PrésentationLes lieux du changement ?[Notice]

  • Andrée Mercier et
  • Élisabeth Nardout-Lafarge

L’émergence rapide, voire spectaculaire, de nombreuses maisons d’édition qui survient au tournant des années 2000 constitue l’un des principaux indices d’une transformation du paysage littéraire du Québec ; c’est le point de départ de ce dossier. Devant l’impossibilité de proposer ici une analyse exhaustive de ce phénomène récent et complexe, nous avons plutôt choisi d’interroger, à partir d’un premier échantillonnage, le mode de fonctionnement de certaines de ces nouvelles maisons dans des études de cas (La Mèche, Rodrigol), de cibler des pratiques précises (le paratexte éditorial) et d’explorer comment les mutations que permettent les nouvelles technologies étendent et refaçonnent le champ de l’édition. Nous avons également souhaité prendre la mesure de la nouveauté de la littérature qui naît dans ces conditions en posant à ces corpus des questions critiques en quelque sorte canoniques de la littérature québécoise, celles de l’identité et de la langue d’écriture. Que l’on ait choisi de concentrer l’analyse sur la prose narrative n’est pas sans conséquence sur les conclusions auxquelles on aboutit. On conviendra cependant que c’est bien dans ce genre vaste et actuellement hégémonique, incluant romans et récits, que se spécialisent la plupart des maisons d’édition créées depuis les quinze dernières années, tandis que l’édition de poésie, malgré l’ouverture de nouvelles collections, à l’Hexagone par exemple, tout comme aussi celle d’essais demeurent relativement stables par rapport aux années 1980. De même que nous avons retenu un genre en particulier, nous avons concentré sur deux questions, l’identitaire et la langue, l’analyse d’un changement potentiel que d’autres angles de vue auraient sans doute également permis d’éclairer. Reste que, si tel est bien ce à quoi nous assistons, le détrônement de la fable identitaire et la fin de la « surconscience linguistique » engageraient des transformations particulièrement significatives du corpus québécois. Le contemporain, en tant que configuration esthétique, a vu son émergence associée au début de la décennie 1980, décennie à la fois « fondatrice » et interprétée comme une fin, celle d’une certaine modernité et de l’affirmation d’une identité nationale. Malgré ce qu’une telle lecture simplifie et escamote, les principaux consensus critiques sur la littérature des années 1980 se sont imposés, figés sans doute, et la production littéraire des trente dernières années a beaucoup été lue à travers ce prisme, à la lumière des singularités reconnues aux oeuvres de cette décennie. Or, considérant les changements qu’a connus le champ éditorial autour des années 2000, l’ambition de ce dossier est d’engager une réflexion, moins pour identifier à tout prix un renouveau, que pour tenter de penser la production récente autrement que comme un simple prolongement de celle des années 1980. Le portrait reste partiel, mais il met en lumière, parallèlement à des pratiques éditoriales qui cherchent à affirmer leur originalité, des inflexions jusque-là peu perçues qui sont à l’oeuvre dans les textes littéraires. L’apparition, en un peu plus d’une décennie, de nombreuses maisons d’édition (dont La Pastèque, 1998 ; L’Effet pourpre, 1999-2005 ; Marchand de feuilles, 2000 ; Le Quartanier, Rodrigol, 2002 ; Mémoire d’encrier, 2003 ; La Bagnole, 2004 ; Alto, Ta mère, 2005 ; Héliotrope, La Peuplade, 2006 ; La Mèche, 2010 ; Druide, 2011 ; Le Cheval d’août, 2014), a été saluée comme « une renaissance » de la littérature du Québec dans Le Monde et comme un signe de « vitalité rafraîchissante » dans L’Actualité. L’ampleur du phénomène et sa concentration dans le temps incitent à voir dans ce changement du paysage éditorial québécois une transformation susceptible d’affecter également et proportionnellement la pratique littéraire, tant sur le plan esthétique de la production que sur le plan critique de la réception. C’est cette hypothèse …

Parties annexes