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Traditionnellement associée à l’âge de la vieillesse, la notion de retraite connaît depuis les années 1980 un renversement de signification. Elle s’émancipe peu à peu de son analogie à la solitude, à la perte d’autonomie et à la mort sociale[1]. Désormais associée aux temps libres, à la réalisation de rêves, à la liberté individuelle, le départ à la retraite prend rapidement une dimension épicurienne pour les nouveaux retraités, notamment ceux de la génération du baby-boom (Noyer 2001 : 109). À l’aube du dernier millénaire, les départs massifs à la retraite sont encouragés par les entreprises qui y voient une solution au chômage. Les « retraités 55 »[2] deviennent rapidement dans l’imaginaire médiatique l’illustration de la réussite sociale et professionnelle. Toutefois, depuis les années 2000, la question des retraites, et particulièrement des retraites anticipées, est devenue un sujet d’intérêt, de questionnement, voire de préoccupations tant parmi le grand public, que pour les médias et les institutions publiques. Plusieurs éditoriaux et rapports font état d’une crise éventuelle du système des pensions canadiennes face aux présents changements démographiques. Des forums questionnent les conditions de vie des futurs retraités et débattent de l’âge obligatoire de la retraite. Aujourd’hui, plusieurs mesures politiques et sociales se mettent en place pour inciter la population active à rester plus longtemps sur le marché du travail[3]. Paradoxalement, on encourage les salariés à planifier adéquatement et plus hâtivement leurs retraites. Les attitudes individuelles en réaction à cette nouvelle problématique sont contradictoires. Encore aujourd’hui, certains salariés espèrent quitter leur emploi et jouir d’une certaine « liberté 55 ». Pour d’autres, l’idée de quitter leur milieu de travail à l’âge obligatoire ne les réjouit pas. Ils préfèrent continuer à travailler pour des raisons personnelles ou encore salariales. L’avenir des futurs retraités paraît incertain. Il semble vouloir vaciller entre le choix et la nécessité.

Dans ce contexte de bouleversements tant sur le plan individuel que collectif, prendre la décision de se retirer du marché du travail constitue une étape importante dans la vie d’un individu. À cet instant, le futur retraité se trouve tout autant au terme de sa carrière, qu’au seuil d’une période nouvelle de sa vie. En ce sens, le départ à la retraite peut être appréhendé comme un momentum, un « temps clé » où l’individu vit un tournant personnel important. Qu’advient-il lorsque l’on se retire du monde du travail ? Comment s’effectue le passage du statut de salarié au statut de retraité ?

La problématique de la retraite et de ses ritualités

La question du passage à la retraite a fait l’objet de plusieurs recherches en sciences sociales. Cependant, elles se restreignent majoritairement à l’étude du concept actuel de retraite, à sa réforme, à sa redéfinition et aux aspects sociaux et psychologiques mis en jeu durant la vie des retraités (Legrand 2001; Mercier 1993; Clark et Mitchel 2005). Inscrites dans la sociologie de la vieillesse et axant leurs analyses sur les conditions de vie des retraités âgés, ces études ne s’attardent que très rarement à la présence d’une manifestation rituelle. Lucie Mercier analyse entre autres les différentes stratégies individuelles employées par les retraités pour (re)définir leur identité sociale (Mercier 1993). Elle démontre comment les nouveaux retraités garantissent leur adaptation à la retraite et leur réinsertion sociale par la mise en place de projets. Ces stratégies identitaires constituent, en ce sens, des stratégies de succès de ce passage. Malgré le fait que plusieurs ouvrages sur la ritualité contemporaine mentionnent les départs à la retraite comme étant des rites de passage, peu d’études se penchent précisément sur la pratique rituelle spécifique aux départs à la retraite. Certains parlent même de l’absence d’un rituel lors de la prise de retraite : « Si l’intégration dans le monde du travail peut produire des micro-rituels, la sortie s’avère facilement assimilable à un couperet silencieux, sans grande cérémonie » (Noyer 2001 : 108). Pendant longtemps, cette transition signifiante pour l’individu a paru non formalisée, peut-être ainsi intentionnellement, comme si la retraite était un événement que l’on ne désire pas particulièrement souligner (Manheimer 1994 : 44). Pierre Centlivres rappelle que, malgré les apparences, plusieurs usages rituels accompagnent les départs à la retraite. Selon lui, les rites de passage aujourd’hui ne sont pas disparus. On assiste plutôt à l’apparition de nouveaux comportements qui soulignent le déroulement des phases de la vie (Centlivres 1981 : 194). Pour illustrer son propos, il choisit l’exemple des départs à la retraite :

Mais songeons par exemple aux usages rituels qui accompagnent le départ à la retraite, nés de l’apparition du travail salarié et de la législation de sa durée, au nombre toujours plus grand des cérémonials de vin d’honneur et de prise de parole à l’occasion des « premières fois » de tous genres.

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Il semble que les départs à la retraite proposent une forme de rite de passage, certes redéfinie, mais qu’on ne sait encore comment célébrer (Manheimer 1994 : 44). La pratique rituelle qui accompagne le départ à la retraite revêt plusieurs formes. Certains individus célèbrent leurs départs informellement avec leurs collègues, d’autres encore fêtent cette étape en toute simplicité avec leur famille. À l’opposé, plusieurs de ces célébrations sont officialisées par le milieu de travail et hautement élaborées. Les réactions face à ces festivités s’avèrent donc toutes aussi diverses que les manières de partir à la retraite.

Le domaine de l’ethnologie d’entreprise, bien qu’encore récent, apporte un éclairage nouveau sur la question des départs à la retraite comme rite de passage, principalement avec l’ouvrage Les rites dans l’entreprise de Jean-Pierre Jardel et Christian Loridon. Dans un contexte d’entreprise, ces ethnologues s’interrogent sur « les systèmes de représentations, de significations et de comportements générés au sein de ces entités sociales (entreprises) par le biais de pratiques symboliques et rituelles » (2000 : 19). Ils veulent comprendre ce qui singularise une « culture d’entreprise » par l’observation des différentes pratiques rituelles présentes au sein d’une organisation. Ainsi les auteurs considèrent que les fêtes de départ à la retraite appartiennent à la logistique de l’entreprise, c’est-à-dire qu’elles sont une marque de reconnaissance vis-à-vis de l’employé. Elles constituent un rituel d’accompagnement du salarié en dehors du monde du travail et renforcent ainsi le sentiment général d’appartenance à l’organisation. Ils notent également la réception parfois mitigée de ces rituels. Imposés, ces rites ne deviennent que des pratiques vides de sens. On peut alors se questionner sur l’objectif de ces célébrations. Joël Savishingsky, spécialiste de gérontologie, s’est attardé sur cette question. Le titre de son article laisse d’ailleurs deviner ses conclusions : « Creating the right rite of passage for retirement ». Il cite la sociologue américaine, R. C. Atchley, qui explique les défis auxquels fait face aujourd’hui la réussite d’un départ à la retraite : « The lack of attention to appropriate retirement rituals in American society reflects our culture’s lack of clarity about what this stage of life is all about » (Savishingsky, 2002 : 82). La question cruciale ici posée est bel et bien celle de savoir à quel passage ces pratiques rituelles font-elles référence ? Certes, le rituel souligne le changement de statut de l’employé à celui de nouveau retraité, mais le but principal de ces manifestations semble plutôt se situer dans l’attribution du sens donné à ces départs du milieu de travail. Habituellement, on souligne ces départs à la retraite par des réjouissances : on leur octroie ainsi d’emblée une connotation positive. La teneur festive de l’événement et la symbolique de ce type de fête se logent-elles dans cette idée de passage, de changement de statut ? Pourquoi les participants à ces pratiques rituelles ressentent-ils le besoin d’instituer le cadre de ce passage par une fête ? Finalement, comment la réussite de ces passages est-elle garantie ?

L’intention initiale de cette étude était d’aborder les célébrations de départ à la retraite comme des rites de passage contemporains selon les multiples facettes qui les caractérisent : leur flexibilité, leur réversibilité, leur irrégularité formelle, leur personnalisation, etc. (Roberge 2006 : 215) Dès l’exploration de notre sujet d’enquête, les fêtes de départ à la retraite nous ont été présentées par notre entourage comme des rituels festifs communément nommés bien cuit.

Expression populaire[4] utilisée par plusieurs participants de fêtes de départ à la retraite, le bien cuit désigne : « quand on s’amuse de quelqu’un, qu’on va le cuire et le saisir … On va en mettre beaucoup pour rire de lui »[5]. Le bien cuit est une sorte d’hommage qui consiste à « relater tous les moments de la vie de quelqu’un. Il faut que ce soit drôle et touchant aussi, mais cela peut venir de l’expression cuisiner quelqu’un … le cuisiner jusqu’à ce qu’il rougisse ou quand l’émotion est à son plus fort … tu vois ce que je veux dire ? » (Coll. C.A.)[6] Le bien cuit correspond tantôt dans sa forme la plus simple à une adresse humoristique (discours, hommage), tantôt à l’ensemble de l’animation[7] déployée lors de la festivité. Cette animation peut prendre plusieurs formules comme « un simple mot, une chanson, des anecdotes en pièces de théâtre ou un rallye autour d’une thématique » (Coll. C.A). Les bien cuit constituent donc un dispositif narratif, plus ou moins élaboré, plus ou moins artistique et théâtral, déployé par une mise en scène d’ampleur variable.

De plus, notre réflexion s’inscrit en continuité avec l’héritage théorique de la performance rituelle, notion tributaire de l’approche théâtrale adoptée par les anthropologues américains dont Bateson, Turner, Schechner et Goffman. Dans le cadre de cet article, nous voulons nous pencher sur l’action de prendre sa retraite, soit la manière dont les individus soulignent cette étape décisive de leur vie. Nous voulons également nous attarder sur la pratique rituelle créée, voire mobilisée, par cette importante transition. Notre attention se portera principalement sur le dispositif rituel, le cadre, et le contexte des différentes fêtes de départ à la retraite. Nous tenterons de saisir la dramaturgie, la mise en scène et la performance déployées dans ces occasions. Dans quelle mesure les futurs retraités participent-ils à cette pratique rituelle ? Comment sont-ils impliqués ? Quel rôle précis ces cérémonies jouent-elles dans cette transition et quelle est leur efficacité[8]? Bref, comment et pourquoi aujourd’hui au Québec soulignons-nous les départs à la retraite ?

Si l’on reconnaît que la célébration d’un départ à la retraite est en soi une expérience/performance[9] rituelle, il nous est possible d’envisager cette manifestation festive comme une forme actuelle et séculière de rites de passage dont l’objectif affirmé est d’accompagner la sortie d’un collègue du milieu de travail. Cette célébration, qui prend la forme d’un hommage personnalisé, offre selon une mise en scène plus ou moins théâtrale, l’occasion unique pour le futur retraité d’éprouver[10] une représentation de sa réalité[11], soit le bien cuit.

Le rituel des départs à la retraite : trois déroulements cérémoniels

Afin de mieux rendre compte de la pluralité des pratiques rituelles du départ à la retraite, nous présenterons ici brièvement trois cas de festivité[12] issus de données recueillies lors d’une enquête ethnologique[13]. La comparaison de ces exemples est des plus intéressantes car elle permet, d’une part, de faire ressortir un scénario de cette célébration où des éléments clés se répètent et s’entrecroisent et, d’autre part, elle offre un panorama de trois cérémonies qui proposent une solution rituelle d’envergure différente. Âgés entre 55 et 65 ans, les participants à la recherche ont pris leur retraite en 2007, à l’exception d’une personne retraitée depuis 2003. Ils ont également tous déjà participé à l’organisation de fêtes pour de nouveaux retraités. De plus, les informateurs ont eu des parcours professionnels similaires : deux d’entre eux ont fait carrière dans la fonction publique, tandis que les deux autres ont travaillé dans le milieu de l’éducation. Tous ont vécu un parcours-type : c’est-à-dire qu’ils ont gravi les échelons, changé quelquefois de département, reçu plusieurs formations professionnelles complémentaires à leurs tâches et ont changé quelquefois de poste. Ils ont d’ailleurs tous travaillé au minimum vingt-cinq ans dans leur organisation.

Le départ de Charlotte

Charlotte travaille depuis trente ans pour son employeur comme technicienne. Aujourd’hui âgée de 60 ans, elle décide de prendre sa retraite le premier mai de l’an 2007. Très active au sein des comités de l’organisation, dont le club social de sa division, et toujours la première à participer aux fêtes, réceptions et « événements du bureau », Charlotte se considère impliquée dans son milieu de travail. Aujourd’hui, elle se sent prête pour la retraite. Propriétaire d’une galerie d’art avec son conjoint, elle veut s’y consacrer librement à la retraite. Ainsi, annonce-t-elle à ses amis et proches collègues la date officielle de son départ. Rapidement, une dizaine de collègues de Charlotte se regroupent pour former un comité d’organisation d’une fête de départ à la retraite. Au fil de rencontres, réunions et remue-méninges, le bien cuit de Charlotte se dessine autour d’une thématique bien personnalisée : la galerie d’art. « C’est une fête de grande envergure et à la hauteur de notre Charlotte » (Coll. C.A.). Lors de l’organisation de la fête, Charlotte n’est consultée que pour la liste des invités. Le comité décide d’envoyer par courriel (en courrier interne) une invitation officielle aux employés de son secteur d’activité. Tous doivent préalablement confirmer leur présence. Les personnes présentes à la fête sont aussi invitées à contribuer sur une base volontaire au coût de cette célébration. De plus, un buffet froid est prévu pour les invités. La cérémonie « Pour Charlotte » est ainsi convoquée à 17h00 un jeudi du mois d’avril.

La fête de départ à la retraite de Charlotte prend l’aspect d’un « traditionnel 5 à 7 du bureau »[14] (Coll. C.A.). Cette formule comporte ses avantages. Elle facilite la rencontre des employés en proposant un lieu accessible et connu de tous et également un horaire flexible qui permet aux employés de venir et partir librement selon leurs disponibilités. La fête doit se dérouler dans une salle mise à la disposition des employés de l’organisation. Un jeudi soir, le jour venu, les organisateurs de la fête préparent la salle pour l’occasion et disposent leur matériel. La salle de réception est grande. De forme rectangulaire, on retrouve à gauche de la salle un comptoir, derrière lequel la serveuse offre plusieurs types de consommations (principalement de la bière et du vin). Près du bar, une porte donne accès à la cuisine, salle réservée au traiteur. Au centre de la salle, plusieurs petites tables rondes parsèment l’espace. Au coin supérieur droit de la salle, on reconnaît par la différenciation du plancher un espace réservé à la danse. Adjoignant la piste, une tribune se trouve également sur une scène et met à la disposition des visiteurs un micro et de l’équipement technologique, tel qu’un projecteur multimédia.

Les invités arrivent à la fête à partir de 17h00. D’entrée de jeu, ils sont invités à écrire un témoignage à Charlotte dans l’album de signatures. Ensuite, en parcourant la salle, on aperçoit en une échappée visuelle une exposition de tableaux (photocopies couleurs) qui rappellent de nombreuses oeuvres d’art célèbres et qui sont disposées à la manière d’une galerie d’art. Ces photographies ont été modifiées numériquement pour introduire, en trompe l’oeil, Charlotte comme figure principale. De plus, plusieurs phylactères commentent l’action et offrent des anecdotes croustillantes sur la personnalité et la vie de la retraitée. On fait d’ailleurs directement référence à la galerie de Charlotte en exposant son logo commercial. À côté, un écran mural présente un menu thématique d’un restaurant fictif, Au Charlot, composé de mets cocasses comme « un émincé de charmante poulette à la sauce Charlot » et une « Charlotte pour dessert » (Coll. CA.).

L’envergure de l’événement est surprenante. Une centaine de personnes est présente au 5 à 7 et une soixantaine au repas. Elles sont toutes relativement liées de près ou de loin à Charlotte. On y retrouve des directeurs, des collègues de différentes divisions, des anciens employés, des clients, des amis et également les membres de sa famille proche. Tous bavardent, échangent, se détendent et prennent l’apéritif en attendant l’arrivée de la future retraitée. Charlotte et son conjoint ne tardent pas. Vêtue avec élégance, elle porte un ensemble de couleur rose vif, qui permet de la distinguer aisément dans la foule. Ses ensembles de couleur unie sont d’ailleurs connus auprès de ses collègues de travail. L’agencement de sa tenue et des ballons décoratifs laisse deviner la consigne vestimentaire qu’elle a dû recevoir de la part du comité. Dès son arrivée, Charlotte défile entre les invités pour prodiguer ses salutations et remerciements officiels ou amicaux. Telle une vedette de cinéma, elle est accompagnée par une prise en rafale de photographies. Entre-temps, on sert bouchées et crudités aux invités.

Les organisateurs de l’événement, déguisés en cuistots, attirent l’attention de la foule par un tintamarre de casseroles. Ils demandent aux invités d’honneur — Charlotte et sa famille — de « prendre place » autour d’une table réservée au centre de la salle. Debout devant la tribune, les animateurs introduisent la présentation par des références à la cuisine : « Nous sommes en présence d’une belle brochette d’invités bien garnie » (Coll. C.A.). Rapidement, on comprend que la thématique de la célébration joue sur deux volets : la galerie d’art et l’amour de Charlotte pour la cuisine (référence indirecte à sa qualité d’hôtesse). En préambule, trois personnes se succèdent pour saluer le départ à la retraite de Charlotte par des discours, ce qu’ils appellent une « entrée de direction ». Ils sont tous les trois d’anciens directeurs ou employeurs ainsi que « le patron actuel ».

Le bien cuit se compose principalement d’une présentation multimédia (powerpoint) qui relate différents épisodes de la carrière et de la vie de Charlotte sous forme de parodie. Les invités assistent à un panorama de photographies personnelles et d’extraits vidéo qui mettent en scène la retraitée. On apprend que Charlotte est « l’artiste de la division d’urbanistes », qu’elle a effectué des rénovations à son domicile et que sa maison a fait l’objet d’une publication en design, qu’elle aime se déguiser dans différentes fêtes de travail, qu’elle a quitté son emploi pour aller au Portugal et « mieux revenir », etc. Le bien cuit fait continuellement référence à son caractère (entreprenante et téméraire), ses traits de personnalité (émotive), son goût pour le déguisement, ses qualités qui la distinguent au travail (sa vitesse d’exécution, la précision des gestes, sa disponibilité), etc. Les animateurs soulignent également la sociabilité et la participation de Charlotte à tous les événements, ce que l’on devine à l’ampleur de la réception en cours. La présentation multimédia se termine par une chanson que tous les invités chantent après qu’on leur eut distribué les paroles. Par ailleurs, on retrouve sensiblement les mêmes thèmes dans le texte que dans la présentation.

La rétrospective terminée, Charlotte reçoit une ovation de la part des invités. Après être monté sur scène, elle prononce au micro quelques mots en s’adressant à ses collègues tout en visant l’appareil photo. On lui remet trois cadeaux qu’elle déballe devant la salle, dont un petit cadeau thématique composé de rigolos ustensiles de cuisine. Le spectacle se termine sur des applaudissements. Déjà 19h00 passé, le bien cuit clos, plusieurs personnes profitent pour quitter la fête. Les autres s’apprêtent au repas. Composé d’un buffet froid, le repas, pris en charge par un traiteur, se déroule dans une pièce connexe à la salle de réception. Charlotte est invitée à faire un « toast ». C’est également elle qui coupe la première part du gâteau. La soirée bien arrosée se termine auprès de ses collègues et amis les plus intimes.

Le départ de Richard

Richard achève sa trente-deuxième année de service pour l’institution qui l’emploie. Historien et archiviste de formation, il a travaillé pendant vingt-deux ans à la gestion des documents dans un service d’archives. Comme beaucoup de professionnels et d’employés dans l’organisation, il quitte officiellement son travail à l’âge de 55 ans, dans un contexte où les retraites sont encouragées par des régimes favorables et des allocations de départ avantageuses. Sa décision est réfléchie et mûrie, car Richard a été « fourmi plus que cigale dans la préparation de [s]es vieux jours ». À cette étape de sa vie, il espère voyager avec sa conjointe et s’occuper de son chez-soi. Avant de quitter son poste, Richard s’est impliqué dans la transmission de ses connaissances : « J’ai consacré ma dernière année de travail à former les jeunes et préparer la relève » (Richard). D’ailleurs, le bien cuit de Richard est fortement influencé par « les mécanismes de formation » qu’il a mis en place pour former la relève. Une fois la date fixée, il demande subtilement une fête de départ à sa supérieure, Marie, à la fois collègue et amie. « Mais cela allait de soi … J’ai toujours été une personne près de mes deux patrons, et j’ai toujours été lié à la direction. Aussi, j’ai été une personne assez dynamique et qui a vu beaucoup aux aspects des relations humaines » (Richard). Ses collègues décident alors de le célébrer « en soulignant son goût pour les procédures et pour le travail bien fait ». Ainsi, ils établissent une « procédure pour s’assurer du bon déroulement » du départ la retraite, soit une Procédure de départ à la retraite. Richard explique ce choix : « Comme tout bon archiviste, j’étais à l’époque un peu maniaque des procédures ». Selon Richard, presque tout le personnel a participé et contribué sur l’heure du midi à l’organisation de la fête. Ils ont élaboré la procédure en relevant des anecdotes, des idées, « une espèce de brainstorming » explique-t-il. D’ailleurs le bien cuit fait mention de cette participation collective :

Il fut aussi convenu que tout le personnel des archives affecté au traitement, à la conservation ou à la communication des bons et mauvais coups de Richard bénéficierait d’une meilleure connaissance des mesures à prendre pour s’assurer d’une bonne retraite dans la mesure où il participerait à la réalisation de la procédure.

Coll. CA

La réception en l’honneur de Richard comporte des caractéristiques semblables à celle de Charlotte. Prévue en fin de journée, soit à l’heure de l’apéritif, elle permet aux employés de facilement se regrouper. D’ailleurs, la soirée se déroule sur les lieux de travail, précisément dans les locaux du service des archives. La journée même, Richard finit de ranger ses effets de bureau. Sur l’heure du midi, il est invité par une amie à prendre le repas au restaurant : « C’est elle qui était chargée de m’éloigner du bureau, car [les employés] terminaient probablement les préparatifs » (Richard). De retour en après-midi, il reçoit l’ordre de rester « confiné » à son bureau afin de ne rien surprendre des derniers préparatifs. Vers 16h00, on lui donne la permission de sortir. Une trentaine de personnes étaient présentes sur les lieux. Ces connaissances variées, rencontrées tout au long de sa carrière, provenaient de ses divers réseaux professionnels. Sa conjointe était également présente avec quelques membres de sa famille, dont son frère. Une pièce est aménagée pour l’occasion. La salle de consultation d’archives est dégagée de toutes les tables de travail habituelles. Un buffet froid est installé sur une table en arrière-plan. La plupart des invités sont debout et discutent. Le bien cuit débute rapidement. Les invités encerclent Richard et Marie, la principale organisatrice de l’événement. Sur un chevalet, on retrouve un plan de la présentation : Procédure de prise de retraite de Richard. La thématique du bien cuit est rapidement expliquée. La procédure de départ à la retraite consiste à être en soi un « guide de fonctionnement d’un projet de retraite ». Aussi, plusieurs invités lisent tour à tour les différentes parties de la procédure à réaliser dans le cadre d’un projet de prise de retraite, soit le contexte, le cadre d’utilisation, quelques définitions, les outils de travail utiles et les différentes étapes et opérations. Par cette mise en scène, le bien cuit caricature à la fois la carrière de Richard et le travail d’archiviste. Sous forme de procédure, il relate avec dérision différentes manies et anecdotes du célébré. On y retient l’importance jouée au fil des ans par cet employé dans les relations et activités sociales du service.

Cette thématique offre également aux organisateurs une manière originale de relater l’action en cours tout en plaisantant sur les réactions du célébré : « Le bénéficiaire de la retraite reçoit la carte de souhaits des amis et amies, étouffe un sanglot et songe, un court instant, à remettre sa retraite en question. [Il r]eçoit le présent, symbole du passé et garant du futur, offert par les amis et amies, étouffe un autre sanglot et songe encore un court instant, à remettre sa retraite en question » (Coll. C.A.). En plus d’une carte autographiée par les invités, Richard reçoit pour son départ à la retraite une girouette confectionnée par un artisan de la région de Québec. Un collègue lui offre également une peinture, illustrant un phare, qu’il a peinte lui-même. Selon Richard, cette image symbolise le rôle qu’il a joué au travail auprès de lui en lui offrant son aide. La fête se termine par le buffet : « Il y a eu le repas, puis j’ai dû saluer tout le monde personnellement. La fête a duré pas loin de trois heures avec la cérémonie et l’après : le social » estime Richard. Il considère que l’implication et l’investissement de la personne dans son travail influence l’importance de la fête. Précisons que Richard part en voyage en France avec sa conjointe le lendemain de cette réception. Il a ressenti « sa retraite » et pris conscience de son départ « après coup », au mois de septembre, puisqu’il ne rentrait plus au travail. Depuis sa retraite, Richard participe à toutes les fêtes du service où il a travaillé. Il y retourne quelquefois le jour pour bavarder et saluer d’anciens collègues. Il occupe ses journées par du bénévolat, des travaux ménagers, des voyages et parfois quelques contrats de révision de textes : « C’est une espèce de pratique intellectuelle » dira-t-il à propos de cette dernière activité.

Le départ de Paul

Depuis trente-cinq ans, Paul travaille comme géologue dans la fonction publique. Il a débuté en cartographiant des terrains géologiques et en analysant des échantillons comme spécialiste en géochimie. Il a également oeuvré à l’évaluation de projets de subventions de compagnies minières. Depuis deux ans, il révise les rapports géologiques avant leur publication. À la veille de sa retraite, Paul considère qu’il ne part pas par lassitude : « Je pars parce que … pourquoi rester ? » Il a en effet atteint le maximum d’années pour profiter au maximum de sa pension de retraite. À son travail, plusieurs personnes choisissent de partir à la retraite sans être fêtés. De nature plus réservé, Paul a demandé de ne pas être célébré pour son départ : « Des fois, on fête par des petites choses quand même ceux qui disent qu’ils n’en veulent pas ». Dans son organisation, les départs à la retraite se soulignent habituellement par un 5 à 7 dans un resto-bar, qui met à leur disposition une section réservée. « Le plus souvent, il n’y a pas de buffet. Les plus intimes vont souper avec celui qui va quitter » mentionne Paul. Celui-ci espère aller dîner avec ses collègues un midi. Il anticipe aussi un souper en famille et peut-être une bouteille de champagne à partager avec sa femme.

Paul choisit la date du 31 mai 2007 pour quitter son travail. À cette période de l’année, la majorité des géologues sont réquisitionnés pour travailler en région. « Plus personne n’est au bureau » explique Paul. Malgré sa demande de ne pas être fêté, certains de ses collègues le préviennent qu’ils « vont faire quelque chose » dès leur retour en automne. Cette proposition reste en suspens. Entre-temps, Paul s’occupe durant l’été à entretenir son terrain et faire de la bicyclette. D’ailleurs, comme cadeau de départ à la retraite, il s’était offert une nouvelle bicyclette au mois de mai.

Au début du mois de septembre, Paul reçoit un appel téléphonique qui le prévient qu’un 5 à 7 est organisé dans un restaurant pour fêter conjointement son départ à la retraite avec celui d’un collègue. Cette idée lui plaît : « C’est une bonne idée, car je le connais bien. Nous avons commencé ensemble, travaillé souvent ensemble et maintenant on part à la retraite ensemble ». La réception se déroule à l’étage d’un restaurant. La salle est particulière car son espace se déploie autour d’une mezzanine. Aussi, plusieurs tables rectangulaires encadrent l’ouverture au plancher. Au fond de la salle se trouve le comptoir du bar en bois, avec des tabourets disposés devant à intervalles réguliers. La salle est assez encombrée. À première vue, elle ne semble pas être conçue pour recevoir un groupe et ce, en raison de l’ouverture centrale. Par contre, une petite scène se retrouve dans un coin. Un piano et un pied de micro sont laissés seuls sur cette tribune. Aucune décoration festive n’a été aménagée dans la pièce pour l’occasion.

Informés du « cocktail » par une annonce au bureau, les convives arrivent au restaurant à partir de 17h00. Plusieurs courriels ont également été envoyés aux anciens employés, amis et membres de la famille. C’est une amie de Paul qui a pris en main l’organisation du 5 à 7. Après avoir demandé une cotisation, elle a choisi des cadeaux pour chacun des nouveaux retraités. La soirée se déroule sans grande cérémonie à la demande des jubilés. Les personnes présentes commandent différents apéritifs et jasent en groupe. Ils sont environ une quarantaine. Selon les invités, « au ministère, nous ne sommes pas forts des bien cuit ». Toutefois vers 19h00, le directeur du département prend la parole. À haute voix et non sur la scène, il remercie personnellement le travail accompli par Paul, son extrême ponctualité et sa présence assidue au travail. Il commente avec humour la personnalité calme, réfléchie et « peu bavarde » de l’employé : « mais lorsque Paul parle… Attention… ». Paul reçoit comme cadeau de la part de ses collègues une sculpture inuit. On donne également un bouquet de fleurs à sa conjointe. Pour terminer, un de ses amis lui remet un album-souvenirs. Dans cet album, on retrouve plusieurs photographies dont certaines datent de plus de trente-cinq ans. Elles rappellent surtout des événements reliés au travail. Divers rapports écrits et autres articles complètent l’album dont les premières pages sont photocopiées puis collées. De plus, plusieurs pages sont aménagées pour les signatures. Paul explique que recevoir un album-souvenirs pour la retraite, c’est « en quelque sorte une tradition qu’un de [s]es amis a commencé pour l’un d’entre [eux]. Depuis, on reçoit presque tous des albums. … J’en ai fait un pour lui l’an passé, lorsqu’il a pris sa retraite ». Paul semble heureux et touché de recevoir un album : « Ce sont des beaux souvenirs ». Les convives clôturent ce moment touchant par des applaudissements. Lorsque le tour de Paul est terminé, le scénario se reproduit pour son collègue Michel à l’exception des commentaires, du cadeau et de l’album qui se différencient. Avant de partir, la majorité des invités félicite et souhaite bonne chance aux nouveaux retraités, tellement que cette formule langagière semble incontournable pour une telle occasion.

La soirée se termine par le repas à l’étage du dessous. Une dizaine d’amis plus intimes sont restés souper avec Paul et Michel. Sur les tables, le vin abonde. La retraite et les souvenirs de travail restent les sujets principaux du repas. Quelques-uns déplorent la coupure des postes en géologie et le manque de relève pour les dossiers. Un employé explique comment il a trouvé difficile de ne former personne, même si « le but de toute carrière est de passer le relais » (Coll. C.A.). D’autres disent qu’ils ont longtemps été rappelés par leur ancien employeur après leur retraite pour résoudre des problèmes et répondre à des questions. Malgré les commentaires plus négatifs, le temps est à la fête et aux retrouvailles :

Ce qui est le fun de ces partys, c’est que l’on retrouve des gens que l’on n’a pas vu depuis longtemps, avec qui on a beaucoup partagé…. On côtoie certains tous les jours et c’est agréable de se voir dans un autre contexte que celui du travail ….

Coll. C.A.

Les fêtes de départ à la retraite : des rites de passage actuels

À plusieurs égards, les fêtes de départ à la retraite sont imprégnées de convivialité, de délassement, d’espoir et de nostalgie. Elles sont « une bonne manière de dire au revoir à une personne que l’on apprécie » (Coll. C.A.). D’ampleurs variées, ces célébrations se transforment au gré des usages, des préférences et de la « culture d’entreprise » (Jardel et Loridon : 252). Elles se veulent en symbiose avec la personnalité du nouveau retraité. Considérées généralement comme fêtes profanes, elles sont envisagées par certains comme un rite : « Même si c’est agréable, ces partys de bureau se ressemblent tellement des fois qu’on dirait qu’ils sont religieux. C’est devenu comme un culte. On ne peut pas les manquer » (Marc ; Coll. C.A.)[15]. À la lumière de ces témoignages, on constate que les fêtes de départ à la retraite suivent (avec récurrence) une certaine formule et ce malgré une pluralité de formes. Claude Rivière démontre la constante interprétative qui réside dans les rituels actuels, au-delà de leur pluralité formelle.

Le propre de beaucoup de rites profanes, dont les rites d’entreprise, est leur absence de régularité formelle, 1’hétérogénéité des modes d’expression employées (convivialité autour d’un buffet ou mise en scène sophistiquée), le renouvellement des formes de célébration, la variété des registres de plaisanterie. Tout ceci explique que beaucoup de rites ne soient pas perçus comme tels dans la mesure même où ils manquent de stéréotypie.

1995 : 228

Malgré l’hétérogénéité des fêtes de départ à la retraite, une structure tripartite se détache de la plupart des scénarios. Cette structure en trois temps se perçoit dans l’analyse de la séquence temporelle du rite de passage. Pour ce type d’événement, on trouve en premier lieu le temps des préparatifs, généralement pris en charge par les collègues et amis qui s’occupent de l’organisation de la réception. Ces derniers conçoivent le bien cuit, préparent le matériel, parent la salle de décorations, apprêtent les mets du repas, font les invitations et diffusent l’information, etc. Dans l’objectif d’une performance rituelle où la mise en scène a une importance centrale, on assiste également à la préparation préalable du spectacle. Les organisateurs préparent ou fabriquent la tribune, ils font des répétitions de l’animation, ils aménagent l’espace, etc. Entre-temps, la personne jubilaire s’apprête à quitter son travail. Elle ramasse ses effets au bureau, rédige des courriels de remerciements, choisit sa tenue pour la soirée, etc. Le soir venu, on peut désigner le début de la soirée comme le temps de l’accueil. À cette heure, les invités et la personne fêtée arrivent au lieu de réception et se rencontrent. Les conversations sont libres et spontanées. L’accueil s’accompagne couramment d’apéritifs. Considéré comme un temps libre, il devient pour les invités un temps privilégié d’interactions. Il est facile d’établir un parallèle entre ce moment et celui où les spectateurs prennent place dans une salle de spectacle. Les « invités spectateurs » prennent conscience de l’environnement, se mettent à l’aise et se prédisposent socialement au spectacle à venir. C’est donc un temps associé à l’attente, où l’effervescence de la fête commence. D’ailleurs, plusieurs anticipent la nature du bien cuit par les décorations ou les commentaires des organisateurs. Les préparatifs et l’accueil peuvent correspondre à la phase préliminaire ou encore au stade de la séparation selon la formule de van Gennep. À ce stade de la soirée, le nouveau retraité n’est pas encore mis à l’avant scène ; il se fond dans la masse de ses collègues en participant à un 5 à 7 aux allures jusqu’alors conventionnelles.

Rapidement, l’heure du bien cuit sonne. La tenue d’un bien cuit correspond à la marge ou à l’étape liminaire de la célébration. Cette période est pour le nouveau retraité remplie d’incertitudes, de surprises, d’égarements, car le bien cuit a pour objectif d’ébranler la personne émotionnellement et ce, par l’emploi de différents moyens qui visent à représenter de manière exagérée et dramatique sa carrière et les instants anecdotiques de sa vie. Le bien cuit peut également revêtir la simplicité et se présenter seulement sous la forme d’un discours, car une animation comporte toujours une narration et des modalités de communications dynamiques. De plus, quel qu’il soit, un discours de remerciements incorpore des éléments d’animation afin de garantir l’attention de l’auditoire. L’animation est en soi l’acte performatif. Toute aussi diverse qu’elle peut être, l’animation fait interagir un ensemble de symboles et de références afin d’offrir un moment significatif au retraité. Précisons que cette période de marge se déploie au-delà de l’animation employée lors de la fête. Le voyage qui suit occasionnellement un départ à la retraite participe également à la liminarité de la marge. Plusieurs des informateurs rencontrés considèrent leur voyage comme l’inauguration de leur retraite : « On a hâte de prendre notre retraite pour concrétiser notre projet de voyage » (Paul). Alimenté par un besoin d’ailleurs, de repos, de divertissements et surtout le besoin de rompre avec la routine quotidienne, le nouveau retraité se marginalise lui-même en quittant son environnement familier. Le voyage est ainsi une stratégie mise en branle par l’individu afin d’apprivoiser son passage au statut de retraité.

Un départ à la retraite est certes un passage important pour le retraité, mais il est également une séparation vécue par son entourage. Lors d’une prise de retraite, les réseaux relationnels professionnels sont ébranlés par ce départ. Le deuil d’un départ du milieu de travail est donc tout autant ressenti par les collègues que par l’ancien employé. Dans ce contexte, la commensalité présente habituellement dans ces fêtes joue un rôle important dans la réussite du passage à la retraite:

Un groupe, une communauté, une entreprise se réunissent pour fêter certains de leurs membres. Sous le caractère a priori festif, octroyé par la convivialité de rigueur, règne en fait un ordre très précis, sous l’égide duquel l’ensemble de la cérémonie, marquée dans le temps et dans l’espace, est organisé. La « façade » et les préséances sont importantes, une mise en spectacle tacite, mais finalement assumée s’impose, la médiation met de l’avant des codes assumés, de convivialité, de partage, de gratitude … Le caractère agonistique sous-jacent caractérisant nombre de rapports professionnels est mis entre parenthèses, la communauté joue la mise en scène de sa complétude.

Lardellier 2003 : 81

Considérées comme un rite de commensalité, les fêtes de départ à la retraite permettent aux employés de l’organisation de souligner leur camaraderie et renforcer leur cohésion sociale. Liées au renouvellement des ressources humaines d’une organisation, où les novices côtoient les expérimentés, ces célébrations participent à unifier le groupe des travailleurs. Ainsi, en partageant ces réjouissances, la communauté professionnelle se redéfinit socialement. Elle compose avec ces chamboulements dans les réseaux relationnels, ce qui l’aide à franchir cette transition. Les repas et apéritifs de ces cérémonies participent donc à l’agrégation du milieu professionnel entier.

L’étape d’intégration du retraité à son nouveau statut se complète généralement durant l’après-fête. Lors d’un passage à la retraite, cette phase est directement liée à l’arrêt de travail. À cette étape, les nouveaux retraités choisissent une période de repos, soit un « congé forcé » (Johanne). La période d’agrégation s’accomplit définitivement lorsque le retraité retrouve un état d’équilibre dans son quotidien. Cet état d’équilibre nous a été relaté par les informateurs de diverses manières, mais principalement par la concrétisation de plusieurs projets. Ils entretiennent leur résidence et leur terrain. Ils s’adonnent à plusieurs activités de bénévolat. Parfois, ils accomplissent encore quelques contrats à temps perdu : « C’est une espèce de pratique intellectuelle » (Richard). La période d’agrégation ne peut être complète sans la continuité des relations sociales qu’ils entretiennent avec leurs anciens collègues. Aussi, tous les informateurs rencontrés affirment avoir gardé contact avec d’anciens collègues et amis.

Le spectacle d’un départ à la retraite

Si certains rites actuels tendent vers des formes plus souples, volontaires et intimes, le cas des rites de passage à la retraite semble aller dans une tout autre direction. En effet, à l’instar des rituels traditionnels, la célébration des départs à la retraite s’affirme sans équivoque comme un acte public à caractère collectif. Cette cérémonie va pourtant souligner un temps biographique d’une trajectoire individuelle. Pour ce faire, la communauté professionnelle va procéder à la mise en oeuvre d’un dispositif rituel qui va octroyer du sens à ces départs à la retraite. C’est le regard collectif des participants qui va légitimer le processus rituel dans son ensemble (Lardellier 2003 : 184). Aussi, le langage des rituels contemporains tend de plus en plus à adopter celui du spectacle (Villadary 1968 : 46). En intégrant des animations dans sa logistique, le rituel se loge dans la performance. Dans cette perspective, les fêtes de départ à la retraite sont indissociables d’une représentation scénique. Mais quelles sont les particularités et les ressources de cette performance ?

L’espace-temps d’une performance

Les organisateurs des fêtes de départ à la retraite s’attachent à la mise en scène d’un décorum cérémoniel. La performance rituelle s’entame par l’aménagement d’un espace apte à la représentation. Cet espace rituel peut prendre plusieurs configurations : il peut se matérialiser simplement par une scène, se rapprocher d’une salle de projection ou d’exposition, mettre en valeur un chevalet, délimiter un espace libre par des ballons ou des décors divers, etc. Cette étape consiste à démarquer l’espace par des signes distinctifs de festivités et de rassemblement. Se placer en cercle autour de l’action est également une manière de marquer l’espace car cette position évoque en quelque sorte une arène publique. Cette rupture de l’espace quotidien (Villadary : 49) est d’autant plus signifiante lorsqu’elle prend place dans les locaux de travail. On attribue soudainement une fonction différente à l’endroit. Il devient un lieu de divertissements.

Quand on assiste à ce type de performance rituelle, on remarque que le temps est généralement codifié. La durée de l’animation est prédéfinie par une certaine scénarisation de l’action, ce que l’on peut considérer comme une dramaturgie rituelle. La pièce de théâtre a été préalablement écrite, les stations du rallye ont été préconçues, les étapes de la procédure prédéterminées, etc. Aussi, le scénario est l’élément moteur du bien cuit : il préétablit les règles et les codes de fonctionnement du spectacle tout en déterminant son déroulement. Un canevas planifié, mais ouvert aux spontanéités, permet la réussite d’un bien cuit :

 Il ne faut pas que cela soit trop structuré et sérieux. Il faut laisser aux gens le temps de rire … Quand quelque chose ne marche pas comme prévu c’est souvent aussi drôle. On n’est pas des professionnels … On est là pour s’amuser et rire de soi.

Johanne

Les modalités de la fête-spectacle

Les fêtes de départ à la retraite correspondent à un type de ritualité festive dont la dimension spectaculaire joue une place prépondérante, ce que Agnès Villadary nomme « la fête-spectacle » (1968). Généralement, lorsque qu’une présentation commence, l’ambiance a son importance : « La salle est réchauffée. On est tous impatients de voir le bien cuit » (Marc). L’atmosphère de fête est donnée principalement par la décoration et la nature du lieu où se déroule la réception. L’alcool participe également à cet état d’esprit. Quelquefois, une « musique entraînante » joue en arrière-fond lors de l’accueil des invités (Johanne). L’environnement doit tout de même être apte à capter l’attention du public. Un signal de départ est essentiel dans ce contexte. Dans les grandes réceptions, on tamise l’éclairage pour avertir le commencement éminent de l’animation (Marc). Dans le bien cuit de Charlotte, les deux animateurs produisent un vacarme à l’aide de casseroles. Dans une fête moins formalisée comme celle de Paul, un simple appel à haute voix permet d’obtenir le silence des invités et l’attention désirée.

Dans ce type de « fête-spectacle », l’enjeu de l’animation déployée est principalement de rendre hommage au membre du personnel qui s’apprête à quitter le milieu du travail. Ces hommages sont relativement élaborés selon les occasions et la personnalité du jubilaire. La prise de parole par un discours demeure le moyen le plus simple et efficace pour témoigner de sa reconnaissance face à un ancien employé (Paul). Toutefois, si la représentation est fortement théâtralisée, les objets interpellés pour la manifestation en cours répondent à la thématique choisie pour le bien cuit. Entre autres, les costumes influencent fortement la mise en scène. Johanne relate son bien cuit dont la thématique était la vache : « Mes collègues savent que j’aime les vaches. [Les invités] étaient tous costumés tachés en noir et blanc … On retrouvait de la vaisselle illustrant de la peau de vache, des ballons en vache … Les jeux avaient tous rapport avec ce thème. J’étais la seule en rouge, car je représentais le taureau. Ça fait illusion à mon caractère déterminé » (Johanne). Marc, qui a organisé une quinzaine de bien cuit pour les départs à la retraite de ses collègues, relate l’importance des décors et des accessoires lors de la représentation. Il mentionne l’exemple d’une pièce de théâtre sur le thème de la pêche :

On avait monté une cabane à pêche sur la glace .… On faisait comme s’il y avait un lac et on avait mis des chaudières d’eau cachées par un carton… Dans une chaudière, on avait même mis un poisson accroché au bout d’une ligne. On pêchait tout le temps et un moment donné ça mord ! On sort une canne de boissons. On pêchait toutes sortes d’affaires en lien avec la personne. Et les pêcheurs racontaient la vie de celui qui était retraité sous forme d’histoires de pêche.… Il y avait aussi un cadeau caché quelque part dans le décor. C’était une canne à moucher.

Marc

D’autres objets sont utilisés pour mener à bien le projet d’un bien cuit et réussir à personnaliser un hommage à un collègue. La photographie est pour cette occasion incontournable. Partie prenante des animations, elle est utilisée par les différents acteurs pour sa valeur de témoignage. Elle devient ainsi un moyen de représentation hautement symbolique. Rappelons que Roland Barthes attribuait à la photographie un pouvoir iconique et évocateur. Selon lui, elle pouvait faire revivre « ce qui a été » (Barthes 1980 : 176). Durant le spectacle, les photographies sont mises en valeur de différentes manières. Elles peuvent être affichées sur les murs, animées dans un diaporama numérique, exposées dans des cartes de souhaits, etc. Leur présence est continuelle, particulièrement par le biais des cadeaux que reçoivent les nouveaux retraités ; pensons notamment à l’album-souvenirs de Paul. Dans ce dernier cas, elles symbolisent des memorabilia. Incarnation matérielle de souvenirs, ces images « expriment, plus qu’elles ne décrivent, des situations, des liens, parfois même des sentiments, mais surtout la cohésion et le bonheur » (Rouillé 2005 : 243).

La distribution des rôles

Lors de l’animation, tous jouent un rôle particulier. Le maître de cérémonie est le principal acteur de la performance rituelle. Habituellement, les personnes qui détiennent ce titre sont tout autant les organisateurs du bien cuit que les animateurs. Le maître de cérémonie établit la logistique de la soirée, présente les différents numéros, dirige et coordonne les activités qui s’y déroulent. De l’orchestration d’une chanson à une remise de prix, en passant par l’animation d’une rétrospective ou la remise de cadeaux, le présentateur s’adapte à toutes les situations d’animations de la soirée. Il joue le rôle traditionnel de l’officiant. Le rôle incontournable dans ces animations est celui du nouveau retraité. On fait appel à lui comme la « vedette » du spectacle. Précisons que le retraité est le personnage principal de ces spectacles mais non l’acteur. Ce personnage prend vie par le récit de la présentation. Dès lors, le jubilaire devient un héros qui se produit dans un monde parallèle au sien. Dans cet univers, le personnage principal (le retraité) est esquissé en quelques traits généraux : sa personnalité, son physique, ses goûts, ses manies, ses contributions, etc. Parfois une seule facette de l’individu est mentionnée, particulièrement lorsque que l’on retrouve uniquement un discours honorifique comme pratique rituelle. Néanmoins, le retraité expérimente affectivement une représentation de soi en observant la mise en scène. Le fêté est donc un spectateur qui subit l’action, au même titre que les autres invités.

La plupart des invités sont plus que de simples spectateurs de la scène. Ils participent à la réussite de l’hommage par leurs réactions, rires et exclamations :

Ils remplissent en fait à certains égards la fonction allouée au choeur antique dans les tragédies grecques, qui scandait la dramaturgie, disait ce qui devait être, ce qui allait être, et dont la présence était indispensable.… Ils sont des spect-acteurs.

Lardellier : 185

Le dialogue continuel entre le regard du public et celui de l’invité d’honneur est essentiel au succès de la représentation. Selon Lardellier, les spect-acteurs, par leur vision et interactions, sont garants de l’authenticité de ce que le retraité expérimente « rituellement », soit de l’efficacité rituelle qui se joue sur la scène. Les spect-acteurs, par leurs présences engagées, témoignent de la cérémonie et légitiment le rite rite rite.

Parfois, certaines personnes produisent par contre des débordements festifs, hors des normes de la présentation, qui gênent le public. Ces débordements chambardent les règles de convenance socialement établies lors de ces occasions publiques. Par exemple, il arrive couramment qu’une personne soit dévisagée par les autres en raison de son rire fort et peu banal. Aussi, un spectateur qui commente à haute voix l’action en scène sera poliment rappelé à l’ordre et on lui demandera de rester silencieux tandis qu’un spectateur qui plaisante sur son employeur sans que l’animation ait initié la démarche provoquera un malaise dans l’assistance. Les débordements festifs nuisent au bon déroulement du bien cuit dans la mesure où ils déplacent le centre de l’attention en dehors de la représentation en cours. Cependant, ces débordements festifs, considérés comme naturels et spontanés lors des fêtes de départ à la retraite, peuvent parfois être encouragés par le caractère interactif du spectacle. D’ailleurs, un bien cuit permet régulièrement un renversement des rôles hiérarchiques, particulièrement quand le futur retraité est un cadre supérieur :

 Nous avons inclus notre patron dans le sketch pour qu’il joue le rôle du professionnel. Il doit en un temps limité réussir différentes tâches de travail … Une personne lui donne des ordres et critique toujours ses résultats … Il faut qu’il ait le sens de l’humour, sinon… [rires].

Marc

La rhétorique du bien cuit : un art d’accompagnement.

Dans le cadre des festivités des départs à la retraite, la mise en scène déployée par les collègues de travail joue le rôle de système communicationnel. Ce dernier est compréhensible par la lecture de la performance rituelle et ludique qu’elle met en acte. Rappelons que l’objectif affirmé de ces pratiques rituelles est d’honorer le retraité, tout en divertissant le public de la fête. L’utilisation récurrente d’une animation pour souligner cette étape permet dès lors d’établir une communication dynamique entre les locuteurs et le destinataire de cette performance.

La performance rituelle procède comme un programme de fiction, une dramaturgie, qui compte sur un procédé inspiré du portrait. De cette manière, elle vise à mettre en valeur « la vedette » de l’événement par différentes stratégies. Par exemple, la procédure de Richard « doit nécessairement tenter de couvrir l’ensemble des facettes et personnalités de la personne retraitée » (Coll. C.A.). Le bien cuit de Charlotte trace son portrait en soulignant ses goûts, sa joie de vivre et son caractère. La majorité des bien cuit utilise comme dispositif un diaporama, une rétrospective, une pièce de théâtre, une chanson, un discours, ou un jeu de rôles comme canevas de leur hommage. « Le bien cuit c’est quand on commence à voir la personne à travers son thème » (Johanne). La narration relate les principaux événements, les anecdotes, les succès. Le récit, qui se veut un tant soit peu biographique, est fictif vu l’exagération et la fantaisie déployées pour le mettre en scène. Il est également en rupture avec le quotidien des salariés en raison de l’extravagance et de la dramatisation des péripéties racontées. L’extravagance et l’originalité des bien cuit sont bien illustrées par celui organisé pour Johanne, qui, selon la thématique des vaches, devait rester dans « le coin du ruminage (enclos en carton) et de la fausse pelouse pour ceux qui veulent venir me parler » (Johanne). Par le déploiement de tous ces artifices spectaculaires, l’histoire racontée devient aux yeux de l’assistance un véritable événement. Le retraité est invité pour sa part à éprouver ce portrait positif et ludique de lui-même.

Dans ce contexte, la performance rituelle permet une manipulation du temps. Elle offre à l’assistance un retour au passé et encourage l’individu à effectuer un travail réflexif sur sa carrière et son nouveau statut de retraité. En ce sens, les bien cuit sont de véritables rituels d’accompagnement. Le sens alloué par les jubilaires à de telles festivités se loge dans la reconnaissance du travail accompli. Ces hommages donnent « de la valeur à sa carrière … Ils reconnaissent notre implication à notre travail » (Johanne). Les bien cuit permettent aux retraités de donner sens à leur passé pour mieux entrevoir l’avenir. Ils permettent de combattre l’angoisse face à ce changement de statut social, car l’orchestration de tels spectacles est rattachée à différentes valeurs d’amitié, de camaraderie, de fierté du travail accompli, de « solidarité d’entreprise » et d’intégration. Affirmer la reconnaissance et la valeur de l’employé permet en quelque sorte à ses collègues de lui manifester et de lui expliciter symboliquement son appartenance ad vitam aeternam à l’organisation. La personne est introduite à la retraite « comme au temple de la renommée » (Marc). L’individu réussit ainsi la derrière phase de son intégration dans la communauté professionnelle. Il ne quitte pas seul son milieu de travail.

Dérision, humour et ambiguïté

À la lumière de ces témoignages, nous remarquons l’omniprésence du registre de l’humour dans les rituels de départ à la retraite. L’humour est dans ces festivités un moyen symbolique et langagier de souligner l’importance du nouveau retraité. Il est partie prenante de la dramaturgie déployée par la performance rituelle. Quel est son rôle exactement ? Victor Turner affirmait que l’humour participe pleinement de la liminalité du rituel. Sa réflexion sur la performance rituelle insistait sur la dimension d’ambivalence introduite par la liminalité qu’il considère comme essentiellement ludique (Piette 1997 : 7). Mathieu Deflem décrit bien la composante ludique de la liminalité :

Ludic deconstruction and recombination of familiar cultural configurations, which refers to the exaggeration or distortion of the characteristics of familiar articles in the sacra ; familiar objects are often presented in distorted, deviant or grotesque forms (in smaller or larger shape, in other colors) ; these representations force the ritual adepts to think about their society ; they provoke the ritual subjects to reflect on the basic values of their social and cosmological order.

1991 : 14

La phase liminaire des rituels implique en général des événements ludiques, de l’ambiguïté, du désordre, de l’inversion, des revirements ou de comportements bizarres ou spontanés. (Arsenault 1999 :7). L’humour peut ainsi jouer plusieurs fonctions. Ronald L. Grimes, dans Deeply Into the Bones, explique : « Because life passages can be threatening, they beg for humor. In the county where I live, farm people do not use the phrase “rites of passage”; rather, they joke about “hatching, matching, and dispatching.” They know that the most troubling occasions are also the most human and in need of levity » (Grimes 2000). Quand l’humour permet la distraction dans les moments difficiles, car il possède généralement une connotation positive, il est peut-être associé à un réflexe d’autodéfense de la part du retraité qui nie son passage à un autre statut. Ainsi, il joue un rôle de dédramatisation de la transition. « C’est difficile de dire au revoir, alors on aime mieux rire que pleurer. Ça rend tout le monde plus à l’aise » (Coll. C.A.). Pourtant, à la suite de nos observations, la retraite paraît aujourd’hui sentie comme un événement plus positif que négatif.

L’humour est employé principalement lors de la performance rituelle pour mettre en scène le retraité. On la retrouve dans l’originalité des costumes, le grotesque des accessoires, l’extrême franchise des commentaires et principalement l’autodérision des animateurs : « Quand on participe à ces fêtes, il ne faut pas avoir peur du ridicule » (Marc). Il joue continuellement sur un registre de l’ambiguïté, d’où l’esprit de la formule « bien cuit ». Par exemple, l’expression « prendre congé de toi » est une formule langagière utilisée régulièrement lors de ce type de festivités. Elle insinue une impression contradictoire d’estime et de dépréciation de la personne. Ainsi, l’humour permet de mettre en images des réalités multiples, dont celles de zones d’ombres. Sur une gamme variée allant de la simple blague au sarcasme, il offre l’occasion de faire et de dire publiquement ce qui est habituellement perçu comme non convenable socialement. L’humour renforce l’euphorie et le consensus entre les participants : « Tu comprends que l’on a bien du fun et que l’on est tous ému de se retrouver » (Johanne). Jean Duvignaud affirme que l’humour est « explosion éphémère sans doute et qui ne sert à rien comme le plaisir, le bonheur, la volupté, “ il participe ” comme la dérision, le grotesque à la même connivence, celle de bouleverser l’ordre du monde par une seconde, si brève soit-elle d’hilarité » (1985 : 13). En proposant un reflet déformé de la réalité et une dérision des personnages, l’humour permet l’émergence éphémère et magique de moments de vérité et d’impressions de vie.

Les fêtes de départ à la retraire sont une pratique rituelle encore méconnue de la littérature scientifique. Cette forme de festivité contemporaine semble pourtant vouloir s’implanter et perdurer dans les différents milieux de travail. En plus de proposer un témoignage et une marque de reconnaissance, cette pratique rituelle offre également aux employés d’une organisation l’occasion de se retrouver et de faire abstraction des tâches quotidiennes dans un contexte particulier de fête. Ces réceptions données en l’honneur de nouveaux retraités sont toutefois polymorphes. Elles tendent à se ritualiser de manière informelle, selon la situation de départ à la retraite, le contexte social de l’organisation et les préférences personnelles des jubilaires. Les festivités de passage à la retraite constituent ainsi une certaine consécration de l’employé. Qu’advient-il des nouveaux retraités qui ne reçoivent pas de fêtes de départ à la retraite? Si les fêtes de départ à la retraite concrétisent symboliquement l’intégration de l’individu à la communauté professionnelle, elles facilitent également le deuil du départ de l’employé. En jouant ainsi un rôle d’épilogue, la performance rituelle associée aux départs à la retraite participe à la réussite de cet important passage de la vie individuelle.