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SIMARD, Jean-Jacques, 2003 La Réduction. L'Autochtone inventé et les Amérindiens aujourd'hui, Québec, Septentrion, 431 pages.[Notice]

  • Yohann Cesa

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Jean-Jacques Simard n'a pas écrit un livre; on aurait pourtant bien aimé tant sa plume incisive a le mérite de froisser quelque peu les belles pages des études autochtones québécoises, ainsi que certainement quelques susceptibilités au passage. Mais il n'a pas écrit un livre, on lui en a écrit un. Le concept éponyme de réduction sert de fil conducteur au recueil de ces quelque 20 textes écrits sur presque un quart de siècle. Comme souvent dans pareil recueil, ce fil rouge connaît quelques discontinuités. Il faut dire que le travail de Jean-Jacques Simard ne s'est pas organisé toutes ces années autour de ce concept qui semble se donner à lui aujourd'hui comme une conclusion. Néanmoins, l'effort éditorial de reconstruction de cette cohérence trouvée a posteriori est louable. Se départissant de l'ordre chronologique, on a ainsi assemblé en cinq parties les 22 chapitres du livre. On peut donc à loisir chercher à suivre ce fil rouge ou dans un usage plus volage, retrouver ou découvrir le travail de Jean-Jacques Simard. Les lecteurs d’Études/Inuit/Studies reconnaîtront l’article «Terre et pouvoir», publié dans ses pages en 1979 et qui ouvre la troisième partie du livre. Le titre de celle-ci, La révolution congelée des Inuit — écho de celui de la thèse de doctorat de l'auteur soutenue en 1982 — donne le ton de cette partie du livre entièrement dévolue à des considérations politiques qui sont autant de résonances de ladite thèse et demeurent d’une grande pertinence. Dans la partie suivante, consacrée à L’expérience de la Baie James, les lecteurs retrouveront certaines des considérations sociologiques, démographiques et bien sûr politiques que Simard avait synthétisées dans son indispensable Tendances nordiques (1996), bilan statistique raisonné de l’expérience de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois et de ses impacts divers. Mais les lecteurs auraient tort de ne s'en tenir qu'à ces pages consacrées aux seules populations boréales, car il manquerait la thèse centrale du recueil qui elle seule semble avoir retenu l’attention. À son sujet, Simard nous prévient: il ne semble pas avoir changé d'avis et se demande même si cela est de bon augure (p. 261). Nous lui répondrons qu'il ne semble pas avoir été aussi constant qu'il veut bien l'avouer. On repère en effet certaines inflexions souterraines dans son travail (nous y reviendrons), tout comme l'on repère des points nodaux vers lesquels il est constamment revenu. Le concept de modernité est un de ces points, majeur, et à ce titre il aurait mérité une discussion serrée tant, malgré son usage, il demeure ici (comme souvent) un signifiant vide. Au lecteur de remplir ce dernier et saisir ce que Simard a bien voulu désigner par ce mot dont le sens est délayé par ses contradictions et son désabusement. Car au fil des pages, on finit par retenir bien plus le sentiment de l’auteur que la définition d’une modernité dont il dit faire avec tout en regrettant qu’elle soit refusée aux autochtones par le jeu de partages symboliques: autochtone/blanc, tradition/modernité et tous leurs équivalents fonctionnels. Partages qui fondent une structure d'assujettissement, un espace symbolique qui serait le nomos (comme le dirait Agamben) de la question autochtone au Canada: la réduction. Le concept est intéressant et depuis la parution du livre, il a son succès et entraîne les emplois déjà très libres qui vont de pair. Mais qu’en est-il de ses qualités heuristiques? L’analogie échappe — et ce n’est pas nécessairement un mal — à la rigueur du travail de l’historien (dont ne se réclame d’ailleurs pas l’auteur). Mais ce faisant, il oblitère les ruptures qui ont marqué l’histoire coloniale du Canada. L’héritage colonial …