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Gilles Marcotte, lecteur de Réjean Ducharme[Notice]

  • Élisabeth Nardout-Lafarge

Gilles Marcotte a publié à la revue Études françaises deux textes majeurs, parmi les plus cités de ceux qu’il a consacrés à Ducharme, « Réjean Ducharme contre Blasey Blasey » en 1975 et « Réjean Ducharme, lecteur de Lautréamont » en 1990. De ce dernier article, je garde précieusement le tiré à part dédicacé qui m’attendait dans mon casier quand je suis arrivée au Département des littératures de langue française (qui ne s’appelait pas encore ainsi) à l’automne 1990. Dans l’ensemble des écrits de Gilles Marcotte sur l’oeuvre de Réjean Ducharme – ensemble qu’il faudrait prochainement réunir et éditer –, les deux articles d’Études françaises constituent, à quinze ans d’intervalle, les clés de voûte d’une lecture remarquablement fidèle à ses premières intuitions. Les échos qui se tissent d’une étude à l’autre révèlent d’abord une méthode critique, analytique : « Lisons, ne cessons pas de lire, de pratiquer cette lecture soupçonneuse, un peu maniaque, à laquelle on n’échappe pas quand on a parcouru les romans de Réjean Ducharme plus d’une fois » (LL, 89). Méthode également en ce que le second article apparaît clairement comme la reprise et l’approfondissement du premier, faisant retour sur ses principaux enjeux : la question du roman, l’extension dans l’oeuvre du motif de l’amitié, les intertextes dissimulés que sont les oeuvres de Saint-Denys Garneau et Lautréamont et leur rôle, la charge contre la modernité. Méthode enfin dans l’écriture même des articles qui avancent comme une conversation, prennent à témoin – « Vous n’avez pas tout vu… » (BB, 279) –, interpellent – « Vous n’avouez pas ? Essayons autre chose » (LL, 88) – et mettent en scène un dialogue avec cet autre lecteur, cette autre lectrice, également familiers de l’oeuvre et complices de son exploration, dont il s’agit de faire tomber un à un tous les a priori. D’emblée centrés sur la dynamique de l’écriture, les deux articles suivent le fil d’Ariane de Lautréamont, auteur que la critique a associé à Ducharme dès la parution de L’avalée des avalés, mais dont personne, avant Gilles Marcotte, n’avait montré de manière précise l’impact décisif sur l’oeuvre : « Lautréamont qui équipe Iode Ssouvie d’un “Grand Coupable” [p. 75] et d’un Vieil Océan, mais dont le nom est occulté dans toute l’oeuvre de Ducharme, parce que son texte y travaille presque sans arrêt » (BB, 253 ; G. Marcotte souligne). Dès « Réjean Ducharme contre Blasey Blasey », consacré à la question des genres, l’auteur des Chants de Maldoror sert de référence théorique à une définition du roman : Et une note de ce premier article annonce ce qui fera la matière du second : L’hypothèse défendue, selon laquelle l’écriture de Ducharme est animée par un rapport paradoxal d’attirance et de résistance au genre romanesque structure toute la lecture. Ce rapport est surtout perceptible dans Le nez qui voque, à ses yeux « le seul de[s] romans [de Ducharme] à être une véritable histoire d’amour » (LL, 114). Je me souviens d’une conversation avec Gilles Marcotte au cours de laquelle j’avais soutenu qu’au contraire, chaque roman ne raconte que des histoires d’amour, m’appuyant pour cela sur les oeuvres plus récentes. Il ne m’avait évidemment rien concédé, persuadé que la grande affaire chez Ducharme reste l’amitié : Il aurait fallu discuter plus avant, expliquer ce qu’on entend par « amitié » et par « amour », dire à quel point il y a de l’un dans l’autre et réciproquement sinon à quoi bon, départager nos deux perceptions marquées par la génération et par le genre, et …

Parties annexes