Présentation[Notice]

  • Marie-Pascale Huglo

La voix est un corps sonore qui voyage dans le temps et dans l’espace. Les « transports » de la voix ne sont pas seulement des élans spirituels, émotifs ou pulsionnels, ils sont aussi des combinés téléphoniques, des écrans télévisuels, des haut-parleurs, des radios : les « milieux » de la voix se diversifient et se multiplient avec les médias et les formes de télécommunication, mais si la technologie hante nos imaginaires contemporains, elle reste en prise tant avec la question du sujet et du corps qu’avec celle du collectif ou de la machine elle-même et de ses résistances. Entre la voix de l’âme, du coeur, du peuple (des régions, des femmes, des hommes, des jeunes, des minorités), la voix-radio ou la voix-cinéma, le spectre va s’élargissant. Dans cet entrecroisement des voix, on peut constater un mouvement d’atomisation à tous les niveaux . La voix du sujet se dissémine, la voix collective se localise, la voix médiatique se diversifie. Sans doute est-ce là le point de départ de ces imaginaires de la voix. Il s’agit ici de faire travailler des transports et des transferts imaginaires qui relèvent précisément des métamorphoses de la voix moderne et contemporaine en littérature ainsi qu’en théâtre et en cinéma. Ces imaginaires se croisent sur deux axes : le sujet et la technologie. Du côté du sujet, la voix oscille entre intériorité et extériorité, entre émotion/sensation et sens, entre chant et parole, entre corps et langage. Souvent associée à une irréductibilité du sujet et à un corps jamais pleinement dicible, la voix est aussi le lieu de l’altération : voix étrangère, voix de l’autre, voix brouillée, voix empruntée. Dans le creuset entre la présence et l’étrangeté à soi, la matérialité de la voix nous permet d’imaginer ce qui, dans le sujet, ne se laisse pas contenir  : « La voix est subversion de la clôture. Qu’elle nomme ou qu’elle appelle, la voix traverse la clôture sans pour autant la rompre . » Avec sa capacité de vibration et de circulation, la voix nourrit déjà un imaginaire qui déroute les frontières du sujet en en marquant toutefois la singularité : avec Roland Barthes, « Le “grain”, c’est le corps dans la voix qui chante, dans la main qui écrit, dans le membre qui exécute  ». La voix, écrit Henri Meschonnic, est « de tout le corps  ». Mais entre l’aspiration à la voix d’avant le langage, à la voix immédiatement fusionnelle, et la médiation du langage qui sans cesse compose le sujet dans un rapport à l’Autre, ce corps n’est décidément pas simple. Pour Denis Vasse, la voix n’est pas tant le corps que « l’entre-deux du corps organique et du corps de la langue ou, si l’on veut, du corps social  ». Cette posture entre-deux, cette double recherche de la clôture et de l’ouverture, fait de la voix un milieu conducteur riche de tensions qui travaille (entre autres) la littérature. Qu’on l’expérimente dans la perte ou dans l’exaltation d’une présence essentielle, la tendance à idéaliser la voix dans l’écrit n’en épuise pas plus la mobilisation intermédiaire que ne le fait le repérage des discours, des affects, des « sources ». Michel Leiris, dans Langage tangage, exemplifie le déchirement de la voix du sujet qui ne peut se donner (à entendre) qu’en s’excommuniant  : Cet aveu incertain, qui marque bien le fantasme de la voix vive dans l’écrit , est intéressant dans la mesure où c’est aussi l’échappée de la voix qui se dessine. Leiris en vient par la suite à opposer, entre parenthèses, la voix idéale pressentie dans l’écrit à la voix lourde, ordinaire, presque …

Parties annexes