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Who prefers being seen to seeing is neither sincere nor humble. […] He, who gives himself airs of importance, exhibits the credentials of impotence.

Johann Caspar Lavater, Aphorisms on Man, 1788

Le 27 juillet 1817, c’est soir de représentation au Théâtre des Variétés, boulevard Montmartre à Paris. À l’instar du Théâtre du Vaudeville et de l’Ambigu Comique, chacun ayant créé, à la mi-juillet, une pièce intitulée pareillement La folie Beaujon, le Théâtre des Variétés gagne la faveur du public depuis deux semaines avec Le combat des montagnes ou la Folie Beaujon d’Eugène Scribe et Henri Dupin. C’est dire combien vif est l’engouement suscité par les nouvelles montagnes françaises, situées sur l’emplacement des anciens jardins Beaujon, lesquelles rivalisent avec les montagnes russes installées à Paris depuis l’automne précédent, ainsi qu’avec les montagnes suisses, illyriennes et égyptiennes.

Le théâtre de boulevard étant une forme de chronique de l’actualité où la réalité du temps présent s’entremêle à la fiction, la pièce de Scribe et Dupin ne se contente pas de traduire la frénésie pour ces « promenades aériennes », emblématiques de la vie parisienne sous la Restauration ; elle raille au passage la prétention et le faux héroïsme martial des marchands de nouveautés. Ceux-ci sont personnifiés sur scène par M. Calicot, commerçant prospère de la rue Vivienne, qui aime parader sur les promenades à la mode comme un vétéran de guerre, portant éperons sonores et moustaches extravagantes, avec une vanité offensante pour la mémoire des braves ayant réellement combattu dans la Grande Armée.

En ce dimanche soir de la fin juillet, l’apparition du personnage de Calicot sur la scène des Variétés provoque l’ire d’une coalition de ces jeunes commis marchands qui, causant le plus grand tumulte au parterre, tentent d’escalader la scène pour faire arrêter la représentation. La prestation de Mira Brunet (acteur célèbre pour sa pantomime comique et son aptitude à décliner les types de bêtise), dans le rôle de Calicot, paraît en effet avoir « excité la bile de ces messieurs, qui, n’ayant le dimanche autre chose à faire que de battre le pavé de Paris, se sont portés en masse au Théâtre des Variétés pour siffler la pièce en question[1] ».

Pendant quelque temps, les émeutes et les arrestations presque quotidiennes de « Calicots » assiégeant le Théâtre des Variétés alimentent la presse parisienne et contribuent au succès de la pièce :

L’échauffourée de quelques imprudents a produit un tout autre effet que celui qu’ils en attendaient : ils voulaient tuer la Folie Beaujon au Théâtre des Variétés ; ils lui donnent une vogue nouvelle. Tout le monde à présent veut la voir ; la foule s’y porte, et n’entre pas qui veut. On ne riait de ces Messieurs qu’au théâtre, maintenant on s’en moque dans les cafés et dans les salons. Ils y ont gagné le nom de Chevaliers du Calicot et le nom leur en restera[2].

Les journaux, tels le Journal de Paris, le Journal du commerce, le Journal des débats, Le Constitutionnel et Le Bon Français, font le suivi des procédures judiciaires intentées contre ces émeutiers, informent les lecteurs des dispositions prises par le bureau de la censure pour faire rectifier l’outrage aux « braves » et annoncent le déferlement d’opuscules et d’estampes satiriques sur ce qu’il est convenu d’appeler la Guerre des Calicots[3] :

La susceptibilité de nos marchands de calicots est une bonne fortune pour nos faiseurs de caricatures. Chaque jour en voit éclore de nouvelles […]. Hier on les voyait dans leur champ de bataille, un balai à la main ; aujourd’hui, coiffés d’un madras, et armés de leur demi-aune, ils marchent en bataillons serrés. Demain nous verrons sans doute le moment de l’action, etc., etc.[4]

Profitant de l’instantanéité du nouveau médium lithographique qui fait alors son apparition en France, la Guerre des Calicots inspire une volée d’estampes satiriques représentant le Calicot dans l’exercice de sa profession, dans des scènes d’habillage ou encore partant à l’assaut du Théâtre des Variétés. Ces estampes traduisent un intérêt pour le caractère, la physionomie, l’habillement et le mode de vie d’une figure urbaine pour le moins singulière. On voit également le Calicot évoluer dans les parcs de loisirs parisiens (son habitat naturel en quelque sorte), comme en témoignent les vues gravées des montagnes russes ou françaises alors en vogue, lesquelles contribuaient à élaborer une vision panoramique de la ville et à en dessiner la cartographie sociale.

C’est donc au théâtre comique qu’apparaît le personnage de Calicot, prototype du jeune commis marchand prétentieux qui sera relayé et développé par la satire visuelle et autres imprimés éphémères à teneur humoristique. La représentation de types sociaux parisiens dans la culture visuelle et imprimée de la Restauration paraît répondre au goût du public pour la classification, le décryptage et la compréhension des rôles sociaux d’une modernité urbaine en mutation. Le public avait en effet été initié à l’interprétation physiognomonique par la traduction en français des enseignements lavatériens et par la circulation d’opuscules bon marché et « portatifs » qui en offraient des variantes simplifiées. Ainsi, en aval des modèles de classification scientifique hérités des Lumières et de la physiognomonie du début du xixe siècle, mais en amont des Physiologies réalistes, l’imagerie du Calicot produite en 1817 constitue un jalon dans l’effort d’observation sociale en même temps qu’un vecteur du discours satirique dans la culture de masse.

Par ailleurs, l’examen de productions imprimées éphémères, publiées dans la foulée de l’épiphénomène socioculturel de la Guerre des Calicots, inscrit cette figure au coeur de la formation des identités masculines et patriotiques de la société parisienne de la Restauration, marquée par la gloire des Cent-Jours et le traumatisme de l’occupation de Paris par les Alliés. Si le théâtre constitue, pour la jeunesse dorée de 1815, le lieu d’une joute identitaire pour la maîtrise du parterre par un groupe socioprofessionnel, ainsi que l’a démontré Alain Corbin à propos des théâtres provinciaux[5], il est aussi le lieu d’élaboration de stéréotypes qui marquent l’imaginaire, tel celui du militaire, figure dépositaire de la virilité. Ainsi, en exhibant de manière provocante les attributs militaires usurpés à la Grande Armée (principalement les éperons et les moustaches), les jeunes commis marchands tentent de s’approprier un capital symbolique destiné à pallier les insuffisances d’une nouvelle identité commerçante et bourgeoise aux contours encore flous. C’est ce malaise identitaire qui est ciblé par la création du personnage de Calicot dans la pièce des Variétés, et qui est développé ensuite par les nombreuses satires visuelles en découlant.

Cet essai vise à inscrire les caricatures sur le Calicot publiées au début de la Restauration au sein d’un ensemble de pratiques culturelles et intermédiales qui cherchent à appréhender la réalité parisienne du moment par types sociaux. L’examen d’une sélection d’estampes de ce corpus permet de porter un éclairage nouveau sur le façonnement identitaire d’un groupe social en voie d’affirmation et sur la construction du discours critique qu’il suscite.

Le Calicot comme type social

Le sobriquet de Calicot désigne, dans le langage populaire, le jeune commis des magasins de nouveautés qui, faisant son apprentissage professionnel, se prépare à une carrière dans le commerce et à la vie de moyen bourgeois. On lui confie l’étalage des calicots et autres cotons issus d’une industrie florissante en France, vendus à prix fixe — une pratique commerciale nouvelle — auprès d’une clientèle essentiellement féminine qu’il s’évertue à séduire. Incidemment, le jeune salarié accorde un soin particulier à sa toilette élégante, d’allure militaire : bottes à éperons, pantalon ample de calicot blanc, veston à redingote mettant en valeur une poitrine large et une taille fine et, surtout, les longues moustaches. Les caricatures du Calicot insistent sur le ridicule de cet accoutrement militaire, impropre pour dérouler et auner les étoffes ou balayer la boutique. Dans ses loisirs par ailleurs, le commis marchand d’âge tendre aime parader en militaire lorsqu’il musarde dans les parcs de loisirs et les promenades élégantes et à la mode de la capitale pacifiée par les Alliés[6].

C’est cette figure de la jeunesse, en quête d’identité dans un nouveau contexte social, économique et politique, qui apparaît au théâtre de boulevard à l’été 1817 sous les traits de M. Calicot. La caricature, incarnée avec succès par Brunet, définit aussitôt le Calicot comme type social. S’il est généralement accepté que toutes les professions soient tour à tour caricaturées au théâtre, il n’y a que les marchands drapiers, semble-t-il, pour s’en offenser. Il a toutefois échappé aux commentateurs que la fureur des « Calicots » et leur refus de la caricature s’expliquent vraisemblablement par la fragilité identitaire de cette génération en mal de modèle social stable. Ainsi, dans le journal Le Bon Français :

ils [les Calicots] n’auraient pas dû oublier que tous les ridicules sont du domaine de la comédie ; que produire sur la scène un homme qui exerce une profession quelconque, n’est point attaquer cette profession ; qu’il n’est pas plus défendu de mettre en scène un marchand, que d’y faire figurer un médecin, un procureur, ou un poète, et tant d’autres qui, depuis long temps, ne s’en fâchent pas, parce qu’ils savent très-bien que la comédie ne lance ses traits que contre les individus qui prêtent au ridicule[7].

Sauf que dans le cas présent, le personnage de Calicot semble en effet caricaturer moins un individu spécifique qu’une profession tout entière servant à épingler un type social. Il s’agit non pas du portrait-charge d’une personne, mais d’une caricature générale incarnée par un personnage qui rassemble en lui toutes les caractéristiques d’une classe[8]. Un pot-pourri de 1817, dont le livret est dédicacé à Brunet, soutient cette idée selon laquelle la comédie vise à corriger les moeurs en ciblant les ridicules de toutes les professions sans que personne ne s’en offusque ; par conséquent, les marchands de calicots, à qui le tour est venu, devraient simplement en rire[9]. Ce divertissement chanté présente en outre une mise en abîme de la Guerre des Calicots, sur l’air de Cadet Roussel est bon enfant, mettant en évidence le fait que le personnage de Calicot sur scène incarne moins la caricature d’un individu en particulier, que celle d’un type social, composé d’une pluralité de ces individus, qui envahit le parterre :

C’Calicot dont j’vous ai parlé,

Était un marchand d’nouveauté,

S’Faisant passer pour militaire.

Cent pareils étaient dans l’parterre.

Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,

Vous me comprenez à présent[10] !

Un autre opuscule paru en 1817, signé Blondelet[11], expose et développe la genèse du Calicot comme type social générique, encore une fois non pas sur scène, mais dans la salle. Le Journal des débats, quant à lui, rapporte le malaise qu’a suscité, chez les marchands d’étoffes assistant aux premières représentations de la pièce, l’entrée sur scène du personnage de Calicot :

Quand il est entré en scène, les agréables de la rue Vivienne et les petits-maîtres des boutiques du Palais-Royal ont paru fort décontenancés. Ceux qui assistoient à la première représentation, ne sachant comment échapper aux railleries du parterre, se sont hâtés de mettre dans leur poche leurs éperons à sonnettes et leurs moustaches d’emprunt[12].

La propagation par l’estampe satirique du type du Calicot

À l’instar du théâtre comique et des opuscules imprimés, les estampes satiriques possèdent ce trait fondamental de suivre les faits du jour et d’assouvir une société assoiffée de rire sous la Restauration[13]. En témoigne la quantité phénoménale de caricatures du Calicot qui sont produites et annoncées chaque semaine entre août et octobre 1817[14]. La fortune iconographique du Calicot est donc circonstancielle ; elle est directement liée à cette Guerre des Calicots, survenue autour du Théâtre des Variétés à l’été 1817, qui avait été allumée par une scène du Combat des montagnes de Scribe et Dupin.

C’est par ailleurs dans l’estampe satirique que se construit et s’élabore la critique du Calicot comme type social, notamment en lui faisant grief d’usurper avec opportunisme l’identité et l’honneur militaires, une fois la paix rétablie. Parmi les estampes abordant ce thème, Double Calicot (fig.1) et Autre tems autre Calicot (fig.2) ont été déposées concurremment le 23 août 1817.

Fig. 1

Double Calicot, chez Gauthier, gravure en taille-douce aquarellée, 1817. Paris, BnF. Est.

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Fig. 2

C. de Lasteyrie, Autre tems autre… Calicot, lithographie, 1817. Paris, BnF. Est.

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De conception similaire, toutes deux blâment le Calicot pour avoir lâchement échappé à la conscription avant de se pavaner comme un brave ayant combattu. Double Calicot montre le Calicot en temps de paix, à gauche, vêtu du costume militaire et arborant une poitrine artificiellement rebondie qui lui donnent un aspect imposant et costaud, un air fier et altier. À droite, le Calicot en temps de guerre est un personnage chétif et débile, à la poitrine creuse et à l’air phtisique — ses lèvres sont noires, sa langue sortie, son front plissé — qui, à l’évidence, ne présente aucune qualité requise pour mener des activités martiales. L’antinomie identitaire renverse la séquence habituelle d’avant et d’après-guerre : l’un est invalide avant même d’aller combattre, tandis que l’autre est prétendument glorieux sans avoir eu à le faire. Même la mise en page induit ce croisement des temporalités : le Calicot du présent tourne résolument le dos à celui qu’il a prétendu être, dénotant ainsi le fossé qui les sépare. Le contraste entre les figures passe par l’attitude générale du corps et du visage et par des attributs postiches servant à les caractériser : les moustaches pour le brave, les lunettes pour l’invalide. La duplicité du Calicot, induite par le titre, redouble la question de son instabilité identitaire : autant le Calicot martial que le phtisique sont des personnalités forgées, singerie dénoncée dans le texte de la lettre :

Avec raison, le Ridicule

Aujourd’hui s’attache à vos pas ;

Pouvez-vous singer sans scrupule,

De Bellonne (sic) les fiers soldats ?

À nos yeux, vous ne sauriez plaire,

Quand vous portez, quoique Français,

Des moustaches en tems de paix,

Des Lunettes en tems de Guerre.

L’estampe Autre tems autre Calicot (fig. 2) dénonce, sous la forme d’un diptyque, la couardise de celui qui s’enfuit au moment de la conscription de 1808 et sa prospérité complaisante comme marchand de nouveautés une fois « le bonheur de la paix » revenu. La figuration, en arrière-plan, du Théâtre des Variétés et des montagnes françaises à Beaujon suffit à ancrer le sujet dans la conjoncture du moment. Ainsi, dans une perspective physiologique, le Calicot incarne le type élégant, trop couard pour combattre, mais assez fier pour se pavaner et prospérer en temps de paix sur une identité ou une gloire usurpées[15].

L’estampe Prenez y garde (fig. 3), annoncée le 20 septembre 1817, prévient le lectorat contre trois types de capitalistes prospères sous la Restauration : le marchand de cachemire français, le marchand de nouveautés parisien et l’importateur anglais de produits étrangers[16]. Mais cette estampe dresse aussi une typologie sociale qui résume la condition de chacun par la nature d’une étoffe qui le caractérise et met en valeur l’aura militaire dans la formation des identités masculines. Ainsi, à droite, le bourgeois anglais qui déferle sur la France est qualifié de Pékin, nom donné à une étoffe de soie, mais qui désigne aussi la tenue civile bourgeoise, par opposition à la tenue militaire. À gauche, le Casimir français, du nom donné au tricot de laine fin, léger et cher, offre l’image élégante du militaire : il porte la moustache, la chevelure bouclée, le chapeau haut de forme, le veston à redingote, le jabot, le pantalon blanc et les bottes, sans les éperons. Authentique militaire français ayant bravement combattu, le casimir est devenu rare, la nation ayant quelque peu dilapidé la ressource avec ses guerres incessantes. Au centre, le marchand de calicot, du nom de la toile de coton grossière qui désigne aussi le commis de magasin de nouveautés connu pour arborer une allure militaire. Ici, la mise du Calicot apparaît comme une exagération grotesque et exubérante de celle du Casimir français : ses bottes sont munies d’éperons, son pantalon est bouffant, son veston paraît artificiellement gonflé et ouvert, son jabot plus imposant, ses moustaches et sa chevelure plus abondantes, son chapeau, plus haut que celui du Casimir, et décoré en outre d’une pelote d’épingles. Armé d’un parapluie, d’une aune à mesurer et d’une perche à linge sur laquelle se déploie en volute une pièce de toile, il porte sous le bras gauche un paquet marqué « Combat des Montagnes », qui rappelle l’incident des Variétés. La grossièreté et le peu de valeur du calicot (la toile autant que le type social parisien) sont évoqués de manière allusive par le texte de la lettre : « Le Calicot de Paris. Celui-ci est mauvais teint, aussi blanchit-il facilement ; on le trouve dans les magasins de nouveautés à très bas prix, malgré la saisie qui en a été faite… »

Fig. 3

Prenez y garde, chez Gauthier, lithographie aquarellée, 1817. Londres, British Museum.

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Un jalon entre la physiognomonie et les Physiologies

C’est aux estampes satiriques de 1817 qu’il revient d’avoir exploré et répertorié les premières manifestations du Calicot comme type social parisien, tel qu’il sera appréhendé tout au long du xixe siècle dans la littérature de moeurs et dans la littérature physiologique. L’imagerie du Calicot apparaît comme un jalon entre la physiognomonie (qui cherche à établir une corrélation entre la profession, le corps et le caractère) et les Physiologies[17] (qui se plaisent à inclure les études sur les types de profession), avec lesquelles elle partage un rôle d’observation sociale.

La représentation de types sociaux repose sur des modèles familiers tirés de la vie contemporaine qui offrent au public une sorte de lexique ou d’inventaire rassurant, permettant de décrypter la complexité de l’espace social[18]. Les caricatures physiognomoniques par exemple, cristallisant les types sociaux des différents quartiers de Paris, paraissent répondre à la crainte d’une perte identitaire dans un contexte de transformation démographique et de mutation des structures sociales[19]. Les caricatures du Calicot, quant à elles, brossent le portrait satirique d’une jeunesse bien visible et audible à Paris sous la Restauration tout en étant, elles aussi, symptomatiques d’une certaine difficulté à représenter le monde postrévolutionnaire. En effet, les marchands de calicot constituent un corps de métiers qui reflète l’ascension sociale et économique d’une nouvelle frange de la population parisienne. En ce sens, les estampes sur le Calicot sous la Restauration préfigurent la vaste opération de taxonomie de la société française de la monarchie de Juillet avec les Physiologies, véritable « miroir en miettes[20] » de la classe moyenne, dans lesquelles le Calicot devient un type social et professionnel.

Le Miroir du Calicot par exemple, petit recueil de caricatures lithographiées de Cham paru vers 1841 qui s’inscrit dans le « fleuve “physiologique”[21] » du moment, donne à lire sous la première vignette : « le Calicot est l’homme chez lequel on trouve le moins ce qu’il vend, de l’étoffe ». Cette homophonie inaugurale sur l’étoffe du calicot (à entendre au sens de l’ethos, c’est-à-dire le caractère fondamental de l’individu) suffit pour évoquer un ensemble de représentations, mises en place par les caricatures sous la Restauration, faisant du Calicot l’antinomie du courage militaire, entre autres choses[22].

Caricatures et Physiologies se rapprochent donc en tant qu’études de moeurs, subordonnées à leur imitation comique, qui s’inscrivent dans l’actualité du jour[23]. Cette « écriture de l’actualité[24] », comparable à celle du théâtre comique et des journaux satiriques, gagne la faveur du public du début du xixe siècle à une époque où la moitié de la population parisienne est encore illettrée. Les caricatures du Calicot sous la Restauration, comme les Physiologies sous la monarchie de Juillet, deviennent des objets de consommation immédiate, à prix modeste et donc accessibles à un assez large public[25]. Les caricatures en feuilles volantes, en particulier, sont accessibles pour quelques sous grâce au nouveau procédé de la lithographie, lequel permet de plus grands tirages et à moindre coût que les procédés commerciaux de gravure en taille-douce. Débités chez les éditeurs et les nombreux marchands d’estampes parisiens, ces imprimés sont également diffusés chez les marchands de musique et dans les cabinets de lecture, situés aux galeries du Palais-Royal et ses environs, ainsi que sur les Grands Boulevards, dans le voisinage des théâtres, cafés et marchands de nouveautés où se concentre le commerce de l’estampe et de la librairie.

On voit donc se dessiner, autour des plus anciens passages de Paris (ceux du Caire et des Panoramas), une zone d’effervescence culturelle favorisant la convergence des pratiques intermédiales qui, autant au théâtre de boulevard que dans les estampes satiriques, établissent le Calicot comme type parisien destiné à faire rire. La « contamination stylistique[26] » ne tarde d’ailleurs pas à gagner les Physiologies, lesquelles sont écrites, le plus souvent, par des vaudevillistes. Cette intermédialité repose donc à la fois sur une proximité géographique des lieux de diffusion (théâtres, commerces d’estampes et de librairie) et sur une proximité des modes d’expression satirique pouvant se complémenter, voire se suppléer les uns aux autres. Dans le Grand combat du Combat des montagnes de 1817 par exemple, l’auteur, n’ayant pu voir en entier la pièce de Scribe et Dupin en raison des troubles au parterre que l’on connaît, affirme être allé la voir le lendemain chez son libraire[27]. Il semble donc que la culture imprimée, celle des caricatures et des opuscules divers, ait su tisser avec le théâtre de boulevard un réseau autour d’un public qui leur est commun.

Par ailleurs, l’épiphénomène socioculturel de la Guerre des Calicots, sis au carrefour de l’histoire du théâtre et de l’histoire de la culture de l’imprimé, est aussi plus spécifiquement lié à l’émergence de la lithographie en France. Le procédé lithographique, inventé par Aloys Senefelder en 1796 et importé en France par son associé Friedrich André en 1802, ne prit son envol à Paris qu’en 1815 avec la fondation, par le comte de Lasteyrie, de la première imprimerie lithographique. Celui-ci, avec Delacroix et d’autres artistes aujourd’hui moins connus, fournissaient notamment des caricatures du Calicot au célèbre marchand d’estampes Martinet, dont la boutique était reconnue comme un musée de la caricature, exposant dans ses vitrines les moeurs des Parisiens sous forme de recueils de costumes et de types sociaux[28]. Non seulement le Calicot fut-il parmi les premiers sujets d’actualité à être traités et largement diffusés par ce nouveau procédé graphique, mais aussi contribua-t-il à l’affirmation de l’estampe originale comme moyen d’expression, la dégageant ainsi de son rôle de reproduction des chefs-d’oeuvre de l’art. Ainsi que l’énonçait Henri Bouchot en 1895 dans son histoire de la lithographie :

ce fut le Calicot qui lança la lithographie. Celle-ci bénéficia de la popularité du héros qu’elle montrait à chaque coin de rue. Condamnée aux figures d’après Raphaël, aux Briséis de Regnault, elle fût peut-être morte ; Calicot la sauva[29].

Entre 1817 et 1825 en effet, Paris connaît un accroissement spectaculaire de boutiques de lithographie qui débitent, en feuilles ou en albums, des compositions s’adressant aux classes populaires et ouvrières ainsi qu’aux anciens soldats et officiers impériaux. La lithographie, qui contribue de manière importante à la mémoire de l’épopée napoléonienne, est aussi le médium privilégié par les bonapartistes (tant les militaires que les bourgeois prospères) opposés au nouveau régime de la Restauration qui réinstaure les privilèges aristocratiques en faveur des émigrés revenus en France[30]. C’est dans ce contexte sociohistorique du début de la Restauration que la Guerre des Calicots, épiphénomène qui lance la lithographie en France, met en scène une jeunesse bourgeoise et libérale, dont les ambitions sont freinées par la gérontocratie en place et dont l’affirmation sociale passe par le façonnement de son identité sur le modèle militaro-viril[31].

La (dé)formation de l’identité militaro-virile du Calicot

De tels enjeux identitaires sont au coeur des estampes satiriques sur le Calicot. Celles-ci tournent en dérision le déploiement ostentatoire, par la jeunesse marchande, d’attributs virils habituellement réservés au monde adulte et militaire. En outre, elles ridiculisent, par le recours à la citation parodique des modèles antiques, les prétentions au sens de l’honneur d’une classe socioprofessionnelle imprégnée d’infériorité et dénuée d’héroïsme.

L’estampe La veille ou les Funestes présages (fig. 4) présente trois jeunes Calicots attablés au Café des Variétés, attenant au Théâtre du même nom où on joue le Combat des montagnes de Scribe et Dupin. Reconnaissables à leur accoutrement combinant les nouveautés de la mode (bottes à éperons, pantalon cosaque, veston à redingote, haut-de-forme, abondante chevelure bouclée et moustaches), les jeunes Calicots signifient leur appartenance au monde adulte en imitant les apparences et attitudes corporelles de l’homme, ainsi qu’en s’adonnant à l’activité de boire dans l’espace public[32]. Toutefois, le sujet de cette satire graphique concerne bel et bien le démasquage des Calicots comme « jeunes imberbes » ainsi qu’on les appelait parfois[33] ; le décollement accidentel de la moustache postiche vient assombrir l’oisiveté et l’insouciance des Calicots et laisse présager leur déconfiture imminente. Désireux d’arborer de manière ostentatoire les emblèmes virils — la moustache et la pilosité étant depuis toujours associées à la virilité et à la vigueur physique[34] —, les Calicots juvéniles sont contraints de recourir aux moustaches postiches, attribut de la jeunesse masculine au seuil de l’âge adulte[35].

Fig. 4

La veille ou les Funestes présages, chez Martinet, gravure en taille-douce aquarellée, 1817. Paris, BnF. Est.

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En plus d’être un emblème de virilité revendiqué par « la belle jeunesse marchande [qui] a couru aux armes[36] », la moustache est également un signe de distinction militaire réservé à certains régiments et adopté par la garde impériale[37]. Avec le traumatisme de la défaite et le retour de la monarchie, le prestige du soldat demeure grand sous la Restauration, surtout aux yeux d’une jeunesse frustrée d’héroïsme et désireuse de s’approprier une image de la virilité en se donnant un air martial. La préséance du modèle militaire, en déterminant l’âge du guerrier, contribue par ailleurs à façonner une image positive de la jeunesse masculine, dans cette période de la vie précédant l’établissement par le mariage[38].

Si la moustache est un attribut militaire permettant de distinguer le soldat du Pékin[39], c’est-à-dire le civil bourgeois, les moustaches postiches du Calicot contribuent, quant à elles, à brouiller les catégories sociales. D’autant que le costume du Calicot, largement inspiré du vestiaire militaire, véhicule aussi cette identité d’emprunt qui détonne dans la société structurée de la Restauration, nostalgique d’un « temps où chaque classe de la société portait un costume particulier dont elle s’honorait[40] ». En effet, le façonnement du corps par la redingote, qui produit l’effet d’une silhouette à taille de guêpe surmontée d’une poitrine bombée et de larges épaules, cherche à imiter un idéal inspiré de l’imagerie guerrière tout en définissant comme jeune homme celui qui l’arbore[41].

Si les moustaches et autres attributs corporels ostensibles agissent comme marqueurs d’identité masculine, ce sont les attributs militaires en particulier qui évoquent la virilité valorisée, convoitée et imitée par le Calicot. Ce dernier, ironiquement, en raison de son élégance excessive, de sa couardise et de sa cupidité, est devenu le stéréotype du commerçant qui cristallise l’antinomie du militaire. L’évolution de la représentation du Calicot dans l’imaginaire de la masculinité au xixe siècle ira dans le sens d’un efféminement, comme en fait foi un ouvrage aux ambitions physiologiques intitulé À bas les Calicots publié en 1861, dans lequel l’auteur insiste, jusque dans la composition typographique du texte, pour qualifier fielleusement les Calicots d’« hommes-femelles[42] ». Sous la Restauration toutefois, la représentation du Calicot dans les estampes satiriques et opuscules imprimés ne témoigne aucunement d’une mise en doute de sa masculinité. C’est plutôt sa virilité qui est attaquée à cause de sa couardise, que trahit son allure militaire d’emprunt[43]. À une époque où le sens de l’honneur est d’une importance capitale, le port de la moustache par le Calicot et l’identification à la pilosité de l’armée napoléonienne, symboles de courage militaire[44], paraissent subversifs, voire provocateurs. D’une part, le régime monarchique nouvellement restauré désapprouve l’expression d’allégeances bonapartistes. D’autre part, les Français réprouvent cet accoutrement qu’ils perçoivent comme un affront aux soldats, lesquels sont les « principaux dépositaires de ce sentiment collectif symbolisé par la création de la Légion d’honneur, dont la devise est “honneur et patrie”[45] ».

Sous l’occupation de Paris par les Alliés et en l’absence des troupes impériales dans la capitale, seul le ridicule peut châtier les Calicots de leur affront impudent à cette vertu cardinale de l’honneur, fondement de la virilité. Alain Corbin a démontré comment l’honneur viril façonne la condition masculine au xixe siècle en faisant valoir que cette « injonction de virilité[46] » découle d’un ensemble de représentations issues, par exemple, de la gloire des armées révolutionnaires et impériales, mais aussi de modèles illustres de l’Antiquité, qui constituent un code d’honneur devant être inculqué aux garçons et devant guider l’action des hommes. La physiologie, du reste, paraît avoir consolidé cet édifice de valeurs[47]. Aussi convient-il de souligner que de nombreuses estampes satiriques sur le Calicot ciblent, dans ce répertoire d’exemplarité virile, les vertus de l’héroïsme guerrier et du « savoir-mourir pour ses valeurs[48] », ajoutant ainsi à la charge caricaturale le poids de l’ironie. En outre, la parodie de modèles artistiques connus, porteurs d’une esthétique classique, accentue la référence ironique à l’héroïsme antique.

C’est le cas, par exemple, des parodies du Serment des Horaces de David (1784)[49], figurant le départ des Calicots pour le Combat des montagnes. Parmi les toutes premières caricatures du Calicot annoncées dès le 16 août 1817, paraissent deux lithographies sur le thème du serment des Calicots : l’une, publiée chez Houblon et débitée chez Martinet, portant l’inscription « Magasin de nouveautés », montre trois Calicots en train de prêter serment devant un marchand, lequel brandit les demi-aunes au-dessus de rouleaux de tissu posés sur un socle portant l’inscription « Calicot en pièces », et qui tournent le dos aux femmes en pleurs. L’autre, parue chez Engelmann et attribuée à Vigneron, cite plus fidèlement les éléments du tableau de David, depuis l’organisation spatiale de la composition jusqu’aux poses et attitudes des figures (fig. 5). Un quatrain accompagne cette parodie des Horaces et raille les prétentions prosaïques des Calicots de créer un embargo pour sauver l’honneur de leur corporation, portant ainsi au désespoir les femmes éplorées qui doivent se priver de biens de consommation dont elles raffolent :

Ah s’il faut qu’aujourd’hui les calicots Succombent,

Comme vos eperons que vos moustaches tombent

Sur l’aune ici jurez qu’il ne restera plus,

Qu’un oeil a vos vainqueurs, pour braver les vaincus

Nous le jurons !

Une troisième parodie lithographiée du Serment des Horaces, parue chez Pain et annoncée la semaine suivante, le 23 août 1817, s’intitule Nous jurons de faire baisser la toile. Par un jeu de mots sur la toile, désignant à la fois le calicot comme toile de coton et le rideau de scène au théâtre, l’estampe exprime l’objectif concret des marchands drapiers de forcer l’arrêt de la représentation théâtrale et d’exercer une forme de censure. Mais, comme on sait, ce refus de la caricature au théâtre n’en a stimulé que davantage le déferlement d’estampes satiriques sur le compte du Calicot.

À côté des parodies du Serment des Horaces, d’autres estampes satiriques mettent en scène le thème du départ pour la guerre, où l’héroïsme mâle contraste avec l’abattement féminin. L’estampe Départ de M.r Calicot et désespoir de M.lle Perkale (sic) par exemple, parue chez Engelmann et annoncée le 16 août, propose une variation sur le thème canonique des adieux d’Hector et Andromaque : Calicot s’élance hors de sa boutique, demi-aune à la main, laissant sa compagne se morfondre derrière son comptoir. D’autres estampes réaffirment l’ascendant du paradigme antique en matière de représentation héroïque et virile telles que Le Gladiateur moderne (fig. 6), estampe parodiant le Gladiateur Borghese, par Pigal, parue chez Delpech et annoncée le 23 août, et Romulus Calicot, estampe parodiant le héros romain du tableau des Sabines de David, par Lasteyrie annoncée le 11 octobre. L’effet comique provient de l’écart entre cette grandeur, à la fois du modèle antique et artistique, et le ridicule des prétentions calicotières. Le Gladiateur moderne, par son titre, accentue la comparaison entre le passé antique et le présent moderne en convoquant une réflexion sur le changement de temporalités historiques. Quant à Romulus Calicot, l’exubérance de son costume contraste avec la nudité héroïque de conception davidienne et accentue le caractère artificiel de sa virilité.

Fig. 5

[Serment des Calicots], chez Engelmann, lithographie aquarellée, 1817. Ottawa, Carleton University Art Gallery.

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Fig. 6

Le Gladiateur moderne, chez Delpech, lithographie aquarellée, 1817. Paris, BnF. Est.

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D’autres estampes, raillant le départ de Calicot pour le théâtre, son seul champ de bataille, telles que Monsieur Calicot partant pour le combat des montagnes, parue chez Vigneron et annoncée le 16 août 1817, et Le départ de calicot pour le combat par Alexandre annoncée le 23 août, se présentent comme autant de variations plus affectées qu’athlétiques du Gladiateur moderne. Le costume du Calicot altère le canon antique et remodèle la silhouette en accentuant la disproportion des parties du corps (la taille fine et la poitrine large). Contrairement à la nudité, porteuse d’idéaux universels, le corps vêtu devient signe ostentatoire d’une culture des apparences, d’autant que le costume du Calicot constitue une mascarade par laquelle il tente d’usurper une identité, un statut, une vertu. Dans ces parodies de la bravoure martiale, où le Calicot troque la lance et le glaive des Anciens contre la perche à linge et l’aune à mesurer, l’abondance de tissus dont on affuble ce guerrier d’occasion — pantalon bouffant, jabot exubérant, épaulettes en pelotes d’épingles, ballots de tissu en guise de casque, de cuirasse ou de bouclier — convoque l’image d’une virilité ridicule et inadéquate pour les activités militaires. Parallèlement, d’autres caricatures insistent plutôt sur la capitulation du Calicot, qui, à l’instar de Samson rasé, voit ses moustaches coupées, et par conséquent, ses prétentions viriles invalidées.

L’examen de quelques thèmes puisés dans le corpus d’estampes satiriques sur le Calicot révèle leur contribution à la formation des identités masculines sous la Restauration ainsi qu’aux prémisses d’une physiognomonie du corps social[50]. En mettant en scène le modelage du corps du Calicot par des attributs postiches dans le but de s’approprier des caractéristiques morales qui ne sont pas les siennes, les estampes font voir un détournement des codes de lecture physiognomonique au profit d’un façonnement identitaire. Le fait d’interpréter l’être intérieur d’après son apparence extérieure constitue une nouvelle manière de composer avec la vie urbaine, surtout à une époque où Paris connaît une densité de population sans précédent, ce qui tend à brouiller l’identité des classes sociales dans la foule urbaine, en raison notamment d’une certaine standardisation vestimentaire[51].

Le Calicot évolue au coeur d’une culture de consommation, de loisirs et de divertissement social qui anime la vie parisienne et qui est rendue accessible au grand public. Le Calicot envahit l’espace public et contribue à sa mixité sociale, tout en s’évertuant à singer le gentilhomme et à raffiner son art d’apparaître comme ce qu’il n’est pas[52]. Par ses déambulations dans l’espace social de Paris — les promenades aériennes, le Café des Variétés, le bois de Boulogne — dont témoignent des estampes satiriques et autres productions éphémères, le Calicot s’inscrit dans une généalogie d’élégants et de poseurs, depuis les Macaronis jusqu’aux Dandies, en passant par les Incroyables, M. Belle-Taille et autres Beau Brummel. Il s’inscrit également dans le registre du musard et du flâneur dont le xixe siècle s’appliquera à établir la taxonomie. Enfin, le Calicot incarne une figure de jeunesse, aux côtés des petits-maîtres, étudiants et bohémiens qui feront le délice des Physiologies.

Le déferlement de caricatures sur les marchands de calicots et sur leur guerre d’honneur contre le Théâtre des Variétés, qui les a livrés à la risée publique, a servi de circonstance atténuante dans la sentence prononcée par le procureur royal. Celui-ci, en effet, a estimé que le ridicule dont les émeutiers avaient été couverts constituait la juste part du châtiment qu’ils méritaient dans cette affaire et a « invoqu[é] pour eux les dispositions indulgentes[53] » de la loi. Mais les Calicots de 1817 n’étaient pas au bout de leurs peines : il leur restait encore à affronter les ambitions physiologiques de leur siècle.