RecensionsBook Reviews

LAUGRAND, Frédéric, Jarich OOSTEN and Maaki KAKKIK, 2003 Keeping the Faith / Uppirniqainnarniq, with the participation of Inuit elders Pauloosie Angmarlik, Naqi Ekho, Saullu Nakasuk, Kullu Pitsiulak and Simon Shaimaijuk, Inuktitut text translated and edited by Maaki Kakkik and Alexina Kublu, Iqaluit, Language and Culture Program of Nunavut Arctic College, Memory and History in Nunavut / Nunavummi iqqaumajaumajullu qanuinnirijausimajullu ilangit, 3, 187 pages.[Notice]

  • Michèle Therrien

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  • Michèle Therrien
    Institut national des langues et civilisations orientales
    2, rue de Lille
    75343 Paris, Cedex 07
    France
    michele.therrien@inalco.fr

Cette publication bilingue, illustrée par des dessins originaux, propose un ensemble de lettres inédites. Écrites au tout début du 20e siècle, elles émanent des premiers convertis inuit, au moment où le message chrétien se propageait, d’un campement inuit à l’autre, dans la région sud de la Terre de Baffin (l’actuelle région Uqqurmiut au Nunavut). Ces lettres suivent de peu l’arrivée d’un missionnaire bien connu, le Révérend E.J. Peck, qui appartenait à la Church Missionnary Society. Les Inuit le surnommeront Uqammak 'celui qui s’exprime avec aisance.' En 1894, le révérend Peck ouvre une mission et une école à Uumanarjuaq (Blackhead Island), mais les premiers baptêmes ne seront célébrés que sept ans plus tard, une période au cours de laquelle quelques Inuit, convaincus de l’existence de Dieu, de Jésus et du Saint Esprit, manifestent une telle ferveur que les missionnaires les encouragent à assurer, en leur absence, les prêches et les confessions. Ce sont les témoignages de ces premiers convertis, hommes et femmes, qui sont rassemblés dans l’ouvrage. Leurs auteurs s’adressent à Peck qui, affecté en 1905 à de nouvelles responsabilités, ne reviendra pas à Uumanarjuaq. Il entretiendra cependant, avec les convertis, une correspondance régulière jusqu’à sa mort en 1924. Parmi les rédacteurs les plus assidus, figurent les leaders Peter Tulugarjuaq et Luke Killaapik, leurs femmes Maria et Siimi, ainsi que Aatami Naullaq et Mary, une Inuk de Kimmirut. Les lettres qui nous sont proposées ont été rédigées en syllabaire, un système qui avait fait ses preuves chez les Cris et les Objiwe, et que Peck avait introduit chez les Inuit, dès son arrivée. Rapidement assimilé en raison de sa relative maniabilité et de son caractère ludique, le syllabaire s’est avéré être un outil extrêmement performant dont les missionnaires ont su tirer bénéfice. Il a sans conteste favorisé la rapide diffusion du message chrétien, notamment grâce aux femmes qui l’enseignaient à leurs enfants, et à leur entourage, en l’absence des hommes partis à la chasse. Composé d’un ensemble de graphèmes représentant une consonne suivie d’une voyelle et de trois graphèmes correspondant aux trois phonèmes vocaliques de l’inuktitut, le syllabaire est encore aujourd’hui utilisé. L’ajout de diacritiques, placés en exposant pour représenter les consonnes finales, lui a récemment conféré de la précision. Il est important de souligner que les lettres, dont quelques exemples nous sont donnés à voir, sont dépourvues de tout signe diacritique. La lecture en est donc malaisée. Nous devons rendre hommage à Makki Kakkik, à la fois pour le délicat exercice de transcription effectué, ainsi que pour la traduction, car la langue du tout début du siècle n’était pas, au plan lexical, celle qui est actuellement parlée par la jeune génération. Des textes de Frédéric Laugrand et de Jarich Oosten, enrichis par des témoignages recueillis auprès d’un groupe de cinq aînés, introduisent le lecteur au contexte historique et idéologique de cette époque troublée. Nous mesurons à quel point, dans le sud de la Terre de Baffin, le début du 20e siècle fut une période d’effervescence de la pensée. Certains, parmi les Inuit, considéraient qu’ils devaient rester fidèles aux valeurs du chamanisme, d’autres souhaitaient au contraire rompre avec une vision du monde devenue oppressante. Pour expliquer, en partie, les choix des convertis, les auteurs soulignent qu’un ensemble de valeurs et de représentations se sont avérées communes au chamanisme et au christianisme, en particulier la pratique de la confession et la croyance en une , voisine de l’idée de régénération, cette dernière étant centrale dans le chamanisme inuit. Les lettres donnent un aperçu, assez juste semble-t-il, du processus de l’évangélisation depuis la réception du message chrétien et la compréhension qu’en avaient …