Éducation et transmission des savoirs inuit au Canada[Notice]

  • Frédéric Laugrand et
  • Jarich Oosten

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  • Frédéric Laugrand
    CIÉRA,
    Université Laval, Pavillon Charles-De Koninck, local 0450,
    1030 avenue des Sciences-Humaines,
    Québec (Québec)
    G1V 0A6,
    Canada.
    Frederic.Laugrand@ant.ulaval.ca

  • Jarich Oosten
    Institute of Cultural Anthropology and Development Sociology, Faculty of Social Sciences,
    Leiden University,
    Postbus 9555,
    2300 RB Leyde,
    Pays-Bas.
    oosten@fsw.leidenuniv.nl

Dans l’Arctique canadien, les toutes premières écoles font leur apparition au XIXe siècle avec l’ouverture des missions chrétiennes. Les missionnaires sont convaincus que l’instruction et l’éducation religieuse facilitent la christianisation et ils espèrent vite recruter une élite capable de prendre la relève de cette première évangélisation. Dans nombre de missions anglicanes, les missionnaires forment ainsi des leaders et pasteurs autochtones, consacrant une bonne partie de leur temps à instruire les femmes et les enfants. En Terre de Baffin, par exemple, le révérend Peck et son collègue Julian Bilby font de Peter Tulugaqjuaq l’un des premiers responsables de la diffusion du christianisme. Sur place, ces membres de la Church Missionary Society enseignent le catéchisme mais aussi les mathématiques, la géographie, le dessin et la langue anglaise. Cette première scolarisation semble plutôt bien acceptée par les Inuit qui assistent aux séances avec assiduité et passent même des examens. Les missionnaires semblent également satisfaits des résultats si l’on en juge par les observations consignées dans leurs journaux et rapports. La plupart du temps, cependant, les Inuit apprennent à lire et à écrire par eux-mêmes en feuilletant les bibles qui circulent dans les camps, si bien qu’au début du XXe siècle, la population du Sud Baffin est probablement mieux instruite que celle des campagnes québécoises et canadiennes à la même époque (Laugrand 2002: 115-120; Laugrand et al. 2003). Dans les missions catholiques, les Oblats procèdent de façon analogue. Ils enseignent le catéchisme, la lecture et même l’écriture syllabique empruntée aux anglicans, nonobstant leurs dissensions avec ces derniers. Au Nunavut, cette forme d’éducation se maintient jusque dans les années 1950 lorsque le gouvernement, dans le cadre de sa politique de sédentarisation, décide de prendre le relais en ouvrant des écoles locales ou résidentielles. Au début des années 1960, une véritable stratégie d’«assimilation par l’éducation» est mise en place. Un peu partout, des Inuit envoient leurs enfants dans des écoles sans toujours en mesurer les conséquences. Originaire de Pond Inlet, Simon Anaviapik explique avoir été intimidé et obligé de laisser partir son enfant préféré à l’école (Brody 1987: 214). De nombreuses familles font état de fortes pressions de la part des missionnaires ou des agents blancs, craignant, en cas de refus de scolariser leurs enfants, de perdre les allocations familiales qu’on leur promettait. Pour d’autres familles, en revanche, l’école ouvrait de nouvelles possibilités. Eu égard aux écoles résidentielles, le gouvernement fédéral a momentanément hésité sur le format à privilégier. En 1952, il avait songé à ouvrir des écoles sous la forme de grandes tentes qui pourraient accueillir des élèves une partie de l’année, soit de Pâques au début de l’été, de sorte que les enfants passent ensuite l’hiver auprès de leurs familles (King 1998: 61). Mais cette option n’a finalement pas été retenue et la décision fut prise de construire des écoles dans chaque village ou de transporter les enfants dans les toutes nouvelles écoles résidentielles. À Chesterfield Inlet, où fut établie une des toutes premières écoles résidentielles par les Soeurs de la Charité en 1951, d’importantes discussions eurent lieu avant que le gouvernement fédéral n’en prenne la responsabilité et ne rebaptise l’institution Turquetil Hall, en 1954. Au départ, Mgr Lacroix jugeait le projet gouvernemental peu réaliste. D’abord, Chesterfield Inlet disposait déjà d’une école qui, à ses yeux, fonctionnait bien. Ensuite, il s’était déjà entendu sur un projet avec les soeurs missionnaires qu’il préférait à un personnel laïc. Enfin, il ne trouvait pas le projet du fédéral très adéquat, arguant du fait que les enfants n’apprendraient sans doute pas grand-chose en si peu de temps et qu’il était plus commode de les placer dans …

Parties annexes