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Magaly Brodeur. Vice et corruption à Montréal : 1892-1970. (Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011. Pp. 144. ISBN : 978-2-7605-2641-9).[Notice]

  • Raphaël Gani

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  • Raphaël Gani
    Université Laval

L’industrie du jeu, du temps de sa prohibition au Canada (1892-1970), ainsi que le financement des dépenses publiques de la Ville de Montréal sont les deux thématiques mises en relation au sein de ce livre. L’auteure y propose la thèse originale selon laquelle la création de Loto-Québec est en partie attribuable à la lutte menée par plusieurs élus municipaux de Montréal, dont le maire Jean Drapeau, afin de légaliser les jeux de hasard et d’argent. Le propos de l’auteure est convaincant puisqu’il se base sur une analyse systématique de nombreux ouvrages et fonds d’archives. Le manuscrit de ce livre, issu d’un mémoire de maîtrise en histoire, est lauréat du concours Chercheurs auteurs de la relève (2010) des Presses de l’Université du Québec. La transition de mémoire de maîtrise à livre grand public s’effectue avec succès. L’ouvrage se lit aisément et il dispose d’un titre accrocheur. Par contre, le titre oriente le lecteur vers le seul sujet du passé clandestin de la métropole, négligeant ainsi un pan entier du livre. Le livre contient deux parties, présentant chacune des thématiques mises en relation par l’auteure. La première partie expose l’histoire du vice et de la corruption à Montréal en lien avec la prohibition des jeux de hasard et d’argent (ex. : loterie). La deuxième partie détaille l’histoire du financement des dépenses publiques de la Ville de Montréal, et ce, en lien avec la lutte des élus de la métropole pour légaliser l’industrie du jeu. Les balises temporelles de l’étude (1892-1970) englobent la période de la prohibition du jeu au Canada jusqu’à l’entrée en fonction de Loto-Québec. Inspirée notamment des travaux de Suzanne Morton sur le jeu au Canada, l’auteure souligne l’influence de la morale protestante dans l’adoption en 1892 d’une loi fédérale qui interdit le jeu. Cette loi a préséance sur les législations provinciales. La morale protestante associe le jeu à un vice, puisque le gain sans effort est, selon elle, immoral. La diminution de l’influence de celle-ci explique en partie l’adoption d’un bill omnibus en 1969 qui décriminalise le jeu au Canada. Ainsi, Loto-Québec amorce ses activités en 1970. L’auteure illustre que la prohibition du jeu est peu efficace à Montréal entre 1892 et 1970, se basant notamment sur le livre écrit par l’enquêteur Pacifique Plante, Montréal sous le règne de la pègre, publié en 1950. Montréal est une des principales métropoles du Canada à cette époque, et probablement la plus corrompue. Par exemple, des pots-de-vin versés aux élus municipaux et aux membres du Service de police de Montréal assurent à la pègre la protection nécessaire pour gérer, avec peu d’entraves, l’industrie du jeu. Cette corruption est mise au jour par cinq commissions d’enquête sur la moralité publique à Montréal, menées entre 1895 et 1950. La description de celles-ci dévoile l’étendue de la corruption dans une métropole qui est, par ailleurs, aux prises avec de graves problèmes financiers. À l’aide des travaux de Jean-Pierre Collin au sujet de la fiscalité municipale, l’auteure souligne que les élus municipaux usent d’inventivité afin de financer la croissance des dépenses publiques de la Ville de Montréal. Au courant du XXe siècle, l’administration de Montréal perd progressivement ses pouvoirs de taxation et d’imposition au profit des paliers supérieurs de gouvernement, ce qui précarise le financement des dépenses publiques. C’est dans ce contexte que la légalisation du jeu devient attrayante pour les élus. Ces derniers veulent utiliser le jeu – une industrie prohibée, mais très rentable à Montréal – comme outil fiscal afin de financer les dépenses publiques de la métropole. Le cas de la taxe volontaire du maire Jean Drapeau est probant à ce sujet. …