Reviews / Comptes rendus

Des visages. Essai d’anthropologie. Par David Le Breton. (Paris, Anne-Marie Métailié, collection « Suites Sciences Humaines », 2003 [1ère édition 1992]. 334 pages, ISBN 2-86424-467-5.)[Notice]

  • Aggée Célestin Lomo Myazhiom

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  • Aggée Célestin Lomo Myazhiom
    Université Marc Bloch
    Strasbourg

Poursuivant son investigation sur l’intégration et le rapport du corps humain à la société, David Le Breton nous convie dans cet ouvrage à une approche originale du visage, en tant que manifestation singulière de notre aspect d’Homme et de notre rapport à autrui. Dès l’introduction, le ton alerte de l’ouvrage est donné. L’auteur cherche d’emblée à écarter tout malentendu et à inscrire le canevas de son étude sur les visages. Il va à l’encontre des méthodes physiognomoniques de compréhension du visage : « la recherche présentée ici est une tentative de déceler les significations, les valeurs, les imaginaires associés au visage, une manière de répondre à la fascination qu’il exerce, non pour en déflorer le secret, mais pour découvrir combien il se dérobe. Contrairement en cela aux physiognomonies qui renaissent régulièrement de leurs cendres pour énoncer enfin une prétendue vérité du visage par un contestable art du soupçon, l’anthropologie aboutit plutôt au constat du mi-dire, du chuchotement de l’identité personnelle » (9-10). Dès lors on saisit le sens du sous titre : Essai d’Anthropologie. Pour David Le Breton, l’approche anthropologique permet de traverser les visages qui s’offrent à nous sans pour autant avoir l’impression de les schématiser, de les enfermer dans un carcan : « Le visage, écrit-il, révèle autant qu’il masque. Si l’on ne veut pas dissoudre “ce je ne sais quoi et ce presque rien” qui fait la différence d’un visage à un autre, il convient de cheminer avec “un esprit de finesse” plutôt qu’avec “un esprit de géomètre” » (10). Chaque visage est à la fois unique et porteur du culturel et du social, dans lesquels il puise et s’identifie : « l’homme n’est pas seul à habiter ses traits, le visage des autres est là aussi, en transparence ». Interrogeant les saintes écritures pour expliquer l’invention du visage, David Le Breton souligne que le visage est privilège humain. Dieu, dans la tradition judéo-chrétienne ou islamique, n’a pas de « Visage ». Car Dieu, Être infiniment transcendantal, ne peut être réduit à un visage unique : il a tous les visages. C’est pourquoi les traditions religieuses s’opposent à toute représentation de Dieu. Mais que disent les traditions religieuses des images du Christ ? Évoquant la question à travers la mouvance orthodoxe de l’icône, Le Breton fait savoir que « si en figurant Jésus, elle donne à voir le visage humain de Dieu, elle ne représente en rien un portrait, ni même une approximation » (20). Le visage de Dieu que figure l’icône n’est que le signe spirituel de sa reconnaissance. Il évoque son mystère et non « la matérialité d’un visage ». Interrogeant l’histoire du Moyen Âge et de la Renaissance européenne, David Le Breton traite de la naissance du portrait à travers le processus d’individualisation. Lorsque l’individu affirme sa singularité, la puissance et l’unicité de son « Je », il importe qu’il matérialise sa différence à travers le portrait. Le visage n’est plus une simple partie du corps humain mais un moyen d’affirmation sociale. Le portrait n’est plus le moyen de lutter contre l’oubli. Outil de pouvoir, de puissance et d’autorité, il devient le « privilège d’hommes que leur fonction (rois, papes, hauts dignitaires de l’Église et du Royaume) met au-delà de leurs contemporains » (30). La peinture européenne au Moyen Âge bénéficie énormément de l’implantation du portrait dans les moeurs sociales. Autres facteurs d’individualisation : le miroir et la photographie. Le miroir, précise Le Breton, en restituant une image fidèle du visage est « un vecteur de choix de l’apparition du sentiment de soi ». Il permet aussi à l’acteur, grâce à …