Présentation. Maylis de Kerangal. Puissances du romanesque[Notice]

  • Marie-Pascale Huglo

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Ce numéro, consacré à Maylis de Kerangal, souhaite explorer plus avant ses affinités avec le romanesque. Il nous apparaît en effet que la plasticité de la catégorie du romanesque permet de « relier » cette oeuvre en cours, de mieux prendre la mesure de sa force d’entraînement et de ses modes d’expansion. D’un livre à l’autre, le romanesque se profile de manière insistante et cohabite avec un ancrage réaliste qui, a priori, s’en écarte. L’inscription du romanesque dans des fictions engagées sur le terrain du « réel » le plus concret constitue un aspect singulier de l’oeuvre de Maylis de Kerangal que ce dossier entend approfondir. Maylis de Kerangal est aujourd’hui l’un des modèles contemporains d’une « littérature en relations », ouverte sur le monde et les savoirs. « La littérature construit un savoir », écrit-elle, « elle a pour moi des vertus exploratoires et spéculatives ». Ses deux premiers romans, Je marche sous un ciel de traîne (2000) et La vie voyageuse (2003) nous entraînent dans un parcours hanté par le passé. Racontées à la première personne et au passé composé, ces fictions croisent recherche intime et mémoire collective ou familiale dans un geste rétrospectif. Les deux récits brefs de son troisième recueil marquent une inflexion. Ni fleurs ni couronnes et Sous la cendre (2006) placent l’action au coeur de fictions faisant la part belle aux paysages, aux corps et à l’accomplissement d’un désir : quitter l’Irlande pour l’un, faire l’ascension du Stromboli pour l’autre. Avec Dans les rapides (2007), l’action se greffe au périple de trois adolescentes sur les traces de la chanteuse du groupe Blondie. La revendication d’une esthétique embrassant le monde contemporain fait entrer dans la littérature des éléments, tel le rock, restés dans ses marges. Dans ce contexte, le temps verbal du présent s’impose : « Dire cette histoire au présent, c’est un temps qui contient tous les autres, apte à faire respirer le passé autrement que comme le temps toujours un peu crapuleux du souvenir, capable de lui donner du volume, du volume c’est-à-dire de l’espace et du son […] » (DR , 19). Prise dans un contexte plus large, la déclaration montre en quoi le parti pris de l’action ne consiste pas à oblitérer le passé. Il s’agit plutôt de l’incorporer au présent des personnages et de l’écriture pour lui donner, comme en écho, plus de « volume », à l’instar de la voix de l’auteure sortie d’un transistor Grundig : voix à la fois présente et passée, intime et étrangère, dont Maylis de Kerangal suit les vibrations et les décalages dans « Placard Grundig », texte inédit qui accompagne ce dossier. Le parti pris du contemporain, de l’action et des sensations physiques se retrouve dans Corniche Kennedy (2008), roman qui s’attache au rituel des plongeons extrêmes d’une bande de jeunes adolescents, à Marseille. Avec Naissance d’un pont (2010), l’arrimage entre un collectif de personnages et l’accomplissement d’une entreprise de grande envergure – construire un pont dans la ville imaginaire de Coca – s’affirme avec force. Dans ce « roman-fleuve » (NP, 4e de couverture) faisant converger technique et poésie, l’intrigue se construit en même temps que le pont suspendu. Réparer les vivants (2014) poursuit dans la même veine chorale, une transplantation cardiaque structurant l’histoire dans une fiction contemporaine où se relaient surf, opérations médicales, émotions, paysages et méditations. Dans Un monde à portée de main (2018), Maylis de Kerangal s’empare de la peinture en trompe-l’oeil en suivant l’apprentissage de Paula Karst, ce qui la mène de l’école de la rue du Métal, à Bruxelles, jusqu’à la …

Parties annexes