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Commencer son parcours, construire son autonomie, apprivoiser son statut d’adulte, voilà sur quoi se penche le collectif Les jeunes adultes et leurs parents. Autonomie, liens familiaux et modes de vie dirigé par Emmanuelle Maunaye (Université de Tours) et Marc Molgat (Université d’Ottawa). Regroupant dix chercheurs de différents pays (se partageant huit chapitres) intéressés par les questions relatives aux jeunes et/ou à la famille, cet ouvrage ne vise pas à une « théorisation » sur la jeunesse actuelle, mais se veut une sociologie par les jeunes. Cette nuance est importante, car elle constitue le nerf de leurs assises théoriques : ici, les jeunes ne sont plus marginalisés par une certaine conception du « passage ». Au contraire, les auteurs adoptent un parti pris microsociologique pour le sens qu’octroient ces jeunes (et) adultes à leur expérience de l’autonomie et de la dépendance. Le lecteur entre ainsi dans toute une sphère de choix individuels, de parcours individualisés, de progressions non nécessairement désynchronisées. Or, et là réside tout l’intérêt de ce collectif, cette tendance à l’individualisation ne se soustrait pas aux relations familiales. Bref, comme l’indique l’introduction de ce collectif, « cet ouvrage se veut dans cette perspective une réflexion sur les rapports entre les jeunes adultes et leurs parents au cours du passage à la vie adulte dans différentes sociétés » (5).

Le premier chapitre, « Le jeune adulte producteur de nouvelles relations dans la cohabitation intergénérationnelle. Étude de cas en France », se penche sur le thème de la cohabitation entre les jeunes adultes et leurs parents. Elsa Ramos (CERLIS, CNRS-Paris V), s’appuyant sur cinquante expériences de cohabitation intergénérationnelle, démontre que les processus d’autonomisation et d’identité personnelle chez les jeunes adultes peuvent bel et bien se vivre progressivement chez les parents : cet espace devient un lieu de négociation et d’expérimentation. Dans le deuxième chapitre, « Pourquoi quitter père et mère ? Ruptures et continuités dans les motifs du départ du foyer parental au Canada », Marc Molgat explore la décohabitation par des données quantitatives et qualitatives (entretiens réalisés auprès de 58 jeunes québécois et canadiens à faible revenu). Il met en lumière l’évolution récente des motivations invitant les jeunes adultes à quitter le foyer familial, ainsi que le sens que cela prend pour eux ; désirer autonomie et indépendance est désormais une raison d’importance pour les protagonistes. Sue Heath (Université de Southampton), dans le troisième chapitre, « Retour aux sources. L’attrait du foyer parental en Grande-Bretagne », se concentre également sur la décohabitation. Cependant, c’est l’ambivalence même du foyer familial, entre la reconnaissance de l’indépendance résidentielle et le maintien des liens familiaux, qui pique son intérêt. Par l’analyse de 77 entrevues, l’auteure démontre toute la complexité des rapports parents-enfants chez les jeunes adultes. Décohabitation et affirmation de son individualité sont, pour Paola Rebughini et Monica Santoro (Université de Milan), dans le chapitre « Entre instrumentalité et affectivité. La transformation des rapports entre les jeunes et leurs parents en Italie », une réalité qui ne semble pas s’observer dans les résultats d’une recherche effectuée à Milan. En effet, les auteures remarquent une faible autonomie des jeunes, causée, entre autres, par le prolongement de la cohabitation intergénérationnelle, par les relations familiales (caractérisées par la protection), mais aussi par les mutations culturelles, économiques, voire politiques.

L’insertion professionnelle, qui peut également se comprendre comme porteuse d’autonomie et d’adultéité, fait l’objet des cinquième et sixième chapitres. Celui rédigé par Ram Christophe Sawadogo (Université de Ouagadougou), « Les trajectoires d’évolution des jeunes burkinabè vers l’âge adulte. Alternatives et interrogations », propose un contre-exemple, celui du Burkina Faso. Ce pays se retrouve devant le double défi du développement économique et éducatif national et de la responsabilité familiale. Selon l’auteur, les jeunes burkinabè, exempts de cadres de référence, se retrouveront devant un avenir sombre. Quant à Jean-François Guillaume (Université de Liège), signant le sixième chapitre, « Des jeunes belges entre le désir de reconnaissance et l’exigence d’autonomie », il se penche sur la transmission intergénérationnelle de valeurs, de patrimoine, qui, individualisée, participe à la compréhension de l’insertion professionnelle et, par extension, de l’entrée dans l’âge adulte. Cependant, cette individualisation menant à une réaffirmation de soi peut créer des tensions avec les valeurs éducatives.

Avoir un enfant peut également devenir un fait saillant dans l’acquisition de son statut d’adulte. Johanne Charbonneau (INRS-Urbanisation, culture et société), dans « La maternité adolescente au Québec. Une mise à l’épreuve des rapports entre la jeune mère et ses parents », soutient que ce bouleversement secoue l’environnement familial ; elle tente d’élucider la réaction des parents, particulièrement celle de la mère, face à la décision de garder l’enfant. En contrepartie, l’aide parentale redéfinit substantiellement les rapports intergénérationnels, voire constitue une menace à l’autonomie des adolescentes nouvellement mères. Vincenzo Cicchelli (Sorbonne-Paris V), dans le huitième chapitre de ce collectif intitulé « De fille à mère. Transformations des rapports entre les générations et définition de l’adultéité à la naissance du premier enfant. Enquête en Île-de-France », esquisse un tout autre portrait de l’arrivée d’un enfant dans le passage à l’autonomie. En effet, même si cela redéfinit les relations entre les jeunes adultes et leurs parents, l’auteur ne voit pas en cet événement le passage à un statut d’adulte. Les quatre entretiens séquentiels, ouverts à des définitions plus approfondies de soi, tendent à montrer que, même assujettis à une rupture biographique (dans ce cas, l’arrivée d’un enfant), différents statuts peuvent coexister chez les jeunes.

Une courte conclusion des directeurs de ce collectif réussit à solidifier à nouveau l’intérêt scientifique d’un tel ouvrage. Ce dernier contribue à édifier une sociologie de la jeunesse vue de l’intérieur, dans une sphère privée, et pousse plus loin la réflexion autour de la construction progressive de l’autonomie chez les jeunes adultes. Le choix thématique de ce collectif était risqué : un sujet vaste et individualisé, une jeunesse en mal de définition, un large éventail de données et de groupes interrogés. Il aurait été facile de trouver ce « voyage dans la sphère privée des jeunes adultes » (223) peu ressourçant… Heureusement, la ligne directrice du collectif a été (la plupart du temps) respectée par les contributeurs, s’inscrivant tous en recherches sociales. De ce fait, l’Institut québécois de recherche sur la culture signe un autre ouvrage de qualité. Il aurait été cependant bienvenu de voir s’exprimer sur cette problématique des scientifiques d’autres horizons disciplinaires. L’ouvrage, qui mérite son statut de collectif, devient néanmoins un incontournable pour tous les scientifiques touchant de près à la sociologie de la jeunesse, au passage à la vie adulte et/ou encore, aux rapports intergénérationnels. Qui plus est, soucieux de la clarté du vocabulaire et des concepts, le collectif Les jeunes adultes et leurs parents. Autonomie, liens familiaux et modes de vie peut facilement rejoindre tous les jeunes adultes (et ceux qui l’ont été) et bien entendu leurs parents, cherchant des réponses à leurs préoccupations.