Résumés
Résumé
De 1929 à 1939 (et peut-être au-delà), Hector de Saint-Denys Garneau a tenu ce qu’il appelait son « journal ». Le présent article aborde le parcours de Garneau en tentant de caractériser les formes qu’il a expérimentées dans les cahiers qui nous sont parvenus, de l’examen de conscience à la fiction, en passant par la lettre, les méditations sur l’art et le poème. Sont ensuite considérés les rapports qui s’établissent entre ces diverses formes. Il ressort de cet examen que Garneau a progressivement mis en relation le discours réflexif avec les ouvertures qu’offraient la poésie et la fiction : une dynamique se développe entre le bilan et l’esquisse, pour aboutir à une forme d’écriture qui intègre divers aspects du journal, notamment dans « Le mauvais pauvre va parmi vous avec son regard en dessous ». Cette pratique du journal, associant la délibération et l’expérimentation, est atypique dans la littérature québécoise, mais en plaçant les écrits de Garneau dans le contexte de la littérature française, plusieurs parentés apparaissent avec les oeuvres de Michel de Montaigne, de Joseph Joubert, de Paul Valéry et de Philippe Jaccottet, notamment. Ces oeuvres illustrent des dimensions de l’écriture du cahier qui transforment les visées habituelles du journal intime. De ce point de vue, les cahiers de Garneau s’inscrivent dans le « grand contexte » d’une forme erratique et heuristique qui est sans doute plus proche de l’essai tel que l’entendait Montaigne que de ce que le mot « essai » a fini par désigner aujourd’hui.
Abstract
From 1920 to 1939 (and perhaps beyond these years), Hector de Saint-Denys Garneau wrote what he called his “Journal.” This article deals with Garneau’s poetic evolution by attempting to characterize the forms with which he experimented in the surviving notebooks: critical introspection, fiction, letters, as well as reflections on art and poetry. I then examine the interactions between these forms. The analysis shows that Garneau progressively aligns reflexive discourse and the possibilities of fiction and poetry: this dynamic relationship between critical reports and sketches results in a form of writing that incorporates various aspects of the journal, as in “Le mauvais pauvre va parmi vous avec son regard en dessous.” If Garneau’s practice of the journal form, which couples reflection with experimentation, is unusual in Québécois literature, it shows similarities with the works of writers like Michel de Montaigne, Joseph Joubert, Paul Valéry, and Philippe Jaccottet in the context of French literature. All these writers explore aspects of notebook writing that alter the traditional aims of the journal. From this perspective, Garneau’s notebooks take their place in the “broad context” of an erratic and heuristic form that is certainly more akin to what Montaigne called “essai” than to what this word designates today.