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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le tourisme patrimonial s’est développé considérablement, surtout grâce à la globalisation et à l’augmentation des revenus et du temps consacré au loisir (Ryan et Silvanto 2009). Les touristes culturels sont à la recherche de sites et de monuments ayant une importance culturelle, ce qui favorise la patrimonialisation de certains secteurs des villes visitées (Lazzarotti 2017). Les interrelations entre tourisme et culture sont indéniables alors que le touriste est devenu un acteur des constructions patrimoniales et identitaires (Morisset 2011). Ainsi, des liens importants existent entre le patrimoine que les touristes culturels recherchent et les événements se tenant sur le territoire visité (Alexandre-Burhis et al. 2013), par exemple, avec la diffusion d’images du patrimoine de la ville pendant ou après un événement qui appuie de cette manière le processus de patrimonialisation d’un site. De plus, les événements sont un gage de qualité et contribuent à construire une image favorable de la ville tout en renforçant son rayonnement (Piquerey, 2017 et Pradel 2017).

Depuis les années 1980, l’industrie de l’événementiel prend de plus en plus d’importance à l’échelle mondiale, d’où l’idée avancée d’un phénomène de festivalisation, de sorte qu’aujourd’hui, le tourisme et l’événementiel sont devenus de plus en plus entrelacés (Pirou 2017). Cet article vient donc explorer les liens entre trois concepts forts du 21e siècle, soit le patrimoine, le tourisme et l’événementiel, qui sont aujourd’hui indissociables. Plus spécifiquement, l’article tente d’élucider comment le processus de patrimonialisation alimente la fonction événementielle par une analyse de la construction et de l’utilisation du décor patrimonial. Le site patrimonial étudié dans cet article est celui du Vieux-Québec. L’harmonisation entre les événements et l’actif patrimonial est un enjeu actuel dont plusieurs organismes se préoccupent. Parcs Canada et l’Office de tourisme de Québec s’en soucient particulièrement pour le site à l’étude. Cet article tire son intérêt en donnant des pistes de solution liée à cet enjeu en étudiant, d’abord, la patrimonialisation du site. Ensuite, l’évolution de sa fonction événementielle est faite pour finir par une analyse de l’utilisation du décor par l’industrie événementielle.

Événements et décor patrimonial

La notion de décor patrimonial renvoie à davantage que le décor urbain, ou la simple architecture des lieux : il s’agit du paysage entier tel qu’il se manifeste au terme du processus de patrimonialisation. Ce dernier est l’étude du processus de construction patrimoniale ou de reconstruction du lien avec le passé (Davallon 2006). Plusieurs auteurs ont souligné que la patrimonialisation relève d’une construction sociale (Davallon 2006 ; Dormaels dans Berthold 2012b ; Drouin 2005 ; Morisset 2009). Dans un premier temps, par la mise en valeur d’un élément précis du passé, ce processus reconstruit l’image d’un lieu et lui confère ainsi une nouvelle représentation qui, de prime abord, n’était pas mise de l’avant ou qui était tout simplement inexistante; à son tour, cette représentation devient partie intégrante du décor. Dans un deuxième temps, la patrimonialisation vient opérer un marquage matériel des représentations du passé qui rend tangible la valeur patrimoniale. Dans cette perspective, un décor en attente de marquage n’est pas patrimonial; il ne le devient qu’à la suite d’un processus patrimonialisation (Mermet 2013).

Le phénomène de patrimonialisation s’inscrit donc dans un cercle des représentations (Devanne et Fortin 2001 ; Garrod 2009 ; Jenkins 2003), soit la co-construction d’une image d’un lieu à partir de plusieurs sources (iconographiques, paysagères, architecturales, etc.) qui structurent l’image d’une destination (Devanne et Fortin 2001). Ces images sont, par la suite, reprises par différents acteurs et sur différents médias, de sorte qu’elles deviennent familières, au point de paraître intemporelles, partagées et reconnues par tous; elles informent et reflètent l’image de la destination (Garrod 2009). Le touriste voit le décor et le considère comme authentique, car il correspond à l’image qu’il en a déjà, et par extension, il pensera que les expériences qu’il y vivra le seront aussi.

Le décor est néanmoins composé à la fois d’aspects authentiques et d’aspects fictifs qui rappellent l’authentique (MacCannell 1976). Le tissu cohérent créé par la patrimonialisation parait présenter parfois un décor « plus vrai » que ce qu’il est réellement, car il correspond à une image embellie, patrimonialisée. La distinction entre l’authentique et le faux est mince, surtout lorsque la sphère commerciale participe à ce cercle des représentations en présentant un décor plus vrai que nature dans un but de promotion touristique (Kurzac-Souali 2012 ; MacCannel 1976), et sur cet aspect, le cas de la patrimonialisation d’Arequipa au Pérou est probant. La transformation naturelle d’un site par le temps est abolie pour donner une apparence se rapprochant le plus de son aspect originel, pour que le décor soit considéré comme vrai, comme sur l’image, non pas désuet et vétuste : « la stabilité des formes matérielles et visibles du paysage constitue un élément stratégique important » (Devanne et Fortin 2001 : 62). Ce processus crée un décor touristique qui donne « l’impression aux touristes de se retrouver dans l’éternité d’une carte postale » (Jeudy et Berenstein-Jacques 2006 : 6).

En supplément des paradigmes de conservation et de mise en valeur du patrimoine, il s’agit maintenant d’animer les quartiers historiques. La montée de la fonction événementielle est au coeur de cette animation. Selon Lusso et Grégoris : « L’organisation de grands événements est devenue un outil essentiel à la régénération culturelle des villes » (2014 : 59). Par grand événement, nous entendons une manifestation, d’une durée limitée (entre un jour et un an), concernant généralement et principalement un secteur d’activité (sportif, culturel, festif, économique, commémoratif, religieux ou diplomatique) ayant des répercussions territoriales de plusieurs ordres (Alexandre-Bourhis et al. 2013 ; Augier 2011 ; Lusso et Grégoris 2014). C’est un rassemblement d’hommes et de femmes, de locaux et de visiteurs dans un lieu pour une célébration collective (Danglade 2011). Les consommateurs sont souvent à la recherche, dans ces événements, de sensations uniques ou d’ordres plus symboliques ou sensoriels (Alexandre-Bourhis et al. 2013). Ils attirent les touristes, les gardent plus longtemps sur place tout en influençant le choix d’une destination (Getz et Page 2016). C’est également un outil « afin de se différencier et de se distinguer sur l’échiquier mondial » (Marquis 2015 : 6) car, effectivement, pour certaines destinations, l’image du lieu est grandement modelée par les événements (Augier 2011 ; Danglade 2011 ; Getz et Page, 2016 ; Lusso et Grégoris 2014), puisqu’ils permettent « la diffusion d’images, particulièrement au plan international » (Augier 2011 : 66).

À la suite d’une revue exhaustive de la littérature scientifique du tourisme et de l’événementiel, il a été possible de distinguer plusieurs types d’événements ayant lieu sur un territoire. Les auteurs ne s’entendent pas forcément sur leur nombre ou le titre de chacun des types, mais, il est ici présenté les sept types d’événements qui reviennent le plus souvent dans la littérature (entre autres Blin 2012 ; Getz 2008) et qui ont été retenus pour cet article : culturels, festifs, sportifs, commémoratifs, diplomatiques, économiques et religieux.

Un événement culturel est une attraction, une activité ayant comme élément constitutif la création artistique (Arnaud 2014 ; Vauclare 2009). La création peut être plus ou moins présente, mais doit obligatoirement en faire partie. Vauclare mentionne qu’un « événement culturel matérialise par sa programmation dans un espace et un temps particuliers un projet culturel et artistique en lien avec un territoire et des objectifs en termes de développement de ce dernier et de mobilisation d’un public » (Vauclare 2009 : 3).

Un événement festif doit avoir comme objectifs principaux le plaisir, le divertissement ou le social (Blin 2012 ; Getz 2008). C’est un moment de fête, de convivialité, de distraction et d’émotions collectives (Blin 2012). C’est l’occasion d’animer des lieux, notamment lors des périodes creuses (Fournier 2010), d’animer la ville, dont certains secteurs moins utilisés, de faire descendre les habitants dans les rues (Blin 2012). Lors des événements festifs, il peut y avoir une transgression des règles établies comme la consommation d’alcool dans les rues (dans un périmètre prédéterminé), marcher dans la rue, etc.

Le développement des pratiques sportives et l’extension des territoires sportifs aux espaces publics des villes par la création d’événements sportifs ont commencé dans les années 1980 et ont connu une véritable explosion dans les années 1990 (Blin 2012). Il y a deux types de personnes participant aux événements sportifs : les participants à la compétition qui se motivent par le défi beaucoup plus souvent que par la victoire (à l’exception des événements sportifs professionnels) ainsi que les partisans qui assistent à l’événement qui retirent leur plaisir de l’effort d’autrui en s’identifiant aux compétiteurs ou tout simplement dans un effet de nostalgie (Getz 2008).

L’événement commémoratif est un rassemblement populaire qui célèbre une personne ou un événement en lien avec une ville ou un pays (Arellano 2006 et Frost 2012). D’un côté, il peut contribuer à promouvoir l’identité nationale en engageant le participant dans un patrimoine joué ou dans un espace public significatif (Arellano 2006). D’un autre côté, il peut faire la promotion de l’histoire nationale qui est au coeur des événements commémoratifs, lorsqu’il s’agit d’une fête à l’échelle du pays (Frost 2012).

Il y a deux types d’événements diplomatiques, le premier est principalement marqué par la présence de dirigeants (premiers ministres, présidents, ministres, diplomates, etc.) de plusieurs États ou de plusieurs membres importants du même État. Il prend souvent la forme de rencontres ou d’un sommet ayant pour but d’établir des relations diverses (économiques, militaires, politiques, etc.) entre des pays ou à l’intérieur même du pays. Le second type est en lien avec la présence d’une ou de plusieurs personnalités étrangères, ayant une notoriété diplomatique ou politique certaine, qui sont en visite sur le territoire. Le tout ponctué entre des rencontres avec des têtes dirigeantes du pays ainsi que des apparitions publiques (discours, commémorations, inaugurations, etc.).

L’objectif principal des événements économiques est d’établir de nouvelles relations économiques entre deux ou plusieurs acteurs privés ou étatiques. Il inclut des réunions, des rencontres, des conventions, des expositions et des foires (Getz 2008 ; Mair et Jago 2010). L’événement économique a majoritairement un thème qui est lié à un secteur spécifique de l’économie.

Un événement religieux est un rituel de fête, il s’agit d’une visite d’un lieu sacré ayant un événement spécial qui lui est rattaché (Getz 2008). Il peut être en lien avec le lieu d’arrivée d’un pèlerinage. Un événement religieux peut également être en lien avec un événement spécial à connotation religieuse sur un territoire. Ce type d’événement a une signification plus personnelle et vient chercher des sentiments profonds chez les participants (Getz 2008 ; Iqbal et al. 2016). Il n’y a pas seulement les croyants qui participent à ces événements, plusieurs participants le font dans une optique plus spirituelle ou tout simplement par curiosité.

En ce qui concerne la méthodologie utilisée, tout d’abord une recension des écrits a été effectuée afin d’éclairer, de documenter et de comprendre les différentes dynamiques qui se produisent sur le site patrimonial étudié. À partir de cette recension, une analyse du discours a été menée afin de remonter au moment le plus ancien de la mise en valeur du patrimoine du site à l’étude et d’analyser la manière dont la patrimonialisation a construit le décor patrimonial du secteur. Ensuite, sur le plan quantitatif, un recensement des grands événements ayant eu lieu sur le territoire a été fait principalement par une analyse de 34 guides touristiques de la ville de Québec (ville et région) publiés par l’Office du tourisme de Québec et le gouvernement du Québec entre 1966 et 2018. Une revue de presse (92 articles) a été nécessaire ainsi qu’une consultation, le cas échéant, des sites internet (23 sites) pour confirmer que chaque événement avait les prérequis établis. 117 grands événements ont été recensés pour la période étudiée (1960-2017). Enfin, les publicités (affiches publicitaires ou vidéos promotionnelles) trouvées des événements recensés (70 des 117) sont analysées afin de voir l’ampleur de l’utilisation du décor par l’industrie événementielle dans la promotion. Un total de 108 publicités (44 vidéos et 64 affiches) a été analysé. De plus, une analyse du contenu d’articles parus dans les journaux et de sites internet d’événements a été faite afin de cerner les discours des différents acteurs concernant l’utilisation du décor.

Le choix du site patrimonial du Vieux-Québec s’est justifié du fait qu’il s’agit d’une ville habitée qui possède plusieurs monuments patrimoniaux à même le centre urbain et dont le développement touristique est clairement basé sur la mise en valeur de son décor patrimonial, ainsi que, de plus en plus, sur l’événementiel.

La patrimonialisation de la ville de Québec ou la construction d’un décor patrimonial

Du milieu du XIXe siècle jusqu’au début du XXe, une construction de l’identité canadienne-française s’est opérée par le biais d’une croisade pour édifier une mémoire collective. Le lieu de prédilection pour cette édification mémorielle a toujours été la ville de Québec, lieu de la première occupation française au Canada. Pour ce faire, plusieurs commémorations historiques se sont tenues sur le territoire à travers cette période et l’arrondissement du Vieux-Québec devint alors berceau du Canada. L’arrivée de Lord Dufferin en 1872 a marqué un tournant majeur pour la conservation et la mise en valeur des fortifications de Québec (Viau 2007). Sa contribution majeure n’est pas tant la modification ou l’augmentation de l’ouvrage militaire déjà en place, mais plutôt sa préservation et sa restauration, alors que les fortifications vieillissantes semblaient vouées à la destruction. Son action a eu pour effet notable de valoriser le caractère patrimonial de Québec.

Mais l’évocation de Québec comme ville du souvenir s’est transmise non seulement par la pierre qui dit l’histoire, les embellissements de Dufferin ont eu une importance dans ce sens, mais également, au tournant du 20e siècle, par deux architectes importants qui viennent forger cette image de ville qui se souvient de son passé français. Le premier, Eugène-Étienne Taché (1836-1912) veut sauvegarder le caractère historique de la ville en la magnifiant. Il prône une densification de l’architecture qui restitue une mémoire des lieux par les styles Second Empire et Beaux-Arts, démontrant sa volonté de redonner une image française à la ville (CBCQ 2007). Son projet « se démarque aussi en regard des fortifications de lord Dufferin qui, si elles prétendaient restituer une mémoire de la Nouvelle-France, appartenaient avant tout au langage pittoresque de la Grande-Bretagne » (Noppen et Morisset 1998 : 70). Un nombre important de constructions de cette époque sont signées Taché ou inspirées de ses dessins. Le porte-étendard de ce mouvement est l’Hôtel du Parlement, limitrophe au site historique du Vieux-Québec. Le second architecte, George-Émile Tanguay (1858-1923), « se tourne vers les modèles européens et étasuniens, passés et présents, dont il fait une synthèse, moderne et originale, propre à définir un renouveau spécifique à la ville » (Noppen et Morisset 1998 : 91). Il construit dans une profondeur historique à la française, comme la lignée de Taché, mais dans un style antérieur au Second Empire qui accentue une apparence d’ancienneté à la ville.

Dans les années 1920, à la suite de la construction de monuments historiques (entre autres par Taché et Tanguay), deux commissions prônant la conservation et l’étude des témoins du passé voient le jour (la Commission des lieux et monuments historiques du Canada en 1919 et la Commission des monuments historiques en 1922) démontrant la place grandissante du patrimoine sur le site étudié d’autant plus que la Première Guerre mondiale et ses dégâts sensibilisent également à la conservation des monuments (Noppen et Morisset 1998). Cependant, malgré l’existence d’une volonté de mettre en valeur le patrimoine, ces deux Commission n’ont aucune portée législative pour protéger les biens jugés historiques, mais non classés. Il faut attendre les années 1950 pour remédier à la situation.

Lors de l’entre-deux-guerres, la ville connait aussi un courant de refrancisation propulsé par l’élite de l’époque (Taschereau, Lavigeur, le clergé, les journaux). Il ne s’agit pas seulement de changer les enseignes ou les noms de rue, mais également de préserver l’ensemble de l’environnement construit qui affirme une physionomie et un caractère français de la ville en revalorisant les traditions françaises et catholiques (CBCQ 2001 ; Lebel et Roy 2000 ; Provencher 2001). À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, les chantiers de reconstruction se multiplient offrant l’image du berceau de l’Amérique française à la ville de Québec surtout grâce à la reconstruction de place Royale. C’est le début d’une conception plus moderne du patrimoine où sa protection et sa conservation prennent de plus en plus d’importance. Bref, comme le mentionne Jean Bruchési, le sous-secrétaire de la province à la fin des années trente, le but est de « redonner à ce qui nous entoure, au milieu dans lequel nous vivons, à nos attitudes, à notre action, la marque française conforme à nos origines, à notre histoire, à nos qualités natives et sociales » (Lebel et Roy 2000 : 44).

La déclaration du Vieux-Québec comme arrondissement historique en 1963 est une preuve probante de l’importance que prend le patrimoine pour la ville. L’arrondissement est dès lors protégé globalement. Les restaurations, dès 1980, s’étendent dans le domaine privé par des programmes de subvention de l’État. En 1985, le site reçoit le titre de patrimoine mondial de l’UNESCO suite aux restaurations, à la conservation et à la protection du patrimoine autant public que privé. Cette inscription au patrimoine mondial change le territoire : « l’espace public et ses parois, soit les murs des bâtiments qui l’entourent, deviennent de plus en plus patrimoniaux » (Morisset 2016 : 26). Cette dernière labélisation justifie alors d’autant plus les investissements importants pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine qui concourent à la qualité d’ensemble que l’on trouve aujourd’hui dans le Vieux-Québec (Berthold 2010).

C’est la somme des constructions, des rénovations et des reconstructions faites dans le sillage de la patrimonialisation qui mène à la création d’un décor patrimonial caractéristique au site. C’est ainsi que le Vieux-Québec a acquis son décor de carte postale.

Les grands événements du site patrimonial du Vieux-Québec

Dans les années 1990, les paradigmes urbanistiques et culturels ont eu pour objectif la réappropriation de l’espace urbain, il s’agissait de « faire revivre le « décor » par les habitants de la région » (Arellano 2006 : 322), de faire revivre le patrimoine, de faire vivre l’objet patrimonial (Berthold et Verreault 2006) et également d’animer les quartiers historiques. La mise en place d’événements dans ces quartiers historiques a constitué un moyen privilégié d’animation autant touristique que culturel (Arellano 2006).

Par contre, l’augmentation du nombre de grands événements dans le Vieux-Québec est décelable depuis les années 1980 (figure 1). Ce développement de l’événementiel n’est cependant pas propre à la Ville de Québec. Effectivement, « depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le principe du festival a connu un prodigieux essor dans les pays occidentaux » (Laville 2014 : 13) et « pendant les années 1980 et 1990, le nombre et la taille des festivals ne cessent de croître » (Ronstrom 2014 : 31). C’est le phénomène connu sous le terme de festivalisation, un néologisme qui se définit comme une exploitation de la culture sous toutes ses formes et de « l’ensemble des expressions humaines, bien au-delà des arts, depuis la confection de pâtisseries jusqu’à la pétanque, via tous les genres de coutumes, de patrimoines ou d’affirmations identitaires (ethniques, linguistiques, sexuelles) » (Laville 2014 : 14). Cette croissance de l’événementiel est liée à la volonté d’animer les quartiers, mais également au fait que le décor esthétisé et unique, photogénique, accroit l’attractivité touristique.

Figure 1

Évolution du nombre de grands événements à Québec.

Évolution du nombre de grands événements à Québec.

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Avant les années 1980, très peu d’événements d’envergure se sont tenus sur le territoire à l’étude. Le début de la montée exponentielle des grands événements sur le site patrimonial du Vieux-Québec, dès les années 1980, est lié à la volonté de bonification des grands événements par la municipalité. Il est indéniable que l’année 1984 est centrale dans cette émergence de la fonction événementielle. Le nombre de grands événements a plus que doublé entre 1983 et 1984 (de 5 à 12) alors que l’année 1984 marque le 450e anniversaire de la découverte du Canada par Jacques Cartier en 1534. Plusieurs événements sont prévus dès 1978 à Québec pour célébrer cet anniversaire. Des événements uniques tels que les Grands voiliers, la visite du Pape Jean-Paul II tout comme des manifestations qui sont toujours présents aujourd’hui (la Fête nationale du Québec du 24 juin, la quinzaine internationale de théâtre (aujourd’hui Carrefour international de théâtre), la biennale Rencontre internationale d’art performance Québec et la quadriennale course Transat Québec/St-Malo) prennent place dans la ville. D’ailleurs, les événements qui se déroulent tous les deux ans ou les quatre ans expliquent le fait qu’il y ait toujours davantage de grands événements lors des années paires que les années impaires, et ce, encore aujourd’hui (nous pouvons ajouter la biennale Manif d’art et le Rendez-vous naval de Québec qui se déroulent également toutes les deux années paires). Les célébrations de 1984 sont donc en quelque sorte une excroissance directe de la patrimonialisation en effervescence dans ces années sur le site à l’étude, alors que la représentation du berceau de l’Amérique française y est centrale. Dès 1981, le gouvernement canadien prévoit un réaménagement d’infrastructures pour les événements (port de Québec, bassin Louise, Pointe-à-Carcy, etc.).

Ce développement de la fonction événementielle continue exponentiellement jusqu’aujourd’hui avec un autre jalon de première importance, en 2008 : le 400e anniversaire de la fondation de Québec. Sur le plan événementiel, par les investissements massifs impliqués et leur portée internationale, les célébrations de 2008 ont eu un impact beaucoup plus significatif sur le territoire que celles de 1984. On observe déjà un saut de 33 événements en 2007 à 51 événements en 2008. De multiples événements ont eu lieu sur l’ensemble du territoire de la ville, attirant des foules record pour chacun d’eux (le Pentathlon des neiges, la célébration du jour de l’an, le Marché de Noël allemand de Québec, la biennale du Rendez-vous naval de Québec, etc.). Les trois paliers gouvernementaux ont investi pour soutenir cet anniversaire et ces investissements servent à la construction du site officiel des festivités, à la revitalisation de la façade maritime de la ville dans le secteur de la Pointe-à-Carcy et à une bonification de l’aménagement des lieux et des quais du Bassin Louise. L’ensemble de ces aménagements est toujours utilisé en 2018 pour la tenue de grands événements.

Sur les sept types de grands événements nommés plus haut, entre 1960 et 2017, la majorité entre dans le type culturel (51.3%), suivi des types festif (17.6%), sportif (10.9%), commémoratif (8.4%) et plus marginalement les événements diplomatiques (6.7%), économiques (2.5%) et religieux (2.5%). L’évolution de chacun de ces types d’événements (figure 2) nous montre que cette dominance des événements culturels est nette des années 1970 à aujourd’hui. Les quelques rassemblements culturels suivant l’initiative de Woodstock de 1969 y apparaissent (Superfrancofête en 1974, Chant’août en 1975 et 1976, le Salon international du livre depuis 1972, etc.). Depuis, le nombre de grands événements culturels ne cesse d’augmenter surtout sous la forme d’événements annuels ou des biennales (Le salon des métiers d’art de Québec depuis 1980, Les rendez-vous ès trad depuis 1992, La manif d’art depuis 2000, Le festival d’opéra de Québec depuis 2011, Le festival de cinéma de Québec depuis 2011, etc.). Mais il y a également plusieurs événements uniques (les Floralies internationales de Québec en 1997, plusieurs spectacles uniques sur les plaines tel que Céline Dion, AC/DC, The wall, etc., le grand symposium en 2004. Depuis 2012, l’un des chantiers de l’Office de tourisme de Québec : Québec, capitale culturelle et animée à l’année vise d’ailleurs à renforcer Québec comme destination culturelle.

Figure 2

Évolution de la fonction événementielle à Québec, selon le type d’événement.

Évolution de la fonction événementielle à Québec, selon le type d’événement.

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Les événements festifs sont en constante augmentation depuis 1998 (La fête Arc-en-ciel de Québec depuis 1999, Le marché de noël allemand depuis 2008, Le festibière de Québec depuis 2010, Le dîner en blanc depuis 2011, etc.). Ce type d’événement ne connaît pas de baisse quantitative puisque les événements festifs du territoire étudié sont présents chaque année (pas d’événement festif biennal ou quadriennal) et seulement deux événements festifs ont disparu depuis 1970.

L’année 1998 marque le début des deux premiers événements sportifs annuels d’envergure sur le territoire (la compétition de canot à glace aujourd’hui Grand défi Chez Victor et le Marathon des Deux-Rives aujourd’hui Marathon SSQ). Avant cette date, comme grand événement sportif, il y avait seulement la Transat Québec/St-Malo tous les quatre ans. Depuis, il y a eu une multiplication de ce type d’événements qui prennent de plus en plus leur place. Encore une fois, l’événementiel du site à l’étude suit la tendance internationale. Alors que, les événements sportifs sont en hausse constante depuis les années 1990 partout dans le monde.

Les événements plus marginaux sur le territoire à l’étude (commémoratifs, diplomatiques, économique et religieux) apparaissent plus sporadiquement à travers les années puisqu’il s’agit, en règle générale, d’événements uniques comme : les visites royales (Reine Élisabeth II en 1964 et en 1987, le couple princier William et Kate en 2011), l’ouverture de la porte sainte de Québec en 2014 et en 2016, les différents sommets (Sommet des Amériques à Québec en 2001, Sommet de la Francophonie en 1987 et en 2008, etc.), les Grands voiliers en 1984, en 2014 et en 2017, etc.

En somme, la fonction événementielle a évolué grandement au cours des derniers 60 ans. D’un seul grand événement en 1960 à un total de 117 événements de toutes sortes se sont tenus ou se tiennent toujours sur le territoire à l’étude dont 61 pour l’année 2017 (150e anniversaire de la Confédération canadienne). Le legs de toutes ces fêtes sur le territoire de Québec contribue à la promotion touristique de la ville à l’international grâce aux investissements pour la bonification du décor patrimonial tout en laissant un héritage matériel, comme de meilleures infrastructures utilisées les années suivantes pour la tenue d’autres événements. Cependant s’il est vrai que le nombre d’événements aurait sans doute augmenté avec les années, comme ailleurs dans le monde, il y a quelques contraintes liées au patrimoine dans la mise en place des événements qui peuvent être soulignées. La communauté scientifique et la sphère politique veillent à l’intégrité du patrimoine bâti par plusieurs réglementations visant sa protection. Ils travaillent à encadrer des activités pouvant dénaturer le patrimoine bâti, par exemple en le transformant en support d’affiches publicitaires, en s’approchant trop près de certains sites lors d’événements ou surtout en empêchant de modifier certains sites pour les besoins de la cause. Ces préoccupations sont au coeur de la mission de la Commission sur les biens culturels adoptée en 1972 qui « a précisément pour but de favoriser la sauvegarde et la mise en valeur des éléments les plus représentatifs et les mieux conservés de notre patrimoine » (Province de Québec 2005 : 4). La citation d’un bien patrimonial permet ainsi d’imposer certaines conditions visant une meilleure protection d’un site (Province de Québec 2010). La Commission précise qu’à l’intérieur d’un arrondissement historique, nul ne peut, sans l’autorisation du ministre, qui prend l’avis de la Commission des biens culturels du Québec, « installer un nouvel affichage [ou] faire quelque construction, réparation ou modification relative à l’apparence extérieure d’un immeuble… démolir en tout ou en partie un immeuble ni ériger une nouvelle construction » (Province de Québec 2005 : 15). Dans le cas d’un immeuble, il n’est pas possible de « l’utiliser comme adossement à une construction » (9). Ces préoccupations de protection du patrimoine viennent contraindre la mise en place de certains événements surtout ceux ayant de plus grandes infrastructures comme le Red Bull Crashed Ice.

Utilisation du décor

Les grands événements participent à modeler l’image d’une destination (Augier 2011 ; Danglade 2011 ; Getz et Page 2016 ; Lusso et Grégoris 2014), ils permettent « la diffusion d’images, particulièrement au plan international » (Augier 2011 : 66). On assiste donc à une augmentation de la diffusion de son image, de son décor. Dans le cas du Vieux-Québec, ce décor est utilisé par l’industrie événementielle, et certaines parties sont évidemment plus utilisées que d’autres. C’est le cas du château Frontenac, du complexe des fortifications ainsi que de la place Royale qui représente le berceau de l’Amérique française. Ces deux derniers sites ressortent des investissements faits depuis les années 1960 pour leur mise en valeur et leur préservation. Le tout vient construire deux représentations soit celles d’une ville coloniale fortifiée et préservée ainsi que celle de la Vieille Capitale qui représente le « berceau urbain des francophones en Amérique du Nord » (Arellano 2006 : 313) représenté par la place Royale. Elles sont toutes deux liées aux critères de sélection du patrimoine mondial de l’UNESCO attribués à l’arrondissement historique du Vieux-Québec, soit un « ensemble urbain cohérent et bien préservé… un exemple exceptionnel de ville coloniale fortifiée, de loin le plus complet au nord du Mexique » et Québec comme « l’ancienne capitale de la Nouvelle-France, représente une des étapes importantes de la colonisation des Amériques par les Européens[1] ». Les deux représentations sont centrales dans l’image de la ville. L’industrie événementielle utilise le décor directement (le décor fait partie de l’événement, il y est essentiel) et indirectement (le décor est utilisé comme une belle image qui est reconnue par les touristes, une image de carte postale).

Utilisation directe du décor patrimonial

L’industrie événementielle utilise le décor directement par une évocation historique. Les Médiévales de Québec (1993 et 1995) animent le secteur de la place Royale dans cette optique. L’événement utilise le décor, mis en valeur par les restaurations antérieures, dans une perspective de reconstruction de la mémoire d’une époque historique que la ville n’a pas connue. Malgré cet anachronisme, « les Médiévales de Québec contribuent, à leur façon, à implanter l’interprétation du patrimoine au sein de Place-Royale » (Berthold et Verreault 2006 : 102).

Depuis 1997, les Fêtes de la Nouvelle-France ont lieu chaque année dans la première moitié du mois d’août à place Royale. Le portrait dressé par les dirigeants des fêtes est très évocateur de l’orientation de l’événement. Ils mentionnent que « c’est une réelle immersion à l’époque de la Nouvelle-France, où les soldats du 18e siècle montent la garde, alors que les marchands font des affaires sur la rue marchande[2] ». Ce sont des festivités à connotation historique et culturelle axées sur une immersion des participants dans une autre époque, une immersion qui passe largement par le décor patrimonial de place Royale. « La sensibilisation à l’histoire permet de vivre l’objet patrimonial, et principalement l’objet architectural issu de la reconstruction de Place-Royale » (Berthold et Verreault 2006 : 97). L’interprétation patrimoniale des Fêtes de la Nouvelle-France se fait à l’aide de reconstitutions historiques par de l’animation, notamment costumée, et surtout, par une diffusion d’information historique crédible. L’évocation historique est au coeur de cette fête et s’appuie sur le décor de la place Royale en tant que représentation du berceau de l’Amérique française.

Figure 3

Les Fêtes de la Nouvelle-France à la place Royale.

Les Fêtes de la Nouvelle-France à la place Royale.
Photo © Mathieu St-Pierre.

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Figure 4

Les Fêtes de la Nouvelle-France à la batterie Royale.

Les Fêtes de la Nouvelle-France à la batterie Royale.
Photo © Mathieu St-Pierre.

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Les fortifications sont utilisées de la même façon, surtout dans un rappel des batailles et des sièges de la ville, à travers quelques événements plus sporadiques ou uniques. C’est le cas de la commémoration du 250e anniversaire de la bataille de Sainte-Foy qui a utilisé les plaines d’Abraham tout près des fortifications pour son événement, alors que la bataille a eu lieu beaucoup plus loin à l’ouest. Cet événement mobilise le décor des murs de Québec ainsi que des plaines d’Abraham pour raviver la mémoire patrimoniale du passé militaire de la ville. Un autre exemple, l’événement À l’assaut de la Capitale, en 1994, en 1998 et en 2004, consiste en des reconstitutions de l’invasion des révolutionnaires américains contre les forces britanniques défendant Québec en 1775. Encore une fois, elles ont lieu sur les plaines d’Abraham. Le campement français se situe « dans le vallon qui sépare le camp américain, installé près de la Citadelle, et le campement britannique, dressé derrière le parc Jeanne-D’Arc » (Salvet 14 août 1994). Pourtant, l’assaut historique s’est fait en Basse-Ville. Le choix des plaines d’Abraham, par la force évocatrice de son décor militaire, démontre la volonté de faire vivre la représentation de la ville fortifiée par ces événements. Les murs sont également utilisés dans une évocation historique lors des visites fantômes de Québec (depuis 2001) et des promenades fantômes de Québec (depuis 2005).

Plusieurs événements utilisent plutôt le décor patrimonial de la ville pour accentuer la représentation de Québec comme une ville à l’européenne. Un cas illustre est le marché de Noël allemand de Québec. Son slogan « Européen à souhait! » (Marché de Noël allemand de Québec 2017) promet une ambiance aux saveurs de l’ancien continent, une ambiance appuyée et redoublée par ce décor. Effectivement, le marché se situe en Haute-Ville tout près de la Basilique Notre-Dame de Québec et du Petit Séminaire de Québec ainsi qu’à portée de vue du château Frontenac : « La ville a tout le charme recherché pour créer l’ambiance des grands marchés de Noël européen. La mission du Marché est de faire vivre aux visiteurs toute la féérie de l’authentique expérience allemande[3] ». Cet événement montre que le décor intra-muros est utilisé par l’industrie événementielle pour entretenir la représentation d’une petite Europe sur le territoire américain.

En 2008, les festivités du 400e anniversaire de Québec aspiraient également à faire vivre le patrimoine historique de la ville de Québec par le décor patrimonial : « En plus de marquer la fondation de Québec, cet anniversaire est aussi celui de quatre siècles de présence francophone en Amérique du Nord » (Radio-Canada 2008). C’est « l’anniversaire de la fondation du premier établissement français permanent » en Amérique (Ville de Québec 2011 : 1). Plusieurs autres événements à l’affiche lors de ces festivités ont aussi utilisé le décor comme mémoire patrimoniale de l’arrondissement historique (le parcours 400 ans chrono, Rencontres, Infiniment Québec, etc.).

Utilisation indirecte du décor patrimonial

Certains événements utilisent cependant le décor de manière plus iconographique. Le but n’est alors pas de faire vivre le patrimoine, mais de l’utiliser à des fins esthétiques ou commerciales pour des événements qui ne sont pas de nature historique ou patrimoniale. Le Vieux-Québec se photographie bien, il est photogénique, il est « carte postale ».

C’est le cas de l’événement Red Bull Crashed Ice qui a pris place pendant 10 ans sur le territoire à l’étude. Sept de ses éditions débutent sur la Place d’armes près du château Frontenac et se terminent à place de Paris, en Basse-Ville, en passant par la Côte de la Montagne. Trois de ses éditions (la première année et les deux dernières) présentaient un parcours qui débutait « au parc de l’Esplanade pour se terminer à la place D’Youville en empruntant la rue D’Auteuil » (Bussières 2013). Red Bull recherche à tenir ses événements près de hauts lieux marqués d’un paysage patrimonial grandiose, donc des images fortes qui se vendent bien. Des images marquantes, à l’instar des images issues du parcours de la côte de la Montagne ou de celui des fortifications : « Il n’y a pas d’autre endroit comme la côte de la Montagne et comme le parcours [des fortifications] avec la signature Québec » (Roberge 2014). L’organisateur mentionne, à propos du parcours longeant les fortifications, que « la porte Saint-Louis au départ, le parlement en arrière-plan… la fortification … donne une belle fenêtre à notre architecture, au patrimoine de Québec … [que] c’est un bel endroit Québec, c’est un fond de théâtre incroyable pour faire des événements comme ça » (Rémillard 2015). C’est exactement ce que recherche Red Bull pour son événement dans la Vieille-Capitale du Québec, comme ailleurs dans le monde (Saint-Louis, Moscou, Marseille, etc.).

Figure 5

Le Festival d’été de Québec.

Le Festival d’été de Québec.
Photo © Mathieu Saint-Pierre.

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Le Grand Prix Cycliste contribue également à la notoriété de Québec en organisant le parcours de l’événement de façon à mettre en valeur le décor de la ville. Moins encombrant que le Red Bull Crashed Ice, car les clôtures de contrôle de foule sont mises en place deux jours avant l’événement et les rues sont interdites d’accès la journée même seulement, il est reconnu pour avoir un impact médiatique et récréatif aussi grand (CCVQ 11 septembre 2012). Comme le mentionne Charly Mottet, designeur du parcours, « on trouve tous les ingrédients qui permettent de faire une belle course. Une course cycliste, c’est forcément télégénique, mais c’est vrai qu’on se régale particulièrement quand on voit la qualité des images qui sont produites [à Québec] » (Bergeron 2015). Le parcours utilise grandement, quoique de façon indirecte, la représentation des fortifications.

Le Festival d’été de Québec (FEQ) est un autre exemple d’utilisation indirecte du décor patrimonial. Ses premières éditions se sont tenues dans la cour du Petit Séminaire de Québec. Aujourd’hui, deux des scènes sont adossées aux fortifications. La scène Fibe dans l’espace Le coeur du FEQ sur l’esplanade près de la porte Saint-Louis et la scène Hydro-Québec à la place d’Youville devant la porte Saint-Jean font en sorte que la vue de la scène donne également une vue sur le décor de la ville. Les deux scènes situées au pied des fortifications historiques et des portes Saint-Jean et Saint-Louis ont, selon le Festival d’été, « le décor parfait pour vivre l’ambiance de la ville[4] ».

Le Carnaval de Québec utilise également la représentation des fortifications ainsi que le paysage du cap Diamant à son avantage. Effectivement, le Château de Bonhomme est collé sur les fortifications (ces dernières années, il est parfois sur les Plaines). Une activité gratuite importante du Carnaval est l’activité les plaisirs d’hiver aux fortifications de Québec. Elle consiste en une dégustation de guimauve sur feu de bois à la poudrière de l’esplanade tout en ravivant un jeu autochtone dans une compétition de serpent sur neige. La visite de la poudrière est également possible lors de l’activité. Une autre activité est la glissade de glace Uniprix située à même les fortifications. Place Royale est également occupée par une activité tout au long du carnaval, il s’agit des rues de glace animées.

La coupe du monde de ski de fond FIS utilise également indirectement la représentation des fortifications de Québec. Lors de la première édition en 2012, GESTEV organisateur de l’événement, songe à faire la course sur les plaines d’Abraham. Par contre, le président Patrice Drouin, s’inspire de la course de Düsseldorf en Allemagne que Québec remplace lors de cette saison, et il décide d’offrir un parcours qui débute à la porte Saint-Louis qui longe les fortifications et tourne autour de la fontaine de Tourny. M. Drouin mentionne que le parcours en plus d’être facile à aménager est beaucoup « plus spectaculaire à regarder » (Bossé 2012). La seconde édition, en 2016, débute sur les plaines d’Abraham, fait un passage devant le parlement et suit les fortifications pour remonter devant la porte Saint-Louis, la citadelle et terminer la course sur les plaines d’Abraham. La troisième édition, en 2017, a un parcours semblable à la seconde édition.

Un dernier exemple probant d’utilisation indirect du décor patrimonial est le Marathon SSQ. Jusqu’en 2017, ce marathon débutait à Lévis pour se terminer dans le Vieux-Port de Québec. Le nouveau parcours de l’édition de 2018 table sur l’ensemble du décor de la ville, en passant dans l’ensemble des quartiers centraux de la ville de Québec. Chantal Lachance, vice-présidente de GESTEV, également organisateur de cet événement, mentionne que ce nouveau tracé fait « du Marathon SSQ la course «carte postale» rêvée par l’entreprise » (Patoine 2017), elle vante également la beauté du décor lié à ce nouvel itinéraire.

L’utilisation indirecte des événements dans le Vieux-Québec vise ainsi surtout à promouvoir l’événement. Les publicités d’événements (affiches et vidéos) mettent l’accent sur le décor du site patrimonial du Vieux-Québec. On y retrouve majoritairement une vue d’ensemble de la ville ayant le château Frontenac comme élément central, car son image reconnaissable est directement liée à la ville de Québec. Il est donc clair que l’industrie événementielle utilise le décor patrimonial comme image pour faire la promotion de ses événements, même lorsque le site de l’événement se trouve à l’extérieur du site patrimonial (mais à proximité).

Discussion

Le patrimoine du site patrimonial du Vieux-Québec prend de plus en plus d’importance culturelle depuis la fin du XIXe siècle. Il a subi de constantes transformations, de la démolition à la reconstruction passant par la modification, la rénovation et la protection; le territoire a été sujet à une construction patrimoniale, une véritable patrimonialisation. Aujourd’hui, le patrimoine fait partie intégrante du territoire surtout grâce à l’unification de la trame urbaine. La fonction événementielle est alimentée par la patrimonialisation du territoire alors que le décor patrimonial est utilisé par l’industrie événementielle à des fins promotionnelles, qui utilise ce décor comme un outil médiatique. L’industrie événementielle choisit des sites situés dans le site patrimonial du Vieux-Québec afin d’avoir des images promotionnelles dignes d’une carte postale grâce à ce décor de la ville. C’est pour cette raison que plusieurs lieux patrimoniaux du site étudié sont fortement utilisés par l’industrie événementielle, et ce parfois au détriment d’une logistique organisationnelle, sociale ou spatiale. Un exemple est celui du Red Bull Crashed Ice qui fermait la Côte de la Montagne, une rue résidente et importante (puisqu’il s’agit d’un lien entre la haute-ville et la basse-ville) pendant près de cinq semaines. Opération illogique au niveau social et logistique, mais efficace au niveau promotionnel. En somme, la patrimonialisation alimente la fonction événementielle par une utilisation visuelle d’un décor rénové et mis en valeur, le tout, afin de promouvoir les événements. Le décor émanant de la patrimonialisation peut donc, jusqu’à un certain point, alimenter des pans entiers de la fonction événementielle.

Si l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO a certes contribué à la patrimonialisation du site, notamment par la sensibilisation des résidents à la protection du patrimoine bâti, et le prestige associé à son inscription, il n’est pas possible d’établir un lien entre l’obtention du label du patrimoine mondial de l’UNESCO et la montée de la fonction événementielle dans le site patrimonial du Vieux-Québec. Le début de la montée de la fonction événementielle est antérieur à l’inscription et il s’agit d’un phénomène international dépassant largement la seule ville de Québec. Elle a été propulsée par les trois grands événements commémoratifs que sont le 450e anniversaire de la découverte du Canada par Jacques Cartier en 1984, les festivités du 400e anniversaire de la fondation de Québec en 2008 et la commémoration du 150e anniversaire de la Confédération canadienne en 2017. Ces trois festivités, par le biais d’investissements gouvernementaux massifs, ont légué à la ville des infrastructures propices à soutenir la fonction événementielle, ainsi qu’une meilleure image de la ville.

Certains événements viennent faire ombrage au patrimoine pour un certain temps tout en s’appuyant sur celui-ci afin de promouvoir l’événement en question. L’exemple du Red Bull Crashed Ice est probant. Par contre, l’impact de cet ombrage est principalement nuisible pour les visiteurs lors de l’ensemble de l’événement (de l’assemblage à l’après-événement). En contrepartie, ce même patrimoine rayonne dans les différents médias durant et après l’événement, les images étant diffusées au niveau international et leur aspect spectaculaire servant d’appui pour les éditions à venir. Le caractère photogénique du patrimoine lui permet donc de rayonner encore longtemps et à plusieurs échelles. L’événement par définition temporaire devient alors pérenne. Il s’agit alors de bien balancer cette dichotomie entre ombre et rayonnement. La comparaison avec le Grand prix cycliste de Québec est éclairante. Les deux diffusent et utilisent des images du décor patrimonial du Vieux-Québec dans un événement sportif international fort médiatisé. Le premier a toutefois des effets négatifs pendant environ cinq semaines à chaque édition tandis que le second nuit pendant moins de deux jours. Le second semble donc mieux balancé même si le premier présente une diffusion plus importante.

Il est également possible d’affirmer que l’évènementiel peut prolonger la patrimonialisation en alimentant la représentation de Québec comme du berceau de l’Amérique française, l’exemple des Fêtes de la Nouvelle-France et des promenades fantômes de Québec sont probants. Effectivement, ces deux événements se tournent vers l’histoire de la Nouvelle-France en utilisant le décor patrimonialisé. Le tout vient renforcer la représentation que le décor est tiré de l’époque du régime français que le secteur de la ville est bel et bien le berceau de l’Amérique française.