Résumés
Résumé
Jean Paulhan est catégorique : il serait « loyal » d’avouer une fois pour toutes que nous croyons aux fantômes. Dès les premières pages de Braque le patron, Paulhan parle de la présence « gênante » qu’il ressent en face d’un tableau du peintre, malaise qu’il explique ensuite en se montrant critique d’une certaine idée reçue de la ressemblance. Pour l’écrivain, il serait plus juste, devant ces tableaux, de parler de « spectre », une ressemblance excessive, autre, et pourtant d’une évidence toute banale, qui constituerait la possibilité d’un sens commun à travers l’expérience sensible de cette hantise. Notre contribution cherche à relire les textes que Paulhan consacre à Georges Braque et Jean Fautrier (Fautrier l’enragé) dans cette perspective spectrale, en s’autorisant un détour par Ponge (Note sur les Otages. Peintures de Fautrier). C’est en effet de hantise qu’il faut parler, semble-t-il, quand avec Fautrier, et pour reprendre les mots de Ponge, « la beauté revient », ou encore dans cette façon dont le sujet s’impose violemment à l’artiste (on dit alors que celui-ci est « hanté »). Peut-être est-ce encore elle qui se manifeste dans cette gêne que provoque pour l’écrivain (et l’écrit) le discours muet de la peinture. Mais on verra que cette hantise, qui peut prendre la forme d’un impératif esthétique, se double aussi, en des temps d’exception encore hantés par l’horreur et la torture, d’un véritable impératif éthique commun.
Abstract
Jean Paulhan is categorical: it would only be fair to admit once and for all that we believe in ghosts. From the very onset of his essay Braque le patron, Paulhan evoques the ‘awkward’ presence he perceives when encountering by chance a small painting of Braque, an uneasiness he then explains by criticizing the common idea of resemblance. According to the writer, it would be more exact to speak of ‘ghosts’ before Braque’s canvasses, and of a obscure excess of mimesis. Yet, this very excess is nevertheless revealed as banal, obvious, and, in fact, it constitutes a possibility: that of the reapperance of a common sense through the experience of viewing. This article attempts to read Paulhan’s texts on Georges Braque and Jean Fautrier (Fautrier l’enragé) in such a ‘spectral’ perspective, and in doing so it also considers Francis Ponge’s Note sur les Otages. Peintures de Fautrier. It is indeed of ‘haunting’ that we need to speak of when in Fautrier’s work—and to borrow Ponge’s words—‘beauty returns.’ This ‘haunting,’ still, would describe the way a subject matter imposes itself violently and urgently upon the artist (who is then said to be ‘haunted’), or even the unease felt by the writer (and by writing) when faced to the silence of painting. We will see that this ‘haunting,’ which can take the form of an esthetic imperative, is coupled, in exceptional times still haunted by horror and torture, with a true common ethical imperative.