plus spécifiques. À cette fin, nous avons retenu les cinq composantes de la citoyenneté environnementale de Boutet (2008) :

  1. Le développement d’une sensibilité au milieu naturel

  2. La conscience de son pouvoir d’action (empowerment ou responsabilisation) par rapport aux enjeux environnementaux

  3. L’exercice d’une pensée critique au regard des enjeux environnementaux

  4. L’acquisition d’habiletés de participation démocratique

  5. La mobilisation des connaissances nécessaires pour cerner les enjeux environnementaux (pensée systémique)[4] et passer à l’action.

La formation pratique en enseignement

La formation pratique est une composante importante de la FIE car elle correspond à l’ensemble des activités éducatives (stages et séminaires) se déroulant pour et dans les milieux scolaires, auxquels la personne stagiaire est exposée sous supervision, afin de lui permettre « connaître par l'expérience différents aspects de la profession, d'acquérir et de développer des habiletés et des attitudes qui lui seront utiles dans la pratique […], de prendre conscience de ses aptitudes à l'enseignement et d'en faire la preuve » (Caisse, 984, p. 35). Pour y arriver, les stages en milieu scolaire doivent miser sur l’apprentissage expérientiel, les situations réelles d’apprentissage, les interactions avec les diverses personnes impliquées ainsi que sur la réflexivité des stagiaires, tout en respectant l’esprit des curriculums prescrits (Boutet, 2000 ; Glaymann, 2014). Les séminaires représentent des activités complémentaires aux stages (Boutet, 2000 ; Brülhart et coll., 2019 ; Desbiens, Molina et Habak, 2019) qui s’articulent essentiellement autour d’échanges réflexifs sur des « expériences individuelles qui peuvent être transformées, dans l’interaction réflexive, en un savoir plus généralisable » (Boutet, 2000, p. 65).

Il faut préciser que l’accompagnement du futur personnel enseignant, par une personne enseignante associée et par une personne superviseure de stage, joue un rôle majeur afin que les stages favorisent le développement des savoirs relatifs à la profession. L’acte d’accompagner implique « se joindre à quelqu’un […], pour aller où il va […], à son rythme, à sa mesure, à sa portée. Tel est le principe de base : l’action se règle à partir de l’autre, de ce qu’il est, de là où il en est » (Paul, 2009, p. 62-63).

Conséquemment, l’accompagnement repose sur trois dimensions : la dimension relationnelle (relation favorable au climat de confiance), la dimension spatiale (partir de l’endroit où se situe la personne stagiaire pour aller dans la direction et la destination où elle-même souhaite aller), la dimension temporelle (avancer au rythme de la personne stagiaire) (Paul, 2004, 2009, 2016 ; Colognesi et Van Nieuwenhoven,2017). Les stages et les séminaires de stage, conçus comme activités d’apprentissage expérientiel, peuvent donc être des vecteurs de développement de la citoyenneté environnementale (Boutet, 2002 ; Desbiens et coll., 2019).

Typologie des savoirs à mobiliser en EAV

La typologie retenue dans cette recherche est la typologie savoir, savoir‑faire, savoir-être qui correspond au développement des connaissances, d’habiletés et des attitudes (Parent et Jouquan, 2015). Le savoir est « assimilé à la catégorie des connaissances déclaratives » ; [le savoir-faire est] « employé pour désigner une variété de connaissances d’action, les connaissances procédurales [sont] formulées sous une forme productionnelle » [et le savoir-être est] « formulé également sous forme productionnelle qui correspond à la capacité de mettre adéquatement en œuvre le savoir et le savoir-faire dans un contexte donné » (Parent et Jouquan, 2015, p. 104).

Notion de dispositif et d’écodispositif

La notion de dispositif renvoie à un entre-deux, celui qui est présent entre liberté et contrainte, entre réalité et imaginaire, entre sujet et objet (Peeters et Charlier, 1999) ainsi que celui qui « englobe les lieux, les méthodes et l'ensemble fonctionnel des acteurs et des moyens mobilisés en vue d'un objectif » tel que défini par Albero (2010, p. 1).

Le concept de dispositif dans notre étude a évolué vers le concept d’écodispositif que nous inscrivons en complémentarité de la typologie des six types de dispositifs hybrides de formation en enseignement supérieur[5] de Burton et coll. (2011). Cet ajout tient au fait que cet écodispositif pédagogique est étroitement lié à l’interaction des systèmes, à la complexité de l’environnement naturel. En effet, il repose principalement sur l’éveil d’une conscience écologique[6] ainsi que sur la prise en compte de la complexité, c’est‑à‑dire celle du vivant et celle des divers systèmes liés.

Les principaux repères théoriques qui viennent d’être exposés permettent de jeter un éclairage sur la problématique de cette étude.

État de la situation de l’intégration de l’EAV à la formation initiale à l’enseignement

Reconnaissant que les milieux formels de formation sont des contextes privilégiés pour développer la citoyenneté et les savoir-agir liés à la perspective d’un avenir viable, notamment le contexte de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire, et reconnaissant que l’EAV demeure difficile à y intégrer nous avons exploré les écrits[7] pour connaître ce qui peut faire obstacle à l’intégration de l’EAV à la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire ainsi qu’à la FIE en général.

Obstacles à l’intégration de l’EAV dans la formation initiale à l’enseignement

Plusieurs obstacles à l’intégration de l’EAV en FIE coexistent :

  • la non‑priorisation de l’intégration de l’EAV dans les programmes de FIE ;

  • le peu de prise en compte de l’EAV par le nouveau personnel enseignant, pour qui le développement professionnel passerait avant le contenu curriculaire ;

  • le peu de connaissances et d’engagements en EAV au niveau facultaire et départemental ;

  • l’absence de directives et de ressources en matière d’intégration de l’EAV ;

  • le peu d’espace créé dans les programmes de FIE pour intégrer les contenus d’EAV ;

  • le peu de présence de dynamiques interdisciplinaires pour décloisonner les savoirs relatifs à l’environnement qui demeurent souvent limités au domaine des sciences biophysiques.

Ces barrières relevées en FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire il y a plus d’une décennie (Berryman, 2007), rejoignent en grande partie les obstacles rapportés par Dyment et Hill (2015) ainsi que les récents travaux d’E-Akins et coll. (2019) au regard de l’intégration d’actions tournées vers la viabilité de l’environnement en contexte de formation à l’enseignement.

Par ailleurs, parmi les obstacles se trouve également la non-obligation de mettre en place des dispositifs d’intégration de l’EAV à la FIE. En effet, l’intégration de dispositifs d’EAV dans un cheminement obligatoire en FIE se fait rare, et cela malgré les multiples recommandations de diverses instances émises depuis plusieurs décennies (Evans et coll., 2017). Néanmoins, quelques universités dont certaines en Australie[8], offrent la possibilité au personnel formateur intervenant dans la formation du personnel enseignant, d’intégrer librement des contenus relatifs à l’EAV de leur choix (Nolet, 2009 ; Dyment, et Hill, 2015 ; Evans et coll., 2017 ; E Akins et coll. 2019). De ce fait, tout repose sur la volonté de favoriser l’intégration de l’EAV de la part des personnes formatrices dans les programmes de FIE et de leur compréhension des concepts sous-jacents (Dyment, et Hill, 2015 ; Evans et coll., 2017 ; E Akins et coll. 2019). On peut faire l’hypothèse que ceci contribuerait à la lente évolution du développement de savoir-agir pédagogique en faveur de l’environnement, notamment dans les programmes de FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire.

Au Canada, des initiatives pour intégrer l’EAV en FIE sont en développement[9]. À tire d’exemples, quelques universités ont mis en place un dispositif relatif à l’EAV en ajoutant un ou quelques cours théoriques optionnels dans les programmes de FIE (DEEPER, 2014) où, à l’instar de certaines universités australiennes, les personnes formatrices en FIE peuvent intervenir en EAV selon leur volonté et selon leur compréhension des concepts impliqués. D’autres, comme certaines universités ontariennes, tentent d’intégrer les compétences en EAV dans le cadre des didactiques disciplinaires pour guider la mise en œuvre de l’éducation environnementale dans les programmes de FIE. L’engagement communautaire, la citoyenneté active, l’apprentissage expérientiel et la pensée critique font partie de cette liste à développer chez le futur personnel enseignant (DEEPER, 2014).

Même si la situation de l’intégration de l’EAV dans les programmes de formation à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire progresse dans certaines universités, dont des universités canadiennes (Sims et Falkenberg, 2013 ; Block et coll., 2016), elle est encore loin d’être adéquate pour pallier à la crise planétaire (Evans et coll., 2017 ; Pruneau et coll., 2017 ; Bürgener et Barth, 2018 ; Hadjichambis et Paraskeva-Hadjichambi, 2020 ; Marques et Xavier, 2020). Dès lors, comment intégrer l’EAV en FIE de manière à favoriser le développement de ce savoir-agir pédagogique ? Quel contexte spécifique en FIE permet cette intégration ?

Les quelques dispositifs existants dans les programmes de FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire documentés par la recherche, révèlent que l’intégration de l’EAV en FIE s’effectue principalement par l’ajout de contenus théoriques dans un ou quelques cours (Frick et coll., 2004 ; Berkowitz et coll., 2005 ; Sims et Falkenberg, 2013 ; Sims, Asselin et Falkenberg, 2020), parfois par l’expérimentation d’approches pédagogiques intégrée à la FIE (Van Petegem et coll., 2007 ; Evans, et coll., 2017), mais très peu par le contexte spécifique de la formation pratique du futur personnel enseignant. Ce constat nous a conduits à explorer les possibilités de la composante pratique de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire.

Leviers de la composante pratique en FIE

La composante pratique des programmes de FIE, qui implique des stages, ainsi que parfois des séminaires, est reconnue comme étant propice à la mobilisation de savoirs pour l’action. Comme l’intégration de l’EAV auprès du futur personnel enseignant vise prioritairement le développement de compétences pédagogiques favorisant le développement chez l’élève d’un savoir-agir au regard des interactions entre les humains ainsi qu’entre les humains et la nature, le temps consacré par la formation pratique à l’action, et l’accompagnement de la réflexion sur cette action, sont des aspects qui apparaissent incontournables pour développer de manière optimale les savoirs relatifs à l’EAV. Notre exploration des écrits nous a permis de relever trois leviers potentiels de la formation pratique en FIE.

Le temps disponible… notamment celui offert lors des stages parce qu’il permet la prise en compte de la réalité temporelle (expérience en temps réel) et du caractère multidimensionnel du temps (prise en compte de la complexité temporelle). Ces aspects permettent lors des stages de vivre des expériences, « en faisant, en mettant la main à la pâte », en s’inscrivant " en vrai " dans des relations professionnelles […] mais aussi en observant et en ayant un recul réflexif » (Glaymann, 2014, p. 163). Par ailleurs, cet aménagement temporel plus vaste, qui octroie plus de temps au futur personnel enseignant pour créer des liens et échanger avec différentes actrices et acteurs du milieu scolaire œuvrant dans différentes disciplines, offre de plus grandes possibilités d’intégration d’approches pédagogiques favorables à l’interdisciplinarité, tout en permettant la mise en place d’un processus d’accompagnement pouvant soutenir cette intégration (Pellaud, 2014).

Les possibilités de soutien au développement des savoirs du futur personnel enseignant… car les stages exigent un accompagnement du développement des savoirs sur, pour et par l’action via une démarche réflexive personnalisée et la prise en compte du processus de changement individuel comme le propose Beauvais (2004). En effet, la démarche d’accompagnement est une démarche d’approche des singularités contextuelles de chaque personne accompagnée.

Les possibilités de relier les savoirs théoriques et les savoirs pratiques… car le contexte de la formation pratique est susceptible de favoriser le développement de la capacité de mettre en relation les connaissances théoriques et le contexte authentique de travail notamment à l’intérieur des stages. En effet, la personne stagiaire peut bénéficier d’un accompagnement favorable à la réduction de l’écart théorie-pratique grâce aux opportunités variées d’échanger, de développer sa réflexivité, son sens critique et la prise de conscience de ses valeurs par l’intermédiaire des personnes qui l’accompagnent (Boutet, 2008 ; Van Nieuwenhoven et Colognesi, 2015 ; Caron et Portelance, 2017).

À la lumière de la recension des écrits, nous avons jugé ces leviers comme étant suffisamment prometteurs pour poursuivre notre exploration de l’intégration de l’EAV en formation pratique de la FIE. Ainsi, parce que nous n’avons pas relevé d’écodispositif d’intégration de l’EAV spécifique à la composante pratique de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire, nous avons mis de l’avant une démarche pour coélaborer un tel dispositif.

Objectifs de la recherche

Cette étude a permis d’atteindre les objectifs spécifiques suivants :

  • Dégager les savoirs spécifiques du domaine de l’EAV que devrait comporter un écodispositif d’intégration de l’EAV dans la formation pratique du futur personnel enseignant à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire.

  • Dégager les caractéristiques de l’accompagnement offert par les personnes enseignantes associées et les personnes superviseures de stage, que devrait comporter un écodispositif d’intégration de l’EAV dans la formation pratique du futur personnel enseignant à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire.

Méthodologie

Cette recherche collaborative (Anadòn, 2007) a accordé une place centrale à l’articulation des savoirs théoriques et pratiques notamment en mettant à l’avant-scène la voix de personnes praticiennes comme le proposent Couture, Bednarz et Barry (2007).

Cette recherche a été menée auprès de 13 personnes participantes. D’une part, cinq personnes ont constitué le groupe d’experts, ayant une expérience de plus de cinq ans en formation en EAV (c’est-à-dire ayant déjà offert des activités de formation en EAV à des intervenantes, intervenants en éducation préscolaire ou en enseignement primaire) ; d’autre part, huit autres personnes ont constitué le groupe de praticiens, dont cinq stagiaires se reconnaissant un intérêt pour l’EAV et ayant une expérience de stage récente de moins de deux ans et trois personnes (une enseignante associée et deux superviseures de stage) se reconnaissant un intérêt pour l’EAV et possédant une expérience de plus de deux ans en accompagnement de stagiaires. La volonté de mettre en relation les savoirs en EAV et ceux issus de l’expérience en formation pratique en FIE a guidé le choix de nos répondants et répondantes.

Un entretien individuel semi-dirigé a été réalisé avec le groupe d’experts, deux entretiens de groupe semi-dirigés ont ensuite été réalisés avec le groupe de praticiens. Les données recueillies auprès des personnes participantes ont fait l’objet d’une analyse de contenu par catégories (Bardin, 1989). Il faut préciser qu’en congruence avec le caractère collaboratif-participatif de la démarche, l’analyse a été réalisée selon un design émergeant, par contraste avec un design préétabli et fixe (Anadón et Guillemette, 2006). Ceci a laissé place à des catégories liées à des contenus partagés par les différentes personnes participantes lors de l’analyse. Les sept thèmes ayant servi à l’analyse des données ont émergé du regroupement des réponses aux questions des canevas d’entretiens, lesquelles avaient été élaborées en lien avec les objectifs de recherche et en cohérence avec les principaux concepts théoriques. Ces thèmes se sont graduellement stabilisés au fur et à mesure de la relecture des propos des personnes participantes. Ils sont présentés dans la section des résultats de cet article.

Par ailleurs, un forum électronique de coconstruction de connaissances[10] a également été tenu avec toutes les personnes participantes, afin de recueillir des données mettant à contribution les savoirs de tous. De plus, dans un souci de complémentarité, un journal de bord a été complété par la chercheuse principale.

Résultats

Les résultats de cette étude ont apporté des précisions au sujet des savoirs spécifiques du domaine de l’EAV ainsi que de l’accompagnement offert par les personnes enseignantes associées et les personnes superviseures de stage. À partir de là, il a été possible de projeter des caractéristiques d’un écodispositif favorisant l’intégration de l’EAV dans la formation pratique du futur personnel enseignant du préscolaire et du primaire. L’originalité des résultats tient à la fois au contexte de l’étude, c’est-à-dire celui de l’intégration de l’EAV à la FIE de la formation pratique, et au croisement des propos tenus par le groupe de praticiens et le groupe d’experts, qui ont permis de mettre en relation les savoirs issus de la théorie et ceux issus de la pratique. Par ailleurs, les résultats de cette étude ne peuvent prétendre à une généralisation, mais ils pourraient s’étendre à d’autres contextes de formations à l’enseignement, avec l’apport de certaines adaptations.

Définition de l’EAV par les personnes participantes

C’est sous ce premier thème que les résultats relatifs à la conception de l’EAV des personnes participantes ont été regroupés. Ces résultats ont mis en lumière certains aspects généraux définissant l’EAV : celle-ci est orientée vers l’action, est ancrée dans le réel, repose sur différentes perspectives, convoque des connexions, vise des apprentissages relatifs à un avenir viable. Les propos des personnes participantes du groupe d’experts et ceux du groupe de praticiens sous ce thème se sont avérés similaires ou complémentaires. Des extraits viennent illustrer ce dernier aspect de manière plus précise. Selon la perspective de cet expert, l’EAV implique « les connexions entre les sphères sociales, environnementales, économiques et culturelles à l’échelle locale et globale et le développement d’un savoir-être, d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre individuel et collectif, dans une perspective démocratique, pacifique, solidaire et écologique ». Et pour cette praticienne, « l’EAV est transversale et n’est pas une matière. C’est complètement transversal et écosystémique, c’est interrelié. Cela passe à travers toutes les actions ».

Approches favorables privilégiées par les personnes participantes pour intégrer l’EAV

Des approches favorables à l’intégration de l’EAV en contexte de la FIE ont été relevées lors de l’analyse. Ces approches ont été regroupées sous des catégories générales mettant l’accent sur le processus cognitif, sur la personne, sur les interactions sociales, sur l’interaction avec l’environnement naturel et sur la transversalité. Or, si plusieurs des approches relevées (par exemple les approches : critique, interdisciplinaire, systémique, par résolution de problème) font écho à certaines études ayant été réalisées en grande partie dans la composante théorique de la FIE, les résultats exposés ici ont la particularité de montrer la possibilité d’intégrer ces approches également dans la composante pratique de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire comme le souligne cette praticienne : « Je privilégie l’enseignement par ateliers pour faire de l’EAV où tous ne font pas nécessairement la même chose, mais cela devait être comme cela jusqu’à l’université, même dans les stages avec des approches variées ».

Par ailleurs, d’autres approches peu étudiées dans la composante théorique ont été proposées comme le dit, par exemple, cet expert : « Il faut accepter le rôle que l’humour a à jouer là-dedans […]. Je pense que l’humour, c’est un lien associé à l’extraordinaire pour parler d’environnement et cela peut être une approche avec les stagiaires ».

Savoirs du futur personnel enseignant liés à l’EAV

Les savoirs (connaissances, savoir-faire, savoir-être) relatifs à l’EAV que les personnes participantes ont relevés comme étant à développer, s’inscrivent à la fois dans la composante théorique et la composante pratique de la FIE à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire. Ainsi, selon les personnes participantes, les connaissances sont celles liées au vivant, au domaine de l’éducation et au domaine spécifique de l’EAV. Quant aux savoir-faire, ils sont liés aux stratégies et aux approches favorisant le développement d’une citoyenneté environnementale, le processus motivationnel et la collaboration ; ils sont aussi liés à la capacité de relever des défis pour arriver à faire de l’EAV, notamment celui de l’évaluation des apprentissages. Enfin, les savoir-être à développer sont les attitudes propices à l’intérêt et à la protection de l’environnement global.

L’analyse a mis en lumière certains savoirs spécifiques associés à ces résultats généraux comme le montrent ces extraits :

  • Exemples de connaissances relatives à l’EAV : « C’est avoir une base de compréhension du développement durable, de l’écologie, avoir une base de comment les écosystèmes fonctionnent, mais ce n’est pas nécessaire d’être un expert dans ça ».

  • Exemples de savoir-faire relatifs à l’EAV : « L’approche coopérative […] et c’est important aussi on parlait de pratique réflexive… […] toutes les parties du questionnement et de la philo pour enfants…qui est de savoir questionner ».

  • Exemples de savoir-être relatifs à l’EAV : « Être curieux. J’ajouterais aussi la bienveillance […]. Ça va comprendre le pacifisme, l’empathie […] envers les élèves et envers les autres aussi. Envers son environnement ».

Soulignons que plusieurs propos rassemblés sous ce thème soulignent l’importance de développer des savoir-faire et des savoir-être dans l’action en situations réelles plutôt que d’acquérir seulement des connaissances en EAV lors d’un cours théorique.

Accompagnement du futur personnel enseignant dans la composante pratique de la FIE au préscolaire-primaire pour intégrer l’EAV

Les résultats ont montré plusieurs dimensions associées au processus relationnel entre la personne stagiaire, la personne enseignante associée et la personne superviseure de stage, pour favoriser l’intégration des savoirs liés à l’EAV. Selon les résultats de l’étude, ce processus relationnel comporte des aspects participatifs, collaboratifs, de soutien, motivationnels, communicationnels et de volontariat. Ainsi, selon cette praticienne, il faut que les personnes qui accompagnent aient développé « des habiletés de communication, d’empathie, de diplomatie, de psychologie ». Par ailleurs, selon plusieurs personnes participantes, dont cet expert, c’est « l’accompagnement entre la théorie et la pratique par la superviseure qui serait extrêmement profitable pour les jeunes étudiants ».

Pistes pour intégrer l’EAV à la composante pratique de la FIE liées à une expérience professionnelle spécifique

Ce thème présente les résultats associés à des pistes tirées du vécu des personnes participantes pour intégrer l’EAV. Ces résultats ont mis en lumière deux aspects généraux, celui des ressources pour faire de l’EAV ainsi que celui des attitudes favorables à l’EAV tirées de situations expérientielles. Les deux extraits suivants en sont des exemples spécifiques :

  • « Je pense que cela prend des communautés de partage si on parle de stage. Des communautés de pratiques ».

  • « Je pense à comment cela fonctionne dans les universités, la posture dans la grosse machine […]. Venir briser la solitude pour faire de l’EAV […] mais pas à travers une vision compétitive pour identifier le meilleur enseignant ».

Sous ce thème, la majorité des propos partagés par le groupe expert étaient similaires à ceux partagés par le groupe praticien.

Contextualisation d’un écodispositif d’intégration de l’EAV à la composante pratique de la FIE au préscolaire-primaire

De nombreux résultats ont été relevés sous ce thème qui se veut central à l’étude. Les résultats généraux ont montré la prise en compte du cheminement favorable à l’intégration de l’EAV dans les stages, des séminaires comme vecteurs pertinents de l’EAV, de la triade stagiaire, personne enseignante associée et superviseure, des travaux liés aux stages, des ressources liées à la formation pratique et de l’évaluation des compétences relatives à l’EAV. Si les propos tenus par les deux groupes de personnes participantes se sont avérés complémentaires, le groupe de praticiens a émis non seulement davantage de propos, mais ils se sont avérés plus spécifiques quant à une possible opérationnalisation de l’écodispositif comme le mentionnent ces deux praticiennes : « Cela pourrait juste être une ébauche de projet en stage 1 sans le réaliser […] après, dans les autres stages, on le rend plus concret et ensuite, on en réalise dans les 4 années du bac » ; « Si on implante l’EAV, il faut qu’il y ait une évaluation à la fin quitte à ce que ce soit des traces laissées par les enfants. Suite à ton projet, comment tu détermines que ton projet a été pertinent ? ».

Pistes de solutions pour contrer des obstacles à l’intégration de l’EAV à la composante pratique de la FIE au préscolaire-primaire

Les résultats généraux de cette étude ont permis de préciser certaines pistes pour contrer la résistance à l’intégration de l’EAV. Le groupe de praticiens a émis la majorité des résultats spécifiques sous ce thème, notamment au sujet de l’importance des canevas de planification adaptés, comme le montre cet extrait : « Il y a des superviseurs qui sont plus ouverts, mais pas d’autres ; souvent la pédagogie par projet n’entre pas dans leurs canevas de planification […]. Il y aurait une sensibilisation à faire auprès des superviseurs ». Cet autre extrait traite du déploiement de l’intégration de l’EAV : « Une façon de surmonter les obstacles est de prendre une petite bouchée à la fois, je pense que c’est la méthode du petit pas ».

Au terme de cette section, il est important de préciser que les propos tenus par le groupe d’experts et le groupe de praticiens ont mené à plusieurs résultats similaires ou complémentaires.

Par ailleurs, le forum de coconstruction de connaissances n’a pas eu la portée souhaitée[11]. Il a toutefois permis une certaine triangulation des données, ce qui a confirmé les résultats tirés des entretiens semi-dirigés individuels et des entretiens semi-dirigés de groupes.

Discussion et conclusion

Bien que des initiatives soient actuellement en développement pour favoriser le développement de compétences en matière d’EAV dans des programmes de FIE de certaines universités, l’intégration d’une telle formation demeure à bonifier afin de relever les défis sociaux et environnementaux qui déferlent à grande vitesse à l’échelle planétaire. L’ébauche d’un écodispositif de formation à l’enseignement qui a émergé de cette étude permet d’entrevoir des possibilités en ce sens. Les constituantes en sont les suivantes : la constituante des savoirs qui regroupe les connaissances, savoir-faire et savoir-être que devraient déployer les stagiaires afin de faciliter l’évolution de leur citoyenneté vers un avenir écologiquement viable ; la constituante des approches qui regroupe les principales approches favorables à l’intégration de l’EAV ; la constituante de l’accompagnement qui concerne ce qui a trait au soutien offert par les personnes enseignantes associées et les personnes superviseures lors de la formation pratique pour permettre aux stagiaires de faire de l’EAV ; la constituante des ressources qui regroupe des ressources variées pour soutenir l’EAV en contexte de formation pratique comme des espaces d’apprentissages en milieu naturel et du matériel pédagogique spécifique à l’EAV ; la constituante transversale qui comporte les éléments relatifs au contexte de formation dans l’écodispositif d’intégration de l’EAV, soit le cheminement dans le programme, les modalités de la formation pratique, l’intervention de la triade des personnes stagiaire/enseignante associée/superviseure, les travaux liés aux stages et l’évaluation des compétences relatives à l’EAV des stagiaires.

Cette ébauche d’écodispositif, dont la structure et les articulations restent à préciser, intègre certaines recommandations d’Évans et coll. (2017) en offrant au futur personnel enseignant des opportunités variées d’échanger, de développer la réflexivité, le sens critique et la prise de conscience des valeurs relatives à l’action en faveur de l’environnement par l’intermédiaire de personnes formatrices en FIE. D’autre part, elle s’inscrit dans les recommandations de Tomas et coll. (2017) en offrant au futur personnel enseignant de plus amples occasions de mettre en pratique les savoirs en EAV en contexte d’activité professionnelle lors de la formation initiale. Par ailleurs, les résultats de cette étude sont également complémentaires à d’autres travaux, dont ceux de Dyment et Hill (2015) ainsi que de Walsh et Tait (2019), qui ont identifié certains savoirs pouvant être liés aux apprentissages dans les stages. En somme, les résultats de cette recherche permettent d’élargir les perspectives en dégageant les caractéristiques d’un (éco)système plus intégré de formation. De cette proposition, des expérimentations pourraient émerger afin de mieux former-accompagner les personnes citoyennes actuelles et futures vers la perspective d’un avenir viable sur la planète.