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Le statut que leur a accordé l’UNESCO met en évidence l’importance particulière que ces bâtiments revêtent pour le patrimoine culturel international, sachant que « la dignité de l’homme exigeant la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance ». L’attaque de ces mausolées et mosquées était clairement une insulte à ces valeurs.

Affaire Al Mahdi 2016 : § 46

Introduction

Le 27 septembre 2016, la Chambre de première instance VIII de la Cour pénale internationale (CPI) a reconnu Ahmad al-Mahdi coupable de crimes de guerre, au sens des articles 8(2)(e)(iv) et 25(3)(a) de son Statut, pour avoir intentionnellement dirigé des attaques contre des bâtiments à caractère religieux et historique. Ces attaques contre dix des monuments les plus importants et les plus connus de Tombouctou ont été menées entre le 30 juin et le 11 juillet 2012 dans le contexte de la guerre civile au Mali. Les biens en question étaient des monuments historiques consacrés à la religion et ne constituaient pas des objectifs militaires. C’est la première fois que la CPI a été saisie d’une plainte portant sur la destruction du patrimoine culturel ; la portée de son jugement est donc historique. Toutefois, contrairement au refrain qu’on a souvent entendu dans la presse, il ne s’agit pas du premier procès international de ce type. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’est penché à plusieurs reprises sur la destruction du patrimoine culturel et sa jurisprudence a acquis une très grande importance en la matière (Abtahi 2001 ; Brammertz et al. 2016 ; Meron 2005).

Nous avons déjà eu l’occasion dans d’autres travaux d’analyser l’émergence de la responsabilité pénale internationale en matière d’infractions visant le patrimoine culturel (Mainetti 2005, 2010), ainsi que la jurisprudence du TPIY (Mainetti 2014) dans ce domaine. Il n’est donc pas question de revenir ici sur le même sujet. Nous nous limiterons à constater que la répression des crimes contre le patrimoine culturel est un des aspects les plus novateurs du droit international de la culture. C’est le résultat d’une profonde transformation de la règlementation internationale, où il est possible de distinguer trois lignes convergentes d’évolution : 1) la réaffirmation du droit international humanitaire ; 2) l’essor du droit international pénal ; et 3) le développement du droit international de la culture. Un rôle de premier plan dans le façonnement des « crimes contre la culture », comme les a appelés à juste titre l’ancien Directeur général de l’UNESCO, M. Kōichirō Matsuura, a été joué par le TPIY. Au cours de son activité, ce tribunal s’est en effet trouvé maintes fois face à des questions impliquant la destruction ou le pillage des biens culturels, comme en témoignent plusieurs actes d’accusation du Procureur, ainsi que les jugements et les arrêts des chambres du Tribunal.

Il convient encore de noter qu’à l’heure actuelle la responsabilité pénale internationale ne concerne pratiquement que la protection des biens culturels en cas de conflit armé. La place du droit international pénal dans le système de protection des biens culturels « en temps de paix » est encore très limitée. Même si la jurisprudence du TPIY semble ouvrir de nouvelles perspectives en matière de crimes contre l’humanité, la responsabilité pénale internationale est surtout liée aux violations graves du droit international humanitaire[1].

Une « affaire pilote » dans le processus de criminalisation des atteintes au patrimoine culturel

Nous allons donc nous focaliser ici sur le jugement du 27 septembre 2016 portant condamnation d’Ahmed al-Faqi al-Mahdi, qui représente une décision tout à fait exceptionnelle. Nous sommes face à une « affaire pilote » qui ne manquera pas d’influencer la jurisprudence à l’avenir. Toutefois, malgré la médiatisation et un certain triomphalisme autour de cette affaire, nous ne pouvons pas cacher quelques réserves liées à l’interprétation qui a été suivie par la Cour. Nous sommes en quelque sorte loin de la solidité de la jurisprudence du TPIY, dont les chambres ont dédié des pages précieuses en matière de biens culturels, contribuant ainsi grandement à défricher ce nouveau domaine du droit international[2].

La situation au Mali à l’examen de la CPI

Le 18 juillet 2012, le gouvernement du Mali déférait la situation de conflit sur son territoire à la CPI. Après avoir procédé à un examen préliminaire, le 16 janvier 2013, le Bureau du Procureur adoptait un rapport détaillé sur la Situation au Mali[3], où il faisait état de plusieurs crimes présumés, commis sur le territoire du Mali depuis le mois de février 2012. Dans le rapport figurent plusieurs crimes très graves tels que le meurtre, les mutilations, les traitements cruels, la torture, le viol, le pillage, ainsi que les attaques intentionnelles contre des biens protégés (et tout particulièrement des bâtiments consacrés à la religion ou des monuments historiques), tous actes figurant parmi les crimes de guerre visés à l’article 8 du Statut de la CPI. Sur la base des renseignements disponibles, le même Rapport excluait prima facie la présence de crimes contre l’humanité, visés à l’article 7 du Statut. Mais naturellement, cette évaluation était susceptible d’être revue à l’avenir[4].

Il convient de rappeler qu’en 2012, deux événements ont ponctué la situation au Mali. D’abord, une rébellion au Nord du pays à la mi-janvier, qui a mené à la prise du pouvoir dans cette région par des groupes armés ; ensuite, le 22 mars 2012, une junte militaire a lancé un coup d’État et renversé le Président Touré, peu avant l’élection présidentielle initialement prévue pour le 29 avril 2012. La rébellion au Nord du Mali débute le 17 janvier par une attaque de la base militaire de Menaka par un mouvement rebelle Touareg, le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), composé d’anciens combattants Touaregs, ayant combattu dans les rangs de Kadhafi en Lybie. D’autres groupes rebelles se rallient au MNLA : 1) l’Ansar Dine, mouvement djihadiste salafiste touareg, dont l’objectif est d’imposer la Charia sur l’ensemble du territoire malien ; 2) l’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), organisation djihadiste salafiste d’origine algérienne ; 3) le Mouvement pour l’unicité et le Djihad en Afrique de l’ouest (MUJAO), branche dissidente de l’AQMI. C’est à ces groupes que la plupart des crimes commis au Mali depuis le 17 janvier 2012 sont imputables.

Le 16 janvier 2013, le Bureau du Procureur de la CPI ouvre donc une enquête sur les crimes commis en territoire malien. La situation au Mali est ensuite assignée à la Chambre préliminaire I. Le 18 septembre 2015, le juge unique de celle-ci délivre un mandat d’arrêt à l’encontre d’Ahmed al-Faqi al-Mahdi, également connu sous le nom d’Abou Tourab, pour crimes de guerre présumés. M. al-Mahdi est accusé d’avoir mené des attaques intentionnelles contre des bâtiments consacrés à la religion et des monuments historiques, dont neuf mausolées et une mosquée à Tombouctou, entre le 30 juin et le 10 juillet 2012. Quelques jours plus tard, le 26 septembre 2015, M. al-Mahdi est remis à la CPI et transféré au quartier pénitentiaire de La Haye au Pays-Bas. Le 30 septembre 2015, il comparaît devant le juge unique de la Chambre préliminaire. L’audience pour la confirmation des charges a lieu le 1er mars 2016. Le 24 mars, la Chambre préliminaire confirme la charge de crime de guerre à l’encontre de l’accusé et le renvoie à procès. Le 2 mai 2016 la Présidence de la CPI constitue la Chambre de première instance VIII en charge de cette affaire. Le procès se tient du 22 au 24 août 2016. À l’ouverture du procès M. al-Mahdi plaide coupable. L’accusation présente ensuite ses moyens de preuve et appelle trois témoins et le représentant légal des victimes expose les vues et les préoccupations des victimes. Le 27 septembre 2016, la Chambre de première instance adopte son jugement.

L’affaire al-Mahdi est le premier cas décidé par la CPI en matière de biens culturels et il s’agit d’une affaire où l’accusé a été jugé exclusivement pour ce type de crimes. Le document déposé par le Bureau du Procureur, le 17 décembre 2015, comporte un chef d’accusation unique, à savoir le crime de guerre consistant à attaquer intentionnellement des biens protégés, tel que visé à l’article 8(2)(e)(iv) du Statut de la CPI.

Le crime de guerre allégué par le Procureur concernait des attaques dirigées intentionnellement contre dix bâtiments à caractère religieux et historique de Tombouctou, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012, à savoir : 1) le mausolée Sidi Mahmoud Ben Omar Mohamed Aquit, 2) le mausolée Cheick Mohamed Mahmoud Al Arawani, 3) le mausolée Cheikh Sidi Mokhtar Ben Sidi Mouhammad Ben Cheick Alkabir, 4) le mausolée Alpha Moya, 5) le mausolée Cheick Sidi Ahmed Ben Amar Arragadi, 6) le mausolée Cheick Mouhamad El Micky, 7) le mausolée Cheick Abdoul Kassim Attouaty, 8) le mausolée Ahamed Fulane, 9) le mausolée Bahaber Babadié et 10) la porte de la mosquée Sidi Yahia. De ces dix monuments, neuf figuraient sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, depuis 1988[5], et avait été inscrits en juin 2012 sur la Liste du patrimoine mondial en péril, situation qui perdure aujourd’hui.

Le contexte et les faits

Dans le contexte de la situation malienne, après le retrait des forces gouvernementales, les groupes Ansar Dine et AQMI ont pris le contrôle de la ville de Tombouctou début avril 2012 et ont imposé une administration islamique, comprenant un tribunal et une police islamiques, une commission des médias et une brigade des moeurs, l’Hesbah. Après avoir brièvement vécu en Algérie, Ahmad al-Faqi al-Mahdi retourne au Mali en avril 2012 pour soutenir les mouvements armés. Considéré comme un spécialiste des questions religieuses, il est consulté en cette qualité. À la demande d’Abu Zeid, gouverneur de Tombouctou, il est appelé à diriger l’Hesbah et est chargé de prévenir, supprimer et réprimer tout ce qui est perçu par l’occupant comme un « vice » apparent.

Les mausolées des saints et les mosquées font partie intégrante de la vie religieuse et culturelle de la ville de Tombouctou et sont fréquemment visités par les habitants. Cela est vécu comme un problème chez les salafistes intégristes. Les autorités ne voient pas d’un bon oeil ces pratiques. De plus, selon les juristes islamistes, il y aurait une interdiction de construire sur les tombes : d’où la décision de démolir les mausolées. Dans un premier temps, al-Mahdi suggère de ne pas détruire les mausolées afin de préserver les bonnes relations avec la population locale. Mais lorsque Ag Ghaly, le chef de l’Ansar Dine, prend la décision, le Gouverneur de Tombouctou ordonne à al-Mahdi de procéder aux destructions, et ce dernier s’y attelle sans hésitation. Il rédige un sermon consacré à la destruction des mausolées, qui est lu lors de la prière du vendredi, et il établit personnellement l’ordre des démolitions.

Selon la Chambre de première instance, al-Mahdi a contribué aux attaques de la manière suivante :

  • il a supervisé l’exécution des opérations ;

  • il a rassemblé, acheté et distribué les outils ;

  • il a assisté aux attaques en donnant les instructions ;

  • il a participé personnellement à la destruction de cinq monuments ;

  • il a également communiqué avec la presse[6].

Le crime contesté

Nous avons eu l’occasion d’observer que la seule charge confirmée à l’encontre de M. al-Mahdi est le crime de guerre consistant à attaquer des biens protégés, tel que visé à l’article 8(2)(e)(iv) du Statut de la CPI, qui sanctionne : « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs militaires ». À ce propos, la Chambre remarque qu’une autre disposition du Statut aurait pu être utilisée, à savoir la destruction de biens civils, telle que visée à l’article 8(2)(e)(xii) du Statut, qui sanctionne « le fait de détruire ou de saisir les biens d’un adversaire, sauf si ces destructions ou saisies sont impérieusement commandées par les nécessités du conflit ». Toutefois, l’attaque intentionnelle de biens protégés est apparue à la Chambre comme la lex specialis applicable dans le cas d’espèce.

S’agissant de la première affaire dans laquelle la Cour applique l’article 8(2)(e)(iv), la Chambre de première instance procède à l’interprétation du crime et commence par rappeler l’origine de la disposition en question, qui puise ses racines dans le droit coutumier et en particulier dans les lois et coutumes de la guerre, telles que codifiées par les articles 27 et 56 du Règlement de La Haye de 1899 et 1907. La Chambre se limite à rappeler les divers instruments applicables à la matière, mais ne les examine pas. Elle se contente d’analyser le seul article 8(2)(e)(iv). Elle confirme donc une tendance des juges de la CPI à utiliser le Statut de la Cour comme s’il s’agissait d’un code pénal complet, sans analyser le contenu des règles du droit international humanitaire violées. Cela est à nos yeux un élément particulièrement inquiétant de la pratique de la CPI. S’agissant d’un tribunal pénal, la CPI devrait appliquer le droit de manière très rigoureuse, car, comme chacun le sait, le droit pénal est un droit d’interprétation stricte. Aidée probablement par l’aveu de culpabilité de l’accusé, la Chambre de première instance se montre toutefois plutôt sommaire sur ce point.

Selon la Chambre, les éléments du crime reproché sont les suivants :

  • l’auteur a lancé une attaque ;

  • l’objectif de l’attaque était un bien protégé ;

  • l’acte était délibéré ;

  • l’auteur entendait prendre pour cible des biens protégés ;

  • le comportement a eu lieu dans le contexte d’un conflit armé non international ;

  • l’auteur avait connaissance de l’existence du conflit.

Crime de guerre et conflit armé : un lien nécessaire… Oui, mais lequel ?

Il est bien connu que les crimes de guerre consistent en des violations graves du droit applicable aux conflits armés, internationaux ou non internationaux, et doivent donc être commis non seulement lors d’un conflit armé, mais avoir un lien avec celui-ci. La définition de conflit armé ne présentant pas un caractère international, qui est pertinente dans l’Affaire al-Mahdi, est visée à l’article 8(2)(f), qui exclut « les troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire » et fait référence aux « conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d’un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux ». La nouveauté de cette définition par rapport à celles de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 et de l’article 1er du Protocole additionnel II de 1977 est représentée par l’élément de la durée des affrontements. Dans l’Affaire Lubanga, la Chambre préliminaire de la CPI a interprété pour la première fois l’article 8(2)(f), en précisant que la violence, lorsqu’un conflit armé éclate, se caractérise par un certain degré d’intensité, supérieur aux troubles et aux tensions internes. Elle a également précisé que la violence doit être circonscrite entre les frontières d’un État et se dérouler entre le gouvernement de ce dernier et des groupes armés organisés, ou entre groupes armés dissidents (Affaire Lubanga 2012 : § 533).

Un « lien étroit » ?

Au vu de ce qui précède, l’existence au Mali d’un conflit armé ne présentant pas un caractère international, à partir du 17 janvier 2012, ne fait pas de doute. Toutefois, le lien entre les crimes commis par al-Mahdi et la situation de conflit suscite quelques perplexités, puisqu’il semble avoir été utilisé aux seules fins d’assurer sa condamnation. À ce propos, le TPIY et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ont essayé de cerner la notion de lien entre crimes de guerre et conflit armé, donnant une apparence légale à une conclusion plutôt évidente : si les crimes de guerre sont des violations des lois et des coutumes de guerre, les actes ou les omissions qui les concrétisent ne peuvent qu’être liés aux hostilités. Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le TPIY, pour être considérés crimes de guerre, les actes prohibés doivent être étroitement liés à un conflit armé, ce qui les différencie des délits ordinaires commis durant les hostilités (Affaire Tadić 1995 : § 70).

Cette condition apparaît comme une condition impérative. La Chambre d’appel du TPIY a d’ailleurs précisé le sens de ce « lien étroit avec le conflit » de la manière suivante : « [e]n dernière analyse, les crimes de guerre se distinguent des infractions de pur droit interne en ce qu’ils sont déterminés par le contexte dans lequel ils sont commis – le conflit armé –, ou en dépendent. Le crime de guerre n’est pas nécessairement un acte planifié ou le fruit d’une politique quelconque. Un lien de cause à effet n’est pas exigé entre le conflit armé et la perpétration du crime, mais il faut, à tout le moins, que l’existence du conflit armé ait considérablement pesé sur la capacité de l’auteur du crime à le commettre, sa décision de le commettre, la manière dont il l’a commis ou le but dans lequel il l’a commis. Partant, s’il peut être établi, comme en l’espèce, que l’auteur du crime a agi dans l’optique de servir un conflit armé ou sous le couvert de celui-ci[7], cela suffit pour conclure que ses actes étaient étroitement liés au dit conflit » (Affaire Kunarac et al. 2002 : § 58).

À son tour, le TPIR a précisé que l’expression « sous le couvert du conflit armé » ne signifie pas simplement « en même temps qu’un conflit armé » et/ou « en toutes circonstances créées en partie par le conflit armé », mais que « la détermination de l’existence d’un lien étroit entre des infractions données et un conflit armé nécessitera, en règle générale, la prise en considération de plusieurs facteurs et non pas d’un seul des facteurs énumérés ». Il s’agit donc d’un lien qui devrait être interprété de manière étroite, en évaluant, au cas par cas, le rapport entre le crime et l’objectif déclaré du conflit (Affaire Rutaganda 2003 : § 570).

La jurisprudence internationale a utilisé des indicateurs pour établir le lien entre crimes de guerre et conflit armé. Dans certaines affaires, on fait référence au statut de l’auteur, combattant, ou à celui de la victime, non-combattant ou opposant politique. Dans d’autres, on a fait référence à l’acte illicite, à savoir si ce dernier avait été commis dans le cadre des fonctions officielles de l’accusé ou avec l’assistance d’autres combattants, ou sous l’égide d’une autorité militaire. En d’autres termes, la violation doit être commise afin de poursuivre les buts du conflit ou afin de contribuer à la réalisation des objectifs de l’action militaire. Cette exigence s’ajoute à la condition nécessaire, mais pas suffisante, que la victime rentre dans une des catégories protégées par le droit international humanitaire.

Il est donc évident que la vérification du lien entre crime de guerre et conflit armé, et tout particulièrement dans le cas des conflits armés non internationaux, comme celui au Mali, est particulièrement délicate et ne se prête pas à des généralisations. Elle impose au contraire une évaluation au cas par cas, prenant en considération plusieurs facteurs. Il apparaît donc quelque peu étrange que la CPI n’ait pas ressenti le besoin d’approfondir ce lien. Le chef d’accusation dans l’affaire al-Mahdi se limite à affirmer que l’attaque contre les bâtiments consacrés à la religion et les monuments historiques de Tombouctou a eu lieu dans le cadre géographique et temporel de la guerre civile au Mali et tire de cette évidence la conclusion qu’il existe un lien étroit entre l’attaque et le conflit (Affaire Al Mahdi 2015 : § 17).

Un examen peu rigoureux

Dans son arrêt du 27 septembre 2016, la Chambre de première instance ne fait que liquider rapidement cette question, en affirmant qu’elle « ne fera pas de distinction selon que ces actes auront été commis lors de la conduite des hostilités ou après le passage du bien sous le contrôle d’un groupe armé. Le Statut ne fait aucune distinction de ce type. Cela reflète la qualité spéciale reconnue aux biens religieux, culturels, historiques ou de nature similaire, et la Chambre ne devrait pas revenir sur cette qualité en opérant des distinctions qui ne ressortent pas du texte du Statut. Le droit international humanitaire protège en effet les biens culturels en tant que tels contre les crimes commis tant dans le cadre des combats qu’en dehors de ce cadre » (Affaire Al Mahdi 2016 : § 15).

La Chambre se limite à observer que le Mali était le théâtre d’une guerre civile durant la période considérée et que l’article 8(2)(e)(iv) du Statut n’exige pas « l’existence d’un lien avec des hostilités particulières, mais seulement une association avec le conflit armé non international plus généralement » (Affaire Al Mahdi 2016 : § 18). Il paraît difficile de mesurer la portée de la notion d’« association » ainsi envisagée par la Chambre de première instance. Si l’on ne peut que partager les conclusions de la Cour à la lumière de l’exigence de fonder sa propre compétence dans le cas d’espèce, son raisonnement n’est toutefois pas convaincant sur le plan juridique. Si dans les Éléments des crimes associés à l’article 8(2)(e)(iv) il est demandé que le comportement « [ait] eu lieu dans le contexte de et [ait été] associé à un conflit armé ne présentant pas un caractère international »[8], on devrait en conclure que le concept d’association indique quelque chose de différent et additionnel par rapport à la contextualité entre le comportement et les hostilités. Sans compter que, sur le plan purement littéral, le concept d’association évoque une idée de relation ou de corrélation. En réalité, dans son raisonnement, la Chambre de première instance semble faire coïncider l’exigence de prouver qu’un conflit armé non international existe avec celle d’établir une relation entre la conduite criminelle et le conflit lui-même. Dans ce cas, la compétence de la Cour se fonde sur un concept de lien beaucoup plus large que celui employé par les tribunaux pénaux internationaux ad hoc vis-à-vis des crimes bien plus graves puisque dirigés contre la population civile.

Le doute demeure quant à la question de savoir si, en appliquant des critères plus restrictifs, la vérification du lien entre la destruction des mausolées de Tombouctou et le conflit non international aurait été positive.

Dans un passage du jugement, la Chambre de première instance affirme que « [l]’article 8(2)(e)(iv) est le pendant, pour les conflits armés ne présentant pas un caractère international, de l’article 8(2)(b)(ix), qui s’applique dans le cadre des conflits armés internationaux et dont les éléments sont pratiquement identiques ». Au cours des dernières décennies, on a pu observer une tendance à appliquer les mêmes principes aux deux types de conflits. Toutefois, cela ne doit pas nous faire oublier qu’il s’agit de deux contextes (même factuels) différents et que parfois les institutions fondamentales de l’un ne sont pas immédiatement transposables à l’autre.

En lisant l’affaire al-Mahdi, on a parfois l’impression que la Cour traite comme une occupation militaire l’exercice du pouvoir de la part des groupes armés sur la ville de Tombouctou. En droit international humanitaire, l’occupation est une situation qui existe seulement dans le cadre des conflits armés internationaux et qui entraîne l’application de règles spécifiques, qui ne sont pas simplement transposables mutatis mutandis aux conflits armés non internationaux. De la description des faits effectuée par la Cour, il apparaît, d’une part, que la décision de détruire ces bâtiments religieux et historiques découlait du régime d’occupation créé à la suite du conflit et, d’autre part, il ne semble pas que cette destruction ait été conçue et engagée pour contribuer d’une manière ou d’une autre à la réalisation des objectifs militaires. Elle apparaît davantage comme le fruit d’une action « moralisatrice », idéologique, dépourvue de toute relation avec les objectifs militaires. En conclusion, la conduite examinée présente plus d’analogies avec la destruction intentionnelle des Bouddhas de Bâmiyân, opérée par les talibans en Afghanistan en 2001, qu’avec le bombardement de la vieille ville de Dubrovnik durant la guerre en ex-Yougoslavie en 1991 (Caracciolo 2017 : 105).

À propos de la notion d’« attaque »

L’article 8(2)(e)(iv) du Statut de la CPI punit, on l’a vu, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’éducation, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, qui ne sont pas des objectifs militaires. L’élément objectif de ce crime est défini différemment par rapport à l’article 16 du Protocole additionnel II de 1977, et à l’article 3(d) du Statut du TPIY. Le Statut de Rome utilise l’expression « attaques », alors que le Protocole additionnel II parle de « tout acte d’hostilité » tandis que le Statut du TPIY se réfère à « la destruction ou l’endommagement délibéré ».

La notion d’« attaques » en droit international humanitaire est définie à l’article 49(1) du Protocole additionnel I de 1977, relativement aux conflits armés internationaux, mais trouve application également dans le cadre des conflits armés non internationaux. Aux termes de cette disposition, les « attaques » sont « des actes de violence contre l’adversaire, que ces actes soient offensifs ou défensifs ». Le commentaire du CICR aux Protocoles additionnels souligne que, bien que dans beaucoup de pays les manuels d’instructions militaires définissent l’attaque comme un « acte offensif » ayant pour but de détruire les forces ennemies, la notion d’attaque donnée par le Protocole I est plus large : elle couvre aussi bien les actes offensifs que les actes défensifs, « car les uns comme les autres peuvent affecter la population » (CICR 1986 : 615). En d’autres termes, le mot « attaque » signifie plus simplement toute « action de combat ».

Aux fins du cumul des peines, le TPIY s’est trouvé à plusieurs reprises à distinguer entre l’« attaque » des biens civils et la « destruction ou l’endommagement » des biens culturels et a conclu que dans le premier cas il faut la preuve de l’attaque, alors que dans le second il faut démontrer la destruction ou l’endommagement du bien (Affaire Strugar 2005 : para. 453). Dans son jugement, la Chambre de la CPI semble en revanche liquider la question de la manière suivante : « la jurisprudence du TPIY n’est que d’un intérêt limité étant donné que, contrairement au Statut de la CPI, le droit applicable devant ce tribunal ne sanctionne pas les “attaques” contre les biens culturels, mais plutôt la “destruction” de ceux-ci ou leur “endommagement délibéré”. Les contextes juridiques sont donc différents [sic] » (Affaire Al Mahdi 2016 : § 16). Il est permis de penser que la lecture de plusieurs affaires devant le TPIY aurait fait le plus grand bien aux juges de la CPI. Non seulement les affaires Jokić et Strugar, concernant le bombardement de la vieille ville de Dubrovnik (Bories 2005), mais aussi les nombreux jugements où les chambres du tribunal ad hoc ont considéré que la destruction délibérée de biens culturels et religieux, lorsque commise pour des motifs discriminatoires, était une forme de persécution, crime contre l’humanité visé à l’article 5(h) de son Statut (Carcano 2013 : 91 ; Frulli 2005 : 204) ; ou encore, les quelques affaires où la destruction de ces biens a été appréhendée comme un élément de preuve de la mens rea du crime de génocide (Frulli 2007 : 268-273).

Crimes de guerre et crimes contre l’humanité

Cela nous conduit à traiter de l’un des aspects qui a été le plus critiqué du jugement al-Mahdi. Certains commentateurs ont en effet reproché à la CPI d’avoir envisagé les attaques contre les mausolées de Tombouctou seulement au titre de crimes de guerre et de ne pas avoir soulevé la question des crimes contre l’humanité (Green Martínez 2015 : 1089-1096 ; Rossi 2017 : 91-94). Cette question est certainement très importante si l’on considère que les crimes contre l’humanité peuvent être commis à la fois en cas de conflit armé et en temps de paix. À ce propos, il convient de rappeler que le patrimoine culturel est un élément fondamental de l’identité d’un groupe ou d’une communauté et qu’il peut devenir une cible lors d’attaques discriminatoires. Raison pour laquelle, dans la jurisprudence internationale, il existe des précédents significatifs où la destruction des biens culturels a été qualifiée de crime contre l’humanité, de persécution.

Déjà le Tribunal militaire international de Nuremberg avait reconnu que la persécution des Juifs était particulièrement évidente sous la forme d’incendie, de destruction des synagogues ou de saisie de biens appartenant aux Juifs. Pour cette raison, Alfred Rosenberg avait été condamné non seulement pour crimes de guerre, mais également pour crimes contre l’humanité (Nowlan 1993 : 221). En 1961, en condamnant Adolf Eichmann pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la Cour de district de Jérusalem avait affirmé que la destruction et l’endommagement systématiques de synagogues et de lieux de culte devaient être considérés comme des actes très graves de persécution (Affaire Eichmann 1961 : para. 57)[9].

Lors des travaux relatifs à l’élaboration d’un Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, la Commission du droit international (CDI) a souligné que le crime de persécution peut prendre, entre autres, la forme d’une destruction systématique de monuments ou édifices religieux de valeur symbolique pour un groupe social, religieux ou culturel[10]. Plus récemment, le TPIY a adopté une approche similaire ; dans sa jurisprudence, il a rappelé et confirmé à plusieurs reprises ces précédents, tout en ajoutant de nouveaux éléments à la définition de persécution. Dans l’affaire Kupreškić, la Chambre de première instance a notamment affirmé que la destruction de certains types de biens peut avoir des conséquences particulièrement graves : « [c]ette atteinte à la propriété s’apparente en fait à une destruction des moyens d’existence d’une population donnée, dont les conséquences peuvent être tout aussi inhumaines qu’un transfert forcé ou une déportation. […] Cet acte peut constituer un déni manifeste ou flagrant d’un droit fondamental de la personne et, s’il est commis pour des motifs discriminatoires, une persécution » (Affaire Kupreškić 2000 : para. 631).

Dans l’affaire Kordić/Čerkez, la Chambre de première instance a précisé que la destruction délibérée d’édifices consacrés à la religion était « similaire à la “destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion” qui constitue une violation des lois ou coutumes de la guerre visée à l’article 3d) du Statut ». Pour cela, la Chambre avait déjà qualifié cet acte de crime de guerre. Toutefois, la Chambre ajoute que lorsqu’il est perpétré avec « l’intention discriminatoire requise », cet acte « équivaut à une attaque contre l’identité religieuse même d’un peuple. En tant que tel, il illustre de manière quasi exemplaire la notion de “crimes contre l’humanité”, car de fait, c’est l’humanité dans son ensemble qui est affectée par la destruction d’une culture religieuse spécifique et des objets culturels qui s’y rattachent ». Par conséquent, « la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices musulmans consacrés à la religion ou à l’éducation peuvent constituer, si elles sont commises avec l’intention discriminatoire requise, un acte de persécution » (Affaire Kordić/Čerkez 2001 : para. 205-207)[11].

Dans l’affaire al-Mahdi, ni le Bureau du Procureur ni la Chambre de première instance n’ont abordé la question de savoir si les attaques portées aux mausolées de Tombouctou pouvaient aussi être considérées comme des crimes contre l’humanité, et en particulier comme « crime de persécution » aux termes de l’article 7(1)(h) du Statut. Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’observer, sur la base des renseignements disponibles, le Bureau du Procureur dans son Rapport sur la situation au Mali du 16 janvier 2013 avait exclu que des crimes contre l’humanité aient été commis (para. 128-129). La situation a depuis évolué, comme nous l’avons noté[12], mais les informations étaient à l’époque encore insuffisantes et ne permettaient pas de conclure que « ces prétendus actes aient été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile et dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation » (para. 132). C’est pourquoi dans le Mandat d’arrêt du 18 septembre 2015 et dans le Chef d’accusation du 17 décembre de la même année figure seulement l’accusation de crimes de guerre. La même qualification est confirmée par le juge unique de la Chambre préliminaire et est reconnue par l’accusé lui-même dans son aveu de culpabilité.

Cela ne signifie pas pour autant que, dans le cas d’espèce, il n’y avait pas tous les éléments nécessaires pour envisager le crime de persécution, aux termes de l’article 7(1)(h) du Statut, comme un auteur a pu le démontrer (Green Martínez 2015 : 1089-1095). C’est d’ailleurs la même Chambre de première instance qui a reconnu le « motif religieux discriminatoire » des attaques pour déterminer de la gravité du crime. Il s’agit probablement d’une occasion manquée, mais ce sont toutefois des raisons d’opportunité ou de « politique » judiciaire, voire de rapidité de la procédure qui ont justifié et rendu peu probable une nouvelle qualification.

La gravité du crime et la détermination de la peine

Un aspect particulièrement intéressant du jugement al-Mahdi concerne les observations sur la gravité du crime. Sur ce point, la Chambre fait observer que contrairement à d’autres accusés, al-Mahdi doit répondre d’un crime contre des biens et non d’un crime contre des personnes. Bien que fondamentalement graves, les crimes contre les biens sont généralement moins sérieux que les crimes contre les personnes. Dans le cas d’espèce, la gravité du crime découle d’une série de facteurs que la Chambre de première instance essaie de mettre en évidence.

D’abord, il y a l’ampleur des dommages causés. Dix monuments ont été complètement détruits. L’impact de ces destructions sur la population civile a été très grand et accentué par les médias. Deuxièmement, les bâtiments détruits revêtaient non seulement un caractère religieux, mais possédaient également une valeur symbolique pour les habitants de Tombouctou et figuraient parmi les bâtiments les plus aimés de la ville. Troisièmement, Tombouctou est au coeur du patrimoine culturel du Mali et les mausolées des saints témoignent d’une partie importante de l’histoire de cette ville. De plus, tous les monuments détruits, sauf un, étaient inscrits par l’UNESCO sur la Liste du patrimoine mondial.

À la Chambre de conclure que l’attaque affecte non seulement les victimes directes des crimes, les habitants de Tombouctou, mais également toute la population du Mali et la communauté internationale dans son ensemble. À ce propos, la Chambre doit reconnaître que

[l]e statut que leur a accordé l’UNESCO met en évidence l’importance particulière que ces bâtiments revêtent pour le patrimoine culturel international, sachant que « la dignité de l’homme exigeant la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance ». L’attaque de ces mausolées et mosquées était clairement une insulte à ces valeurs.

Affaire Al Mahdi 2016 : § 46

Finalement, comme nous l’avons noté, pour déterminer la gravité du crime, la Chambre prend en compte aussi la nature discriminatoire de ces attaques, reconnaissant que le crime a été commis pour des « motifs religieux discriminatoires ».

Pour toutes ces raisons, la Chambre conclut que le crime dont al-Mahdi est déclaré coupable revêt une gravité considérable. Tenant compte de cette gravité, de l’absence de circonstances aggravantes, de la présence, en revanche, de circonstances atténuantes (parmi lesquelles l’aveu de culpabilité de l’accusé, sa coopération avec l’accusation, ses remords et l’empathie pour les victimes, sa réticence initiale à commettre le crime), la Chambre de première instance condamne M. al-Mahdi à neuf ans d’emprisonnement et se réserve une phase ultérieure pour la détermination de la réparation. Le 17 août 2017, la Chambre de première instance VIII a rendu une ordonnance de réparation, fixant à 2,7 millions d’euros la responsabilité de M. al-Mahdi au titre de réparations individuelles et collectives à verser à la communauté de Tombouctou. Relevant qu’al-Mahdi est indigent, elle encourage le Fonds au profit des victimes à compléter les réparations et à soumettre un plan de mise en oeuvre (Affaire Al Mahdi 2017 : § 135 et suivants). Le représentant légal des victimes a présenté un recours en appel, mais l’ordonnance de réparation a été confirmée par la Chambre d’appel le 8 mars 2018 (Affaire Al Mahdi 2018 : 4).

Conclusion

Au cours des dernières années, les conflits armés ont été particulièrement lourds de conséquences pour le patrimoine culturel. Si, par le passé, les guerres étaient une cause de destruction liées aux dommages collatéraux dans la conduite des hostilités, pour les conflits récents, en revanche, la destruction des biens culturels résulte d’une volonté précise de destruction de l’ennemi, surtout lorsque le conflit a des racines identitaires, comme il arrive souvent dans le contexte des guerres civiles. L’objectif du conflit n’est donc pas simplement la défaite de l’adversaire, mais l’effacement de toute trace de son passage, de sa culture ou de sa religion. Les politiques génocidaires ou de persécution s’accompagnent souvent d’actions systématiques de destruction du patrimoine et des symboles de l’ennemi.

La condamnation d’Ahmed al-Mahdi pour crime de guerre apporte donc un brin d’optimisme face aux destructions quasi quotidiennes sur les différents théâtres de guerre, la Lybie, la Syrie, l’Irak, le Yémen, entre autres. Même avec les faiblesses que nous avons identifiées, l’affaire al-Mahdi a servi sans doute à sensibiliser le public à la gravité des crimes contre la culture et constitue d’ores et déjà un jalon dans la construction de l’édifice normatif du droit international de la culture. Il ne faut toutefois pas se laisser aller au triomphalisme. Le fait que la CPI ait décidé la première condamnation pour des attaques contre le patrimoine culturel ne signifie pas pour autant que beaucoup d’autres vont suivre aussi facilement. Il faut se rendre compte que, dans cette affaire, les circonstances étaient exceptionnelles. L’accusé a été arrêté et transféré à la Cour. Son pays, le Mali, était non seulement partie au Statut, mais il avait également déféré la situation à la CPI. De plus, il y avait des preuves écrasantes de sa responsabilité et il avait lui-même fait aveu de culpabilité. Donc toute la procédure s’est déroulée de manière accélérée et sans entrave. D’autres situations ne vont pas être aussi simples et, par ailleurs, ni l’Irak ni la Syrie ne sont partie au Statut de la CPI, ce qui va déjà freiner la possibilité que des poursuites similaires puissent avoir lieu dans ces pays.

Naturellement, la question ne doit pas se limiter à savoir comment on peut punir plus efficacement les responsables des crimes contre le patrimoine culturel, mais davantage de prévenir ces violations. À ce propos, avec sa Résolution 2347 du 24 mars 2017, le Conseil de sécurité de l’ONU a franchi une étape importante vers la mise en place d’un système plus cohérent de mesures visant à prévenir, contrer, mais aussi réprimer les attaques contre le patrimoine culturel. La résolution ne fait pas référence seulement aux conflits armés, mais se place dans le contexte plus général de la lutte contre le terrorisme, qui est à l’heure actuelle une des menaces les plus graves contre l’intégrité des biens culturels. Pour faire face à cette menace, le Conseil de sécurité exhorte les États à renforcer la coopération internationale en la matière. La protection du patrimoine culturel est une responsabilité collective qui incombe à tous les membres de la communauté internationale. Il est toutefois légitime de se demander comment mieux protéger le patrimoine culturel si le principe de la souveraineté étatique demeure le fondement principal de l’action de la communauté internationale en la matière. Il s’agit là d’un autre problème qui mérite d’être examiné plus en profondeur.