Présentation[Notice]

  • Olivier Collet,
  • Francis Gingras et
  • Richard Trachsler

Plus de cinq cents ans après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, nous sommes habitués à considérer comme une évidence le fait qu’un livre contienne une seule oeuvre et qu’une oeuvre remplisse un seul volume : nous achetons en librairie un roman policier comme les lecteurs de Flaubert se procuraient Madame Bovary et comme déjà auparavant, on acquérait les Liaisons dangereuses ou Gargantua. La tradition universitaire, qui consiste depuis ses origines à éditer les textes sous une forme indépendante les uns des autres, nous a elle aussi habitués à envisager les écrits du Moyen Âge comme des entités autonomes : nous étudions ainsi la Chanson de Roland, Perceval ou le Roman de la Rose et toute la production de cette période sous les apparences que nous procure la philologie, qui est elle-même le reflet de pratiques vieilles de nombreux siècles puisque c’est très précisément ainsi que se transmet et se consomme toute littérature depuis Gutenberg. Pourtant, au Moyen Âge, un texte bref n’est que rarement conservé dans un manuscrit dont il occuperait à lui seul la totalité des feuillets. Même s’ils ont été conçus de manière dissociée, ces textes sont en majorité transmis et lus dans des recueils réunissant un certain nombre de pièces. Durant tout le Moyen Âge, on les a donc copiés et recopiés dans des contextes manuscrits variables et chacune de ces réalisations, chaque nouvel environnement, entraîne des répercussions sur la façon dont ces écrits sont compris puisque le voisinage matériel qu’occasionne leur regroupement, les interférences qu’il suscite parfois, produit ou autorise des mises en relation toujours variées. Il est certes possible d’analyser ces diverses configurations comme autant d’états différents, mais il est aussi possible d’envisager l’ensemble qu’elles forment comme un processus résultant d’une expérience de la lecture radicalement différente de la nôtre. Afin de se rapprocher de celle-ci, on peut alors tirer profit d’un certain nombre de spécificités que présentent les recueils anciens qui, souvent, étonnent le lecteur moderne et permettent donc de toucher du doigt l’« altérité médiévale ». Souvent, en effet, nous sommes frappés par l’hétérogénéité des collections manuscrites, bien que celles-ci fonctionnent, dans certaines limites, selon des critères qui nous sont familiers. Ainsi, nous rencontrons parfois une organisation « par auteurs », dans la mesure où des recueils regroupent tel choix d’oeuvres parce qu’elles sont attribuées, à tort ou à raison, à un écrivain donné. Ailleurs, nous repérons des associations par « genres » quand une anthologie rassemble dans une section particulière des écrits que nous considérons, par exemple, comme des « romans ». Ailleurs encore, c’est un sujet commun qui nous aide à expliquer la coexistence de deux ouvrages au sein d’un même volume, quand on y rencontre, par exemple, des poèmes misogynes ou lorsque les personnages dont ils traitent sont les mêmes. Parfois aussi, c’est la forme qui fournit le cadre de la réunion de pièces dans un même corpus. Mais souvent, aucun paramètre ne s’impose, montrant que nos critères modernes n’ont pas entièrement prise sur la réalité médiévale, ce qui nous contraint à les remettre en cause et à accepter de revenir sur les catégories fondamentales que sont, pour la compréhension et la représentation d’une tradition littéraire, la figure auctoriale, le genre, l’argumentum et la forme. Le sens d’une composition littéraire ne se résume donc pas à ce qui se trouve dans ce seul écrit : il faut faire intervenir la tradition et le contexte dans lesquels elle se situe. Tout se joue là, au moment où nous sollicitons un élément voisin pour en expliquer un autre. Se manifestent alors des effets de sens qui dérivent, par exemple, …

Parties annexes