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« Le mélange est partout, mais le “métissage culturel” est insaisissable » (11). Regards croisés sur le métissage est un ouvrage collectif qui ouvre des portes pour une réflexion sur le concept de métissage, notion polysémique très en vogue dans nos sociétés contemporaines. L’ouvrage réunit les réflexions de dix auteurs autour de la rencontre interculturelle. Il fait suite à la tenue, en 2000, d’un séminaire du Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) de l’Université Laval. Archéologues, historiens, ethnologues, philosophes, muséologues et littéraires se sont retrouvés pour apporter leur vision du métissage au travers du prisme de leur discipline respective. On part donc pour une réflexion à entrées multiples qui comporte le risque de s’éparpiller, mais l’ouvrage conserve sa cohérence tout au long des démonstrations.

Avec le processus de mondialisation et l’interculturalité, les questions identitaires et les appartenances plurielles sont au centre des débats. C’est l’heure de la confrontation des regards et de la confusion dans les discours. Récupéré et utilisé dans des logiques souvent contradictoires, le métissage prend le visage que les acteurs veulent bien lui donner. Cet ouvrage présente des manifestations de ce phénomène dans nos sociétés hier et aujourd’hui. « Le métis mélange les catégories et vient menacer l’ordre établi » (3), soulignent Anne-Hélène Kerbiriou et Laurier Turgeon dans leur introduction qui pose les pistes de réflexion. Comment alors appréhender ce phénomène du métissage qui brouille les cartes ? Quelles sont et quelles ont été les stratégies et négociations identitaires mises en jeu lors d’une rencontre interculturelle ? Les auteurs de Regards croisés sur le métissage font le choix de l’approche interdisciplinaire. Après une introduction éclairante sur l’apparition, l’utilisation et la récupération du concept de métissage depuis le XVIIe siècle, l’ouvrage se divise en deux parties : les discours du métissage regroupant cinq articles, suivie des pratiques du métissage comportant quatre articles. En quelque 250 pages, on passe d’un continent à l’autre, d’une époque à une autre, en conservant comme fil conducteur la perception des emmêlements culturels.

Dans « De la dimension interculturelle de la culture coloniale. Discours coloniaux et dynamiques culturelles en Afrique Occidentale Française », Hans-Jürgen Lüsebrink analyse la manière dont le système a lui-même fourni les clefs de son échec. En plus d’une occupation physique des colonies africaines, la France prônait une conquête morale des populations. « L’institution scolaire adaptée » était la clef de voûte du système, qui voulait donner naissance à une identité africaine nouvelle, fruit du métissage. Elle devint le lieu de formation des intellectuels africains et ouvrit, en fait, les portes d’un espace de participation et de critique du système colonial. Avec les écrivains de la négritude, le concept de métissage est rejeté et associé à la conquête coloniale. En réponse à un colonisateur prêchant le mélange et niant l’histoire pré-coloniale, des intellectuels tels que Sadji et Senghor, formés par le système colonial, se tournent vers l’essentialisation de l’identité africaine. Ils font revivre le griot et la tradition orale au travers de leurs écrits diffusés par le colonisateur lui-même. Lüsebrink soulève ici la question de l’authenticité, un pendant essentiel de la réflexion sur le métissage. La stratégie coloniale française aurait produit les conditions favorables à la production des contre-discours. Lüsebrink voit alors le métissage comme un lieu de confrontation dans lequel on trouverait aussi « des processus de réception productive et d’appropriation créative »(38).

Au travers de la littérature québécoise contemporaine, Pierre Ouellet adopte une posture critique vis-à-vis de l’utilisation des termes métissage et hybridité qui, en prônant le mélange des différences, comporterait le risque de la négation de celles-ci. « Ils désignent le passage d’une double origine à une seule et même identité où la différence originaire s’homogénéise, le nouvel individu n’étant pas blanc et noir, mais d’une seule et même couleur qui est le mélange » (39). Pour parler des nouvelles formes de relation à soi et à l’autre dans l’interculturalité de nos sociétés contemporaines, il évoque le concept « d’esthésie migrante ». Auteurs et écrivains d’ici et d’ailleurs mélangent les formes et les expériences interculturelles. Cet état migratoire donnerait lieu à une nouvelle définition des identités, dont l’un des fondements postmodernes serait l’instabilité. L’individu a la possibilité de se détacher de ses appartenances originaires, territoriales ou culturelles, et de s’en créer de nouvelles. Il bricole ainsi son histoire et fait sa mise en scène. Selon Ouellet, ce processus de mise en place du soi et du rapport à l’autre se fait par l’identification d’un temps et d’un espace à l’intérieur du cadre d’une culture donnée. Si, à l’époque coloniale, seul l’Occident exposait sa perception de l’altérité, aujourd’hui les regards se mélangent et les définitions de ces différents paramètres seraient de plus en plus complexes. L’individu, en perpétuel devenir, se trouverait donc dans une certaine instabilité chronique dans sa construction identitaire. C’est ainsi que Ouellet fait apparaître le sujet-acteur en interaction constante et, donc, en perpétuelle construction identitaire.

Simon Harel s’interroge sur la constitution de l’appartenance nord-américaine, et plus particulièrement québécoise, en analysant Le périple américain de Julien Bigras, auteur québécois contemporain. Sur un mode psychanalytique, Harel étudie la difficulté d’émergence du soi dans le contexte américain et parle de « désir métis ». Au cours des récits, on voit apparaître l’image fantomatique de l’Indien qui questionne le mythe de fondation de l’Amérique. Il rappelle la « nécessaire » désintégration des populations indiennes pour permettre l’émergence d’une identité nouvelle. L’américanité commence avec les premiers pas des colons dans le Nouveau Monde et elle revendique ce temps des origines. Mais il y a un pendant à cette revendication, qui est la négation de l’Amérindien, de son épaisseur sociale et historique. « Le sujet est condamné à voir un absent de l’histoire qui fait violemment irruption et désigne avec une justesse quasi hallucinatoire cette nécessité de créer un temps de symbolisation pour l’histoire » (61). Simon Harel parle de l’Amérindien comme de la face cachée de l’Amérique — « son mythe immonde »(62) —, celui à qui on n’a pas laissé le droit de parler et d’agir dans la construction du nouveau continent. L’Amérindien est resté sur le bord de la route (ou de la rivière comme le présente Bigras). Il est toujours présent, rappelant par sa simple présence la violence de la conquête et l’ensevelissement de l’histoire pré-colombienne. « Comment est-il possible de fonder et de commémorer une conquête, s’agissant du territoire imaginaire nord-américain, lorsqu’une première fondation, un premier acte de nomination a été refoulé ? » (60). Pour Harel, l’écriture de Bigras est bien loin de l’idéalisation de l’Amérique en tant que passeur de frontière, berceau du melting pot, du mélange heureux. Il met en scène l’envers du décor, les coulisses de la construction identitaire dont l’un des fondements est la négation et la destruction des populations indiennes. Il parle de « la nécessité du deuil de la mère archaïque afin de mettre en place les conditions favorables du soi » (59). Parler de soi en Amérique dans les écrits de Bigras reviendrait alors à convoquer une altérité interne, niée et refoulée, qui hante les consciences et empêche l’épanouissement du soi. L’Amérindien est « celui qui devait mourir afin de laisser surgir une identité autre : moderne, affirmative, en somme, québécoise »(65).

Dans « Centre et périphérie dans le discours de Melchisedec Stefanescu (1823-1892) », Alexandru Jinga analyse la construction de l’identité roumaine au milieu du XIXe siècle, une période de « réorientation culturelle » durant laquelle les influences se sont déplacées, de Constantinople à Paris. Sur la base d’un corpus de onze textes, Jinga observe les mécanismes de rapprochement et de mise à distance dans le discours de Stefanescu, membre de l’élite roumaine orthodoxe en quête de modernisation pour la Roumanie. Fasciné par la constitution de la nation française, Stefanescu tente d’adapter ce modèle à son pays. Jinga aborde ici une autre facette du métissage, qui prendrait le visage du choix et non plus seulement de la contrainte. Avec Stefanescu, tout semble s’imbriquer dans la théorie centre-périphérie : le rapport de la Roumanie avec les pays « cultivés », les relations entre Roumains orthodoxes et non-orthodoxes. Dans cette optique, les représentations sociales sont posées comme créatrices du sens du centre et des périphéries. Jinga s’interroge alors sur les processus d’intégration relative et d’exclusion extrême en fonction de la place occupée par chaque groupe. Dans les écrits de Stefanescu se dessine la perception de soi et de l’autre au travers des concepts dichotomiques de barbarie et de civilisation. Il nourrit une fascination pour la France qui entraîne un certain sentiment d’infériorité. À l’inverse, il prend une position de supériorité par rapport aux minorités roumaines et se place ainsi dans une position centrale. Où se situent alors les Roumains pour Stefanescu ? Ils semblent dans un entre-deux : Stefanescu note des ressemblances avec les pays tels que la France, mais son discours énonciatif le rend extérieur aux pays qu’il nomme « cultivés ». Jinga montre ainsi la double appartenance de Stefanescu, qui prend tour à tour la position du colonisé et du colonisateur.

Dans « Deux pas de danse pour aider à penser le métissage », Alexis Nouss aborde le métissage comme une alternative à une vision dualiste de la société : « fusion totalisante de l’homogène et fragmentation différencialiste de l’hétérogène »(95). Dans une vision coloniale binaire, l’Autre ne pouvait être que le portrait inversé de l’Occident. Le métis devient un « troisième terme inenvisageable » (11). Ni semblable ni différent, il perturbe les catégories établies. Pour Nouss, penser le métissage aujourd’hui fait appel à deux concepts de la postmodernité : l’ambiguïté, l’hétérogène et l’infinité de leurs possibles. L’ambiguïté sous-tend l’idée d’un savoir en perpétuel devenir, jamais définitif, toujours en mouvement. On se pose du côté de l’incertitude. Selon Nouss, l’éthique postmoderne ne nie pas un sens moral, mais « sans prétention de rationalité et d’universalité », elle insiste sur la responsabilité individuelle de soi pour l’autre et non d’un code universel qui dicterait le bien et le bon. En abordant l’hétérogène comme composante du métissage, Nouss laisse apparaître un autre mode d’appréhension de la réalité : l’homogène est une illusion. Pour penser l’hétérogène, il a recours au concept d’articulation qui permet de relier des éléments sans les figer dans un cadre, et à celui de l’approximation qui permettrait une adaptation au réel, « une mesure sur mesure et non un prêt à mesurer » (102). Pour saisir le métissage en mouvement constant, il faudrait donc laisser toutes les portes ouvertes : celle de l’imprévu et de l’imprévisible. Comment appliquer cette méthode à l’ethnicité, à l’identité, lorsque la tendance est toujours à la nomination qui entraîne la catégorisation ? Nommer les appartenances plurielles contient toujours le danger de la dissolution ou de l’absorption des différences. Pour Nouss, il s’agit aujourd’hui de renoncer à la sécurité des catégories d’analyse traditionnelles, de jouer le jeu de l’instabilité et d’accepter l’hétérogène, caractéristique interne de nos sociétés : « l’hétérogénéité métisse comme reconstruction permanente »(111).

Samuel Kinser s’intéresse à la fiesta de los tastoanes à Patamba qui se déroule depuis le XVIe siècle dans ce village du centre-ouest du Mexique. Il se penche plus particulièrement sur le récit de cette fête au travers des écrits du secrétaire du père franciscain Alonso Ponce qui assista à cette cérémonie en 1586. Lors de cette fête qui met en relief le métissage des croyances indiennes et chrétiennes, les tastoanes, chefs indigènes des communautés, affrontent Santiago (Saint Jacques). La réutilisation de cette image dans la fiesta de los tastoanes serait vue par les missionnaires comme une mise en scène de la lutte espagnole contre le paganisme, donc comme une certaine assimilation des valeurs chrétiennes par les Indiens. Cependant, selon Kinser, la fiesta de los tastoanes prend une dimension parodique à Patamba en présentant la conquête espagnole comme la victoire du civilisé sur le sauvage. Par leur mise en scène, les Amérindiens donnaient leur version de la conquête du Nouveau Monde. Pour comprendre comment s’est mise en place cette appropriation de l’histoire, Kinser présente les conditions de la colonisation à Patamba. Il estime que les Espagnols ont rapidement pris conscience de la nécessité d’adapter leurs valeurs aux habitudes locales. Il faut séduire plus qu’imposer. La civilisation aztèque accordait une grande importance aux festivités ; l’Espagne aussi. C’est donc par ce biais que les valeurs devront passer. Cependant, en assistant aux cérémonies, les Espagnols doutent d’une totale compréhension et adhésion à la religion chrétienne. Ils adoptent pourtant une certaine position de tolérance. Kinser estime que c’est grâce à cette « attitude syncrétique d’assimilation »(122) que va naître ce métissage ethno-religieux qui donnera lieu à un « catholicisme mexicain authentique ». De plus, dans la logique coloniale espagnole, les Indiens sont toujours restés séparés du colonisateur. Patamba est le territoire originaire des Indiens et les Espagnols ont laissé les chefs locaux exercer leur pouvoir de façon traditionnelle. « Ils ne pouvaient plus transmettre leur propre histoire et leur propre conception du monde qu’au travers de formes espagnoles » (131).

Dans « L’archéologie du colonialisme. Consommation, emmêlement culturel et rencontres coloniales en Méditerranée », Michael Dietler s’attache à démontrer la pertinence de l’approche archéologique pour la compréhension du colonialisme et de ses conséquences. En s’intéressant à un « emmêlement culturel » au cours de l’Âge du fer en France méditerranéenne, il illustre l’importance de la prise en compte de la culture matérielle, des objets de la vie quotidienne, révélateurs, selon lui, de la « colonisation de la conscience »(162, citant Comaroff). Le mode de consommation deviendrait alors un indicatif de la rencontre interculturelle mettant en valeur ce qui est intégré ou non et les raisons de cette intégration par la culture réceptrice. Dietler estime que l’archéologie peut apporter des données différentes susceptibles de révéler de nouvelles clefs de compréhension en donnant accès à des périodes de contacts lointains pour lesquels il existe très peu de documents manuscrits. Dietler, comme Lüsenbrink, rejette les visions d’assimilation passive par les sociétés colonisées et considère que « l’adoption culturelle est un processus actif de transformation et de manipulation créative »(164). La démarche archéologique a aussi l’avantage de replacer les réflexions sur le colonialisme dans un contexte plus général. Ainsi, les archéologues rappellent que le phénomène colonial n’est pas nouveau et ne correspond pas seulement à l’expansion du capitalisme. Dietler cite l’exemple de l’empire romain qui a eu des conséquences essentielles, notamment au niveau linguistique.

Dans « Objets mobiles. Regards sur la poterie marocaine », Alexandra Van Dongen amène la réflexion dans le domaine de la muséologie. Elle pose les questions essentielles de l’authenticité et de la représentation dans la mise en scène des objets au sein des musées. Après une présentation de l’évolution des collections du musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, elle présente le concept de l’une des expositions intitulée « Pavillon du Maroc ». Cette exposition retrace l’histoire de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris et de la controverse qui l’a entourée, telle que l’organisation d’une contre-exposition par les Surréalistes. Les intellectuels de ce mouvement y voyaient la mise en scène de l’hégémonie de la France sur ses colonies et remettaient en cause la définition de « l’authentique ». Van Dongen rappelle qu’en effet, le pavillon du Maroc, mettant en scène une culture traditionnelle stéréotypée, côtoyait les pavillons mettant en valeur les progrès techniques français. Le débat qui animait les organisateurs tournait autour de la présence d’objets de la vie quotidienne et de leur authenticité face à des objets d’art dont on ne doutait nullement du caractère authentique. Van Dongen évoque le rôle du Service des Arts indigènes, qui contrôlait tout le processus de fabrication de l’objet pour ne pas être dupé par des « imitations orientalisantes »(189)… Elle questionne ainsi le regard de l’Occident sur les sociétés dites traditionnelles. « L’authenticité est désormais considérée comme une construction historique connotée du point de vue idéologique »(192). Elle intitule l’un de ses paragraphes « toutes les poteries sont des copies ». Par cette phrase choc, elle démonte le mythe de l’authenticité, de la pureté originelle, en expliquant que la poterie marocaine, comme beaucoup d’autres processus, est un mélange d’inspirations diverses du fait des rencontres interculturelles et des traditions locales. Les tentatives de catégorisation dans les musées apporteraient donc des visions réductrices des objets. « L’exigence d’authenticité des conditions de vie dans lesquelles travaillent les artistes et les artisans cache une exigence bien plus funeste : la ‘“culture marocaine traditionnelle” n’a pas le droit de changer » (202). L’exposition de Rotterdam tente de mettre ces différentes dimensions en parallèle.

Laurier Turgeon cherche à débusquer les manifestations de nouvelles formes culturelles du fait de l’augmentation constante des interactions entre les cultures. Il se penche sur l’acte de manger dans un restaurant étranger à Québec. La multiplication des restaurants étrangers dans la ville de Québec, au détriment des restaurants régionaux, représente-t-elle une crise de l’identité québécoise lorsque l’on envisage cet acte comme un marqueur de différence ? Pour saisir le sens qu’en donnent les acteurs, Laurier Turgeon utilise l’analyse d’Homi Bhabha sur les espaces de contacts créateurs de nouvelles formes culturelles et le concept de compression et de juxtaposition des cultures. Il envisage alors le restaurant étranger comme un « ethnosite »(210). Sur la base d’entretiens avec les propriétaires de huit restaurants de Québec et de clients, il fait ressortir deux voix dans les discours. Le propriétaire immigrant donne la priorité au côté économique de son affaire, qui lui offre une intégration au monde du travail. Le client est, quant à lui, le plus souvent à la recherche de la différence culturelle et si possible authentique. « Tout est mis en oeuvre pour combiner des éléments exotiques de la culture étrangère visant à séduire le client et des éléments de la culture locale destinée à le sécuriser »(222). Selon Laurier Turgeon, il y aurait une métaphore d’ingestion-digestion de la différence dans ce procès. Il aborde ensuite le phénomène de mode qui entoure les interactions culturelles : « l’ethnique est éthique »(229). Notre époque post-coloniale rime avec esthétique de la différence. « La différence culturelle n’est plus considérée comme une forme de résistance à un capitalisme mondial tentaculaire mais plutôt comme un autre produit à commercialiser » (230).

Au travers de cette réflexion interdisciplinaire sur le métissage, les méthodes traditionnelles d’explication des mélanges culturels dévoilent leurs limites. Les concepts de base sont à repenser en tenant compte de réalités nouvelles. Définir son identité est de plus en plus complexe dans un monde aux frontières en perpétuel mouvement. Les cultures ne peuvent plus être perçues comme des entités figées, cloisonnées. Les acteurs cherchent à composer avec leurs différentes expériences culturelles pour trouver un semblant de sécurité. Jamais passifs, les individus négocient avec le métissage. Cette notion aux multiples sens permet à chacun de faire son bricolage identitaire. Avec ces nouveaux signes de l’identité, il y a émergence de nouvelles formes culturelles. Mais qu’est-ce qui ressort de ces nouvelles appartenances sinon la reconduction de catégorisations, comme la culture beur en France ? Dans un contexte post-colonial, l’Autre donne sa version de l’histoire après avoir été muselé le plus souvent par un Occident civilisateur. Michael Dietler rappelle que, jusqu’en 1950, la moitié de la planète et les deux tiers de la population connaissaient une forme de domination coloniale. Aujourd’hui, l’éloge de la différence dans nos sociétés serait-elle une forme de réponse dé-culpabilisante de la part de l’Occident ? Laurier Turgeon et Anne-Hélène Kerbiriou parlent d’une « idéologie salvatrice » (9) du néocolonialisme qui chercherait à réconcilier « un monde dichotomisé ». Cependant, le métissage a beaucoup de facettes et ne prend pas seulement la forme de la contrainte. On a pu voir avec Lüsebrink et Dietler des cas d’assimilation créative. Les multiples perspectives abordées dans cet ouvrage le montrent : le métissage est partout et il prend le visage que les acteurs veulent bien lui donner. Dans l’infinité de ses possibles, le métissage se situerait dans un entre-deux mouvant, toujours créateur de sens. Regards croisés sur le métissage offre un éventail intéressant des multiples manières d’aborder la rencontre interculturelle. Ne fermant aucune porte, ne privilégiant aucune approche, les auteurs démontrent qu’il est difficile de coller des principes théoriques sur ce phénomène. Ils font donc le choix de l’incertain, de l’imprévisible et de l’adaptation conjoncturelle.