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Grave Undertakings : An Archaeology of Roger Williams and the Narragansett Indians. Patricia E. Rubertone, (Washington et Londres, Smithsonian Institution Press, 2001, 248 p., inventaires, plans, illustrations et index, ISBN 1-56098-975-0).[Notice]

  • Laurier Turgeon

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  • Laurier Turgeon
    Célat, Université Laval

Ce livre de Patricia Rubertone intéressera autant les archéologues et les anthropologues que les historiens et les littéraires de l’histoire coloniale de l’Amérique du Nord. Faisant largement appel à l’archéologie et à l’anthropologie, mais aussi à la critique littéraire et aux traditions orales, elle propose de nouvelles manières d’aborder l’histoire et de l’utiliser pour (re)penser les effets du colonialisme sur les Amérindiens. Plus encore, elle fournit des éléments pour l’élaboration d’un contre-discours historique destiné à décoloniser le passé amérindien. En effet, l’auteure se place nettement dans une perspective amérindienne pour essayer de saisir l’histoire complexe des actions et réactions des Amérindiens à la domination coloniale européenne ; une histoire remplie de difficultés, de peines et de misères, mais aussi d’une bonne dose de résistance, d’adaptations parfois heureuses et de survivance. Elle arrête son choix sur l’un des plus nombreux et puissants groupes autochtones du sud de la Nouvelle-Angleterre, les Narragansett, qui, après avoir été alliés aux Anglais, se sont faits massacrer par ces derniers en 1675, au cours d’une guerre destinée à éliminer toute résistance amérindienne en Nouvelle-Angleterre, guerre connue sous le nom de « King Philip’s War ». Diminués et défaits, les Narragansett ont continué à subir les insultes de la colonisation anglaise et américaine jusqu’à aujourd’hui, sans pour autant disparaître. L’étude est axée sur le XVIIe siècle ; toutefois, l’auteure n’hésite pas à remonter dans le temps jusqu’à la préhistoire, pour nous dévoiler toute la profondeur historique de ce groupe, puis à poursuivre en amont l’étude jusqu’au XXe siècle pour mettre en relief les héritages postcoloniaux du colonialisme. L’apport de ce livre est d’abord d’ordre méthodologique. Patricia Rubertone innove en fondant son analyse sur la notion de traduction, plutôt que sur celles plus connues d’acculturation, de transculturation, ou d’interculturation. Elle retient le sens anthropologique du mot traduction, celui de l’interprétation d’une culture par une autre. Plus englobant, le concept de traduction culturelle permet d’élargir les perspectives de recherche sur trois niveaux d’interprétation : la traduction du vécu amérindien dans les textes ethnohistoriques canoniques, la traduction du contenu de ses textes incomplets et incertains dans la construction de meta-récits historiques, la traduction de ces récits dans la construction d’une mémoire collective nationale qui perpétue les revendications coloniales sur le territoire et les ressources naturelles. L’approche vise donc à éclairer de manière critique les relations interculturelles dans le contexte colonial et à saisir les manières dont on en a rendu compte. L’auteure nous rappelle que, trop souvent, les textes ethnohistoriques servent non seulement à décrire des cultures d’origine et à construire des méta-récits historiques, mais aussi à interpréter les sites archéologiques de contacts et même ceux de la période pré-contact. Leur influence est grande tant en amont qu’en aval du temps des premiers contacts. La traduction traite donc autant des relations du temps (passé-présent) que des relations interculturelles (Amérindiens-Anglais). L’auteure part du présent pour voir comment ce présent a été construit par le passé. Sa démarche se veut aussi réflexive, toujours soucieuse de mettre à distance ses propres interprétations et consciente des difficultés que pose la mise en texte du vécu amérindien. Patricia Rubertone nous offre ensuite de nouvelles manières d’analyser et d’intégrer les informations textuelles et matérielles. Au lieu de recourir à l’archéologie pour simplement compléter les textes ethnohistoriques (récits de voyage, mémoires, histoires, biographies), soit de les engraisser d’un substrat matériel dans le but de construire une histoire amérindienne pleine, elle renverse la perspective en s’inspirant de la démarche archéologique pour déconstruire ces textes et leurs usages afin d’éclairer le processus du colonialisme dans la longue durée. Il s’agit d’un véritable travail d’archéologie sur la construction …