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Dans Onuphrius, Théophile Gautier écrit l’histoire d’un artiste possédé par Hoffmann, ou plus précisément « Hoffmann », car le nom du conteur allemand désigne en réalité Shakespeare, Goya, Gozzi, Nodier et Hoffmann lui-même. À travers l’histoire de cette possession diabolique, Gautier met en scène ses propres démons pour tenter de les exorciser. Le récit a pour enjeu l’exploration des conventions du fantastique et leur mise à distance par l’ironie afin de permettre au très jeune écrivain de trouver sa propre voix.

Afin de mieux comprendre les intentions et les stratégies de Gautier dans Onuphrius, il conviendra d’identifier les prédécesseurs qui l’ont inspiré et dont il souhaite se démarquer. Ce faisant on dégagera les conventions fantastiques à travers lesquelles s’écrit un manifeste esthétique : le rapport au temps, l’artiste possédé et fou, le motif du miroir sont autant de figures du fantastique qui esquissent dans Onuphrius un autoportrait de l’écrivain « goguenard ».

La ponctualité : le temps

L’une des spécificités du récit fantastique est de mettre à mal le déroulement ordinaire du temps : ainsi, la première phrase de Sous la table : « Il pouvait bien être deux heures du matin[1] », crée-t-elle plus d’incertitude que de certitude dans l’esprit du lecteur. D’ailleurs, dans la Préface des Jeunes France, Gautier ne s’en cache pas, il ne sait « jamais l’année, le mois, le jour ou l’heure » (JF, 29, et p. 31 : « nous qui ne sommes pas sûrs d’une heure ») et son ignorance est délibérée. C’est une réaction à deux maux contradictoires qui affligent selon lui le temps au xixe siècle, l’immobilisme (« 1833 ne sera-t-il pas comme 1832 ? Hier n’a-t-il pas été comme est aujourd’hui et comme sera demain ? », JF, 29[2]) et l’accélération (les lecteurs du xixe siècle vivent « en courant » si bien qu’ils ont « à peine le temps de mourir », JF, 25).

Chaque conte affiche donc cette incertitude à l’égard du temps à sa manière, la plus insolente et la plus visible étant sans doute dans la liste des accessoires indispensables à Daniel Jovard « vieux style », c’est-à-dire avant sa conversion au romantisme : « Il avait une montre d’argent au bout d’une chaîne de métal, au lieu d’avoir, comme doit faire tout bon viveur, au bout d’une élégante tresse de soie, une reconnaissance du Mont-de-Piété figurant la montre engagée » (JF, 92). L’alternative est ainsi clairement établie entre le bourgeois esclave du temps et les autres, une distinction qui n’échappait pas à Mme Veuve Lefrançois quand elle opposait l’exactitude parfaite de M. Binet faisant toujours son entrée au Lion d’Or à six heures sonnantes et l’insouciance de M. Léon qui tarde parfois jusqu’à sept heures et demie. De la même manière, Rodolphe, le héros d’un autre roman des Jeunes France, Celle-ci et celle-là, est « le personnage le moins chronologique qui fût au monde » (JF, 111), il est « matineux » en se levant à midi moins cinq, et tout surpris de découvrir sur l’almanach la date du 31 août, le jour de son anniversaire » (JF, 197 et 198 ; cette date est celle de l’anniversaire de Gautier). Ces précisions temporelles ne sont données au début du récit que pour être tournées en dérision.

Le refus de la ponctualité et l’indifférence au temps ne sont pas seulement une posture ostentatoire de jeune homme cherchant à moindres frais à se distinguer du bourgeois, c’est aussi une stratégie esthétique. Ce qui peut sembler pathologique chez Peregrinus Tyss, l’un des personnages d’Hoffmann qui hantent Onuphrius (à 36 ans il est retombé en enfance), est volontaire dans Les jeunes France et chez Gautier en général. Au lieu de se jouer à l’échelle d’une vie, la confusion du temps entrelace allégrement les siècles : Elias Wildmanstadius, « l’homme Moyen-Âge » avec « cette âme du xve siècle au xixe », est dépaysé à son époque et trouve trop moderne son logis de 1550 (JF, 111). De même les convives du Bol de punch sont-ils tous revêtus de costumes empruntés à leur période de prédilection, règnes de François Ier, Henri IV ou Louis XIII et Révolution française. Gautier accorde à ses personnages ainsi qu’à lui-même le don de circuler d’un siècle à l’autre et le droit de choisir leur époque mentale, l’exemple le plus mémorable étant peut-être cet épisode cité par Michel Crouzet : « Le 15 janvier 1860, lors de l’inauguration de la maison pompéienne de Prince Napoléon […] les affiches annonçaient : “Théâtre de Pompéi ; réouverture après relâche de 1800 ans pour cause de réparations[3]”. » La résurrection du passé, Pompéi dans Aria Marcella, l’Égypte dans Le pied de momie, la Régence dans La cafetière, rendue possible par l’attirance pour telle ou telle époque, fait alors basculer le récit dans le fantastique. Ainsi, dès sa première nouvelle, La cafetière, c’est paradoxalement en faisant sonner une pendule que Gautier fait perdre à son héros toute « idée de l’heure », il est alors détaché du « monde réel » et peut laisser flotter son âme « dans le vague et l’infini[4] » d’une rêverie très nervalienne.

Dans Onuphrius, l’absence de ponctualité présente ces trois caractéristiques et associe l’indifférence au temps d’un jeune homme, le goût passionné du passé (prénom à désinence en –us[5], coiffure à la Giotto ou à la Cimabue, robe « dantesque », JF, 61) et le détachement à l’égard du réel. Mise en scène de manière encore plus spectaculaire dans la première version du texte dont la première phrase était : « Quoi, c’est vous déjà ! Quelle heure est-il donc[6] ? », l’absence de ponctualité du héros reste encore frappante dans les versions suivantes où sur le cadran de l’église Saint-Paul les aiguilles, au lieu de marquer 10 heures comme il le croit, vont bientôt atteindre midi. Le récit répète ensuite en l’aggravant le retard d’Onuphrius : lors du premier incident, Jacintha, sa maîtresse, a l’indulgence de l’attendre, coutumière de « ses étranges bévues » (JF, 63). Il n’en est pas de même au second rendez-vous. Elle lui avait demandé d’arriver avant six heures, il avait promis d’y être à cinq. Mais une diabolique charrette empêche son cheval d’avancer et toutes les horloges des environs le narguent et s’acharnent à le rendre fou : « Une horloge à la voix fêlée, celle du village voisin, sonna six heures ; aussitôt qu’elle eût fini, celle du château, dans un ton différent, sonna à son tour ; puis une autre encore, toutes les horloges de la banlieue d’abord successivement, ensuite toutes à la fois. […] Cela dura longtemps, six heures sonnèrent ce jour-là jusqu’à sept » (JF, 67). Quand il arrive enfin à sept heures passées, Jacintha est déjà partie. Comme dans La cafetière, la sempiternelle sonnerie souligne le dérèglement du temps. Mais entre le premier et le second rendez-vous, le héros perd contrôle de la réalité, ce qui lui semblait une plaisanterie de diablotin s’amusant à « pousser les aiguilles de l’église Saint-Paul » dégénère, « ses idées se confondirent, le vertige le prit » (JF, 67). Dans la séquence suivante, la spirale infernale s’accélère, tous les repères de temps et toutes les frontières entre la veille et le rêve, entre la vie et la mort ont disparu, et en plein cauchemar, le « diablotin » laisse voir son véritable visage.

Confirmant le sous-titre du conte, « les vexations fantastiques d’un admirateur d’Hoffmann », Onuphrius pousse cette admiration jusqu’à partager avec ses héros leur singulière relation au temps. Anselme, le héros du Vase d’or, victime lui aussi d’incessantes vexations, est incapable d’être à l’heure : « Suis-je arrivé une seule fois de ma vie à l’heure au cours, ou à un rendez-vous ? J’avais beau sortir une demi-heure à l’avance et me poster devant la porte, la main sur le loquet, j’allais appuyer, juste au coup de l’horloge, mais le diable me versait une cuvette d’eau de vaisselle sur le crâne ou me précipitait dans les jambes d’une personne qui sortait[7]… » Non sans discrétion, et avec son humour coutumier, Gautier donne au Malin d’autres alliés pour amplifier ses effets diaboliques. Soulagée d’avoir enfin pu dépasser la charrette, la monture d’Onuphrius se met au galop : « Ses pieds touchaient à peine la terre, et sans les aigrettes d’étincelles qui jaillissaient de loin en loin de quelque caillou heurté, on eût pu croire qu’elle volait » (JF, 67). Que l’on compare cette description avec celle d’un cheval effrayé « par les éclairs que les cailloux brisés faisaient sous ses pas », on est désormais dans Smarra, parmi les « démons de la nuit », comme le rappelle l’Avertissement de Nodier : « Smarra est le nom primitif du mauvais esprit auquel les anciens rapportaient le triste phénomène du cauchemar[8]. » À partir de là, la lumière du jour — et de la raison — est perdue à jamais pour Onuphrius, et le conte bascule dans la nuit, nuit du cauchemar, nuit de la fête endiablée, nuit de la folie.

Les alliés du diable sont donc des prédécesseurs de Gautier, ses frères de la nuit : Hoffmann, Nodier ou Edward Young, le « nocturne Young » surpassé dans l’horreur par Onuphrius. Young, l’auteur des Nuits. Plaintes ou pensées nocturnes sur la vie, la mort et l’immortalité, dont la traduction française en 1769 eut plus de succès que l’oeuvre originale, inspire ici directement Gautier ; la « rêverie cadavéreuse » d’Onuphrius, la vie dans la mort, en écho à un poème de Gautier du même titre — et en clin d’oeil à la dimension autobiographique du texte — rejoint en effet le destin de Young qui, frappé de deuils successifs, « descendit vivant dans la tombe et s’ensevelit avec les siens », pour reprendre la formule de son traducteur. C’est aussi à Young que Gautier reprend la menaçante suspension du temps dans la nuit, finalement annulée par le chant d’un coq salvateur ; la Deuxième nuit de Young s’achevait sur une note de soulagement : « je viens d’entendre la voix perçante du coq vigilant ; c’est une sentinelle que Dieu a placée près de l’homme pour l’éveiller dans la nuit, et rappeler ses pensées vers son auteur[9] ». De même la nuit d’Onuphrius s’interrompt-elle pour un bref répit quand, ayant en vain tenté de « dire ses prières et faire un signe de croix » pour conjurer le Diable, il entend « le coq de la ferme voisine » et « sa voix grêle et éraillée » (JF, 69). À la voix triomphale du coq de Young, Gautier oppose ironiquement la faiblesse de celle qu’entend Onuphrius ; autour de lui les fantômes se sont évanouis sans pour autant disparaître tant est irrésistible l’emprise de la nuit sur le héros et sur son imagination.

C’est dans ce ténébreux contexte que les deux épigraphes initiales d’Onuphrius prennent tout leur sens. Il s’agit de « El sueno de la razon produce monstruos » et de « El gueno de la ragoza produce monstruos », la première reprenant le titre donné par Goya à son eau-forte de 1797, « le sommeil de la raison engendre des monstres ». Dans la fraternité de la nuit, Gautier trouve entre Goya, Nodier et lui-même une correspondance profonde[10] ; le héros de Smarra qui, comme plus tard Baudelaire[11], redoutait le sommeil, confiait en termes très proches de ceux de Goya : « à peine mes paupières fatiguées de lutter contre le sommeil si redouté se ferment d’accablement, tous les monstres sont là, comme à l’instant où je les ai vus s’échapper avec Smarra de la bague de Méroé[12] ». Pour créer Onuphrius, Gautier ajoute au personnage de Smarra deux caractéristiques empruntées à l’image de Goya, le dormeur est un artiste et le cauchemar le délivre des « vulgarités préjudiciables[13] » du réel pour le faire accéder à la vérité.

Avant de les quitter, il convient d’ajouter un dernier mot sur les figures nocturnes de Young, Nodier et Goya telles qu’elles apparaissent dans Onuphrius : on reviendra sur le système de références et d’allusions mis en place par Gautier étant donnée sa position stratégique dans le texte, mais il faut souligner d’ores et déjà dans quel sens va son travail d’une version à l’autre. On remarque que Nodier n’est pas explicitement cité, que la référence à Young reste discrète même si les ténèbres de ses Nuits envahissent Onuphrius, et surtout que les épigraphes de Goya ont disparu dans la dernière version. Comment expliquer cette décision d’autant plus significative qu’elle s’accompagne d’une autre omission allant dans le même sens ? Lorsqu’il évoquait la peinture d’Onuphrius, Gautier citait les trois maîtres qui l’inspiraient, Le Caravage, Ribeira et Masaccio :

Quant à sa peinture, elle était sévère, grave, dans la couleur forte et sombre de Caravage ou de Ribeira […] et puis au milieu de toute cette nature sauvage et fière, une tête de femme toujours la même, suave et pure, l’air un peu souffrant, une vierge de Masaccio qui aurait aimé, qui prouvait que lui-même était amoureux, et qui n’était autre que la belle Jacintha[14].

Ce paragraphe a disparu de la dernière version où les peintres nommés ne concernent plus la manière de peindre d’Onuphrius, mais sa coiffure (Giotto et Cimabue) et surtout sa vision du monde, capable comme « Rembrandt » de transformer le « plus commun et le plus positif » en surnaturel :

les yeux de son âme et de son corps avaient la faculté de déranger les lignes les plus droites, et de rendre compliquées les choses les plus simples, à peu près comme les miroirs courbes ou à facettes qui trahissent les objets qui leur sont présentés, et les font paraître grotesques ou terribles.

JF, 62

En abandonnant les références précises qu’il avait d’abord choisies, Gautier libère l’imagination du lecteur qui peut désormais voir ce qu’il y a d’unique et d’emblématique dans la peinture d’Onuphrius, la rupture des lignes et le jeu des miroirs. Et en écartant la référence à Goya, il renonce à un héritage sans doute trop lourd à porter à la fois pour son héros et pour lui-même.

L’eau-forte de Goya n’apparaît plus au seuil du conte, mais ses cauchemars continuent de le hanter à travers d’autres intercesseurs ; dans le réseau de correspondances choisi par Gautier, certains noms, certaines oeuvres sont presque interchangeables. Le fil rouge qui relie Nodier à Goya se noue aussi autour de Shakespeare, Rabelais, Gozzi ou Hoffmann : insensiblement, l’écriture s’est substituée à la peinture.

Le point visuel : autoportrait de l’artiste possédé par le diable

« Onuphrius, comme je l’ai déjà dit, était peintre, il était de plus poète » (JF, 62). Ses « compositions peintes et écrites » lui tiennent autant à coeur les unes que les autres, et subissent le même sort : dans le cauchemar, son tableau acclamé au Salon porte désormais la signature d’un autre et le même imposteur s’approprie sa pièce jouée par Marie Dorval et Bocage quand elle triomphe dans un théâtre de la Porte Saint-Martin. Une version initiale précisait qu’il « cultivait les deux arts avec un emportement frénétique, un enthousiasme sauvage[15] ». L’amour d’Onuphrius, comme celui d’Albertus, pour les « soeurs jumelles », la peinture et la poésie, confirme la dimension autobiographique du conte. On le sait, si Gautier devint « celui pour qui le monde visible existe », c’est qu’il a tenu le pinceau avant de choisir exclusivement la plume. Le protecteur de sa famille, l’abbé de Montesquiou, avait bien décelé cette double inspiration chez le jeune homme quand il lui écrivait en 1829 pour le remercier d’un tableau offert en guise d’étrennes : « Cultivez ce beau talent qui se trouve chez vous si bien accompagné et soyez grand peintre, grand poète et grand orateur[16]. » Malgré ce conseil, Gautier renonça finalement à l’une des deux soeurs et dans son Histoire du Romantisme revient avec humour sur ce choix : « Il est doux de se dire quand on a jeté le pinceau pour la plume “quel grand peintre j’aurais été !” » Dans la même veine il ajoute quelques pages plus loin : « nous commencions à faire plus de vers que de croquis, peindre avec des mots nous paraissait plus commode que de peindre avec des couleurs. À la séance finie, il n’y avait pas besoin de nettoyer les pinceaux[17]. » Il n’abandonnera d’ailleurs jamais tout à fait la peinture, comme en témoignent par exemple le blason qui aurait selon lui illustré Le Prince des sots (une « gueule d’enfer toute rouge surmontée d’un paradis bleu, tout constellé ») et les dessins accompagnant Fortunio.

Gautier ne fait pas figure d’exception, cette double attirance pour la peinture et la poésie est l’une des composantes essentielles du romantisme et une spécificité du Petit Cénacle (Joseph Bouchardy, Petrus Borel en sont témoins) ainsi que des Jeunes France. L’auteur de l’article du Figaro ne s’était pas trompé qui en faisait même leur acte de naissance : « Le Jeune-France est né le jour où la peinture a fait alliance avec la littérature romantique. Le poète a dit au peintre : “vous peignez mais vous ne savez pas parler ; prenez mon jargon”… le peintre a répondu au poète : “vous écrivez mais vous ne savez pas peindre, prenez ma barbe[18]”. » L’art du caricaturiste va droit à l’essentiel et l’on verra l’importance de la barbe et autres pilosités dans Onuphrius. En ironisant ainsi sur l’amour des soeurs jumelles, le journaliste du Figaro se souvenait peut-être d’une formule de Nodier qui feignait de dénoncer dans la Préface de Trilby « les usurpations réciproques de la poésie et de la peinture dont le genre qu’on appelle romantique a été le prétexte[19] ». Pour Gautier, le choix semble s’être imposé de lui-même, sans regret, et son bref passé de peintre deviendra une source inépuisable d’inspiration. Mais Onuphrius, lui, ne sait pas choisir, et Gautier suggère que ce désir de poursuivre les deux vocations pourrait bien être l’une des causes de sa folie : « il n’y avait guère moyen que sa cervelle en réchappât » (JF, 62).

Le diable choisit donc à sa place : Onuphrius est un artiste possédé par le diable, c’est-à-dire dépossédé de son art et dépossédé de lui-même ; dépossession et possession systématiques, totales et impitoyables. Il perd successivement sa discipline de travail (en arrivant en retard à l’atelier et en mettant fin prématurément à la séance de pose), son modèle et la maîtrise de son oeuvre, en trois étapes de gravité croissante. Il perd aussi ses outils de travail, « ses pinceaux quoiqu’il les ait trempés dans l’huile, étaient si hérissés qu’il ne put s’en servir », puis, c’est sa palette qui est inutilisable : « Autre tribulation. Les vessies étaient dures comme si elles eussent renfermé des balles de plomb : il avait beau les presser, il ne pouvait en faire sortir la couleur ; ou bien elles éclataient tout d’un coup comme de petites bombes, crachant à droite, à gauche l’ocre, la laque ou le bitume » (JF, 58 et 59).

Sous forme de balles de plomb ou de bombe, la couleur passe à l’attaque, et la citation de Rabelais, placée en épigraphe de la version finale du conte pour remplacer celle de Goya, « croyait que vessies feussent lanternes », révèle l’une de ses intentions. Avec la couleur contenue dans les vessies, le peintre voudrait faire de la lumière — comme avec une lanterne — ou plus exactement « débrouiller » la lumière de l’ombre grâce à « ce petit diamant de lumière, cette paillette de jour que les peintres nomment point visuel » (JF, 59). Mais le diable en a décidé autrement : la métamorphose du portrait avait commencé par une plaisanterie à laquelle il était facile de remédier : « au-dessus de la petite bouche de Jacintha une main inconnue avait dessiné une paire de moustaches qui eussent fait honneur à un sergent-major » (JF, 26). Gautier se souvient sans doute ici d’un détail des Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre, un conte d’Hoffmann cité dans la dernière page d’Onuphrius où le héros, privé de reflet dans les miroirs, est à la merci des gamineries de son fils : « Ton petit Rasmus commence déjà à se moquer de toi ; à la première occasion il te fera de belles moustaches avec du charbon parce que tu ne pourras pas t’en apercevoir[20]. » Un autre roman goguenard se souvient de ce détail cocasse et en offre une variation, le premier soin de Rodolphe en se levant étant de vérifier « qu’il ne lui était pas poussé de cornes pendant son sommeil » (JF, 111).

Des moustaches en plus, le regard en moins, et la séance de pose est interrompue. Quand le peintre reprend le portrait, tout a changé à cause d’une petite peluche qui se pose sur la toile : « le nez devint un nez aquilin […] ce n’était plus Jacintha mais une de ses amies avec qui elle s’était brouillée, parce qu’Onuphrius la trouvait jolie » (JF, 66). Un modèle s’est substitué à l’autre, préfigurant le moment fatidique où, en parfaite symétrie, Jacintha appelle le peintre du nom de son rival en amour et au Salon.

En empêchant le peintre de terminer le portrait, le diable lui porte un coup doublement fatal (« un coup violent dans le coude fit dévier sa main », écrit d’ailleurs malicieusement Gautier). D’abord, Jacintha, son modèle, sa muse et sa maîtresse, privée de regard, ne peut littéralement plus le voir ; dans ces conditions, comment être surpris d’apprendre à la dernière page du conte qu’elle l’oublie aussitôt et ne se souvient « même plus de son nom » ? Et simultanément, l’impossibilité du point visuel, « ce petit diamant de lumière, cette paillette de jour », plonge le héros dans la nuit. En effet, de manière significative et toujours en écho à la citation de Rabelais, c’est en termes de (vessies et de) lanternes que Gautier constate la folie du peintre : « La lumière s’était éteinte dans la lampe » (JF, 87).

Onuphrius n’étant pas encore au bout de ses peines, une ultime « vexation » le frappe à la fin de la séance de pose :

Jacintha se leva pour sortir.
 Onuphrius voulut la retenir ; il lui passa le bras autour du corps. La robe
de Jacintha était blanche ; les doigts d’Onuphrius qui n’avait pas songé à les
essuyer, y firent un arc-en-ciel.
  — Maladroit ! dit la petite, comme vous m’avez arrangée ! »

JF, 60

Jacintha est insensible à la poésie des arcs-en-ciel et Gautier s’acharne sur son personnage, ce n’est plus un peintre mais un vulgaire barbouilleur. Chemin faisant se dégagent deux lignes de force du conte, sa malice (Gautier se prendrait-il pour le diable ?) et son aptitude à rendre visibles des vérités esthétiques.

Le point de non-retour

Un étrange glissement se produit alors dans Onuphrius : une fois atteint le point de non-retour, Gautier donne directement la parole à son personnage et passe de la troisième à la première personne du singulier : « J’étais dans une chambre qui n’était pas la mienne[21]… » (JF, 70). Onuphrius prend donc le récit en main au moment même où la maîtrise de son destin lui échappe. Pour mieux comprendre ce paradoxe, un bref détour par le sous-titre du conte (dans sa dernière version) n’est pas inutile. « Les vexations fantastiques d’un admirateur d’Hoffmann » utilise sans doute le verbe « vexer » dans son sens vieilli, c’est-à-dire « tourmenter par abus de pouvoir ». Chez Onuphrius, la seule question est de savoir qui prendra possession des lieux ; c’est d’abord un ange, la femme qui l’aime et lui sert « d’intendant pour son corps, comme il en faut aux grands seigneurs pour leurs terres » (JF, 63). Mais dans cette lutte inégale, le diable est le plus fort. Il a préparé sa campagne de façon méthodique et quand il porte le coup de grâce, Onuphrius ne peut offrir aucune résistance : 

Aussi Hoffmann et Jean Paul le trouvèrent admirablement bien disposé, ils achevèrent à eux deux ce que les légendaires avaient commencé. L’imagination d’Onuphrius s’échauffa et se déprava de plus en plus, ses compositions peintes et écrites s’en ressentirent, la griffe ou la queue du diable y perçait toujours par quelqu’endroit, et sur la toile à côté de la figure suave et pure de Jacintha, grimaçait fatalement quelque figure monstrueuse, fille de son cerveau en délire.

JF, 62

Comme l’indique le sous-titre, il y a un lien de cause à effet entre l’admiration pour Hoffmann et les « vexations ». Dans L’amour et le grimoire, Nodier décrit le même phénomène, son héros est visité par le diable après avoir trop lu L’histoire des apparitions de D. Calmet, « un des meilleurs recueils de facéties infernales qu’on puisse lire[22] ». Un autre récit de Gautier hanté par le mauvais sort, Jettatura, insiste sur l’importance de cette prédisposition : pour être efficace, la lecture doit se faire déjà en terrain favorable ; c’est le cas du héros qui trouve un traité sur les jettatori chez un bouquiniste de Naples : 

S’il eût trouvé ce livre à Paris, D’Aspremont l’eût feuilleté distraitement comme un vieil almanach farci d’histoires ridicules, et eût ri du sérieux avec lequel l’auteur traite ces billevesées ; dans la disposition d’esprit où il était, hors de son milieu naturel, préparé à la crédulité par une foule de petits incidents, il le lut avec une secrète horreur […] les secrets de l’enfer se révélaient à lui[23].

Pour Onuphrius et pour Gautier, le combat avec le diable se livre sur deux fronts, lecture et écriture. Le motif fantastique de la possession diabolique inspire Gautier parce qu’il lui permet d’illustrer une question esthétique centrale pour lui : Onuphrius perd à la fois son tableau et sa pièce de théâtre tous deux revendiqués avec succès par un rival, une manière pour Gautier de souligner la fragilité du lien qui unit l’artiste à son oeuvre. Toute son expérience créatrice a été marquée par la domination du collectif sur l’individuel, engagement dans les batailles romantiques, appartenance au petit Cénacle, oeuvres écrites en collaboration, textes plagiés, citations surabondantes comme dans les Poésies de 1830 où la reconnaissance de dette est telle que certains poèmes même très courts ne comptent pas moins de trois ou quatre citations en épigraphe… Nodier avait d’ailleurs recensé une typologie des différents cas de figure qui caractérisent ce parti pris dans ses Questions de littérature légale, du plagiat, de la supposition d’auteur, des supercheries qui ont rapport aux livres. Dans le cas de Gautier, le meilleur exemple se trouve sans doute dans les oeuvres qu’il a écrites avec Nerval où l’identification de chacun et l’appropriation sont souvent difficiles[24]. On a déjà vu comment ce mode d’écriture est à l’oeuvre dans Onuphrius où presque chaque phrase peut se lire comme un hommage à tel ou tel prédécesseur ; même l’explication que le héros imagine pour comprendre la vengeance du diable est empruntée, puisque le saint Dunstan qu’il avait peint tenant le Malin par le nez vient tout droit du Trilby de Nodier[25].

Le profond attachement de Gautier à la fraternité qui établit des correspondances entre les « phares » lui permet d’établir des réseaux d’équivalences comme ceux que l’on a déjà identifiés ; ces correspondances approfondissent de leurs multiples échos chaque référence individuelle. Ainsi quand Gautier cite Hoffmann ou Nodier, c’est Gozzi qui répond : les « vexations » d’Onuphrius, les « contretemps » où il reconnaît la griffe du diable viennent tout droit des Contratempi du Vénitien Gozzi et Gautier le confirme en faisant suivre immédiatement ce mot d’une scène où le héros se regarde dans une « grande glace de Venise à bordure de cristal » (JF, 78). Un autre détail vient aussi de Gozzi : par mégarde, Jacintha, distraite, appelle le peintre du nom d’un autre : « Un soir, nous jouions ensemble, Jacintha m’avait appelé du nom de ce jeune homme » qui lui « avait autrefois fait la cour […] au lieu du mien » (JF, 38). Et voici ce que Paul de Musset écrivit sur les Contratempi : « Qui ne connaît pas cette disposition d’esprit dans laquelle tout change d’aspect et s’éclaire d’une manière fantastique ? Alors la queue du diable passe entre les basques de tous les habits et si quelqu’un vous appelle par un autre nom que le vôtre vous êtes au pouvoir de l’enfer[26]. » Se souvenant sans doute qu’Hoffmann faisait jouer les pièces de Gozzi au théâtre de Bamberg dans les années 1808-1813, Paul de Musset souligne aussi les correspondances entre ceux que Gautier choisit comme inspirateurs : « Lorsqu’on a cru que Nodier s’inspirait de Hoffmann c’était dans Gozzi qu’il prenait son bien[27]. » De belles pages sur Venise dans le Voyage en Italie se font l’écho de ces échanges qui ont également donné naissance à Onuphrius, on y retrouve exactement la même distribution : 

D’autres fois un campo désert où se découpait bizarrement un faîte d’église […] ou bien une taverne où gesticulaient, comme des démoniaques, des gondoliers et des faquins projetés sur la vitre d’Hoffmann pour faire de cette rue sinistre le théâtre d’un de ces contes effrayants et bizarres comme […] La Nuit de la Saint-Sylvestre. Les têtes chauves, ridées, grimaçantes et décomposées par une perpétuelle métamorphose de Maître Trabacchio […], du Conseiller Tusmann […] s’encadreraient à merveille dans ces noires fenêtres. Si Gozzi, l’auteur des Contratempi, qui se croyait en butte à la rancune des enchanteurs et des farfadets, dont il avait découvert les manigances et trahi les secrets dans ses pièces féeriques, a jamais traversé cette ruelle solitaire, il a dû lui arriver là quelques-unes de ces mésaventures inconcevables réservées pour le poète de Turandot […]. Mais Gozzi qui avait le sentiment du monde invisible, a toujours dû éviter la rue des Avocats à l’heure du crépuscule[28].

Les risques d’une trop grande hospitalité à l’oeuvre d’autrui n’échappent pas à Gautier. Onuphrius est donc hanté par les figures emblématiques du Conseiller Tusmann, dont les poches débordent toujours de livres, et de Bordelon, dont le héros, M. Oufle, c’est-à-dire M. Fou, perd la raison à force de lire des traités occultes. D’autres romans goguenards insistent aussi sur les abus et les dangers de la lecture et d’une écriture trop accueillante. Ainsi Daniel Jovart, lorsqu’il se convertit au romantisme, reçoit-il le conseil suivant : « Voulez-vous faire un livre ? prenez plusieurs livres. […] Vous détachez un feuillet ici, un feuillet là, vous faites une préface et une post-face et vous escamotez le plus joli petit succès qu’il soit possible de voir » (JF, 97-98). Ce conseil satirique se termine par une remarque à usage très personnel : « une chose qu’il faut soigner ce sont les épigraphes ». Dans Le bol de punch qui achève le recueil, le conseil s’inverse en mise en garde et chaque participant d’une « orgie échevelée » s’y inspire d’un contemporain qu’il admire, Balzac, Jules Janin, P. L Jacob et Eugène Sue. Et la morale de l’histoire aurait pu venir en aide à Emma Bovary : « Ceci démontre aux jeunes gens le danger qu’il y a de mettre en action les romans modernes » (JF, 234).

Onuphrius étant également peintre, c’est dans la peinture que se déplace pour lui la frontière indécise entre réalité et représentation. Dans son cauchemar, on assiste à une métamorphose réciproque où les personnages des « esquisses de ses tableaux à faire » s’échappent de son cerveau « comme des oiseaux dont on ouvre la cage » et envahissent son atelier, tandis que les invités d’une fête brillante où il s’est réfugié composent « un beau tableau » que Gautier dépeint non sans complaisance avant de conclure impitoyablement : « tout cela formait une harmonie de fête, un bruissement joyeux à enivrer le plus mélancolique, à rendre fou tout autre qu’un fou » (JF, 79 à 81). Quand Onuphrius a cette vision, si elle ne le rend pas fou, c’est parce qu’il l’est déjà : fièvre, délire, convulsions, hallucinations, terreurs, évanouissements, somnambulisme, catalepsie, tels sont les symptômes de son mal :

La lumière s’était éteinte dans la lampe ; cette belle imagination, surexcitée par des moyens factices, s’était usée en de vaines débauches ; à force d’être spectateur de son existence Onuphrius avait oublié celle des autres, et les liens qui le rattachaient au monde s’étaient brisés un à un. Sorti de l’arche du réel, il s’était élancé dans les profondeurs nébuleuses de la fantaisie et de la métaphysique ; mais il n’avait pas pu revenir avec le rameau d’olive : […]. Il ne put, quand le vertige le prit d’être si haut et si loin, redescendre comme il l’aurait souhaité, et renouer avec le monde positif. Il eût été capable, sans cette tendance funeste, d’être le plus grand des poëtes ; il ne fut que le plus singulier des fous.

JF, 87

Cette « sortie de l’arche du réel », Gautier la connaît bien pour en avoir été témoin : on songe à ses amis, Philotée O’Neddy chez qui il déplore « le désaccord du réel et de l’idéal[29] », et bien évidemment Gérard de Nerval. Dans l’hommage posthume qu’il lui consacra, Gautier reprend des termes presque identiques à ceux qu’il avait choisis pour décrire le mal d’Onuphrius : « L’envahissement progressif du rêve a rendu la vie de Gérard de Nerval impossible dans le milieu où se meuvent les réalités. Ses lectures bizarres, sa vie excentrique […] le détachaient de plus en plus de la sphère où nous restons retenus par les pesanteurs du positivisme[30]. »

Tout en côtoyant les voyageurs parvenus au point de non-retour, Gautier cherche un moyen d’en revenir indemne, et c’est dans l’esthétique qu’il le trouve ; dans l’art poétique si célèbre d’Albertus, « en général dès qu’une chose devient utile elle cesse d’être belle ». Il ajoute : « elle rentre dans la vie positive, de poésie elle devient prose, de libre esclave[31] ». L’envers de la « vie positive » n’est donc pas exclusivement la folie, c’est aussi la poésie. Spirite pourra décrire cette alternative où un « ange blanc » remplace un « ange noir » et la traversée du Rubicon signale non pas l’avènement de la folie, mais la condition même de l’aventure poétique ; ainsi l’apparition de la Muse au héros est-elle suivie de la plus féconde journée créatrice qu’il n’ait jamais connue (exactement à l’inverse du moment où Onuphrius renonce à peindre Jacintha) :

Elle se tenait debout sur le seuil lumineux, dans une scintillation à faire pâlir les soleils, divinement belle et pourtant humainement tendre, ouvrant les bras à l’âme altérée d’idéal, but et récompense, couronne d’étoiles et coupe d’amour, Béatrix révélée seulement au delà du tombeau. […] Le lendemain il voulut travailler ; […] Jamais il ne s’éleva à une pareille hauteur, et les plus grands poètes eussent signé ce qu’il écrivit ce jour-là[32].

Sans cesse reviennent chez Gautier les images du seuil, de la lisière, de la frontière à traverser, de l’orbite à abandonner, une formulation et un mode de représentation très prisés des romantiques : on les trouve aussi chez Sainte-Beuve quand il écrit sur Hoffmann et qu’il le situe « sur la lisière de l’univers réel[33] » et surtout chez Nerval dont c’est l’une des principales obsessions. La leçon de Spirite prend alors tout son sens, seule la Muse — c’est-à-dire la poésie et l’amour — peut se substituer au Rameau d’or qui a fait défaut à Onuphrius ; c’est dans ce sens aussi qu’il faut entendre la belle déclaration d’amour de Fracasse à Isabelle qu’il vient de rencontrer : « Pour vous je descendrais aux enfers comme Énéas et sans rameau d’or[34]. » Onuphrius est un Orphée sans Eurydice, qui devient fou parce qu’il aime Jacintha au lieu de Spirite ; tel que le conçoit Gautier, le véritable artiste doit encourir tous les risques pour atteindre à cet « état où l’âme plus exaltée et plus subtile perçoit des rapports invisibles, des coïncidences non remarquées et jouit de spectacles échappant aux yeux matériels[35] ».

On comprend mieux dans ces conditions comment Onuphrius, avant de sombrer définitivement dans la folie, s’empare de son propre récit et devient le poète de son propre cauchemar. Hoffmann ne dit pas autre chose dans Le magnétiseur quand le peintre Bickert explique qu’en rêvant chacun devient « auteur dramatique » par excellence et l’égal de Gozzi[36]. La figure du rêveur, celle du fou, sont ainsi les ultimes incarnations de l’artiste romantique. Onuphrius, « romantique forcené » et « le plus singulier des fous », hanté par Hamlet, finit par se confondre avec lui, ce qui permet à Gautier de reprendre une idée chère à Nodier, celle du fou comme détenteur de la vraie sagesse : « Hamlet ! tu es obligé d’attacher à ta sagesse les grelots de la folie et de cacher ton inconsolable anxiété sous une bizarrerie apparente[37]. »

Mais les médecins ne sont pas tous des admirateurs de Shakespeare et Onuphrius termine sa vie comme statistique dans les dossiers d’un aliéniste célèbre : 

M. le docteur Esquirol fit l’an dernier un tableau statistique de la folie.
Fous par amour… hommes 2 femmes 60
par dévotion - 6 - 20
par politique  - 48 - 3
perte de fortune - 27 - 24
Pour cause inconnue 1
Celui-là, c’est notre pauvre ami.

JF, 88

Sa périlleuse recherche ayant échoué, il tombe dans l’anonymat le plus complet, Jacintha oublie jusqu’à son nom, pourtant si mémorable ; il n’est plus qu’un petit chiffre banal et la cause de son mal est « inconnue », le seul diagnostic possible, « a trop lu Hoffmann », manquant de crédibilité scientifique.

Et pourtant, contrairement à Jacintha, le conteur goguenard se souvient, et contrairement au docteur Esquirol, il tente de comprendre. Onuphrius peut se lire comme une rêverie sur l’art et la folie où Gautier suit fidèlement Nodier ; dans la Préface de La fée aux miettes, ce dernier liait indissociablement la figure du fou à l’écriture fantastique : « J’en avais conclu que la bonne et véritable histoire fantastique d’une époque sans croyances ne pouvait être convenablement placée que dans la bouche d’un fou[38]. » De fait, les contes de Nodier, que ce soit Une heure ou la vision, La fée aux miettes, Baptiste Montauban ou l’idiot mettent en scène des personnages préfigurant Onuphrius. Le plus exemplaire est Michel le Charpentier, interné à l’asile de lunatiques de Glasgow où il raconte son histoire au narrateur. Son charisme, comme celui de Baptiste Montauban que trop de lecture a conduit à la folie, contraste de manière spectaculaire avec la mesquinerie désolante du médecin aliéniste, « cet horrible homme noir » qui débite pendant plusieurs pages d’absurdes platitudes. Suivant la même inspiration, Une heure ou la vision s’achève sur un vibrant éloge de la folie ; cherchant « la solitude et la nuit », le narrateur de ce conte a retrouvé à Bicêtre un malade en qui il reconnaît l’amant d’une morte, Octavie. Ainsi conclut-il avec des accents shakespeariens :

Pauvre fou ! dis-je tout haut, que sont maintenant, au prix de tes découvertes, les vaines sciences de la terre ? Il n’y a rien d’obscur pour toi dans tant de merveilles qui font l’étonnement des sages ; et si quelque nuage a voilé tes jours, tu t’en es affranchi comme cette étoile pour reprendre dans une nouvelle vie ta première grâce et ta première beauté[39].

Retraçant le même itinéraire que Nodier, Gautier sait pourtant à quel point le contexte littéraire a changé depuis le début du siècle. Il se démarque donc de lui pour en tenir compte et donner à Onuphrius toute sa spécificité en offrant non pas une, mais trois explications au mal qui atteint son héros. Onuphrius est victime de la folie, c’est un constat médical ; il est victime du diable, c’est une « explication » fantastique qui est aussi une prise de position esthétique. Quand Gautier décrit Onuphrius comme un « romantique forcené », il faut de nouveau lire un lien de cause à effet entre les deux adjectifs : Onuphrius est fou parce qu’il est romantique, et le romantisme, c’est le diable. Le héros d’un autre récit, Daniel Jovart, subit le même sort : « Il devint par réaction le plus forcené Jeune France, le plus endiablé romantique qui ait jamais travaillé sous le lustre d’Hernani » (JF, 99). La position très particulière de Gautier à l’égard du romantisme à l’époque des Jeunes France a été étudiée en détail par René Jasinski et par Michel Crouzet. Sa critique d’un certain romantisme se fait à la fois de l’extérieur (en feignant de partager le point de vue des classiques et celui du journaliste satirique du Figaro) et de l’intérieur. Grâce à Onuphrius, il dramatise cette double critique en mettant en scène un personnage qui dispute la vedette au peintre, le diable lui-même. Son apparition dans le cauchemar mérite d’être citée intégralement. En quelques lignes s’y concentrent presque tous les motifs qui se déploieront dans le reste du texte :

il avait vu quelque chose d’extraordinaire ; un jeune homme qui venait d’entrer, il pouvait avoir vingt-cinq ans, un frac noir, le pantalon pareil, un gilet de velours rouge taillé en pourpoint, des gants blancs, un binocle d’or, des cheveux en brosse, une barbe rousse à la Saint-Maigrin, il n’y avait rien là d’étrange ; plusieurs merveilleux avaient le même costume, ses traits étaient parfaitement réguliers ; son profil fin et correct eût fait envie à plus d’une petite-maîtresse : mais il y avait tant d’ironie dans cette bouche pâle et mince dont les coins fuyaient perpétuellement sous l’ombre de leurs moustaches fauves, tant de méchanceté dans cette prunelle qui flamboyait à travers la glace du lorgnon comme l’oeil d’un vampire, qu’il était impossible de ne pas le distinguer entre mille. […] il portait un gros anneau à l’index, le chaton était le fatal rubis ; il brillait d’un éclat si vif qu’il vous forçait à baisser les yeux.

JF, 81-82

Le diable rouge

D’emblée la figure du diable est donc paradoxale, dandy romantique et bête sauvage. La palette de Gautier a recours à tous les camaïeux de rouges pour le peindre, en commençant bien sûr par le fameux « gilet rouge » qui devient quelques pages plus loin « le fashionable gilet écarlate ». Gautier lui-même a contribué à immortaliser la légende du gilet rouge d’Hernani qui était d’ailleurs en « satin cerise » ou « vermillon de la Chine », d’une « nuance si insolite, si agressive, si éclatante », si flamboyante contre le grisâtre des classiques. Mais le « Chevalier du Rouge[40] » qu’il est devenu finit par avoir des sentiments ambivalents à l’égard de ce costume et de cette couleur légendaires. On comprend alors qu’il en habille le diable pour se délivrer de ce qui lui est devenu à la longue une tunique de Nessus, le bourgeois ne le voyant jamais « habillé d’une autre couleur ». Dès lors, la distance de la dramatisation aidant, il peut jouer sur les nuances de cette couleur toute-puissante : c’est le gros rubis dont s’orne le doigt du diable pendant la partie de dames, un bijou d’où s’échappe « un long jet sulfureux » pour mieux confirmer son origine et ses pouvoirs, et qui est arboré par Onuphrius pendant son cauchemar : c’est le fauve et le roux qui démasquent la bête sauvage sous le costume de dandy (avant même de rencontrer le diable face à face, Onuphrius était déjà hanté dans ses tableaux par des personnages aux barbes rousses) ; enfin, c’est le « rosâtre » de l’étrange substance concoctée par Satan quand il métamorphose les poèmes romantiques d’Onuphrius en « friperies mythologiques, et en madrigaux quintessenciés », « un délicieux pastiche, un admirable pastel, du Watteau tout pur, de la régence à s’y tromper […] d’un rococo admirable » (JF, 83-84).

Rouge romantique, rosâtre rococo : la palette du diable invite à lire Onuphrius — et c’est le cas de tous les contes des Jeunes France — comme un manifeste où Gautier examine divers choix esthétiques et leurs implications. C’est dans la conclusion de Celle-ci et celle-là que cette dimension didactique est la plus visible : « Il y a un mythe très-profond sous cette enveloppe frivole : au cas que vous ne vous en soyez pas aperçu, je vais vous l’expliquer tout au long » (JF, 192). En effet, les protagonistes de ce conte incarnent respectivement la poésie classique qu’il ne faut pas confondre avec la vraie poésie, la prose bête et la « prose fine et délicate ». Onuphrius ne se conclut pas ainsi, mais n’en propose pas moins les deux esthétiques entre lesquelles hésite Gautier à cette époque ; dans La cafetière, la tentation « rocaille » qui triomphe dans Omphale l’appelait déjà de ses sortilèges surannés. Il met en scène le même dilemme dans Daniel Jovard où le héros admire à la Comédie-Française une pièce que son ami romantique trouve « plus que faux toupet, […] c’est empire, c’est perruque, c’est rococo, c’est pompadour ». Il ajoute d’ailleurs ce jugement éloquent : « Il faut être momie ou fossile […] ou fouille de Pompéi pour trouver du plaisir à de pareilles billevesées » (JF, 96 et 97). Est-il besoin de souligner que c’est précisément le chemin que suit Gautier quand il écrit Le pied de momie et Aria Marcella ? La même ambivalence se retrouve dans Le bol de punch où les convives refusent avec indignation une proposition de l’un des leurs, consacrer la soirée à se raconter leurs bonnes fortunes : « Poussif ! Pompadour ! ce serait bien amusant et bien varié ! » (JF, 212). Comme l’a bien montré Catherine Thomas[41], la position de Gautier à l’égard du rococo est complexe et contradictoire, sous sa plume le terme peut servir d’insulte ou être doté d’un réel pouvoir de séduction ; peut-être ne s’agit-il d’ailleurs que de chronologie, soit dans l’histoire personnelle (René Jasinski identifie le rococo comme un degré sur le thermomètre intellectuel, celui qui de 15 à 20 ans est Jeune France devient rococo entre 35 et 40 ans, exactement l’inverse de l’évolution de Daniel Jovard), soit dans l’histoire littéraire : en 1833, Petrus Borel publie ses Contes immoraux dont le premier a pour titre Rococo, une esthétique qu’il définit ainsi : « de l’époque caractéristique de Louis XV, que les classiques inepto-romains appellent malicieusement rococo[42] ». L’insolence de la formule « les classiques inepto-romains » nous en dit long sur la position historique du rococo quand Petrus Borel écrit ces lignes ; il faut avoir gagné haut la main la bataille du romantisme pour risquer de se tourner à nouveau vers le passé et succomber aux charmes Pompadour.

De l’Apocalypse de saint Jean à Gérard de Nerval le diable est rouge ; dans Onuphrius toutes les flammes de l’enfer émanent de lui, aussi bien la « rougeur » des femmes qui l’entourent que l’incendie s’embrasant sur le passage du héros : « les réverbères, bercés par le vent, jetaient des lueurs rouges et échevelées […] chaque lanterne était un oeil sanglant qui l’espionnait […] il entrevit Jacintha, qui, ayant levé le store, le regardait d’un air triste et doux, et le dandy à la barbe rouge qui riait comme une hyène » (JF, 85-86).

Rouge, roux et fauve : toujours chez Nodier (Colas Papelin), chez Petrus Borel (l’Argentière), le diable annonce la couleur ; Gautier n’est pas en reste avec les fibrilles « fauves » des yeux de Musidora, l’étoile rouge du Chevalier Double, les « teintes fauves et rousses » du Pied de momie, les fauves moustaches et fauves prunelles d’Albertus, et même dans Spirite, un conte pourtant voué au blanc, il constate une certaine difficulté à distinguer « la rougeur d’un coucher de soleil et l’incendie d’une ville ».

Sous le rouge se devine le roux ou le fauve du velu ; il n’y a pas que les réverbères qui sont échevelés dans Onuphrius, à commencer par le héros lui-même qui doit son nom à un saint ermite n’ayant pour seul vêtement que sa chevelure. Qui dit romantique dit système pileux à faire fuir le classique, toujours glabre. Même Jacintha a des moustaches, les pinceaux se hérissent, les « fatales brosses » de M. Berbiguier de Terre-Neuve du Thym criblent l’âme d’Onuphrius de leurs millions de dards, et quand il daigne se montrer, le diable barbu et moustachu a aussi « une demie aune de queue velue » (JF, 85) qui s’échappe et frétille.

Ici le conteur s’en donne à coeur joie, sentant bien le potentiel comique de cet attribut satanique. Autant que le rouge, le poil devient le signe de reconnaissance du romantisme ; c’est l’époque où Gautier lui-même arbore une « prolixité mérovingienne » pour contrebalancer la barbe de Petrus Borel, un détail qui revient à plusieurs reprises dans les Jeunes France. Dès la Préface il oppose les « cheveux à la Raphaël » du romantique qu’il est devenu au jeune homme glabre qu’il était : « Ni mes vers, ni ma prose, ni moi n’avons un seul poil de barbe » (JF, 30 et 34). Daniel Jovard subit la même transformation et après sa conversion « a plus de barbe à lui seul que trois sapeurs », une barbe qui s’accompagne d’un « gilet rouge » puis d’un « habit écarlate » (JF, 106).

Pour compléter ce portrait de l’artiste romantique en diable rouge et velu, Gautier lui ajoute deux attributs qui lui sont chers et que l’on retrouve ailleurs dans son oeuvre, la démarche en zigzag et la manipulation des miroirs. On se souvient qu’elles donnent toute sa singularité à la peinture d’Onuphrius : « les yeux de son âme et de son corps avaient la faculté de déranger les lignes les plus droites, et de rendre compliquées les choses les plus simples, à peu près comme les miroirs courbes ou à facettes qui trahissent les objets qui leur sont présentés, et les font paraître grotesques ou terribles » (JF, 29). Gautier prête ici à son héros ses propres obsessions ; toute sa vie il négligea la ligne droite pour le zigzag qu’il aima au point de l’inclure dans deux de ses titres, Pochades, zigzags et paradoxes et Caprices et zigzags ; pour lui, qui dit zigzag dit mouvement (le second de ces recueils comprend surtout des récits de voyage) et référence littéraire, voire art poétique. Il partageait ce penchant avec Jules Janin qui définit sa propre esthétique dans Honestus en ces termes : l’art « procède par zigzag, il est riche et rococo[43] ».

Le goût du zigzag vient tout naturellement à Onuphrius via Hoffmann, il a adopté la démarche du Conseiller Crespel, l’un des personnages qui le hantent et dont les « mouvements étaient si brusques et si gênés que je m’attendais à chaque instant à le voir se blesser ou à briser quelque meuble[44] ». Onuphrius fait donc de même et « ses mouvements étaient heurtés, saccadés ; ses gestes anguleux, comme s’ils eussent été produits par des ressorts d’acier. Sa démarche incertaine, entretenue d’élans subits de zig-zags, ou suspendue tout à coup » (JF, 61). On ne s’étonne donc pas de le voir jouer aux dames, jeu de zigzag par excellence ! Le diable lui fait perdre la partie et cette rencontre du zigzag et du diabolique est confirmée par Gautier quand il décrit Scapin dans Le Capitaine Fracasse : on le reconnaît à ses « cheveux fauves » et à ses mouvements « inattendus et comme déterminés par la détente subite d’un ressort caché […] illogique et inquiétant[45] ». 

De l’autre côté du miroir

Un mouvement d’autant plus inquiétant qu’il entraîne là où aucun être humain ne se rend impunément, de l’autre côté du miroir. Là encore, c’est un motif de la littérature fantastique que Gautier s’approprie en lui donnant une dimension nouvelle. Entre deux hallucinations, Onuphrius se laisse entraîner par la rêverie : ses regards tombent

sur une grande glace de Venise à bordure de cristal, qui garnissait le fond de l’atelier ; aucun rayon du jour ne venait s’y briser, aucun objet ne s’y réfléchissait assez exactement pour que l’on pût en apercevoir les contours : cela faisait un espace vide dans la muraille, une fenêtre ouverte sur le néant, d’où l’esprit pouvait plonger dans les mondes imaginaires. Les prunelles d’Onuphrius fouillaient ce prisme profond et sombre, comme pour en faire jaillir quelque apparition.

JF, 78-79

La scène du miroir est directement associée, on l’a vu, à Gozzi et à ses Contratempi. Gautier y reprend le lieu commun du dédoublement tout en l’intégrant rétrospectivement au récit : le faux double qu’Onuphrius découvre dans le miroir n’est autre que l’homme au gros rubis qui l’a fait perdre aux dames la veille au soir. Quand il était peintre, Onuphrius encadrait des espaces pleins sur la muraille, il y faisait pénétrer la lumière par les fenêtres de ses tableaux. Désormais, il fait face à un miroir où se trouve sa seule oeuvre possible, le récit de sa vie ; en convoquant le souvenir de Gozzi et en donnant au récit la seule « explication » possible, celle du diable, le miroir de Venise devient, en abyme, la métaphore du conte fantastique. Peintre de génie, Onuphrius aurait créé des rectangles de lumière ; prisonnier du diable et de la magie noire, il est confronté à l’ombre de lui-même dans ce miroir maléfique qu’est devenu le conte.

Dans Spirite, quelques années plus tard, Gautier inversera ce dispositif en donnant cette fois sa chance à la magie blanche et en faisant du miroir non plus un lieu de passage vers le mal et l’échec, mais vers le bien et l’inspiration poétique : la description du miroir de Venise et de l’invitation au voyage initiatique commence exactement dans Spirite là où elle s’est interrompue dans Onuphrius : « Au milieu de ce scintillement [il s’agit du cadre] la glace de petite dimension comme tous les miroirs de Venise, paraissait d’un noir bleuâtre, indéfiniment profond, et ressemblait à une ouverture pratiquée sur un vide rempli d’idéales ténèbres[46]. »

Le « noir bleuâtre, indéfiniment profond », le noir d’une « intensité mystérieuse » n’était qu’ombres et terreur pour Onuphrius désormais incapable de peindre celle qu’il aime. Ses ténèbres ne sont jamais idéales, toujours elles ouvrent sur l’enfer. Au contraire, pour Guy de Malivert, « une vague blancheur laiteuse », « une lueur », « une tache lumineuse », « une vapeur traversée de lumière » font apparaître un portrait : il voit « délimitée par la bordure de la glace comme un portrait dans son cadre, une tête de jeune femme ou plutôt de jeune fille » (JF, 234-235). D’Onuphrius à Spirite, l’inspiration de Gautier suit donc une poignante trajectoire ; en jouant avec le motif du miroir sur la muraille, il le transforme en figure emblématique de la création artistique elle-même. Vouée à l’échec dans Onuphrius, elle devient la plus belle des promesses dans Spirite en un renversement de l’ombre à la lumière digne d’Aurélia.

En montrant dans Spirite le reflet inversé d’Onuphrius, Gautier semble avoir définitivement exorcisé le souvenir d’Hoffmann. Onuphrius s’ouvrait et se refermait sur un hommage aux personnages fantastiques dont la ronde diabolique avait entraîné le héros dans la folie. Du sous-titre à la dernière page, ils l’encerclent jusqu’à ce qu’il ne puisse plus offrir la moindre résistance : « l’histoire de Pierre Schlemil dont le diable avait pris l’ombre ; celle de la Saint-Sylvestre, où l’homme perd son reflet » (JF, 87) sont les ultimes références à Hoffmann dans le texte. Tout se passe alors comme si ce miroir de la Saint-Sylvestre s’interposait entre celui d’Onuphrius et celui de Guy de Malivert dans Spirite et que sa présence maléfique une fois conjurée elle rende possible l’avènement de la vision céleste de Spirite. Dans Les aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre, le héros, Erasme Spikher, épris de Giuletta, renonce par amour pour elle à avoir un reflet dans les miroirs ; il est désormais « homo nefas » et damné. De même Onuphrius achève son destin dans l’incapacité de « voir son image dans les glaces […] chose toute naturelle puisqu’il n’était qu’une substance impalpable » (JF, 87). Un vide terrifiant que Gautier comble par l’apparition merveilleuse de Spirite. La fugitive figure de Julie entr’aperçue par le Voyageur Enthousiaste dans le fond le plus reculé d’un miroir des Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre se métamorphose alors dans Spirite pour devenir la Muse bien-aimée du héros.