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Pendant plus de cinq siècles, l’objet qu’est le livre imprimé a conditionné notre manière de recevoir les textes et de penser la littérature. Les concepts de texte, d’oeuvre et de livre constituent une série qui pouvait dans la « galaxie Gutenberg[1] » souvent être lue comme une suite de parfaits synonymes. Toutefois, force est de constater qu’à l’ère du numérique, ils ne sont plus des équivalents exacts, à moins de décider, au mépris de la réalité actuelle, que tout texte est nécessairement fixé et fermé en une oeuvre et que livre a pris comme sens premier son emploi par métonymie, qui lui permet de glisser de son sens concret à un sens intellectuel et abstrait[2]. Plusieurs décennies d’études médiatiques depuis Marshall McLuhan nous ont familiarisés avec l’idée que « le medium est le message[3] ». Le support manuscrit de la littérature médiévale est, dès les fondements de la discipline, ressenti comme un élément saillant du champ d’études qui s’est d’abord construit méthodologiquement avec l’histoire littéraire mais, plus particulièrement, grâce à la philologie. Peut-être les pratiques numériques et les mutations des habitudes de lecture qu’elles entraînent nous ont-elles rendus plus sensibles à la spécificité du livre imprimé et à l’historicité de ce format : il est en tout cas incontestable que les dernières décennies de la recherche médiéviste ont été caractérisées par un regain d’intérêt pour la matérialité du codex médiéval et les spécificités de la textualité qui en découlent.

Puisque les notions de texte, d’oeuvre et de livre sont particulièrement sensibles pour les études médiévales, mais qu’elles sont également au coeur des préoccupations des spécialistes de littérature, quel que soit leur corpus d’expertise, il a semblé qu’il s’agissait d’un angle d’étude riche et fédérateur pour aborder la littérature médiévale. Parce que le livre est non seulement un concept plus simple, dans son sens premier, que celui de texte ou d’oeuvre, mais qu’il invoque aussi de manière inévitable la nécessaire matérialité du codex manuscrit[4], c’est de lui que part ce numéro : penser le livre médiéval implique en effet de réfléchir au texte, à l’oeuvre, mais permet également d’examiner les mécanismes médiévaux de création littéraire, d’interroger la lecture et la réception ancienne des textes, comme de revenir sur nos pratiques méthodologiques. C’est pour cette raison que la formulation « mettre en livre » a été choisie : elle met en valeur un processus actif, caractérisant bien une certaine conception de l’écriture, du savoir et de la littérature, et des choix, ceux de l’auteur médiéval, du copiste, du libraire, de l’imprimeur ou même de l’éditeur moderne. Deux livres feront donc ici l’objet des analyses des différentes contributions : le livre que nous avons conservé, l’objet observable et étudiable, résultat d’un acte de lecture et d’une copie, mais aussi le livre source, réel ou imaginaire, la copie qu’on suit ou détourne, ou encore le livre dont la mémoire, précise ou lointaine, rend possible et vient nourrir la création d’un livre nouveau. Trois avenues auraient pu s’offrir aux travaux du présent volume : une approche sociohistorique ou d’études culturelles réfléchissant aux commanditaires et à la place de l’objet livre dans les pratiques sociales, économiques ou culturelles de l’époque[5] ; une approche aux frontières de l’histoire de l’art interrogeant les rapports entre texte et image[6] ; et enfin une approche restreignant le propos à un objet emblématique, celui de la mise en recueil[7]. Sans évacuer ces problématiques, largement traitées par ailleurs dans les recherches actuelles, nous avons voulu délibérément centrer la réflexion sur des questions liées à la dimension textuelle, mais sans limiter nécessairement nos objets à des recueils.

Malgré son titre, l’ambition de ce volume est modeste, et n’entend pas proposer une nouvelle approche de la littérature médiévale ni faire une nouvelle mise au point sur les pratiques éditoriales des textes médiévaux[8], mais plutôt voir en quoi la pensée philologique (« ancienne », « nouvelle » ou « matérielle »[9]) influe sur notre manière de lire les textes, et réciproquement, offre ainsi une voie critique valide pour la littérature médiévale, et non pas uniquement une approche éditoriale et pratique. Si le livre est au coeur des études médiévales, l’objectif de ce volume est d’illustrer, avec un panorama d’études de cas, en quoi s’intéresser à la mise en livre des textes médiévaux permet d’observer un éventail des pratiques et de faire dialoguer les spécialités disciplinaires traditionnelles (la philologie et la codicologie avec la critique littéraire, l’histoire littéraire, l’herméneutique et la poétique, etc.). De ce dialogue qui découle de la confrontation de différentes approches du texte à la matérialité du codex, nous espérons qu’apparaîtront des tendances du discours critique actuel, afin de voir en quoi réfléchir au geste de « mettre en livre » permet de faire apparaître une cohérence des études médiévales contemporaines, mais aussi de tenir un discours général sur la littérature médiévale.

L’étude de la mise en livre comme méthode : nouvelle codicologie, philologie matérielle

L’intérêt pour le support manuscrit n’est pas une exclusivité de la médiévistique, et il suffit de rappeler que les études anciennes ont, avant les études médiévales, posé les fondements de la discipline philologique, en particulier avec l’émergence de la méthode lachmanienne d’édition des textes, empruntée par les médiévistes aux études anciennes. Il ne faut pourtant pas en déduire qu’il n’existe pas de spécificité de la philologie adaptée aux textes en langue vernaculaire, et donc à la littérature en français, qui sera ici notre objet. Elle réside dans le fait qu’elle doit composer avec des copistes plus interventionnistes, des auteurs souvent anonymes et des traditions beaucoup moins respectueuses de la lettre que les traditions de textes antiques. Les raisons de cette plus grande variation sont multiples, liées aussi bien au contexte de production des oeuvres médiévales que, pour le français, au statut sociopolitique de cette langue[10]. C’est en tentant de maîtriser ce phénomène ou d’en rendre compte dans des systèmes méthodologiques que nombre de travaux ont marqué l’histoire des études médiévales : certains ont été décisifs par le renouvellement philologique et méthodologique qu’ils ont apporté, que l’on songe à Bédier et au développement de la méthode d’édition bédiériste, dite également du manuscrit de base[11] ; d’autres ont permis de penser les faits différemment en offrant un paradigme intellectuel et explicatif renouvelé, comme Zumthor avec sa réflexion sur les rapports entre oralité et écriture, et l’invention du concept de « mouvance »[12]. Plus récemment, l’une des plus vives querelles méthodologiques qu’ait connues la discipline, celle de la New Philology[13], est partie de la réflexion de Bernard Cerquiglini dans L’éloge de la variante[14]. Aujourd’hui, qu’il faille l’imputer au néo-historicisme, à la réflexion sur une herméneutique matérielle ou au développement des humanités numériques dont l’un des enjeux est le transfert médiatique de nos corpus d’étude, par une sorte de confluence d’influences diverses, la question philologique[15] se retrouve au coeur de réflexions actuelles des études littéraires et linguistiques en général[16], et des études médiévales en particulier. Au seuil de ce volume, il a donc semblé pertinent de s’arrêter un instant sur le cadre méthodologique dans lequel s’inscrivent les travaux qui le constituent, celui de la « philologie matérielle » et de la « nouvelle codicologie ».

La description de ce qu’est la philologie matérielle est délicate, parce que l’emploi du terme relève de deux milieux de recherche différents et de deux contextes différents. Le premier est le milieu italien, où la discipline philologique est restée plus forte qu’ailleurs. La « materiale filologia » est aussi appelée « filologia delle testimonianze » : la critique du texte pour restaurer la version originelle ne suffit pas ; il faut étudier l’histoire des témoins manuscrits et la diversité des facteurs, matériels et culturels, liés à la diffusion d’un texte. Le renouveau de la philologie matérielle en Italie s’est fait autour des chansonniers des troubadours dans les années 1980, en particulier autour du concept de la « doppia verità »[17], « “double vérité” des documents du passé, “verità dei protagonisti”, celle des éditions critiques cherchant à restituer les oeuvres d’un auteur donné, et “verità dei testimoni”, des manuscrits considérés pour eux-mêmes et qui “forts de leur interprétation historique des originaux, peuvent alors être interrogés en tant que modèles culturels”[18] ».

L’autre domaine d’emploi du terme est nord-américain, et le concept vient se substituer à celui de « nouvelle philologie » : comme l’avait souligné Keith Busby en 1993[19], ce dernier terme impliquait l’idée d’une crise de la discipline, ce qui survit mal au temps long. L’expression empêche en effet de percevoir l’évolution de la discipline depuis les années 1980, comme si elle ne pouvait qu’être figée dans le conflit entre ancienne et nouvelle philologies, et que les pratiques et mentalités n’avaient pas évolué, et comme si l’un des deux camps avait remporté la querelle et qu’une méthode plutôt que l’autre était maintenant universellement admise. Haijo Westra, dans un article retraçant l’histoire de la querelle de la nouvelle philologie, montre que l’insistance sur la matérialité, si elle constitue le point important qui a véritablement marqué les générations ultérieures de chercheurs ainsi qu’un point d’accord pour de nombreux travaux, n’apparaît qu’à l’arrière-plan des premiers débats autour de la nouvelle philologie. Il a ainsi une formule qui permet bien d’illustrer en quoi des chercheurs actuels peuvent se rallier à une philologie matérielle mais ne pourraient se résoudre à accepter la nouvelle philologie : « Whereas material philology seems to have moved on as an actual practice, Cerquiglini’s concept of a new philology is still an ideological construct[20]. » Nichols l’a très certainement senti en abandonnant le terme et en utilisant en 1997 l’expression de « material philology », qu’il décrit comme une approche qui veut découvrir « how surviving documents of all kinds insert themselves into their context, culture, and language practices[21] ». parce que le manuscrit est « a multi-dimensional space[22] ». En prenant en compte cette distinction, il est possible de concilier les branches italienne et nord-américaine de l’approche, sinon dans les objectifs et ce qui est fait du matériau (l’arrimage de la philologie matérielle aux études culturelles ou à la théorie littéraire)[23], du moins dans la méthode et la primauté accordée à la matérialité.

J’examinerai donc davantage le deuxième terme, soit celui de nouvelle codicologie, parce que, dans le domaine des études sur la littérature médiévale en langue vernaculaire, il est moins ambigu et plus facilement identifiable : en effet, quand Keith Busby forge l’expression[24], il a conscience du problème que pose la définition de la philologie depuis les querelles autour de la Nouvelle Philologie. Cette dernière avait par là même créé une rupture entre deux pratiques, en rejetant l’Ancienne Philologie comme l’apanage des « dinosaures ». Keith Busby lui-même l’écrit, la philologie matérielle correspond plus ou moins à l’approche qu’il propose. Toutefois, définir sa propre approche comme une « nouvelle codicologie » lui permet d’éviter le « p-word[25] » et de s’inscrire dans la tradition de la codicologie traditionnelle, définie comme « a largely archaeological discipline, concerned with the production and appearance of the manuscript as an artifact[26] ». Keith Busby explique ainsi que le choix de la codicologie comme cadre méthodologique rend perceptible la singularité de son approche qui est avant tout « an approach to medieval literature which posits the codex as the central object of study[27] ».

La vaste entreprise des Manuscrits de Chrétien de Troyes[28], ainsi que les volumes magistraux de Codex and Context. Reading Old French Verse Narrative in Manuscript[29] sont emblématiques de cette nouvelle approche qui a profondément enrichi le discours sur la littérature narrative des xiie et xiiie siècles[30], suscitant l’émergence de nombreux travaux venant à leur tour renouveler la critique. Je ne citerai ici que deux exemples pour illustrer deux échelles différentes : par l’examen d’un corpus restreint, Leah Tether, dans The Continuations of Chrétien’s Perceval. Content and Construction, Extension and Ending[31], définit ce qu’est une continuation, et en élabore, en s’appuyant sur les méthodes de la nouvelle codicologie, un modèle théorique fonctionnel applicable à d’autres textes et qui rend compte des fonctionnements et des modes de lecture propres à ce phénomène narratif répandu au Moyen Âge. Le Bâtard conquérant de Francis Gingras embrasse un corpus et un projet plus ambitieux qui, par sa volonté d’exhaustivité, a nécessité la combinaison de plusieurs approches, puisqu’il s’agit de repenser l’émergence du genre romanesque, mais l’une des originalités et forces de l’ouvrage repose incontestablement sur l’importante considération accordée aux manuscrits et à leurs différentes dimensions matérielle, textuelle et linguistique. Avec la nouvelle codicologie, les techniques traditionnelles de la paléographie et de la codicologie peuvent être utilisées non seulement dans une approche néohistoriciste, ce que précise Keith Busby, mais aussi, avec la diffusion de la méthode et son application à de nouveaux sujets, dans des approches sociologiques ou culturelles[32], herméneutiques et poétiques[33] :

 [la nouvelle codicologie] presupposes the methods of traditional codicology, but goes beyond it in regarding all elements of the manuscript, such as quire structure and mise en page, as well as the arrangement of all verbal and visual components as contributors to the generation of meaning[34].

En permettant un dialogue entre aspects pratiques et techniques d’une part, et discours général d’autre part, la méthode permet d’envisager la production des textes, mais aussi leur réception, de repenser les genres et les formes, comme de réfléchir au rôle sociologique du livre ou à sa valeur esthétique.

Les témoins manuscrits, des mises en livre successives : modèles philologiques et modèles théoriques

L’appel insistant, dans les études de médiévistique contemporaines, à l’examen du livre médiéval n’est pas à penser comme une révolution radicale, dans la mesure où il est l’objet de la philologie et de la codicologie traditionnelles ; les philologues, depuis le xixe siècle, ont pratiqué de manière abondante l’étude des témoins manuscrits en préalable à leurs éditions. Mais comme le signale Frédéric Duval, et même s’il précise que la situation diffère selon les systèmes universitaires nationaux, « l’évolution positiviste de la pratique philologique au cours du xixe siècle a presque naturellement conduit à la séparation, au sein de l’université, entre les disciplines qui s’attachent à la matérialité du texte et celles qui traitent de son interprétation[35] ». Pourtant, cette autonomie n’est qu’apparente, car comme le dit Peter Dembowski :

La critique des textes, art (et science) vénérable, a été de tout temps tributaire, non seulement des acquis de la recherche linguistique et littéraire, mais aussi des perspectives théoriques du moment en linguistique et en critique littéraire. Mais c’est la réciprocité de cette dépendance qui importe surtout à notre propos. La critique des textes influe sur la recherche littéraire et linguistique, comme l’existence matérielle du texte subit l’influence des éditeurs et de leurs méthodologies, même si ce n’est pas toujours visible[36].

L’un des enjeux de la « New Philology » a été, de manière plus ou moins heureuse, de resserrer ces liens distendus comme en témoigne le titre de New Medievalism choisi pour l’un des volumes marquants de la querelle, parce qu’il s’agissait de faire entrer la déconstruction dans les études médiévales[37]. Après de vifs échanges, la « nouvelle philologie » n’est effectivement pas parvenue à faire établir un nouveau paradigme de l’ecdotique des textes médiévaux, mais elle a malgré tout permis de relancer des débats méthodologiques fondamentaux dans le domaine des études médiévales, ceux autour de la nature, voire du degré et de l’état d’existence, des textes que nous étudions.

Comme l’écrit Patrick Moran, « c’est sur cette corde raide entre rigidité textuelle moderne, indispensable pour que le texte soit lisible à nos yeux, et conscience nécessaire de l’instabilité foncière du matériau de base que la médiévistique avance[38] ». Ce constat, présupposé largement admis et partagé aujourd’hui par la communauté scientifique, se retrouve dans l’introduction du volume The Book Unbound, publié en 2004, et dirigé par Siân Echard et Stephen Partridge, qui constate que pour les nouvelles générations de chercheurs, la nouvelle philologie ne constitue plus, par rapport à leurs pratiques, « un écart libérateur » ni « un défi menaçant », mais au contraire, « une influence formatrice » : « [they] readily accept that editing of medieval texts now must be informed by a codicology which considers the many kinds of evidence, beyond the textual, that manuscripts and early printed books contain[39] ». Un tel souci codicologique est évidemment d’abord perceptible dans les renouvellements et les réflexions récentes d’ecdotique[40] et, on y reviendra, dans la philologie matérielle. The Book Unbound, volume d’études nord-américain, est remarquable en ce qu’il présente une vision de l’édition de texte plus libérée que celle perceptible dans les travaux européens, qui tendent à perpétuer une opposition entre néo-lachmannisme et néo-bédiérisme dans un paradigme qualitatif. L’article « Toward a Disjunctive Philology » de William Robins est particulièrement éclairant en déplaçant le débat :

Facsimiles privilege visual artifactuality ; reconstructive editions privilege a message capable of being transmitted from one material enactment to another ; and so on. To ask which of these models best accounts for textual phenomena would be like asking a physicist whether light behaves as a wave or a particle or a quantum ; the answer is, it depends upon what you want to know[41].

L’auteur en vient à développer non pas une méthode propre, mais plutôt une attitude heuristique face à l’édition qu’il appelle la « philologie disjonctive » : par l’usage des méthodes traditionnelles, mais également par une réflexion sur la mise en page, et sur ses « moyens visuels et rhétoriques[42] » (l’auteur évoque les possibilités d’éditions parallèles, la disposition des textes, des apparats, etc.), le médiéviste moderne permet à son lecteur de « mesurer les différences pratiques qui résultent des choix éditoriaux », de « mettre le lecteur dans une position où une décision entre plusieurs méthodes pourrait être faite permettant ainsi l’examen complet des critères qu’un tel choix fait intervenir » et finalement « d’attirer l’attention sur le statut provisoire de nos éditions, à savoir leur fonction en tant que modèles hypothétiques et heuristiques[43] » : « Disjunctive philology involves not only a respect for the contingent determinacies of textual phenomena ; it also entails respect for the contingent determinacies of its own methods and models[44]. » Cette intériorisation de la contingence des méthodes et des modèles entraîne alors une évolution de la conception que l’on se fait du texte médiéval et en transforme les approches.

L’intérêt pour la matérialité, s’il bouleverse donc la conception de la philologie, en vient à transformer notre manière de penser livres et textes sur lesquels nous travaillons. Dans l’article « Le texte médiéval existe-t-il ? », Patrick Moran revient sur les différents modèles philologiques historiquement proposés depuis le xixe siècle pour rendre compte de la textualité médiévale et il est intéressant de constater que le dernier modèle proposé, fondé sur la pensée de Wittgenstein, s’articule autour de la notion d’« air de famille » : dans une tradition, certains manuscrits seront plus périphériques (avec des variantes plus importantes, voire plus personnelles) et d’autres plus centraux (ce sont les manuscrits qui partagent le plus de points communs avec le plus grand nombre de témoins)[45]. Un tel modèle entre en résonance avec une philologie disjonctive telle que la décrit William Robins, qui avance l’idée qu’il peut être intéressant d’offrir une édition parallèle de deux témoins très différents (l’un central et l’autre périphérique), ou une édition reconstructionniste rendant compte des versions communément partagées, accompagnée d’une édition d’un manuscrit de base représentant un manuscrit particulièrement important pour la tradition en question (par son ancienneté, son contexte de production, parce qu’il contient des notes autographes, etc.). Un nouveau modèle philologique, au sens large, – et il n’est pas question ici de parler en termes de leçon de méthode pour l’édition de texte –, contribue à poser de nouvelles questions à la littérature médiévale. En pensant les traditions littéraires sur le mode de l’air de famille, plusieurs des contributeurs de ce volume (Isabelle Arseneau, Ariane Bottex-Ferragne et Anne Rochebouet) se sont attachés à faire parler des témoins particuliers, parce que chaque manuscrit, conçu comme une lecture médiévale, nous informe sur les mécanismes de la littérarité de l’époque.

La nouvelle philologie n’a peut-être pas donné naissance à un nouveau type d’édition de texte, mais les débats qu’elle a suscités ont permis de nouer un dialogue productif entre la philologie et le discours théorique dans le paradigme contemporain. Face au texte, mobile, le livre s’offre dans sa solidité comme un socle stable à partir duquel penser la littérature médiévale, et c’est cette primauté du codex que posent les études de « nouvelle codicologie » et de « philologie matérielle ». Le premier fil conducteur de ce volume est bien la matérialité du livre : il sera ainsi possible d’examiner comment la mise en livre comme acte concret peut avoir des effets sur les textes, non pas seulement en tant que mise en recueil, mais en tant réellement que manière de matérialiser les mots, de les poser sur la page, de les consigner dans le livre. La critique s’est beaucoup intéressée à la mise en recueil, mais, à d’autres échelles, les effets de mise en page et de décoration sont autant d’indices métapoétiques qui méritent également d’être examinés. L’étude de la mise en livre peut aussi renvoyer au mécanisme de copie, au passage d’un texte d’un livre à un autre, ou encore plus précisément au passage d’un état manuscrit à un état imprimé, ce qu’étudie Sandrine Hériché-Pradeau. Isabelle Arseneau et Ariane Bottex-Ferragne examinent les effets de lecture, prévus ou imprévus, que crée la copie ainsi que la réception conditionnée par l’objet particulier qu’est le codex, dans son individualité, son unicité et son histoire spécifique : on songe alors aux marques de lecture, aux variantes dans la copie. Anne Rochebouet interroge cette richesse de la matérialité manuscrite à partir d’un élément, le blanc, qu’il s’agisse de celui utilisé par le copiste, de celui de la peau de parchemin ou de l’espace libre s’opposant à la surface écrite. Pour le dire généralement, les auteurs des articles qui vont suivre s’attachent à étudier non seulement le textuel, mais aussi le paratextuel et le contextuel, car les différents articles s’intéressent à la « mouvance de l’écriture », mais aussi à la « mouvance des modes de lecture », ce que démontre particulièrement Patrick Moran.

Faire de nouveaux livres avec les anciens : traditions textuelles, études des sources et imaginaire du livre

De ce rapide parcours méthodologique et critique, il apparaît qu’un certain nombre de chercheurs actuels, en Amérique du Nord comme en Europe, défendent l’idée que codicologie et philologie ne sont pas nécessairement des disciplines extérieures à la critique littéraire et qu’elles peuvent au contraire y contribuer de manière novatrice. Dans un premier temps, c’est d’abord leur lien aux approches historiques et sociologiques qui s’est fait, peut-être plus naturellement, mais les études récentes ont révélé qu’elles permettaient aussi de penser le genre, la fiction, la lecture ou encore les techniques narratives de manière productive et efficace. Codicologie et philologie, anciennes et nouvelles (ou matérielles), sont donc ici privilégiées en tant qu’elles nous permettent de penser le livre médiéval aussi bien dans son sens concret en tant que codex, que dans son sens métonymique pour désigner le contenu textuel qu’on y copie. Deux voies sont empruntées par les contributeurs de ce volume, qu’une tradition textuelle soit étudiée pour elle-même ou au contraire pour les relations qu’elle entretient avec d’autres textes. Ici, deux nouvelles possibilités sont examinées selon que ces relations sont originelles ou non (elles sont alors le résultat d’interventions des copistes) : l’étude des sources et la critique textuelle, pratiques philologiques classiques, permettent ainsi de penser une pratique de la création fondée sur la transtextualité et une pratique de la copie permettant l’intervention ; cette variation peut être invention, mais elle peut aussi devenir un geste intertextuel. Pratiquée à l’échelle d’un texte complet, elle permet de comprendre les pratiques que sont les translations, les mises en prose ou les compilations.

La première échelle d’étude des relations transtextuelles dans la mise en livre est observable dans un objet qui émerge comme ayant particulièrement attiré l’attention des médiévistes intéressés par la matérialité du codex, le livre-recueil : livre composé de livres. Cette réflexion apparaît aux origines de la philologie matérielle en Italie avec la réactivation de la recherche, amorcée de manière ancienne, sur les chansonniers des troubadours, mais à peu près à la même époque, du côté de la littérature française, Jacqueline Cerquiglini-Toulet s’intéresse à la mise en recueil de la poésie lyrique des xive et xve siècles[46]. Cette problématique de la mise en recueil a été extrêmement féconde dans la pensée récente du livre médiéval, dans deux directions différentes, soit qu’il ait fallu penser le recueil comme anthologie de l’oeuvre d’un auteur, soit qu’il ait fallu penser au contraire l’éclatement du recueil comme assemblage d’oeuvres différentes rassemblées selon des critères que la critique s’est attachée à mettre en lumière. Dans la lignée des nombreux travaux de Jacqueline Cerquiglini-Toulet, on pourra citer l’exemple de la thèse de Clotilde Dauphant sur l’oeuvre d’Eustache Deschamps, « La poétique des Oeuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms. BnF fr. 840) : composition et variation formelle », travail qui « part de la réalité matérielle du volume manuscrit pour comprendre l’écriture d’une oeuvre disparate bien que répétitive[47] » en interrogeant les délimitations génériques présentes dans le manuscrit et dans les textes théoriques d’Eustache Deschamps. Le cas des recueils disparates a également connu récemment un large intérêt dans la communauté scientifique, ce qui peut être illustré tant par l’existence d’articles théoriques récents, comme l’article de Wagih Azzam, Olivier Collet et Yasmina Foehr-Janssens, « Les manuscrits littéraires français. Pour une sémiotique du recueil médiéval[48] » ou celui de Francis Gingras, « Le livre et le recueil[49] », ou encore l’organisation de journées d’études et de volumes collectifs, comme les deux volumes collectifs Le recueil au Moyen Âge[50], ainsi que la mise en place de vastes projets de recherche[51]. Dans cet espace où oeuvre et livre n’offrent pas d’adéquation nécessaire, tout un pan de la recherche a pu se développer pour rendre compte de phénomènes qui se déploient à une échelle différente. Dans son article, Patrick Moran examine un cas différent de « recueil », qui n’en est pas vraiment un, en étudiant les effets de construction narrative provoqués par le rassemblement dans les manuscrits de textes arthuriens que la critique a été amenée à percevoir comme un « cycle ».

À une autre échelle, qui est celle sur laquelle se concentrent d’autres articles de ce volume, il est possible de constater que les oeuvres elles-mêmes peuvent, de manière plus ou moins envahissante, se penser comme des livres faits de livres, qu’ils soient d’ailleurs réels ou non[52], ce qui permet d’ouvrir à toute une réflexion sur l’imaginaire du livre médiéval, comme l’ont montré les études de Jacqueline Cerquiglini-Toulet ou de Florence Bouchet[53]. Dans ce contexte, la traditionnelle analyse des sources, partagée avec les historiens, gagne une nouvelle dimension, et par là redynamise l’étude de tout un éventail de pratiques littéraires médiévales. La première relève de l’attention portée à la copie des textes en langue vernaculaire, qui laisse une place, plus ou moins importante, à l’intervention du copiste, qui peut transformer son texte. De nombreuses variations ne relèvent que de l’adaptation linguistique, mais certains copistes peuvent intervenir de façon plus signifiante, et parfois transformer le texte dans le sens d’un jeu intertextuel[54]. Trois types de textes très répandus, translations[55], mises en prose et compilations, reposent quant à eux dans leur définition sur une nouvelle mise en livre d’oeuvres antérieures, à l’issue d’une série d’opérations spécifiques, parfois combinées (transfert linguistique et culturel, réécriture, sélection, etc.)[56]. Ces oeuvres, reléguées au rang des refusés de l’histoire littéraire pour leur manque d’originalité, trouvent dans la recherche actuelle une faveur nouvelle et se révèlent au contraire d’une grande richesse et subtilité[57].

Le dernier axe proposé par ce volume permet ainsi d’explorer le livre dans son sens intellectuel et d’ouvrir à la réflexion sur l’écriture médiévale. Le terme de livre est l’une des étiquettes médiévales les plus fréquentes et les plus difficiles à définir pour le lecteur moderne : utilisé pour des romans et des dits poétiques comme pour des traités scientifiques, des sommes historiographiques ou des fictions didactiques et allégoriques, il cache, outre la diversité des genres et des formes, la multiplicité des pratiques d’écriture (invention, traduction, compilation, réécriture ou mise en prose) et aussi leur mélange, ce qu’explore dans une partie de son article Anne Rochebouet avec l’exemple d’Eustache Deschamps. Il cache aussi la profondeur chronologique des traditions manuscrites, car chaque copie est une nouvelle mise en livre, sur laquelle le copiste-lecteur peut intervenir, en se faisant à son tour « auteur » ou « éditeur », comme le démontre Isabelle Arseneau. Le coeur de l’écriture médiévale se constitue autour des deux pôles que sont les concepts d’autorité et de tradition : aussi les pratiques variées d’intertextualité, entendue dans un sens large, sont-elles particulièrement à l’honneur. Et s’il est banal de penser qu’il s’agit d’une constante des oeuvres littéraires, il n’en demeure pas moins que peu d’époques ont pratiqué la bibliophagie (ou la logophagie) comme les auteurs et les copistes médiévaux : il est parfois difficile de distinguer la réécriture de la réinvention, la véritable interpolation de la fausse, le vrai conte perdu du faux. À ce titre, l’article de Sandrine Hériché-Pradeau pose, par l’exemple des inscriptions en prose ou en vers, élément topique des romans médiévaux, la question de la visualisation et de la spatialisation dans le livre d’une parole, en particulier poétique. Les auteurs, surtout à la fin du Moyen Âge, conçoivent l’écriture comme une nouvelle mise en livre ; la lecture est le sujet fréquent des textes et écrire implique souvent de réactiver la mémoire des textes lus : de la citation à l’emprunt transfictionnel, tout un arsenal s’offre aux auteurs pour faire vivre d’autres livres dans les leurs.

En guise de conclusion : la fascination du codex, une manière de gérer la révolution numérique ?

Les réflexions précédentes se sont concentrées sur des considérations méthodologiques qui avaient pour but de montrer comment une approche du livre médiéval en plusieurs dimensions peut enrichir la réflexion sur la littérature médiévale, mais il aurait été possible de procéder différemment en examinant d’autres discours sur le livre médiéval. La matérialité du codex l’attache d’abord à une réflexion sur le patrimoine culturel, sa conservation et son exploitation. Dans ces circonstances, il est le plus souvent pris en charge par les organisations nationales ou les institutions patrimoniales. La réflexion s’articule alors souvent à une réflexion sur le numérique, que l’on songe aux entreprises de numérisation des manuscrits[58] ou aux constitutions de bases de données performantes[59]. Mais le discours sur le livre est également artistique et esthétique comme en témoigne l’important succès populaire des expositions organisées dans les grandes bibliothèques ou qui peuvent voyager dans certains musées. Quoi qu’il en soit, notre époque est marquée par des possibilités sans précédent pour les chercheurs de se déplacer et de consulter directement les manuscrits ; en parallèle, Internet et le développement énorme des entreprises de numérisation, souvent de grande qualité, permettent un accès inédit et bien plus large aux manuscrits. Mais notre époque est marquée aussi par une inquiétude que Marshall McLuhan décrit comme un phénomène plus général lié à l’émergence du nouveau média « électrique », qu’il décrit en ces termes :

Quelles seront les nouvelles configurations du machinisme et de la culture littéraire au moment où le nouvel âge électrique compénètre ces formes anciennes de perception et de jugement ? La nouvelle galaxie électrique d’événements a déjà pénétré profondément la galaxie Gutenberg. Même sans collision, une telle coexistence de technologies et de conscience traumatise toutes les personnes vivantes et les soumet à une tension. Les plus ordinaires et les plus normales de nos attitudes semblent soudainement déformées comme des gargouilles ou des masques grotesques. Les plus familières de nos institutions et de nos associations semblent quelquefois menaçantes et malveillantes[60].

En repensant au regain d’intérêt pour la philologie dans son volet numérique, mais aussi de manière beaucoup plus générale, aux intenses débats qui l’entourent, qu’il s’agisse de la défendre ou de la critiquer, il ne nous semble pas impossible de les interpréter en lien avec ce traumatisme et cette tension que Marshall McLuhan décrit. Face à un nouveau média qui s’invente et réinvente malgré nous notre manière de lire le monde, réfléchir au livre médiéval nous aide peut-être à apprendre comment changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde.

Les articles de ce volume proposent un parcours de lecture qui fait parler la matérialité du livre médiéval depuis l’ouverture du livre jusqu’à l’examen de ses plus petits détails et de ses variantes. Dans le premier article, c’est le contenu même du livre médiéval qui sera interrogé ; les codices ne contenant qu’un seul texte n’étant pas la norme, la critique moderne se doit d’interroger les effets de lecture provoqués par certaines mises en séries, certaines juxtapositions, en particulier quand des récurrences peuvent se produire. Dans cette optique, Patrick Moran revient sur l’examen de la tradition manuscrite du « petit cycle » de Robert de Boron (Joseph d’Arimathie, Merlin et Didot-Perceval). Il part des données philologiques pour montrer comment le contenu textuel varié des manuscrits invite le lecteur médiéval, mais aussi moderne, à des opérations de reconstruction et d’identification de structures. Il montre comment la critique moderne a dû construire par la force des choses des textes distincts et stables à partir d’une réalité codicologique qui est beaucoup plus fluctuante et complexe.

Une fois le livre manuscrit ouvert, le lecteur ne peut qu’être frappé par l’utilisation de systèmes de mise en page et de mise en forme à la fois familiers et étrangers. Les trois articles suivants s’intéressent donc davantage à des problèmes de disposition visuelle du texte et à la question des effets de sens que permet cette dernière. Anne Rochebouet emprunte plusieurs approches pour faire parler « le blanc », qu’il s’agisse du signe de ponctuation qui devient un outil pour étudier la conscience linguistique des copistes ou du trou dans le parchemin avec lequel les copistes peuvent jouer pour élaborer des effets graphiques complexes qui viennent souligner et dédoubler matériellement, grâce à la présence d’un « oeil » dans le parchemin, une scène de voyeurisme lors du bain de Jeanne, dans le roman du Roi Flore et la belle Jeanne. Le dernier volet de l’article aborde la question de la gestion du blanc dans la mise en page du Double lay de fragilité humaine comme subtile stratégie discursive mise en oeuvre par Eustache Deschamps : ce dernier propose en effet pour le texte dont il est l’auteur, une traduction-adaptation en français, une mise en page double offrant à la fois le texte en français, mais également l’original en latin. Toutefois, la disposition inverse tous les codes du genre, remplissant la réglure du français et laissant le latin dans un vide visuel.

Dans la même perspective, tant linguistique qu’esthétique et littéraire, Sandrine Hériché-Pradeau pose la question de la matérialisation des mots en s’intéressant au traitement visuel réservé aux inscriptions et textes poétiques que le Perceforest, vaste roman en prose du xve siècle, se plaît à insérer dans sa trame narrative. Irruptions d’une parole autre, ces passages constituent des pauses dans le récit qui sont signalées visuellement aussi bien que narrativement, le roman insistant sur la matérialité fictive de ces mots appropriés. L’article explore les moyens à la disposition des copistes, mais aussi des premiers imprimeurs, pour manifester visuellement ce changement de parole, entre tradition et innovation : l’auteure s’intéresse en effet à une époque où le changement de support provoque une réflexion renouvelée sur les rapports entre typographie, lettre et langage. Sandrine Hériché-Pradeau nous propose un parcours au milieu d’inscriptions qui sont autant de moments de « lecture en relief », qui pousse le copiste à travailler visuellement la spécificité de cette parole autre qui surgit.

L’article d’Ariane Bottex-Ferragne examine la réception de la littérature en strophe hélinandienne (8aabaabbbabba) à partir de l’exemple du manuscrit BnF, fr. 2199 et associe une réflexion sur la mise en forme visuelle du texte en l’articulant à des questions génériques et prosodiques. En examinant la variété des jeux graphiques et leur façon de souligner, de manière diverse, les caractéristiques formelles du corpus hélinandien, l’article entend lier l’étude de la forme de ce corpus, caractérisé par des structures rimiques et rythmiques complexes, à celle de sa mise en forme visuelle, la mise par écrit étant accompagnée de pratiques de lecture et de codes particuliers, dont Ariane Bottex-Ferragne montre qu’ils forment un « art poétique visuel ».

Le dernier article s’intéresse quant à lui à la différence textuelle que peut entraîner la mise en livre de tout texte médiéval. En examinant les variantes du roman Méraugis de Portlesguez, Isabelle Arseneau constate que le manuscrit de Vienne ÖN 2599 offre des différences si nombreuses qu’il semble vouloir offrir une version divergente de celle conservée dans les autres témoins. En combinant approche stylistique, thématique et narratologique, Isabelle Arseneau part du matériel philologique que sont les variantes pour revoir le discours traditionnel d’histoire littéraire sur les romans dits « épigonaux », un corpus de romans en vers datés du xiiie siècle. À travers un examen précis de variations signifiantes, elle en vient à opérer une différence entre ce qui peut être appelé des manuscrits « cléricaux » et des manuscrits « courtois ». En étudiant ce corpus non seulement textuellement, mais également matériellement, Isabelle Arseneau relève la possibilité pour ces romans, caractérisés par « la mise à l’épreuve, en registre ludique, des acquis du roman en vers », de circuler entre public averti, plus clérical, ou public courtois, de voir ses tensions exacerbées, ou au contraire de s’en voir totalement privés, au point de devenir un roman plaisant et déproblématisé, « dont il n’y a rien à dire ».