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La monographie de Michelle Landry propose un survol du parcours sociopolitique de l’Acadie. L’Acadie politique : histoire sociopolitique de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, le second ouvrage paru dans la nouvelle collection « Langues officielles et sociétés » des Presses de l’Université Laval, porte sur « les luttes et les mobilisations politiques des Acadiens du Nouveau-Brunswick » (7) visant à définir leurs frontières en l’absence d’un État leur appartenant. Les six chapitres qui composent l’ouvrage correspondent à six périodes selon elle distinctes de l’histoire de l’Acadie, chacune caractérisée par des moyens d’action, un rapport aux institutions et des représentations particuliers.

La thèse centrale de Landry est que la périodisation classique présentant « une Acadie traditionnelle et une Acadie moderne à partir des années 1960 » est erronée et que « l’Acadie du passé ne peut être qualifiée de traditionnelle, même avant les déportations, puisque les colons français sont arrivés en Amérique dans le mouvement de modernité qui se déployait en Europe » (4). Cependant, l’Acadie comme entité politique, elle, ne serait apparue que dans les années 1860 avec la formulation d’une idéologie nationale qui s’est consolidée dans à la fin du 19e siècle. Bien que traditionnaliste, cette idéologie était néanmoins moderne. Les six chapitres retracent ainsi ce qu’elle considère être six grands moments du nationalisme acadien au lieu des deux périodes qui caractériseraient l’essentiel de la littérature.

Le premier chapitre de l’ouvrage est consacré à « la définition de la nation », à la construction d’une référence collective traditionnaliste permettant aux Acadiens de se représenter en tant que groupe distinct du Canada français et des autres minorités ethniques au pays. Le deuxième chapitre de l’ouvrage porte sur la « timide institutionnalisation » qui a suivi la Convention de 1881, jusqu’aux années 1930. « L’ère de l’éducation… et du clergé », le troisième chapitre, couvre une période de 30 ans allant de 1930 à 1960, pendant laquelle l’idéologie traditionaliste de l’élite clérico-professionnelle a connu son apogée. Le quatrième chapitre, « Étatisation et éclatement du discours » retrace la révolution tranquille néo-brunswickoise des années 1960 avec l’élection de Louis J. Robichaud. L’étatisation de la société initiée par Robichaud a marqué une transformation en profondeur des structures organisationnelles acadiennes, qui se sont modernisées. L’Église qui était devenue l’institution centrale du nationalisme acadien a été délaissée et la société s’est retrouvée « face à l’État ». Le cinquième chapitre porte sur la réorganisation de la société civile acadienne et la lutte pour trouver le porte-parole légitime du peuple acadien dans les années 1970 et 1980. Le sixième et dernier chapitre, « Entre prise de sang et prise de parole », porte sur les années 1990 jusqu’à 2014 et s’intérresse tout particulièrement aux tensions entre une définition ethnique et une définition nationale de l’identité acadienne, représentée notamment au sein des Congrès mondiaux acadiens.

Landry propose un ouvrage clair, qui retrace les moments les mieux connus de l’histoire acadienne en s’appuyant sur des sources secondaire, mais qui demeure au final trop descriptif et sans thèse forte. La thèse centrale de Landry, à savoir que la révolution tranquille ne marquerait pas le passage d’une Acadie traditionnelle à une Acadie moderne n’est pas tout à fait originale – elle a été formulée par Joseph Yvon Thériault, notamment – et n’est jamais clairement présentée et théorisée. La thèse d’une modernité inhérente à l’Acadie lui sert surtout à dresser un portrait relativement linéaire du parcours acadien depuis 1860. Les six chapitres qui composent l’ouvrage et qui représentent en principe les grands moments du nationalisme ne sont pas conceptualisés. Landry propose plutôt un récit descriptif des moments centraux du nationalisme acadien qu’une typologie de ses formes d’action et de ses rapports à l’État. Elle présente les débats tels qu’ils ont été menés et les arguments tels qu’ils ont été formulés par les acteurs, mais n’en donne pas des formulations sociologiques qui permettraient de les inscrire dans une trame plus large.

Partant du principe d’une modernité constitutive de l’Acadie, elle en présente le parcours historique comme une continuité sans réelles ruptures, avançant par incréments vers une plus grande reconnaissance politique et légale et une plus grande autonomie. Or, une certaine confusion traverse l’ouvrage. Landry estime par exemple que la première idéologie nationale était traditionaliste – au sein d’une Acadie moderne –, mais elle parle ensuite, à propos de la Révolution tranquille, d’une « modernisation et d’une rationalisation » non seulement de l’idéologie nationale, mais du « réseau institutionnel acadien » (67). Malheureusement, n’ayant pas préalablement défini ce qu’elle entendait pas une identité moderne, elle n’arrive pas à éclairer adéquatement les transformations entrainées par l’étatisation de la société et la modernisation des institutions et des discours. Enfin, elle ne propose aucune discussion théorique sur le nationalisme et l’État. Une telle discussion aurait pourtant été utile dans un ouvrage s’intéressant à un groupe nationalitaire infra-étatique et aurait permis une typologie plus claire et plus heuristique du parcours acadien.

La principale lacune de l’ouvrage de Landry est qu’il ne distingue pas conceptuellement divers types d’action collective – de l’Église à l’État, du régime linguistique providentialiste à celui néolibéral – sous prétexte qu’ils sont tous politiques. Alors que certains chercheurs voient dans la mise en place du régime linguistique (le bilinguisme institutionnel et la dualité linguistique) une rupture politique avec l’Acadie qui s’était institutionnalisée au sein de l’Église et la mise en place d’une judiciarisation de la langue et des moyens d’action collective, ces enjeux ne sont que timidement abordés par Landry. Répondant à l’interrogation de Thériault à savoir si le statut d’ayant droit marque une rupture identitaire et entraine une transformation en profondeur et une dépolitisation du rapport à l’identité et aux institutions, elle se contente d’affirmer que bien qu’on puisse « regretter la dépolitisation des questions linguistiques, il faut néanmoins reconnaître que l’État puise non seulement sa légitimité dans l’exercice de son pouvoir en conformité avec les lois, mais que l’adoption même de lois participe au processus typique de légitimation des actions gouvernementales » (105). Ne cernant pas la spécificité d’une identité linguistique fondée dans le droit, plutôt que dans un projet de société, sous prétexte que les deux peuvent être comprises comme politiques, elle n’arrive pas à problématiser les enjeux propres aux relations entre l’État et les organismes de représentation des minorités linguistiques officielles, qui donnent pourtant lieu à une riche littérature depuis une dizaine d’années.

Bien que l’ouvrage se propose d’analyser comment une collectivité sans État est arrivée à s’organiser et à agir sur elle-même, il se concentre dans les faits sur un type d’action en particulier : la lutte pour la reconnaissance nationale. Landry s’intéresse d’abord et avant tout aux diverses manières dont l’Acadie a obtenu une reconnaissance juridique et politique, mais elle écarte deux enjeux pourtant centraux : la représentativité et la légitimité des organismes acadiens, d’une part, et leurs capacités effective d’action, d’autre part. Premièrement, la présentation qu’elle propose des enjeux liés à la gouvernance des organismes acadiens demeure très descriptive et n’apporte aucun éclairage neuf, notamment concernant leur dépendance financière – et potentiellement idéologique – à l’État. Deuxièmement, elle présente les institutions « sans tomber dans le détail de leurs activités afin qu’il soit ensuite plus facile de comprendre en quoi les actions collectives […] correspondent à un grand mouvement d’organisation visant à augmenter la capacité d’action sur soi des Acadiens » (42). N’entrant pas suffisamment dans le détail, on termine l’ouvrage sans comprendre quels pouvoirs effectifs ont acquis les organismes acadiens – à mi chemin entre l’État et la société civile –, ni ce que font les Acadiens avec ces capacités d’action sur soi qu’ils ont accumulé depuis près d’un siècle et demi.

Cet ouvrage a le mérite de présenter plusieurs moments clés de l’histoire de l’Acadie et d’être écrit dans un langage clair, qui en fait une bonne introduction pour des étudiants de premier cycle, mais il demeure à maints égards trop descriptif. Sa faiblesse conceptuelle et théorique ne lui permet que de timidement faire avancer l’état des connaissances scientifiques et laisse en suspens trop d’interrogations pourtant fondamentales.