Dix questions à Pascal Quignard[Notice]

  • Jean-Louis Pautrot

P.Q. Un symptôme n’a pas la dignité d’un statut. Les statuts je les ai tous délaissés en démissionnant de toutes les fonctions sociales que j’ai pu exercer en France. D’autre part, je ne me suis jamais vraiment éprouvé comme écrivain. Autre status que je trouve à vrai dire misérable dès l’instant où s’y recherche un rôle ou un honneur ou une supériorité dans le groupe. C’est la lecture qui est pour moi vitale. Au sens strict : qui m’a permis de ne pas étouffer, de surnager, de survivre. La lecture (l’étrange passivité, le regressus, la mise au silence) plutôt que l’activité conquérante ou volontaire d’écrire. P.Q. Le plus atomique ressentira de la gêne à se rêver universel. La cabane éprouve des difficultés à se prendre pour l’état-major de la région militaire ou du champ artistique. Le déserteur a du mal à prendre le point de vue du général. C’est ma vie. P.Q. C’est une joie réelle, artisanale, obsessionnelle, motrice. C’est quelque chose qui tient entre l’écriture et la lecture. Qui se situe entre l’activité et la passivité. Entre la volonté et le plaisir. Accepteriez-vous que je parle d’un instant de lecture active ? Pour être clair il y a six moments bien distincts. Ce sont les moments 3 et 5 que j’aime. P.Q. Le mot stratégie est trop volontaire, trop actif, trop tourné vers autrui, c’est-à-dire belliqueux. En Grèce ancienne le mot de stratagème signifie la ruse de guerre. Non. Pour ce qui me concerne je ne piège ni n’assiège, j’obéis, je fais tout à l’oreille. Il faut que ça sonne bien aux oreilles. Que ça sonne comme il faut pour le Surmoi pour lequel j’écris. J’écris pour le premier royaume. J’écris in aurem. P.Q. Oui, si on prend le mot de fidélité. Être fidèle aux symptômes de l’enfance. Être fidèle à la solitude. Être fidèle à la peur. Être fidèle au fait de ne comprendre rien de rien à ce monde. Rester dans le Cur infantilis à l’état pur. P.Q. Oeuvre, opus, labour, travail, ces mots ne m’inspirent rien. Opéra déjà c’est autre chose. « Chaos » plutôt que « cosmos » — mais Hésiode aurait eu du mal à expliquer une différence que le mythe n’invente que pour la réduire. Les Modernes ont tout résolu en faisant d’un Big Bang le principe d’explication de l’espace s’avançant sur la crête du temps nous réassociant au fond explosif du ciel. L’adjectif cohérent ne va pas. L’adjectif obsessionnel serait déjà beaucoup plus judicieux que cohérent. À vrai dire j’erre dans tous les mots que vous employez. Je ne parviens pas à répondre à votre question. P.Q. Je crois que je peux répondre cette fois-ci du moins à la seconde interrogation que comporte votre question. Je peux y répondre de façon énigmatique mais sûre. Le conte permet l’absence totale de subjectivité (il extermine toute considération psychologique). Le roman permet à la différence sexuelle de jouer à plein (de tout rêver de l’expérience humaine grâce aux positions de langage). Comment dire ? L’exercice de spiritualité ne connaît pas le temps. Le conte dérive directement du rêve — qui n’est pas une invention humaine. Les tigres ou les chats rêvent plus que nous. Même les oiseaux. Cette forme narrative est prélinguistique, est prélittéraire. Dans le conte l’expérience intérieure n’est même plus intime : elle est comme l’expérience que les chats ou les merles éprouvent dans le rêve qu’ils font. Narration hors sujet. Dans le rêve le sujet figure à la troisième personne comme une image parmi toutes les autres. Le roman, lui, au contraire du conte, dérive de la littérature. Le roman …

Parties annexes