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[Un jardin communautaire] c’est comme un îlot. C’est pareil comme si on était sur la mer dans la tempête, il y aurait un îlot tranquille et puis on s’en irait là.

Rémy

L’espace, comme objet d’étude en anthropologie, acquiert un intérêt croissant. Face aux processus de mondialisation et de globalisation, l’image des groupes humains « incrustés » dans un seul et unique environnement ou rassemblés sous de prétendues « aires culturelles » est inévitablement confrontée à celle d’un nouveau nomadisme planétaire intensif des biens, des personnes et des idées. Dans cette nouvelle lorgnette, l’espace n’apparaît plus comme linéaire ou fixe. Éclaté et décloisonné, ses frontières deviennent de moins en moins pertinentes. Depuis les deux dernières décennies, plusieurs anthropologues ont donc été intéressés à conceptualiser et théoriser les forces sociales qui profilent les contours de l’espace et de sa fragmentation. La majorité des travaux récents portant sur l’espace en anthropologie a ainsi contribué à conceptualiser — d’une manière parfois schématique et coupée de la réalité des acteurs — les conditions de migration, d’exil ou de diaspora, d’érosion des frontières et de contestations (Feld et Basso 1996). Dans un contexte où les repères spatiaux sont en mutation, ces recherches visent à montrer que les lieux sont en réalité des productions (matérielles) et des constructions (mentales) culturelles qui sont variables dans le temps et dans l’espace.

Toutefois, des ethnologues ont entrepris récemment d’étudier l’espace différemment. Ils cherchent à documenter la dimension spatiale de la vie quotidienne des êtres humains : les manières par lesquelles chacun apprivoise son environnement et s’y situe. Cet article s’inscrit dans ce dessein. Il s’intéresse aux relations entre gens et ville et à l’expérience spatiale des citadins. Il concerne des lieux urbains contemporains dont l’étude paraît opportune à la compréhension des stratégies spatiales et des conceptions de l’urbanité dont les acteurs sociaux sont porteurs. Considérant l’accent mis depuis quelques années sur la multiplication des lieux vides de sens caractéristiques des mondes contemporains (Augé 1992 ; McDonogh 1993 ; Relph 1993), cette recherche[1] est centrée sur des espaces citadins significatifs pour les gens, c’est-à-dire des lieux qu’ils fréquentent volontairement, apprécient et auxquels ils sont attachés. Dans cet ordre d’idées, l’étude des jardins communautaires[2] montréalais[3] forge le noeud exploratoire de cette enquête afin d’analyser comment, à l’aube du XXIe siècle, des citadins perçoivent, exploitent et habitent leur environnement.

Les jardins communautaires ont pignon sur rue dans tous les quartiers de Montréal. Depuis le milieu des années 1970, ils font partie du paysage et de la vie quotidienne de cette ville, tout en demeurant des espaces marginaux de par leur verdure et leur discrétion[4]. Ces sites de jardinage sont administrés par la municipalité et forment des lieux collectifs où les gens louent de petites parcelles de terre individuelles pour y cultiver — d’une manière autonome et de façon récréative — un potager[5]. Par la culture horticole et leur forme collective, ils génèrent des usages singuliers de l’espace urbain. Ces lieux acquièrent cependant depuis quelques années une popularité inégalée. Regroupant des usagers[6] de tous âges, origines ou classes sociales, ils sont régis par le plus important programme de jardinage collectif en Amérique du Nord qui rassemble environ 10 000 citadins chaque année (Ville de Montréal 2000 : 11). À Montréal, un bon nombre d’habitants semble donc entretenir des rapports particuliers avec ce type de sites.

De ce fait, l’étude de ces espaces, ainsi que des pratiques et des représentations de ceux qui les côtoient, peut nous renseigner non seulement sur leurs significations propres, mais sur l’environnement de la ville en général. Leurs configurations actuelles peuvent nous éclairer sur l’expérience spatiale de la ville contemporaine[7]. Quels sont les éléments constitutifs des rapports qu’entretiennent aujourd’hui les jardiniers montréalais avec ces lieux urbains que sont les jardins communautaires et comment s’articulent-ils ? À travers les pages qui suivent, j’explore donc les rôles que jouent actuellement ces potagers collectifs pour ceux qui les fréquentent ainsi que les éléments contribuant à ce qu’ils deviennent significatifs pour certains citadins. Mais avant de s’engager sur ce chemin, des précisions sur les choix conceptuels et méthodologiques s’imposent.

Comment explorer les lieux?

Depuis quelques années, de plus en plus d’ethnologues cherchent des pistes conceptuelles du côté de la phénoménologie qui met l’emphase sur les expériences, les actions et les interactions effectives et continuelles par lesquelles les personnes et les collectivités viennent à s’identifier et à s’attacher au monde. Adoptant une perspective philosophique et humaniste[8], ces derniers tentent de recentrer l’étude de l’espace en anthropologie sur les manières sensibles et plurielles par lesquelles les gens connaissent, expérimentent, imaginent et habitent leur milieu de vie. Cette perspective vise à pallier les caractères distants et déterministes des approches de la production et de la construction sociale de l’espace[9] en vigueur au sein de la discipline depuis quelques décennies. Bien que la nature produite et construite de l’espace soit reconnue en anthropologie, elle cherche à (ré)introduire dans les analyses les caractères vécus, subjectifs et quotidiens des lieux afin de documenter le rôle des acteurs sociaux dans la constitution de l’environnement.

L’approche phénoménologique correspond à un ensemble d’idées proposées récemment par quelques anthropologues (Feld et Basso 1996 ; Gray 1999 ; Ingold 1996 ; Radice 2000 ; Tilley 1994) qui s’intéressent aux relations que les groupes humains entretiennent avec les lieux. Elle soutient que les rapports entre les gens et les espaces se déroulent au fur et à mesure qu’il y a interaction avec l’environnement, c’est-à-dire qu’elle privilégie l’expérience engagée des acteurs sociaux dans l’élaboration et la perception de leur milieu de vie. Plutôt que de s’attarder uniquement aux productions matérielles et aux constructions mentales de l’espace, les défenseurs de l’approche phénoménologique privilégient donc les pratiques et les expériences par lesquelles ceux qui utilisent les lieux les habitent et les considèrent comme significatifs. Ils préconisent l’idée que les significations des espaces ne seraient pas uniquement nichées dans notre esprit, mais aussi dans nos usages, nos relations spatiales et le monde lui-même. Dans cette perspective, l’étude des rapports entre les êtres humains et l’environnement nécessite de mettre en relief les activités quotidiennes des acteurs sociaux ainsi que leurs perceptions. C’est par elles que les lieux acquièrent leur signification.

Cette approche met également en lumière l’expérience corporelle dans l’étude de l’espace en anthropologie. Dans l’optique phénoménologique, l’auscultation de l’espace doit se concentrer non seulement sur les schèmes de pensée et de discours, mais aussi sur les relations spatiales concrètement mises en action par les individus et les populations. C’est d’abord par notre corps, nos sens et nos mouvements que nous prenons contact avec l’espace (Casey 1993, 1996 ; Tilley 1994). En considérant ainsi les acteurs sociaux comme des personnes pleinement vivantes plutôt que comme des êtres uniquement pensants, le corps n’apparaît plus comme une chose inerte, mais comme une voie d’accès aux lieux. Le rôle des sensations et de la perception dans la découverte et l’usage de l’environnement est alors reconnu. De ce point de vue, les personnes et les lieux ne seraient en aucun cas complètement séparés, mais plutôt impliqués dans une constante interaction (Casey 1996).

C’est dans cet ordre d’idées que cette approche a amené dernièrement quelques anthropologues à explorer la notion de confort en rapport avec l’espace[10]. Steven Feld et Keith H. Basso (1996) ont, entre autres, parlé de « sense of place » pour explorer les espaces significatifs pour certains groupes humains. John Gray (1999) a quant à lui opté pour l’expression « being at home » afin d’analyser le sentiment qu’éprouvent les bergers du Sud-Est écossais lorsqu’ils se trouvent dans les collines où se nourrissent leurs bêtes, alors que Martha Radice (2000) a récemment utilisé la locution « feeling comfortable ». Cette dernière est sans aucun doute celle qui a mis le plus d’emphase sur cette notion en étudiant l’expérience urbaine de la minorité anglo-montréalaise[11]. Ce concept apparaît donc comme un allié analytique fort utile pour l’étude de l’espace sous un angle phénoménologique.

Le confort — le sentiment « de se sentir bien » ou « d’être à l’aise » — est un concept très peu défini dans la littérature. Pour l’architecte Witold Rybczynski (1989), il s’agit d’une espèce de « sens commun » aux composantes subjectives et objectives que l’on ne peut identifier qu’en se frottant à son expérience. Selon Radice, cette notion, à la fois précise (elle suggère une sensation d’aise bien définie) et flexible (elle peut être appliquée à maintes situations), constitue la passerelle par excellence entre l’intérieur (les sentiments, les états d’âmes, les connaissances, etc.) et l’extérieur (le bien-être kinesthésique, le cadre bâti, les rapports aux autres, les ambiances, les idéologies, etc.) des acteurs sociaux (2000 : 144). Si l’on admet que les idées d’intimité et de confort sont profondément imbriquées dans l’imaginaire occidental (Rybczynski 1989), pour Radice « il est certain que les notions d’être chez-soi et de se sentir à l’aise peuvent franchir aisément le seuil de la maison pour sortir dehors » (2000 : 143).

Les paroles de Rémy mises en exergue au début de cet article appuient d’ailleurs cette proposition. Selon celles-ci, le jardin communautaire — un espace extérieur collectif séparé du logis — est perçu et vécu comme un refuge calme et réconfortant dans son expérience quotidienne à Montréal. L’enjeu est alors de découvrir ce qui concourt à faire des potagers collectifs montréalais des espaces confortables dans l’expérience des citadins-jardiniers.

En fonction de ces prémisses conceptuelles, cette recherche prend la forme d’une étude de cas dans un jardin communautaire à Montréal[12]. S’échelonnant du début du mois de juin à la fin du mois de septembre 2000, deux techniques d’investigation ont été privilégiées au cours de cette enquête : d’abord l’observation participante et, ensuite, la réalisation de 16 entrevues individuelles semi-structurées. Ces techniques ont avant tout été retenues parce qu’elles permettent de composer un cadre « d’événements de communication » où le chercheur est directement impliqué et à même de saisir l’intelligibilité et la subtilité de la réalité des gens qu’il étudie (Althabe 1998).

Parallèlement à la réalisation des observations in situ, huit hommes et huit femmes très majoritairement d’origine franco-québécoise et âgés de 28 à 73 ans ont été interrogés. Étant donné l’âge avancé d’une bonne part des informateurs, la moitié d’entre eux sont retraités[13]. Au niveau du statut socio-économique, ces 16 répondants peuvent être rattachés à ce qui est communément désigné comme la classe moyenne. En ce qui a trait à leur adhésion, le portrait est très diversifié. À la saison 2000, sept des interviewés avaient totalisé entre deux et cinq saisons de jardinage alors que cinq autres comptaient entre six et dix années de participation. Quatre répondants jardinaient à ce potager collectif depuis plus de 10 ans, dont deux depuis une vingtaine d’années. Enfin, ces informateurs avaient un mode de fréquentation très diversifié de leur jardin communautaire, allant des visites quotidiennes se prolongeant plusieurs heures aux passages ponctuels hebdomadaires de quelques minutes.

Au cours des entretiens, les informateurs ont été interrogés principalement autour de huit thèmes :

  • leur processus d’adhésion ;

  • leurs pratiques jardinières (végétaux cultivés, stratégies potagères, mode de fréquentation, utilisation des récoltes, etc.);

  • leur vision du jardinage communautaire ;

  • leur perception du potager collectif dont ils sont membres ;

  • les autres espaces ou associations qu’ils fréquentent dans la ville ;

  • les liens sociaux entretenus au jardin communautaire ;

  • leur implication bénévole ;

  • l’avenir de leur adhésion à ce type d’espace de jardinage.

Un espace de bien-être dans la ville

Lors de l’analyse des récits des informateurs, il devint étonnant de constater que ceux-ci faisaient tous appel — mais de différentes façons — au thème du bien-être pour décrire les multiples dimensions de l’espace du jardin communautaire ainsi que les pratiques et perceptions qu’inspirent ce dernier. Les gens semblent manifestement occuper cet espace d’abord parce qu’ils s’y plaisent et y trouvent satisfaction, d’une manière ou d’une autre, au coeur de la ville. Que ce soit au niveau de leurs motivations pour adhérer à ce lieu et le fréquenter, des raisons pour lesquelles ils y introduisent certains de leurs parents et amis ou de leurs perceptions de l’ambiance des lieux et des relations qu’ils établissent avec les gens qui s’y trouvent, le sentiment de bien-être semble être intrinsèquement relié à l’expérience des jardiniers à Montréal. Au delà des raisons utilitaires généralement évoquées dans la littérature[14], des explications plus subtiles, sensibles et ludiques justifieraient la possession d’un potager dans un jardin communautaire selon les perceptions des interviewés.

En ce sens, outre la récolte des légumes[15], la culture d’une parcelle dans un potager collectif montréalais se révèle comme une sorte de quête de confort, une stratégie mise en place par les acteurs sociaux pour rendre leur quotidien plus agréable et le territoire urbain plus complaisant. L’étude de ces jardins communautaires nous renseigne donc autant sur ce qui provoque l’inconfort dans l’environnement citadin que sur ce qui peut y être une source de bien-être selon l’expérience des habitants.

Souvenirs spatiaux

Selon le sociologue Michel Bonetti (1994) et l’architecte Witold Rybczynski (1989), nos façons d’apprécier un espace, de nous y sentir bien, se composent en partie de nos « rêveries ». Confort, souvenir et nostalgie se trouveraient interconnectés dans notre rapport aux lieux. Le phénoménologue Edward S. Casey (1987), s’interrogeant sur la remémoration, a souligné les liens entre ce processus complexe et l’espace. Selon lui, bien plus qu’un phénomène temporel, la mémoire est spatialement orientée par l’action humaine.

Les multiples significations que les individus attachent à leur espace se constitueraient donc progressivement par l’accumulation des expériences et des liens qu’ils nouent avec les divers lieux déjà empruntés (Bonetti 1994 : 63). Selon les propos de mes informateurs, la décision de devenir membre d’un jardin communautaire à Montréal paraît d’ailleurs être fréquemment teintée par des expériences antérieures. S’exprimant sur les motifs de leur présence au sein de ce type d’espace, plusieurs jardiniers font expressément référence aux relations préalables qu’ils ont tissées avec le jardinage ou la nature avant leur adhésion. En fonction de leur histoire de vie, la majorité d’entre eux avait déjà été, d’une manière quelconque, en contact avec le jardinage ou avec un jardin avant de cultiver leur parcelle à cet endroit.

Pour un certain nombre d’usagers, le jardinage apparaît comme une activité qui va de soi et qui doit inévitablement être incorporée à la vie quotidienne. Ayant vécu pendant longtemps dans un environnement généralement campagnard où la culture potagère et le contact avec la terre étaient omniprésents, certains cherchent à transplanter cette activité en milieu urbain. Posséder un jardinet dans un potager collectif se présente comme une opportunité de poursuivre ce mode de vie, de profiter de leur savoir-faire, mais surtout d’être à l’aise tout en habitant en ville. Dans ce cas, souvenirs jardiniers, habitude de vie et bien-être urbain sont entrelacés.

C’est parce que ça faisait longtemps que je pensais à avoir un jardin et, à Montréal, si tu ne fais pas d’autres choses que te promener dans la rue, c’est ennuyant. J’ai été élevé en campagne moi et j’ai toujours eu des jardins chez nous. (…) Ah oui! j’ai passé ma vie à avoir des jardins partout où je suis allé. On faisait la culture maraîchère chez nous [lorsque j’étais jeune]. On vendait des produits et tout ça. J’avais donc une grosse expérience et ici, à Montréal, c’est ça qui me manquait le contact avec la terre.

Rémy

Le désir de cultiver des légumes semble aussi souvent relié à des souvenirs d’enfance ou lointains. Plus particulièrement, j’ai retrouvé cette association chez plusieurs jardiniers immigrés provenant de milieux ruraux. Ces derniers ont souvent connu la culture maraîchère avant la migration et ressentent le besoin de renouer avec cette pratique une fois installés à Montréal. De la même manière, plusieurs citadins provenant des campagnes québécoises, qui se sont installés dans cette ville au moment d’entamer leur vie adulte, manifestent ce même désir. Ici, la prégnance du passé est manifeste. Ayant habituellement recours à des techniques horticoles « traditionnelles » selon leur origine ethnoculturelle, le jardin communautaire tisse alors pour eux un lien (autant matériel que symbolique) nostalgique et réconfortant avec l’enfance.

Disons que j’ai toujours vu ma mère jardiner. J’étais tout petit et j’étais déjà dans les jardins avec ma mère. Et puis j’ai travaillé pour les Soeurs de la Charité, il y avait un grand jardin et on jardinait là. Mon père a travaillé pour la Congrégation Notre-Dame, il y avait un autre grand jardin qui était là. Alors depuis ma tendre enfance que je vois jardiner. Et puis disons que je suis maintenant à Montréal depuis quarante ans et ça me manquait… de jouer un peu dans la terre, tout ça. Ça me rappelle le passé.

Maurice

Pour ceux qui n’ont jamais véritablement eu d’expérience personnelle ou rapprochée avec la culture potagère avant leur adhésion, la présence de cette activité dans leur entourage, même distante, s’avère aussi pertinente. Par exemple, certains jeunes jardiniers ayant grandi en banlieue évoquent le souvenir d’un potager cultivé par leurs parents se traduisant par la présence de légumes frais à portée de la main. Pour d’autres, les traditionnelles balades familiales à la campagne et les contacts avec la nature ont éveillé un sentiment d’aise dans ce type d’environnement. Pour ces usagers qui cherchent ainsi à revivre aujourd’hui cette sensation, les façons de s’engager dans le milieu du jardin collectif semblent elles aussi infiltrées et retravaillées par ces rapports spatiaux antérieurs.

Bien entendu, ces expériences potagères préliminaires à l’adhésion n’ont parfois que bien peu de liens avec celles pratiquées dans le jardin communautaire. La petitesse des parcelles allouées, la séparation du domicile, le partage de l’espace ou l’imposition de règles à suivre sont toutes de nouvelles caractéristiques qui remettent en question les connaissances acquises ou les représentations entretenues. Cependant, ces expériences passées motivent bien souvent les citadins à devenir membres d’un potager collectif et concourent inévitablement à formuler les pratiques mises en oeuvre ainsi que les conceptions qui leur sont juxtaposées.

Des propriétés singulières

Inversement, bien que les gens transportent d’un espace à l’autre leurs souvenirs, sentiments ou manières d’agir et de penser, leurs conduites et perceptions semblent également s’entremêler à certaines significations inhérentes aux lieux dans lesquels ils s’immiscent. Pratiques, sensations et représentations s’acclimatent et se combinent de manière spécifique selon l’espace où elles se déploient.

Pour saisir cette dynamique, Michel Bonetti propose la notion d’« espace potentiel » afin de concevoir qu’un lieu peut autoriser et suggérer des usages, des réactions et des significations, tout comme il peut résister à l’émergence de certains sentiments ou limiter la formation des sens qui lui sont concédés (1994 : 16, 37). De son côté, Edward S. Casey énonce l’idée selon laquelle les espaces possèderaient un pouvoir d’absorption. « Places gather things in their midst » avance-t-il (1996 : 24). Selon lui, ces « choses » ainsi spécifiquement captées, incorporées et configurées dans l’espace se constituent autant d’entités animées et inanimées que d’expériences, d’histoires, de rythmes, de trajectoires, de pensées ; toutes « choses » qui font en définitive que les lieux sont ce qu’ils sont (1996 : 24-25). L’identité et la continuité (la pérennité sémiologique) de tout espace seraient ainsi conférées par la constitution et le profil de ces « substances spatiales » qui activent, parallèlement, un pouvoir d’attraction, de répulsion ou d’indifférence sur les gens.

Appliquées aux potagers communautaires montréalais, ces propositions poussent à interroger l’essence et la configuration de ces espaces urbains. Que renferment-ils ? Qu’évoquent-ils pour les usagers ? Plus que tout, leur condition et leur catégorisation de jardin (i.e. de lieu de jardinage, de verdure ou de nature) se trouvent interpellées à cet égard dans les gestes et les discours vernaculaires.

Développant son approche phénoménologique de l’espace, Casey discute justement des substances particulières nichées quasi inéluctablement dans l’environnement de ce type de lieu.

Gardens embody an unusually intimate connection between mood and built place. Whereas in other kinds of constructed place, mood is often a supervenient phenomenon, in gardens mood is an intrinsic feature, something that belongs to our experience of them. We go to a garden expecting to feel a certain set of emotions, and this is not merely a subjective matter but is based on our perception (memory) of the structure and tonality of the place.

1993 : 168 ; c’est l’auteur qui souligne

En d’autres termes, les jardins possèderaient une ambiance et une armature singulières qui modèlent l’expérience des gens qui entrent en relation avec eux. Les manières de percevoir, de pratiquer et d’habiter ces espaces se constitueraient donc aussi en fonction de leurs spécificités. Bien que de façons très diverses, ils attireraient habituellement les acteurs sociaux à exploiter leur territoire.

Invités à décrire le potager collectif qu’ils fréquentent, la majorité des jardiniers montréalais rencontrés semblait systématiquement associer l’espace des jardins communautaires à une certaine représentation de la nature. Plus particulièrement, ces derniers ont habituellement recours à l’image métonymique de la campagne pour exprimer leur perception des lieux.

Ici, il y a des beaux arbres, et c’est comme si vous entrez un petit peu dans la campagne en plein coeur de la ville.

Laurent

On se sent en campagne ici. C’est formidable. Et surtout quand on tond le gazon, on se dirait en campagne, ça sent si bon !

Roland

En plus de la présence de potagers contenant des plants de légumes et de fleurs, les usagers se réfèrent généralement à une foule d’autres aspects pour exposer leur représentation des lieux. Ce sont la verdure, la terre, les odeurs, l’aménagement ou l’ambiance générale retrouvés dans ce type d’espace qui susciteraient chez les usagers une telle conception bucolique. Leur perception spatiale se veut ainsi très sensorielle.

Le plaisir d’être dehors, de profiter du grand air et d’être en contact avec tous les éléments évoquant la « nature » (les végétaux, l’air, le soleil, le vent, etc.) semblent aussi être des sensations aiguillonnées par cet espace et extrêmement valorisées chez les usagers (même pour les jardiniers plus âgés pour qui la relation au jardinet paraît habituellement plus ascétique). Comme dans l’expérience de tous lieux, le corps et les sens sont directement interpellés (Casey 1993, 1996 ; Tilley 1994). À Montréal, la fréquentation de ce milieu semble donc acquérir des dimensions proprement ludiques et hédonistes. Les usagers interrogés semblent apprécier son territoire justement à cause de cette présence de verdure qui génère pour eux un espace de bien-être. Les attributs matériels des lieux interviennent ainsi dans le processus d’attachement spatial entre les usagers et leur espace de jardinage.

Comme l’ont souligné Casey (1996 : 25) et Tilley (1994 : 15), les lieux possèderaient des propriétés qui peuvent attirer les gens ou stimuler une affection, aussi bien que les repousser ou engendrer une aversion. Par exemple, les jardins communautaires comportant des aires gazonnées, des arbres procurant de l’ombre, des fleurs, etc. paraissent inviter les membres à exploiter davantage leur espace, c’est-à-dire à mettre en oeuvre d’autres activités que le jardinage. C’est dans ces jardins les mieux pourvus en végétation qu’on retrouve le plus de gens pique-niquer, lire, jouer aux cartes, échanger ou tout simplement flâner.

Dans un même ordre d’idées, en plus de générer un territoire de détente et de quiétude, l’espace du jardin aurait des effets bien tangibles chez les usagers. Selon les informateurs, au moyen de la culture du potager, chacun des membres peut retrouver un espace-temps personnel qui l’engage activement dans un processus de création et de paternité agissant favorablement sur lui. Des « substances spatiales » apaisantes et bienfaisantes seraient ainsi canalisées au sein de l’environnement des jardins et des parcelles. Ces dernières interpellent les acteurs sociaux et se répercutent concrètement sur eux.

C’est parce que les gens quand ils viennent ici [au jardin communautaire]… ils ont une raison spéciale pour venir ici. Tu les vois, ils sont calmes… Je ne sais pas s’ils sont tout le temps de même dans la vie, mais ça doit aider de venir ici. Travailler la terre, ça calme les personnes ça.

Rémy

Vous savez, quand on entre dans ce petit coin-là de nature ça change le monde. C’est vrai, quand vous les voyez rentrer les gens qui viennent dans leur jardin, ils sont contents. Ça leur appartient, c’est une petite chose à eux autres. Ça doit être ça j’imagine.

Laurent

C’est comme si je fais le vide quand j’enlève mes mauvaises herbes. Je ne pense à rien et l’ambiance est calme fait que j’embarque là-dedans t’sais. Je trouve que ça me donne un ressourcement. Moi, j’ai besoin de ça. T’sais j’aime la tranquillité, pour moi, ça m’oxygène.

Véronique

D’une manière multiple mais concertée, la culture d’un jardinet est définitivement vécue par les informateurs comme une activité physiquement et psychologiquement salutaire qui concède l’évasion personnelle.

Parce que quand je viens ici c’est un peu comme une évasion de la routine quotidienne, de la vie qui existe en dehors du jardin. (…) C’est tellement paisible, c’est tellement gratifiant pour moi que j’oublie le reste de mes problèmes pendant que je suis ici. J’oublie le quartier où j’habite, j’oublie le désordre que j’ai laissé dans la cuisine ou j’oublie, je ne sais pas, moi, les conflits qui pourraient exister entre voisins. Oui, absolument, quand je viens ici je me retire du reste du quotidien.

Anna

Les courtes interactions sociales cordiales habituellement entretenues entre les co-usagers au sein de ces espaces urbains découlent aussi de la constitution des lieux. L’essence même des jardins collectifs annulerait les oppositions possibles entre la recherche de calme ou d’intimité et les contacts sociaux concomitants au partage de cet espace urbain collectif. Cette idée rejoint l’argumentation de Christopher Tilley lorsqu’il avance que « Space plays an important part in defining the manner in which social interaction takes place and the significance it has for agents » (1994 : 19). Dans cette optique, l’espace ne serait pas seulement un contenant de l’action, mais ferait véritablement partie de celle-ci. Il y aurait une profonde interpénétration entre gens et lieux. Selon bien des interviewés, ce sont des propriétés intrinsèques au territoire du jardinage communautaire qui paraissent profiler l’état d’esprit des gens et l’établissement de ces interactions sociales agréables entre les membres.

 Intervieweuse : Vous dites que c’est vraiment quelque chose de

 personnel votre expérience du jardinage et d’un autre côté vous dites

 qu’il y a aussi ce contact là entre les gens, est-ce qu’il n’y a pas…

 Étienne : Non, il y a pas de paradoxe, il y a pas de paradoxe.

 Intervieweuse : Non, ça va bien ce côté-là ?

 Étienne : C’est justement pourquoi je dis qu’il n’y a aucun paradoxe

 parce que lorsqu’on vient ici, les gens qui sont là, ils sont tranquilles,

 ils sont en paix avec eux-mêmes. Donc ça ne peut pas me déranger.

 Donc, il n’y a pas de paradoxe, il n’y a pas d’ambivalence, il n’y a rien

 à chercher. Les gens sont là, ils sont calmes, ils sont bien.

D’après l’expérience des informateurs, l’essence des jardins communautaires montréalais guiderait donc leurs usages et perceptions des lieux. Ces espaces possèderaient une structure physique, mais aussi des qualités intangibles : une âme bien distinctive dans la ville. Contrairement aux approches sociodéterministes de l’espace, il est donc possible d’avancer que le sens d’un lieu n’est pas strictement conféré par les capacités cognitives des êtres humains. Ce dernier émerge aussi du lieu en tant que tel et de la matrice relationnelle unissant utilisateurs et espaces.

L’envers de la ville contemporaine

La plasticité polysémique de l’idée de nature, suggérée par l’environnement des jardins communautaires, et les substances intrinsèques de leur territoire paraissent aussi servir aux usagers pour distinguer ces espaces des autres milieux citadins qu’ils côtoient quotidiennement. Les interviewés semblent ainsi utiliser l’association entre potager collectif et campagne pour signifier une distinction entre ce lieu urbain et le cadre de vie qu’offre généralement la ville :

C’est un endroit qui est calme. Quand tu entres dans le jardin, on dirait que ce n’est pas dans la ville de Montréal parce que c’est tellement paisible. Tu entres et c’est comme si tu étais à la campagne. T’sais c’est chaleureux, il y a des arbres alentour et l’accueil est chaleureux. Alors c’est comme si tu t’en vas à l’extérieur de Montréal, mais dans le fond tu es dans Montréal. C’est ça l’ambiance qu’il y a dans le jardin, c’est au centre de la ville, mais quand tu entres c’est comme si tu étais en campagne.

Claire

Ce rapprochement serait fondé sur une vision très idéalisée de la campagne. Il s’agit d’une analogie par laquelle l’espace du potager collectif est mis en valeur au détriment du milieu citadin (Conan 1990). Généralement, les bénéfices engendrés par tous les éléments naturels retrouvés dans ce type de lieu sont alors employés pour signifier les traits esthétiques, sains et paisibles de cet espace. Le caractère amical des échanges sporadiques entre les membres est également utilisé afin de dépeindre un territoire accueillant qui s’oppose, dans leurs discours, à la froideur de la majorité des autres lieux urbains qu’ils connaissent. Ainsi décrit, le jardin communautaire se veut synonyme de bien-être et d’oasis dans la ville. Comme la noté l’ethnologue Robert Rotenberg (1993) au sujet des conceptions des jardiniers viennois, la ville et le style de vie qu’elle impose sont parfois présentés dans ce type de vision comme pathologiques, une sorte de puissance maléfique.

Selon les discours et les pratiques de divers usagers montréalais, le micromilieu que crée le jardin communautaire dans leur quartier pourrait alors contribuer à contrebalancer cet environnement urbain néfaste. Il suscite le mythe de la nature comme source de régénérescence.

Si tu es stressé ou quelque chose du genre, tu peux venir au jardin. C’est tranquille, il n’y a pas personne qui… c’est calme… on peut décompresser. T’sais supposons que tu reviens du gros rush du métro et tout ça. Tu arrives chez vous, tu es fatigué. Là tu te dis, « Tiens, je vais aller au jardin, je vais aller me reposer une couple d’heures, je vais aller m’assoir ». Et après ça tu t’en retournes chez vous et tu es correct.

Rémy

Les représentations retenues de la ville et de la modernité évoquées dans ces propos vernaculaires dévoilent une opposition entre le bien-être du jardin communautaire et le cadre habituel de la vie citadine. Sur ce plan, tel un retour aux sources, le territoire du jardin communautaire est aussi chargé de sens se rapportant à l’authenticité et s’opposant diamétralement à l’environnement urbain contemporain en général. Selon les jardiniers interviewés, la « nature » bienfaisante retrouvée dans le jardin communautaire se situe étrangement hors de l’histoire (Conan 1990) ou, du moins, avant la modernité.

S’opposant, dans leurs propos, à l’environnement fabriqué et artificiel de la ville et à certaines dimensions de la vie sociale (industrialisation, cadence précipitée de la vie quotidienne, rapports sociaux masqués, absence de contact avec la nature, etc.), le jardin collectif est perçu comme un lieu de (re)découverte du vrai, du beau et du bon associés à des temps anciens. À bien des égards, des rythmes particuliers lui sont accolés. Entre autres, les changements saisonniers qui modèlent les lieux et font en sorte que l’espace physique subit petit à petit plusieurs métamorphoses sont souvent évoqués par les usagers. Selon eux, ces espaces portent à tous moments les marques des « temps naturels ». S’échelonnant sur environ cinq mois, les activités des jardiniers sont évidemment fortement influencées par le déroulement de la saison. L’accord avec ce tempo et ces remaniements créent chez les jardiniers l’impression d’être connectés plus intensément à la « nature » et au vrai cycle de la vie.

De leur point de vue, ce type d’espace dans la ville apparaît alors comme nécessaire, voire indispensable à la vie citadine actuelle. Les usagers accordent d’ailleurs aux jardins communautaires des fonctions lénifiantes qui s’opposent au cadre de vie proposé par la ville. Dans leurs récits, ce sont des micromilieux qui les protègent et les confortent[16].

Négociations spatiales

Il appert cependant que le confort ne constitue pas un état permanent. Il est indubitablement conditionnel. Son contraire est toujours probable et il s’agit habituellement d’un état que l’on souhaite atteindre. En conséquence, il se manifeste bien souvent au sein de la ville par la négociation (Radice 2000 : 142 ; Shields 1996 : 84). Cette recherche du bien-être est émotive et corporelle. Elle s’avère également rationnelle, puisque en visant à discerner et à exclure les zones d’hostilités et de désagréments, elle qualifie inévitablement l’espace d’une manière arbitraire. La quête du bien-être s’incorporerait donc toujours au jeu des exclusions et des préférences. La recherche du confort reposant principalement sur l’expérimentation (Rybczynski 1989 : 241), chacun puiserait dans ses propres expériences tout comme dans certains référents extérieurs (les valeurs, les normes, les idéologies, etc.) afin d’investir de sens un lieu donné.

Dans l’optique phénoménologique que défend Casey, l’engagement citadin comporte aussi toute une gamme de mécanismes d’acquisition de connaissances et d’expériences sur un milieu et ses espaces (petits et grands, des plus significatifs au plus insignifiants) déployés au cours des trajectoires quotidiennes et ce, même par des contacts éphémères avec eux (1996 : 39). C’est d’ailleurs ce qui émerge de l’expérience spatiale des jardiniers montréalais interrogés. La fréquentation de l’espace du jardinage communautaire comporte une kyrielle de processus à la fois cognitifs, relationnels, affectifs et corporels se rapportant à la quête d’un confort urbain. Cette expérience spatiale soulève aussi la multiplicité des éléments pouvant la motiver et la façonner en fonction de la diversité des citadins que ces espaces urbains réunissent chaque année à Montréal.

Trajectoire et expérience de l’espace

En dépassant une conception statique des rapports entre gens et lieux, l’approche phénoménologique conduit à adopter une perspective sensible des espaces urbains. Plus que toute autre, elle propose l’idée selon laquelle, en plus des forces sociales et culturelles qui guident nos conceptions et actions, nos manières de percevoir et de pratiquer l’espace sont amalgamées à nos itinéraires individuels. Elle interpelle la mobilité des acteurs sociaux dans le temps et l’espace. Cette perspective permet de concevoir le mouvement comme un aspect de la vie sociale qui a été pendant longtemps évacué des études en anthropologie (Hastrup 1997 : 6).

Sous cet angle, histoires de vie et expériences de l’espace apparaissent liées. La signification d’un espace se trouverait ainsi toujours relative au vécu et, par le fait même, au point de vue spatialisé de celui qui l’arpente. À ce sujet, l’archéologue Christopher Tilley est explicite :

The experience of space is always shot through with temporalities, as spaces are always created, reproduced and transformed in relation to previously constructed spaces provided and established from the past. Spaces are intimately related to the formation of biographies and social relationships.

1994 : 11

J’ai souligné plus haut comment les expériences passées des jardiniers montréalais semblent captées en eux et dans l’espace du jardin communautaire pour former des souvenirs spatiaux qui font fréquemment surface lorsqu’on explore leurs appréciations des lieux. Qui plus est, des moments bien précis de leur existence paraissent aussi profiler leurs usages et perceptions. C’est ainsi que des événements tels que la retraite, la maladie ou certaines périodes du cycle familial (une nouvelle union, la naissance d’enfants, un déménagement, etc.) ont pu inciter plusieurs des informateurs à adhérer à un potager collectif. Parallèlement, la connaissance préalable de certains membres semble aussi avoir favorisé la fréquentation de cet espace urbain pour bien des usagers. En fait, l’adhésion ne parait constituer que très rarement un geste solitaire. La très grande majorité des jardiniers interrogés est devenue membre par l’intermédiaire de, ou accompagnée par, un parent, un ami ou un voisin à un moment significatif de leur cheminement de vie.

La variable de l’âge se présente d’ailleurs comme l’une de celles qui différencient le plus les jardiniers dans leurs manières de s’engager dans cet espace urbain, que ce soit, par exemple, sur le plan des modes de culture potagère, du temps passé au jardin communautaire ou de la volonté de socialiser avec les autres membres. Plus précisément, il semble que le sens conféré à ce lieu urbain à Montréal ne soit pas le même si l’on est jeune et actif professionnellement que si l’on est âgé et retiré du marché de l’emploi. Les jeunes jardiniers interviewés paraissent plus fréquemment envisager leur fréquentation d’un tel espace comme temporaire et sporadique dans leur trajectoire de vie. Espérant pour la plupart que le jardinage devienne éventuellement pour eux une activité privée pratiquée à domicile (qui serait plus accessible en fonction de leur rythme de vie selon eux), l’espace de leur potager collectif est souvent abordé comme un lieu transitoire et accommodant qui permet de satisfaire provisoirement certains de leurs besoins en matière d’évasion et de contact avec la « nature ». Ce territoire se veut d’ailleurs un milieu parmi bien d’autres qu’ils empruntent au cours de leur trajet journalier.

En revanche, pour les jardiniers retraités, ce lieu urbain a pris une place capitale dans leur quotidien et, par conséquent, dans leur composition identitaire actuelle. Grâce à une culture potagère minutieuse, une fréquentation assidue ou une implication bénévole, le jardin occupe bien souvent leurs journées, leur corps et leur esprit. Il constitue aussi généralement l’un des rares lieux publics qu’ils fréquentent dans la ville et un milieu permettant d’étoffer des contacts sociaux hors de la sphère du domicile. Pour certains qui ont fait face à la maladie et à la morosité, la portée de ce lieu urbain dans leur existence est d’autant plus effective.

Je vais vous dire une chose, croyez-le, croyez-le pas, ça me dérange pas… mais le jardin m’a remis en vie. Je n’étais plus en vie. Peut-être que vous allez trouver ça niaiseux, mais il m’a remis en vie. Je n’avais aucune… je n’avais absolument rien que je pouvais voir pour passer le temps à part du journal et j’étais tanné. Maintenant, j’ai ça et depuis ce temps-là je suis heureux.

Guy

Dans ces conditions, il n’est donc pas étonnant qu’une fois retiré du monde du travail, cet espace du jardin communautaire puisse rapidement devenir un « petit coin de notre vie » comme me l’ont mentionné quelques jardiniers âgés. En fait, tous les répondants retraités rencontrés envisagent leur adhésion à leur potager collectif comme un lien essentiel et permanent que seule une incapacité physique pourrait rompre.

La notion de trajectoire spatiale s’applique également aux déplacements successifs et continus des gens à travers les différents milieux citadins auxquels ils se frottent de manière journalière. Décrire les raisons pour lesquelles les interviewés louent une parcelle au sein de ce type de lieu urbain revenait fréquemment pour eux à confronter cet espace aux autres lieux qu’ils fréquentent ou évitent au cours de leur parcours quotidien. Ce procédé a été soulevé par Tilley lorsqu’il a précisé que « Places are “read” or understood in relation to others » (1994 : 27). En conséquence, l’expérience spatiale de la ville se forgerait par une dialectique imbriquant expérimentation, imprégnation et comparaison.

Dans les récits des informateurs, le jardin collectif est fréquemment opposé à l’espace du domicile. Pour plusieurs membres âgés, il constitue un endroit qui permet, dans une certaine mesure, de contrebalancer la solitude retrouvée entre les murs du foyer. Ainsi, les opportunités de rencontres — mêmes éphémères — qu’offre l’espace du jardin communautaire viennent souvent contrecarrer l’isolement de la demeure. Ici, la recherche du bien-être est donc explicitement déployée vers la sphère publique extérieure au sein d’un espace collectif.

Par ailleurs, le territoire du jardin collectif s’avère aussi souvent confronté à celui des autres espaces publics. Pour certains usagers, le calme retrouvé au jardin collectif rappelle de rares lieux qu’ils utilisent pour trouver la quiétude dont ils ont besoin dans la vie quotidienne, comme des espaces boisés, un jardin botanique ou des terrains de golf. D’autre part, certains avancent que, contrairement à la majorité des autres espaces de sociabilité habituellement côtoyés par les personnes âgées (les cafétérias de centres commerciaux, les salles de bingos, les studios de danses sociales, etc.), ce type d’espace s’avère beaucoup plus stimulant et plaisant puisqu’il regroupe des gens plus hétérogènes.

Le respect et l’amabilité qui s’édifient entre les membres d’un même jardin communautaire à travers de petites interactions sociales ponctuelles semblent aussi intervenir dans les choix spatiaux des acteurs à travers les milieux qu’offre la ville. Certaines personnes seules et âgées perçoivent ce site comme accueillant et sécuritaire comparativement à d’autres lieux publics qu’elles doivent emprunter dans leur quartier. Pour d’autres, qui souhaitent vivement établir de nouveaux contacts sociaux, le jardin se présente aussi comme un espace où on se sent bien puisqu’on peut y retrouver calme et aise, contrairement à d’autres sites urbains connus.

C’est mieux qu’un parc ici parce que dans un parc, je ne sais pas, on dirait qu’il y a trop de gens qui se promènent alentour de toi. Ici, le monde se respecte tandis que quand je vais dans les parcs, comme le Parc Lafontaine ou les autres parcs, je ne me sens pas bien, je ne me sens pas chez nous. Ici, je me sens plus chez nous.

Rémy

Dans ce dernier extrait d’entretien, la recherche du confort quotidien pour les jardiniers montréalais se révèle ainsi d’une manière explicite. Les gens décident de fréquenter cet espace plutôt qu’un autre dans leur milieu de vie parce qu’ils y dénichent un confort et un plaisir qu’ils considèrent ne pouvoir retrouver ailleurs. Selon cette logique, ces lieux de jardinage s’articuleraient donc en rapport avec d’autres espaces de la ville. Chacun se composerait alors une idée de ce qu’est un endroit confortable en se frottant à l’ensemble de l’environnement qui l’entoure. D’un autre côté, cette poursuite divulgue à son tour la mobilité et la marge de manoeuvre des acteurs sociaux qui non seulement circulent continuellement au cours de leur quotidien et expérimentent d’une façon bien tangible les lieux qu’ils traversent, mais jaugent, distinguent et confèrent un statut à ces mêmes espaces.

Des jardins d’urbanité

Ce travail de perception, d’expérimentation et de catégorisation des espaces est évidemment effectué dans le cadre des structurations sociales dans lesquelles évoluent ces citadins-jardiniers. Même s’ils insistent sur l’expérience personnelle de l’espace ainsi que sur le pouvoir d’action des acteurs sociaux, les défenseurs de l’approche phénoménologique considèrent que l’investissement des gens dans l’environnement repose en grande partie sur la culture. Pour Casey (1996), il est indéniable que nos façons de sentir, connaître et façonner notre environnement sont orientées par la culture, qui s’avère d’ailleurs intrinsèquement imbriquée à l’espace. Selon cet auteur, tous les processus de perception spatiale seraient porteurs de référents culturels prenant la forme de modèles d’identification, de manières d’ordonner notre champ perceptif et d’y agir, ainsi que de façons de désigner et de nommer les composantes de cet ensemble (1996 : 34). Dans la même veine, Radice (2000 : 145) et Rybczynski (1989 : 90) ont allégué que l’expérience du confort et le sens que ce dernier acquiert pour les gens s’avèrent constitués tout aussi fondamentalement de manière culturelle. Ces idées s’appliquent aisément aux pratiques et discours captés au sein des potagers collectifs à Montréal.

Comme je l’ai abordé ci-dessus, les jardiniers montréalais semblent considérer les potagers collectifs de leur ville comme des espaces de « nature » et d’évasion. Ils les dépeignent d’ailleurs habituellement comme des zones campagnardes à l’intérieur même de l’environnement urbain. Le confort, dans ce cas, serait affilié à une conception bien particulière de la nature. La « nature » retrouvée dans ces lieux est de toute évidence profondément humanisée. Ces espaces sont aménagés de toutes pièces par les citadins, qu’ils soient administrateurs municipaux, architectes paysagistes ou simples jardiniers. Ce type d’endroit renferme une « nature » inévitablement domestiquée et harnachée. Même si les jardiniers perçoivent, expérimentent et expriment certains bénéfices issus du contact avec la « nature », cette dernière n’en serait pas moins trafiquée.

Cette « nature » dont il est question dans les jardins communautaires montréalais se réfère alors davantage au concept de naturalité qui, pour le spécialiste en écologie humaine Cédric Lambert, renvoie au « simulacre du naturel » généré par une quotidienneté coupée de la nature (« qui ne la vit pas ») et exprimée à travers sa reformulation (entre autres par les simulations, les loisirs, les vacances, etc.) (1999 : 117). Par conséquent, cette imagerie « d’ersatz environnemental » véhiculée par les jardiniers montréalais serait alors un phénomène culturel proprement urbain et contemporain. Elle témoigne d’un paradoxe spécifique aux sociétés actuelles où l’on assiste simultanément à l’édification d’une « nature » profondément élaborée et modernisée et au maintien d’une « nature » utopique, rescapée du temps et de l’angoisse (Lambert 1999 : 117). Proprement culturelle et distincte, cette articulation entre l’artifice et le naturel communique à la fois un désir de maîtrise, par l’appropriation d’un petit espace à soi, et un désir de symbiose avec la « nature », par la recherche de ses vertus. On y constate l’interpénétration entre gens, lieux et structurations sociales dans la composition d’un espace de confort urbain ainsi que l’expression des possibilités des acteurs sociaux d’élaborer et de s’engager dans leur milieu de vie.

De par ces caractéristiques, ces jardins communautaires constituent donc des « jardins d’urbanité ». Le semblant de nature du potager collectif se présente comme un support d’évasion personnelle, de fuite systématisée hors de certaines contraintes ou tensions sociales à travers une récréation verte, de mise à distance momentanée de l’urbain et de sa quotidienneté. On y cherche une consolation et un réconfort temporaires. Il s’agit d’un compromis entre l’urbain et le naturel manquant dans l’expérience des jardiniers. « C’est peut-être une façon d’être à la campagne en habitant à Montréal » a d’ailleurs signifié une jardinière. Plus spécifiquement, la majorité des informateurs ont mentionné que l’environnement du jardin communautaire, par sa naturalité particulière, constitue une alternative pour les « prisonniers de la ville », c’est-à-dire les citadins qui n’ont pas accès à la campagne, à la « vraie nature ».

De la même manière, l’espace du jardin communautaire en tant que « jardin d’urbanité » apparaît aussi comme une médiation confortable sur le plan des interactions sociales. Selon mes observations et les répondants, un « bon voisinage » semble s’instaurer entre les membres d’un même potager collectif. Celui-ci se présente comme un mouvement contrôlé vers autrui par lequel on partage un espace, des intérêts et quelques discussions, sans s’engager davantage avec ses co-usagers ou compatriotes. Cependant, ces relations sociales ne sont pas que la résultante d’une interdépendance nécessaire dont il faut négocier l’étendue et les limites, mais une valeur en soi que préconisent les membres jardiniers. Le jardin communautaire est un lieu où des citadins semblent obtenir une conciliation entre, d’un côté, la recherche de calme et de quiétude par la « fuite » temporaire de la ville ou de ses tensions et, de l’autre, le désir d’établir des liens sociaux dans la ville.

Il faut que ça soit paisible. Dans les jardinets, tout le monde a ses affaires là. On jase, on échange, mais avec beaucoup de respect. Moi je trouve que c’est la place pour que ce soit relax. On ne vient pas courir, sauter ou crier. Il me semble que ce n’est pas la place. T’sais c’est avant tout de la verdure et il me semble ça va avec la chose. C’est paisible, une bonne harmonie, on échange agréablement t’sais, c’est tout.

Véronique

En ce sens, le jardin collectif offrirait une situation tempérée entre la mise à distance (par le maintien d’une liberté et d’une intimité individuelles, le contentement au sein de relations vaporeuses et sans lendemain) et l’ouverture (par l’établissement d’interactions spontanées vécues comme fondamentalement plaisantes entre les membres). Il laisse ainsi transparaître, d’une manière bien particulière, deux propensions culturelles propres aux sociétés contemporaines : d’une part, la valorisation d’un souci de soi indubitablement asocial et, d’autre part, la recherche de certaines médiations collectives.

Encore une fois, prenant l’exemple des jardins pour illustrer la propension humaine à habiter le monde à différents endroits et de diverses façons, les propos de Casey (1993) peuvent apporter ici un éclairage intéressant sur cette idée de « confort négocié » suggérée par les jardins communautaires montréalais. Selon lui, tous les types de jardins sont en fait des espaces liminaux en eux-mêmes (1993 : 155). Plus que tous les autres lieux, ils constituent des entre-deux par excellence. Ce sont des milieux à la limite du brut et du construit, du privé et du collectif (ou de l’institutionnel), du fermé et de l’ouvert, de l’imaginaire (des utopies, des désirs et des souvenirs) et du tangible, de l’évoqué et du donné. En ce sens, le lieu même du jardin serait une frontière en soi (155).

Selon ce point de vue, il est possible d’envisager la fréquentation d’un jardin communautaire à Montréal comme un accommodement entre une série de pôles exprimés en termes de porosité. Il ne serait pas étonnant que les acteurs sociaux y recherchent une conciliation entre certaines normes et valeurs socioculturelles et leurs propres ambitions et expériences. Cet espace serait à mi-chemin entre les excès de rationalisation du cadre bâti ou de la société et le désir de quête de liberté, d’intimité et de plaisir. Par leur adhésion, les jardiniers montréalais exprimeraient ainsi leur antagonisme envers la ville moderne, sans pour autant rejeter explicitement le fruit de l’organisation sociale. Leurs perceptions, pratiques et conceptions seraient à la fois critiques et signatures de la modernité avancée. Ainsi, la fréquentation d’un tel espace ne constituerait pas une réelle fuite de la ville et une poursuite absolue de « nature » (Mercier et Bethemont 1998), mais plutôt un moyen, en négociant certains paramètres, d’exploiter et d’apprécier l’urbanité en y aménageant une zone de bien-être personnel et collectif.

Conclusion

« Les récits de lieux sont des bricolages. Ils sont faits avec des débris de monde » a allégué Michel de Certeau (1980 : 114). Par l’étude de la quête du confort urbain et sa négociation soulevée par les pratiques et les conceptions des jardiniers montréalais, la notion de bricolage acquiert ici une pertinence fondamentale à l’intérieur des relations entre structures sociales, gens et lieux. Plus spécifiquement, il appert que le choix de l’espace du potager collectif et les manières de l’habiter — de le fréquenter, de l’utiliser, de le percevoir et de le figurer — se rapprochent d’une certaine composition spatiale à la fois effective et imaginaire. Les acteurs sociaux se composeraient des espaces de confort urbains personnels et partagés — tels que le jardin communautaire — en les investissant de significations liées à leur trajectoire de vie et à d’autres lieux dans lesquels ils ont vécu ou qu’ils continuent de fréquenter tout en les appréhendant aussi à travers les significations sociales et culturelles qui leur sont conférées, et ce, même s’ils n’y adhèrent pas complètement.

Dans cette optique, chacun projetterait des éléments de sens sur l’espace qui l’entoure, éléments tirés de sa propre expérience et de référents extérieurs (principalement les normes et les valeurs) qu’il reprend à son compte (Bonetti 1994 : 80). Ces éléments disparates se mélangeraient et se combineraient dans un processus de condensation pour former des « bricolages de matériaux spatiaux » permettant à chacun de se situer physiquement, socialement et sensoriellement dans le milieu qu’il occupe. Ce processus suppose que les acteurs sociaux possèdent un pouvoir d’action et une intentionnalité par lesquels ils se composent des espaces de bien-être à partir d’une certaine conscience d’eux-mêmes, de leur environnement et des structures sociales. Ainsi, même des espaces urbains socialement programmés et institutionnalisés comme les jardins communautaires montréalais semblent animés à la fois par des déterminants sociologiques et par la subjectivité des individus.

Le confort, selon Witold Rybczynski, correspond d’ailleurs à une forme de prise de conscience et de composition qui repose sur une gamme de sensations qui ne sont pas seulement physiques, mais également émotives et intellectuelles (1989 : 248). Faisant le pont avec l’idée de bien-être, celle de l’expérience spatiale suggérée par la phénoménologie invite d’ailleurs à considérer que les acteurs sociaux sont en relation directe avec leur environnement (social et spatial) et constamment à l’affût de ses contours. Un processus continuel d’intersubjectivité et d’interconnexion amarrerait l’espace à la réalité sociale. À ce titre, les jardins communautaires puiseraient entre autres leur signification dans la conscience existentielle et multidimensionnelle des personnes et des collectivités qui les empruntent.

À travers la quête de bien-être urbain des jardiniers montréalais, le profil de ces processus réflexifs (Giddens 1994) peut être ainsi décelé. Effectivement, leurs pratiques et leurs représentations semblent bâties sur un agencement d’éléments issus tant de leur propre expérience que des significations socioculturelles et de la circulation systémique du savoir. C’est ainsi que des allusions aux bienfaits pour l’être du contact avec la « nature » ou des dommages de l’excès de rationalité de l’environnement urbain sont incorporées dans leurs discours ou que des expériences antérieures sont scellées à des expériences actuelles. Les pratiques et conceptions spatiales de ces jardiniers se fonderaient donc sur une acuité envers eux-mêmes (leurs besoins, sensations, ambitions, souvenirs, etc.) ainsi que sur le contexte physique, social et idéologique qui les entoure. Jouant un double rôle, cette réflexivité attiserait et légitimerait leurs pensées et comportements dans leur quête contemporaine de confort urbain.

Cette brève incursion au sein des jardins communautaires montréalais met ainsi en relief l’interconnexion entre les acteurs, les lieux et la réalité sociale, tout comme l’engagement effectif des gens dans l’espace. Sous ce regard, les rapports entretenus entre jardiniers et potagers collectifs à Montréal apparaissent multidimensionnels et pluriels. Ils semblent aussi étroitement amarrés aux multiples manières de vivre dans l’environnement urbain contemporain et de se représenter cet espace. Ces rapports s’articuleraient également d’une manière complexe au moyen de laquelle les gens, les lieux et les déterminants sociologiques seraient en constantes relations.

L’approche phénoménologique empruntée met ainsi en lumière la dimension sensible des relations humaines ainsi que l’intentionnalité et la marge de manoeuvre que possèdent les individus au sein des structurations sociales. Les citadins jardiniers se présentent comme des sujets actifs dans l’environnement urbain en fonction de leurs caractéristiques propres. Cette approche permet ainsi de détecter les écarts possibles entre ce qui est socialement institué et ce que vivent réellement les individus. Bien que modestement, cette étude de l’expérience spatiale de jardiniers montréalais contribue donc à cerner comment les acteurs sociaux persistent à s’attacher à certains sites de leur environnement quotidien et à apprivoiser la ville dans un monde où l’espace est de plus en plus décloisonné. Elle concourt à questionner la conception d’un monde actuel complètement déterritorialisé et à explorer le maintien ou la création de nouveaux types de liens ou d’identités spatialisés.

En permettant de prendre en compte les multiples facettes du vécu des gens, l’approche phénoménologique serait donc tout à fait susceptible de contribuer au regard de l’anthropologie sur les mondes contemporains, en offrant une perspective novatrice sur la constitution et l’articulation des rapports entre les êtres humains et leur milieu de vie. Celle-ci pourrait participer au renouvellement de la discipline qui, étant elle aussi spatialement orientée, se rattache aux actives et incessantes relations qu’elle noue avec les réalités sociales qu’elle étudie et d’où elle émerge.