Devenirs de l’ethnologieWhither Ethnology?[Notice]

  • Daniela Moisa et
  • Van Troi Tran

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  • Daniela Moisa
    Université de Sudbury

  • Van Troi Tran
    Université Laval

En 2016, lors de la 40e rencontre annuelle de l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore qui a eu lieu à Québec, une table ronde organisée autour de l’avenir des programmes universitaires en ethnologie et folklore faisait ressortir l’état de crise de ces disciplines. Les échanges entre les étudiants, les professeurs et les agents culturels présents avaient révélé un paradoxe : d’une part, les institutions d’enseignement de l’ethnologie et du folklore battent de l’aile ; mais d’autre part, au sein de la société, des phénomènes, débats, et sujets qui ont depuis longtemps préoccupés les ethnologues reviennent dans l’actualité. Quelques exemples : les enjeux écologiques déclenchent un changement de paradigme par une récupération de modèles, connaissances et savoir-faire dits « traditionnels » (Escobar 2018), le retour des socioéconomies autarciques capables de contrebalancer les idéologies de la croissance et de la consommation (Iteanu 2015, Anson 2014, Moisa 2011) ; l’espace et l’ethnographie analysés sous l’angle de la performance acquièrent une nouvelle portée à l’ère des industries culturelles numériques (Hakken 1999) sans parler de la circulation des fake news au fil des réseaux sociaux, sujet d’actualité politique qui invite à interroger à nouveaux frais les problématiques de transmission et de diffusion des récits et légendes dans l’espace. Ce paradoxe est d’autant plus puissant lorsqu’on parle du patrimoine qui, soutenu par les communautés et par les politiques municipales et gouvernementales, demande la participation d’experts qui ne peuvent pas qu’être formés dans et par des programmes d’ethnologie et études patrimoniales. À la suite du besoin de trouver des réponses à ce paradoxe, l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore a décidé d’explorer la question, en proposant « Cultures et temporalités » comme thématique centrale de la rencontre organisée l’année suivante, à l’Université Ryerson à Toronto, sous l’égide de la Fédération canadienne des sciences sociales. Ce numéro intitulé Devenirs de l’ethnologie / Whither Ethnology prolonge les travaux et réflexions présentés lors de cette rencontre annuelle. L’idée derrière le choix de la thématique du colloque et du numéro a été de s’attaquer à ce paradoxe et de créer un cadre de réflexion sur la discipline et son devenir. Ce paradoxe n’est pas nouveau. Déjà dans les années 1980, Jacques Meunier parlait de hot ethnology et de cold ethnology afin de souligner plusieurs écarts : entre l’ethnologie en tant que discipline et l’ethnologie institutionnelle, entre l’institution et son public, entre les publications spécialisées et les livres de popularisation. Une longue liste de publications parues dans les années 1980 s’étonne de la contradiction entre le succès de la discipline auprès du public large, d’une part, et la crainte qu’elle soit appréciée pour ce qu’elle n’est pas, d’autre part (voir Meunier 1983 : 657). Dans la foulée de la mondialisation, une remise en question disciplinaire s’est engendrée, alors les disciplines ont été amenées à sortir du canevas national afin d’intégrer des terrains et problématiques qui débordent des cadres socioculturels et politiques. Bref, on voit naître une anthropologie mondiale, « une anthropologie non pas mondialiste, mais plus simplement sans frontières » (Copans 2000 : 23) ou encore une discipline moins attachée aux analyses monographiques, pour privilégier une approche multi-site ou transnationale (Marcus 1995 ; Appadurai 1996 ; Hannerz 2003) qui serait au diapason de la circulation internationale des biens, des personnes et des représentations. Néanmoins, cette ouverture n’a fait qu’amplifier l’angoisse qui touchait déjà les ethnologues et les anthropologues qui craignaient l’autofragmentation de la discipline par l’apparition de domaines concurrents et transdisciplinaires tels que les cultural studies, gender studies et études interculturelles (Clifford 2008). Ces nouvelles disciplines « créent une sorte de foisonnement de travaux autour des cultures, profitant tantôt de …

Parties annexes

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