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Gradhiva. Revue semestrielle d’anthropologie et de muséologie, numéro 1, nouvelle série. Dossier Haïti et l’anthropologie. (Paris, Musée du Quai Branly, mai 2005. Pp. 272, ISBN 2-915133-08-5)[Notice]

  • Marie Meudec

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  • Marie Meudec
    Université Laval
    Québec

Belle transition pour cette nouvelle série de la revue, publiée précédemment par Jean-Michel Place et éditée dorénavant par le Musée du Quai Branly, qui conserve toutefois une structure identique regroupant des essais, études originales, archives — inédites pour certaines — et témoignages d’anthropologues, d’historiens, d’épistémologues, d’historiens de l’art ou de la littérature. Ce double numéro, consacré à l’histoire et aux développements actuels de l’anthropologie en Haïti, débute par trois textes qui s’inscrivent dans une perspective comparative. Le premier est une discussion disciplinaire, au sujet de « l’entre-deux » reliant l’anthropologie et l’histoire, de Marcel Detienne, qui avance des propositions de réponse à la question « Comment comparer l’incomparable ? », abordant en ces termes la quête d’un « comparatisme expérimental et constructif » du politique ; comparatisme que le deuxième pourrait qualifier de « géographique », entre Haïti et la France, et ce à partir d’une conférence donnée par le poète franco-haïtien René Depestre au sujet de son parcours et de son analyse de la société haïtienne ; le troisième est un témoignage de ce même écrivain recueilli par Jean-Luc Bonniol sur les figures de proue en Haïti et le poids de l’anthropologie dans la construction nationale. Adoptant une perspective plus historique et localement située, le dossier établi par Carlo Avierl Célius contient de nombreuses études portant sur la constitution de l’anthropologie en Haïti, nécessairement liée à la question raciale et à la situation politique et religieuse. Que ce soit à partir de récits d’anthropologues locaux tels qu’Anténor Firmin, Jean Price-Mars, Jacques Roumain, Suzanne Comhaire-Sylvain, Jean Chrisostome Dorsainvil, Rémy Bastien, ou étrangers comme Roger Bastide, Michel Leiris, Melville Herskovits, Alfred Métraux, ou d’une institution (Bureau d’ethnologie de Port-au-Prince), le dossier donne la place à une série d’articles questionnant les modes de représentation liés à la création artistique, au vodou — en tant que phénomène religieux, politique et artistique —, ainsi qu’à la culture et à la société haïtienne comme lieux d’investigation anthropologique. Paradigme au fondement de l’anthropologie, la problématique de la race est présente en Haïti dès les premiers temps de la construction coloniale du Nouveau Monde. Adoptant cette perspective, Carlo A. Célius montre ainsi que la discipline anthropologique peut être considérée comme « consubstantielle à l’histoire d’Haïti ». Dès lors, les concepts fondateurs de l’ethnologie doivent être explicités si l’on veut comprendre en quoi cette vision du monde constitue « la formation discursive dominante du XXe siècle haïtien ». Quant aux liens entre création artistique et espace discursif des ethnologues en Haïti, ces domaines nécessitent tous deux une recontextualisation au sein du paradigme évolutionniste de départ, lequel s’est déplacé progressivement, au sein de l’avènement d’un « art naïf », d’une conception civilisationnelle de l’altérité au primitivisme, tel que conçu par l’anthropologie puis élargi à l’univers esthétique. Par la suite, Rachel Beauvoir-Dominique nous fait découvrir la collection privée rassemblée depuis 1980 par Marianne Lehmann, analysant sa portée indubitablement ethnologique et esthétique, et retrace l’origine de ce véritable trésor d’objets de culte vodou et makaya, reflet d’un « foisonnement rituel et mythologique ». Les recherches sur le vodou, souvent fortement empreintes de représentations et de préjugés (allant de la « satanisation », la dénégation et la pénalisation à la folklorisation ou la reconnaissance), sont réanalysées par Laënnec Hurbon sur la base d’une généalogie des statuts associés au vodou depuis la période coloniale esclavagiste, resituant ainsi le phénomène tant dans ses dimensions religieuses, économiques, culturelles, qu’identitaires, historiques et politiques. Au travers de l’étude de la littérature sociologique et anthropologique portant sur Haïti, principalement centrée sur le vodou, Kate Ramsey s’intéresse à la période de l’occupation américaine (années 1930 et 1940), et …