Lettres de Pierre Vadeboncoeur (1920-2010) à Jean-Pierre Issenhuth (1947-2011). 1987 à 2003[Notice]

  • Jonathan Livernois

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    Jonathan Livernois

Dans son ouvrage ultime, La géométrie des ombres (2012), Jean-Pierre Issenhuth se pose la question : « Pourquoi, dans La clef de voûte, les vues de Vadeboncoeur sur le monde contemporain me sont-elles si étrangères ? » La réponse est quelques pages plus tôt : « Pourquoi diable parle-t-on de “réenchanter le monde” ? Il n’a jamais cessé d’être enchanté. C’est l’humanité désenchantée qui distille du vinaigre et en asperge le monde à tour de bras. » Pourtant, l’écrivain aurait eu de bonnes raisons d’être triste devant son monde à l’écologie précaire, celui-ci habitant une île, Laval, peuplée de centres commerciaux et lardée de boulevards moroses. Au contraire, c’est là, au coeur même de ces zones incertaines, plus sensible, sans doute, à ce qui se révèle dans la fragilité, qu’il voit les arbres, les animaux et tout ce qui fait de lui un écrivain du dehors. Il le dit bien : « le raton, qui n’annonce jamais son passage, est une figure plus juste du monde tel qu’il existe sans moi, et une figure non moins juste de la discrétion du monde tel qu’il existe avec moi ». Qu’est-ce qui explique que Pierre Vadeboncoeur et Jean-Pierre Issenhuth aient correspondu à partir de 1980 ? Dans ces lettres que nous publions ici pour la première fois, on sent bien sûr une admiration mutuelle, une appréciation de leurs styles respectifs, mais il y a plus. Ce n’est pas un hasard si le dernier livre d’Issenhuth a été dédié à Pierre Vadeboncoeur : l’essayiste de La ligne du risque a, lui aussi, fait l’expérience du monde, s’est sorti de lui-même, même lorsque son oeuvre s’est faite plus intimiste, introspective : « Voilà le contraire d’un spectacle intellectuel, pour lequel le discours a priorité sur l’expérience et la met entre parenthèses, la minimise, l’outrepasse ou la travestit si facilement. C’est par là que je suis attaché à Vadeboncoeur. » Les deux hommes se retrouvent en des espaces analogues, où l’écologie est précaire. Laval ou le Très-Haut : les deux hommes se rencontrent parce qu’ils s’interrogent. Pierre Vadeboncoeur a reçu le prix de la revue Études françaises en 2003 pour son essai Le pas de l’aventurier. Cher ami, Vos lettres ont l’effet, entre autres, de me réconforter, ce dont j’aurai toujours un assez grand besoin. Celle du 7, la dernière, notamment. Contrairement à votre image de la mer et du sable, et celle du lest et du ballon […], celle du siège d’une idée et de la petite porte enfin trouvée pour y accéder me plaît beaucoup. Quand j’ai une idée au fond de la tête mais sans pouvoir encore l’apercevoir, j’éprouve qu’elle y est et je sais d’avance que dans un détour elle me sera donnée sous un angle ou sous un autre, de sorte que j’en fixerai au moins un aspect, et il s’agira d’une idée qui n’existait pas jusque-là ; autant dire, je l’aurai créée en quelque sorte, et elle sera neuve. Si ce n’est là la réalité, du moins est-ce l’illusion que j’ai. Je ne cours qu’après ces petites « découvertes » — j’entends : quant aux idées. Je fais donc effectivement des sièges, et des manoeuvres, et des sinuosités, car l’idée se cache et ne se laisse pas aisément saisir. Quand je mets la main dessus, elle est comme un objet. Cependant, à une espèce de deuxième degré, deuxième mais pour moi tout à fait principal, ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant cette idée elle-même que la beauté de l’exprimer, la beauté de la sertir dans une phrase qui serait parfaite. (Du reste, c’est la phrase qui …

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