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L’ouvrage a été élaboré à la suite d’un colloque du même nom, Jeunesse à risque. Rite et passage, qui s’est tenu à Montréal en novembre 2003. Le livre rassemble des textes inspirés des communications présentées à ce colloque. Des sociologues, sexologues, anthropologues et chercheurs en sciences de l’éducation de l’Université Marc Bloch de Strasbourg et d’universités québécoises, de même que des intervenants qui gravitent dans l’univers des jeunes ont participé à la rédaction de ce collectif dirigé par Denis Jeffrey, David Le Breton et Joseph Josy Lévy.
Dans les sociétés traditionnelles, la transition vers l’âge adulte était marquée par des rites de passage, c’est-à-dire des épreuves planifiées par les adultes. Une fois franchies grâce à leur endurance et leur capacité à dépasser leurs limites, les jeunes acquéraient le statut d’adulte. Les mythes fondateurs et les normes sociales du groupe étaient transmis lors de ces rites. De nos jours, ce passage n’est guère plus facile : les pratiques de violence et les risques se substitueraient-ils aux épreuves des sociétés traditionnelles ? Les conduites risquées et la transgression de normes sont des pratiques courantes à l’adolescence pour mettre à l’épreuve ses limites. Cette période est aussi une quête identitaire, de sens et d’idéaux. Tous ne sont pas préparés à cette étape de la vie. Certains sont confiants, alors que d’autres ne sont pas à l’écoute d’eux-mêmes, des changements et des interrogations qu’ils ressentent. Les treize textes qui composent ce livre visent à analyser les comportements des jeunes afin d’améliorer les interventions sociales. Les trois premiers revisitent la notion de rites de passage développée par Arnold Van Gennep pour comprendre la transition vers l’âge adulte dans le monde actuel. Les neuf autres articles présentent des exemples de situations vécues par la jeunesse d’aujourd’hui en relatant des témoignages émouvants d’automutilations, de viols, d’agressions et d’autres épreuves difficiles.
Le sociologue David Le Breton s’intéresse au sens des risques pris par des jeunes ayant des difficultés à définir leur trajectoire de vie et à se projeter dans l’avenir. Il s’agit de manières d’exister et de revendiquer sa place dans le monde adulte. Certes douloureuses, les conduites à risques expriment plus une volonté de vivre, une quête identitaire, un désir de reconnaissance et d’attention de ses proches que l’autodestruction. L’auteur fait référence au concept de rites ordaliques pour expliquer les conduites à risques. Les jeunes s’en remettent à l’imprévisibilité de la suite des événements, une roulette russe, où surmonter la mort détermine si la vie vaut la peine d’être vécue et lui attribue un sens. Le corps est l’objet mis à l’épreuve et par lequel s’effectue la transition vers l’âge adulte. À défaut de s’exprimer par le langage, la douleur physique symbolise la souffrance ressentie. À titre d’exemples, l’auteur fait état d’individus ayant recours à l’entame corporelle comme moyen de faire face à leurs souffrances. Transformer son corps permet de pallier de manière provisoire son impuissance pour changer son milieu.
Contrairement aux rites de passage dans les sociétés traditionnelles, les pratiques à risque ne se déroulent pas sous le regard d’une communauté consentante. Selon l’anthropologue Thierry Goguel d’Allondans, les structures socialisantes d’autrefois auraient fait place à des rites intimes n’ayant de sens que pour l’individu lui-même. Elles puisent dans la souffrance une réponse temporaire au sens de l’existence. Elles ne font pas appel à une mémoire collective ni à la transmission de savoirs. Révélatrice de l’identité et de ses limites, c’est en ce sens qu’on peut parler de rites. Selon l’auteur, le travail social n’aurait pas adapté ses pratiques au processus des rites de passage. Les actions à l’égard des jeunes délinquants portent plutôt sur l’urgence sociale, l’avant et l’après d’un séjour dans un centre, que sur cet entre-deux.
Le troisième texte poursuit la réflexion des précédents. Le professeur en éthique de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, Denis Jeffrey, soutient que le concept d’épreuve permet une meilleure compréhension des conduites à risque. Selon lui, deux conditions confèrent une valeur rituelle à une épreuve. D’une part, elle doit transmettre un enseignement sur la vie humaine, comme la souffrance, la mort ou les différenciations sexuelles. D’autre part, il faut que l’épreuve amène une reconnaissance, un sentiment de confiance et un soutien des aînés à l’égard du jeune. Ainsi, la notion d’épreuve semble plus appropriée que celle des rites de passage pour expliquer la transition au monde adulte tout en mettant en évidence la charge émotive de cette étape de la vie.
L’anthropologue Marc Perreault s’intéresse à la violence dans les gangs de rues chez des jeunes Québécois d’origine afro-antillaise. Si certains considèrent la violence meurtrière comme une non-insertion sociale et un rejet des valeurs, il s’agit plutôt d’un passage risqué pour intégrer une gang et aspirer à une réussite sociale. La violence occupe une place négligeable par rapport à une volonté d’avoir du plaisir et de séduire les filles attirées par la figure du gangster-héros. Il faut faire ses preuves pour gagner l’estime des autres membres de ce groupe d’appartenance. L’initiation consiste généralement à endurer la douleur ou de poser un geste violent à l’égard d’autrui sans afficher sa peur ou sa souffrance. Outre la violence, le milieu des gangs de rues fait généralement preuve de domination à l’égard des filles. Intégrées dans les réseaux de prostitution et la danse, elles sont le principal moyen d’approvisionnement financier.
Le sociologue Pascal Hintermeyer analyse aussi le phénomène de la violence, en faisant état des résultats d’une enquête orale auprès de jeunes de 14 à 18 ans, amenés à réfléchir sur leur vie quotidienne et leur rapport à différentes formes de violence. Sans faire de généralisations abusives, l’auteur souligne que d’après cette étude, le risque de vivre dans un climat violent augmente pour un jeune homme ayant de faibles revenus, pratiquant des activités interdites et issu d’une famille nombreuse dysfonctionnelle. Se faire respecter, éviter l’humiliation, acquérir de la notoriété, combattre l’ennui, vouloir s’enrichir ou consommer sont autant de motivations utilisées par les adolescents pour justifier la violence. La violence commise n’est pas sans lien avec celle subie. La réplique est une occasion de faire valoir sa supériorité pour éviter que la situation se reproduise, créant un contexte d’une perpétuelle légitime défense. L’usage de l’agressivité devient un moyen de s’affirmer et de se protéger. Néanmoins, la violence provoque ennuis et isolement chez les agresseurs.
Farid Rahmani, doctorant en sociologie, s’intéresse aux pratiques de sociabilité de jeunes hommes dans les rues, les halls d’entrée et les cages d’escalier au bas des immeubles, dans un quartier populaire de Strasbourg. Les pratiques délinquantes de ces jeunes deviennent un élément fondateur de la relation à l’autre. L’article présente le cas de jeunes qui en viennent à fuir ou à quitter ces lieux pour rompre les liens de sociabilité avec ces individus et ces conduites pour entreprendre un nouveau départ. La socialisation, le contrôle familial et la trajectoire de chacun sont des facteurs qui influencent la fréquence de fréquentations de ces espaces de sociabilité masculine.
Françoise Cochet, présidente de l’Association de parents d’enfants accidentés par strangulation en France et mère d’un jeune décédé lors de la pratique du jeu du foulard, témoigne de l’expérience vécue par son fils et d’autres adolescents. Ce jeu consiste à comprimer les carotides pour créer un état d’anorexie cérébrale provoquant des convulsions. Les plus téméraires pratiquent ce jeu seul à l’aide d’une ceinture, d’une corde ou d’une écharpe et croient pouvoir relâcher le lien et se réveiller seuls. En groupe, ce sont les pairs qui ont la charge d’effectuer la strangulation et de réveiller le jeune. L’association soutient les familles des victimes et informe la population des risques de ce jeu par le biais des médias.
Les sexologues Mylène Fernet, Hélène Manseau et Joanne Otis analysent les relations amoureuses de jeunes Québécoises violentées, âgées entre 15 et 19 ans, rencontrées en 2000 et 2001. L’article fait état de la violence dont elles sont victimes et leurs représentations de ces expériences amoureuses. La violence peut prendre différentes formes, soit le contrôle, l’intimidation, l’agression physique et sexuelle, la tromperie et le dénigrement. L’amour et l’engagement ne sont pas affectés par la violence lorsque la relation avait atteint son intensité avant les gestes violents. Ceux-ci en viennent à faire partie de la relation et peuvent même être interprétés comme une preuve d’amour. Certaines estiment que leur amour aurait le pouvoir de transformer l’être cher. Ainsi, les programmes préventifs assimilant la violence à une réalité menaçante ne rejoignent pas les jeunes femmes en quête de relations amoureuses.
Les articles « Entre féminité et féminalité. La conquête du soi à l’épreuve du risque chez les adolescentes » de la sociologue Hakima Ait El Cadi et « L’image médiatique de la femme dans le vidéoclip de rap et la sexualisation précoce des jeunes filles » de Myriam Laabidi, doctorante en sciences de l’éducation, abordent les représentations de la femme dans le monde actuel. Cette dernière s’intéresse à l’image de la femme dans la culture du hip-hop qui s’exprime dans diverses disciplines artistiques (musique, danse et art graphique), plus particulièrement les vidéoclips de rap. Les jeunes filles, inconscientes des limites et dangers de cette hypersexualisation, voient plutôt dans les médias des réponses à leurs quêtes d’idéal féminin et d’estime personnelle. Ils interviennent dans la constitution sociale de leur identité. Hakima Ait El Cadi considère que l’insoumission aux modèles occidentaux des canons de la beauté féminine amène marginalisation et stigmatisation. L’auteure propose le concept de « féminalité » pour désigner ces femmes hors normes. L’adjectif « féminal » désigne et reconnaît chez la femme, la force, le pouvoir et la prise de risque de la femme. Pour l’auteure, la féminalité renvoie au concept de la virilité. Cela soulève à notre avis des interrogations quant à la manière de nommer les hommes, dits « efféminés », qui ne correspondent pas aux modèles dominants. Les qualités et les comportements ne devraient-ils pas être dissociés de la notion de genre ?
L’article « Cyberespace et risques parmi les jeunes » porte sur la contribution d’Internet à la dissémination de pratiques à risque associées aux drogues, aux jeux de hasard, à la propagande haineuse, à la pornographie, au réseautage avec des inconnus, à la sexualité et à la transmission d’informations confidentielles. Outre les risques, le cyberespace permet d’entretenir des liens avec des gens éloignés géographiquement et de répondre à une quête d’appartenance à des groupes. Il ne faut pas oublier que les risques étaient présents avant l’ère d’Internet ; le réseau de diffusion a donc changé. À notre avis, il faudrait s’intéresser davantage aux besoins d’information des jeunes sur ces sujets pour informer adéquatement les jeunes sur les conséquences de ces comportements risqués.
La sexologue Marie-Ève Girard analyse la première relation homosexuelle masculine dans des récits mis en ligne sur Internet. L’auteure a procédé à une analyse de contenu des motivations, des pratiques, des émotions et des conséquences psychosexuelles de cette expérience dans les récits de seize Français et de quatorze Québécois. Si la première relation sexuelle comme passage vers un nouveau statut social n’est plus à démontrer, en revanche, peu d’études s’intéressent au contexte dans lequel se déroulent les premières relations entre partenaires de même sexe. Celles-ci se déroulent souvent dans la clandestinité et l’anonymat, en l’absence d’interactions sociales significatives. Elles ne sont donc pas associées à un passage comme la première relation hétérosexuelle. Des variations entre les récits permettent de supposer l’existence de différences culturelles en rapport à l’homosexualité qui mériteraient d’être approfondies dans une étude ultérieure.
L’ouvrage a le mérite d’éviter l’écueil qui consisterait à généraliser les pratiques marginales des jeunes. Comme en fait état l’ouvrage La sexualité des jeunes Québécois et Canadiens. Regard critique sur le concept d’hypersexualisation (2009), des conclusions alarmistes peuvent contribuer à la création de normes de comportements à risque. Jeunesse à risque. Rite et passage propose une autre manière de comprendre les pratiques risquées telles que le Car surfing, non comme des comportements destructeurs, mais comme des désirs d’intégrer le monde des adultes et de recevoir l’estime des pairs à l’adolescence, un moment crucial dans la constitution de l’identité. Comme le rappelle Fernande Goulet-Yelle à la fin de cet ouvrage, l’adolescent est à la fois autonome et fragile.