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Diane Audy présente un ouvrage bien documenté sur les zouaves de Québec au XXe siècle. Cette étude à caractère ethnologique est accessible au grand public mais s’avère également un outil de référence pour le chercheur s’intéressant à cette association paramilitaire et catholique qui a oeuvré au sein de la société québécoise pendant près de cent ans (de sa fondation en 1899 à sa dissolution en 1993). L’auteure retrace l’historique et les activités du mouvement zouave, ainsi que les accomplissements de ses membres. Ce travail permet de préserver de l’oubli une page de l’histoire d’une association méconnue.

Diane Audy est ethnologue, spécialiste du patrimoine religieux. Cette analyse du mouvement des zouaves résulte de son mémoire de maîtrise. Elle travaille actuellement sur le sujet des communautés religieuses féminines qui ont fondé le Québec, dans le cadre de son doctorat.

En 1993, l’Association des zouaves de Québec, par l’intermédiaire de Roger Langevin, septième colonel des zouaves, lègue au Musée de l’Amérique française un fonds de plus de 1000 objets amassés depuis sa fondation en 1899. En tant que contractuelle au Musée, Diane Audy a procédé à l’acquisition de cette collection puis à son catalogage. Ses premières recherches documentaires sur le mouvement s’avèrent peu fructueuses, ce qui ne fait qu’augmenter l’intérêt de l’auteure pour cette association. Il lui apparaît alors urgent d’entreprendre la collecte des témoignages des derniers représentants de l’association afin d’en apprendre davantage sur les objets du fonds et leur usage, mais également sur l’organisation et les motivations de ce groupe qui a traversé le XXe siècle. Cette donation marquait en effet la cessation définitive de l’Association des zouaves, qui ne trouvait pas de relève. C’est dans un tel contexte que s’inscrit le travail ethnographique de Diane Audy, qui a voulu rendre la parole aux membres d’une association qui a connu ses heures de gloire dans la société québécoise à une période où l’Église catholique était omniprésente.

L’ouvrage est divisé en quatre chapitres couvrant les différents aspects utiles à une compréhension globale. En premier lieu, il est question des origines du mouvement, qui remontent à la première moitié du XIXe siècle. Ensuite, l’auteure fait une description minutieuse des différents objets légués au musée. Le chapitre suivant fait place aux membres de l’Association et tente d’en dégager l’organisation générale, notamment par le biais d’extraits d’entrevues réalisées auprès de neuf informateurs. Enfin, le dernier chapitre réunit les composantes humaines et matérielles et traite de l’action sociale du groupe. Plusieurs annexes et illustrations viennent compléter le portrait. L’auteure s’est donc appuyée sur l’enquête de terrain et l’analyse méticuleuse du fonds d’archives pour alimenter ses recherches.

Dans le premier chapitre, on apprend que le terme « zouave » vient du mot berbère « zwawa » qui est le nom d’une tribu kabyle du nord de l’Algérie. En 1830, lors de la conquête de l’Algérie par la France, un corps d’armée composé d’hommes de cette tribu est créé pour servir la France qui manque de soldats. Vers 1841-1842, le « corps des zouaves » est composé uniquement de soldats français et jouit d’une bonne réputation jusqu’aux années 1870. À Rome, en 1860, la troupe des zouaves pontificaux est créée pour renforcer la défense du pape Pie IX contre le roi de Sardaigne et les hommes de Garibaldi qui tentent d’unifier l’Italie en un seul royaume. Des hommes de tous les continents viennent supporter la cause du pape et de l’Église catholique dans la défense du Vatican. En tout, 507 Canadiens français joindront les troupes, à l’instigation de Mgr Bourget, évêque de Montréal. L’auteure précise que cette dévotion pour le pape est un fait marquant de l’histoire du catholicisme au Québec durant le XIXe siècle. Les zouaves sont les défenseurs du pape mais également d’une nation profondément catholique. De retour au pays, ils désirent garder le contact et s’assurer une relève.

Après ce préambule historique nécessaire pour comprendre la genèse de l’association, Diane Audy se consacre au dépouillement et à l’analyse du fonds des zouaves, c’est-à-dire à « l’univers matériel ». Par cette démarche, l’auteure cherche à répondre à une série de questions telles que la composition du fonds, ce que peuvent nous apprendre ces artefacts, la raison du legs et l’image que laisse l’association par le don de sa collection. Après un court historique de la donation, l’auteure présente les composantes du fonds, divisé en deux parties, soit les objets matériels et les documents. La première partie comporte des vêtements, des armes, des médailles, des drapeaux et des bannières, ainsi que des instruments de musique. La catégorie vêtement permet de retracer l’évolution du costume zouave et sa grande importance en tant que symbole au sein de l’organisation. Les fonds regroupent pas moins de 1239 objets et dix-sept caisses de documents d’archives, dont des photographies prises entre 1868 et 1975, des bandes sonores, des disques, des films, des livres et des archives composées d’affiches, de certificats, de registres, etc. Ces documents sont d’une grande utilité pour la compréhension de l’usage des artefacts et des activités de l’association à travers le temps. Par exemple, le souvenir des zouaves pontificaux est réactualisé dans les exercices paramilitaires. Le côté militaire de l’association se démarque par le nombre important d’artefacts de cette catégorie. Ensuite, l’aspect religieux est de la plus haute importance, les zouaves demeurant d’ardents défenseurs du pape et de l’Église. Finalement, le rôle social de l’organisation est considérable, compte tenu des multiples activités proposées.

L’analyse ne pouvait être complète sans l’apport de témoignages rendant compte des aspects humains et intangibles de l’association. Diane Audy a procédé à des enquêtes orales auprès de neuf membres actifs afin de cerner qui étaient ces hommes qui ont rejoint le mouvement zouave depuis les débuts, pour quelles raisons ils y ont adhéré et comment se justifie leur engouement pour l’association. Par ces entrevues, l’auteure voulait dégager certains aspects comme l’idéologie et les exigences de l’association. Les membres ont la possibilité de devenir de « vrais hommes », en santé physique et spirituelle par l’entraînement militaire et l’éducation religieuse, dans un esprit de camaraderie. Les enquêtes ont révélé également la prédominance d’hommes des milieux ouvriers, tous catholiques et francophones. L’auteure constate également que c’est l’aspect militaire, bien que symbolique, et le costume, qui ont d’abord attiré les neufs informateurs.

Le dernier volet traite des activités offertes aux membres, mais également à leurs familles et, dans une plus large mesure, à la communauté. On y trouve des activités militaires en uniforme, comme les entraînements ou la participation à des processions religieuses. Les zouaves étaient parfois demandés comme partenaires des forces de l’ordre dans certaines manifestations. L’activité la plus importante est le grand rassemblement annuel à la campagne. Les activités à caractère social sont également nombreuses et permettent aux non membres de se joindre à l’association. Il y a des activités à l’intérieur comme à l’extérieur. Par exemple, le premier quartier général, à la halle Berthelot, est muni de plusieurs allées de quilles, d’une salle de sport et d’une bibliothèque. L’endroit est convivial, les hommes peuvent se retrouver pour discuter, il y a parfois des pièces de théâtre et des « veillées ». Le lieu est ouvert à la jeunesse et on pourrait dire qu’il est l’ancêtre de la maison des jeunes ou du « patro ». L’hiver, on fait du patin et du ski sur la rivière Saint-Charles. L’été, le pique-nique annuel réunit les familles. Les zouaves réalisent également des activités de financement, comme le bingo, et d’entraide, comme la guignolée.

Par ces nombreuses actions, Diane Audy démontre le souci qu’a l’association de perpétuer l’idéologie des zouaves pontificaux au moyen d’une présence active dans la communauté pour y assurer le bon ordre moral. Dans un esprit militaire hérité de la France, les hommes s’entraînent en uniforme et défilent lors de différentes manifestations religieuses à la demande de l’Église. L’association permet également aux citoyens de profiter de diverses activités et infrastructures peu accessibles à l’époque. Diane Audy met en lumière dans son analyse trois périodes dans l’histoire de l’association, qui suivent celles de l’histoire de l’Église au Québec. La première période (1899-1939), est essentiellement militaire : l’époque de l’expansion du mouvement est celle de l’entre-deux guerres. De 1940 à 1965, le groupe sert l’Église parallèlement à l’Action catholique. Ainsi, dans les années 1950, le mouvement connaît son âge d’or et compte 2000 membres. La troisième période (1965-1993) est celle du déclin de l’association. La Révolution tranquille et le concile Vatican II transforment de manière profonde la société québécoise. Les zouaves délaissent peu à peu l’uniforme et les grandes manifestations et effectuent un « virage au civil » à partir de 1972, par des actions auprès des jeunes et du bénévolat.

De leur fondation en 1899 par Edmond Rouleau jusqu’à la donation des divers objets au Musée en 1993, les zouaves de Québec ont tenu un rôle important dans la société. L’ouvrage de Diane Audy permet de connaître l’implication de cette association presque totalement oubliée. Il en résulte un enrichissement de la connaissance de l’association mais également de la société québécoise dans son évolution au XXe siècle. Bien que l’analyse des fonds soit prépondérante, l’étude n’aurait pu être complète sans l’apport considérable de l’enquête de terrain auprès de neuf informateurs ayant connu les dernières heures du mouvement des zouaves. L’ouvrage s’appuie également sur des tableaux de classification des artefacts du fonds selon une méthode mise au point par le Service canadien des parcs. Les nombreuses annexes renseignent sur les compagnies du régiment, les activités et conventions. Une chronologie est dressée, de même que la transcription de la promesse et le serment de fidélité à Pie IX. Finalement, plusieurs illustrations viennent agrémenter l’ouvrage, dont l’une montrant les zouaves de Québec en 1901. L’auteure a introduit dans cette section la photo de Roger Langevin, septième colonel, vêtu de son costume.

De la rue Saint-Jean, dans le faubourg Saint-Jean Baptiste, on peut emprunter une petite rue nommée la rue des Zouaves qui débouche sur le parc Berthelot. Rien n’indique la présence passée d’une halle grouillante d’activités, sauf un panneau d’interprétation, comme on en retrouve en plusieurs points de la ville. Celui-ci retrace, à l’aide de quelques photos, l’histoire du lieu et celle des zouaves de Québec. Le côté religieux y est mis de l’avant, alors que l’aspect militaire prime dans l’étude de Diane Audy. Cet ouvrage rend sa juste place à cette association, dont l’importance pour la mémoire collective était à démontrer. Si le nom de « zouave » a suscité une certaine dérision et s’est transmis dans les expressions populaires, cet ouvrage est un hommage à ces hommes qui ont servi une cause et constitue une sorte de réhabilitation d’un mouvement paramilitaire.