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Voici un ouvrage de synthèse sur la préhistoire du Grand Nord rédigé par un préhistorien états-unien qui a beaucoup travaillé en Europe centrale, dans le Caucase, mais aussi en Alaska et, par extension, sur l’environnement de la Béringie et l’adaptation de l’humanité aux régions froides. Le fait qu’il soit l’oeuvre d’un seul auteur distingue ce livre des trop nombreux recueils qui réunissent les contributions de divers spécialistes autour d’un thème commun au profit de la variété des approches mais au détriment de l’homogénéité et de la cohérence du traitement. La préface souligne la nouveauté de cette entreprise en ce qui concerne le Grand Nord, ce qui est sans doute vrai, du moins en anglais.

Hoffecker a choisi de présenter son sujet par le biais d’un très bref résumé, un peu simplificateur, de l’expansion viking vers l’Arctique et de la première rencontre entre Européens et Inuit en insistant sur la supériorité adaptative des derniers. Ensuite, il retrace la progression de l’humanité vers les régions les plus froides du globe, depuis sa sortie d’Afrique. Pour cela, il suit de façon intéressante les grandes étapes de l’évolution anatomique et technologique de l’Homme en relation avec le climat. L’Europe tient une place importante, avec ses plus anciens sites découverts récemment en Italie et dans la péninsule Ibérique et ceux du Paléolithique inférieur, connus depuis plus longtemps, puis avec le Néandertal et, bien sûr, le Paléolithique supérieur qui constitue la pièce maîtresse. Les deux chapitres concernant l’humanité moderne dans le Nord et sa pénétration dans l’Arctique occupent plus de 35% du livre, notes et bibliographie exclues. Toutefois, le dernier chapitre, relativement bref bien que consacré aux peuples de la zone circumpolaire (15% du texte), traite à lui tout seul de la colonisation de l’Arctique européen à partir de la toute fin du Paléolithique, du Néolithique sibérien et de l’expansion paléoesquimaude et néoesquimaude dans l’Arctique américain et au Groenland, ce qui est beaucoup en si peu de pages. Seules 13 pages, soit 9%, sont consacrées à la période «esquimaude», certes beaucoup plus brève que le Paléolithique mais qui représente l’aboutissement de cette évolution.

L’essentiel du livre concerne donc l’Eurasie paléolithique, après une partie assez longue et détaillée sur l’expansion de l’humanité hors d’Afrique ainsi que les transformations qu’elle a connues jusqu’à l’Homme moderne. Les comparaisons des vestiges anatomiques humains d’Afrique et d’Europe sont faciles à comprendre pour le profane. Cette expansion et ces transformations sont divisées, pour la clarté et la simplification de l’exposé, en cinq stades, schématisés sur une carte (p. 8). Le stade 3, cependant, ne tient pas compte des incursions probables de Néandertaliens vers le Nord, qui semblent pourtant attestées par des sites du Paléolithique moyen jusqu’au nord-est de l’Oural (Kroutaya Gora par exemple) et même en Finlande (Susiluola, récemment découvert). Les relations entre l’environnement, particulièrement le climat, et les cultures sont largement expliquées de façon simple et les différences entre la Sibérie et l’Europe sont soulignées avec pertinence. L’importance de la contribution du langage, puis du symbole et de la musique dans le processus d’adaptation culturelle aux contraintes des régions froides, ainsi que le lien entre langage, représentation du monde et technologie sont longuement exposés. L’auteur retrace l’apparition du ski, celle des patins de traîneaux, à Vis I en particulier, ainsi que les signes d’adaptation anatomique au froid chez l’homme moderne, observés sur les squelettes provenant de cimetières postglaciaires du nord de l’Europe.

Au lieu d’utiliser le repère habituel qu’offre la transition du Pléistocène à l’Holocène, vers 12 - 10 Ka, qu’il considère comme arbitraire, et qui correspond en gros à la transition entre le Paléolithique et le Mésolithique, Hoffecker souligne la continuité d’une période s’étendant de 20 Ka à 7 Ka, caractérisée par de continuels ajustements climatiques et culturels. C’est après 7 Ka que l’ensemble de l’Arctique, au-delà de l’Alaska et jusqu’au Groenland, est suffisamment libéré des glaciers pour permettre la fin de la colonisation humaine circumarctique. Le lecteur ne peut que regretter le peu de pages consacrées à cette dernière étape.

Ce livre s’adresse à un public large, mais déjà sensibilisé à la préhistoire et en particulier aux étudiants dans cette discipline qui apprécieront cette large synthèse, même si elle est un peu frustrante en raison de ses lacunes. Les illustrations photographiques sont malheureusement de mauvaise qualité et les cartes un peu trop schématiques. La bibliographie témoigne d’une certaine méconnaissance de la littérature européenne francophone, pourtant abondante et importante en ce qui concerne le Paléolithique.