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Introduction

Les dernières décennies ont vu l’accélération de la reconnaissance des droits autochtones dans le monde et, parfois, l’émergence de nouveaux territoires tel que le Nunavut au Canada. Le besoin et la volonté de développer une autonomie gouvernementale sont en grande partie issus des pressions venant de l’extérieur pour l’exploitation des ressources situées à proximité des communautés autochtones, tout particulièrement dans les régions nordiques. Les protagonistes du développement se trouvent confrontés à ces communautés qui, sans être totalement opposées au développement, souhaitent exercer un contrôle sur leur territoire et ainsi préserver une identité fondée sur un lien étroit avec ce dernier. La mine d’or de Meadowbank[1], qui comprend une route praticable en toute saison, est située à approximativement 70 km au nord de la communauté de Qamani’tuaq (Baker Lake), dans la région de Kivalliq au Nunavut. Cette communauté est constituée d’environ 1700 Inuit dont la subsistance est traditionnellement axée sur le caribou, un animal qui a besoin d’un vaste territoire pour survivre. Le projet minier présente nécessairement des avantages tout comme des désavantages pour la population locale. Puisqu’elle est la seule mine actuellement en activité au Nunavut, et si l’on considère l’effervescence de l’exploration minière dans l’Arctique canadien, Meadowbank offre la possibilité d’étudier l’impact d’une telle industrie sur la vie des Inuit.

Bien que le développement industriel se présente souvent comme un obstacle à la survie des pratiques et des représentations locales, spécifiquement pour ce qui concerne les communautés autochtones, cet article vise à montrer l’expression actualisée du lien étroit qui unit la communauté inuit de Qamani’tuaq à son territoire dans un contexte d’exploitation minière. Pour y arriver, nous suggérons d’explorer l’expérience quotidienne que font les Inuit — en tant que chasseurs et employés — de la mine et de leur territoire. Cette approche du quotidien révèle ce qui n’est pas prévisible ou perceptible à partir d’un point de vue extérieur et rend possible une meilleure compréhension des préoccupations des membres de la communauté à l’égard de la mine. Plus encore, elle dévoile ce que de Certeau (1990) appelle les «pratiques de détournement» qui, grâce à la créativité et à un certain opportunisme, permettent à la culture marginale et silencieuse de la majorité — ici celle des Inuit — de s’approprier et d’actualiser à son avantage des structures et des systèmes imposés — ceux de l’industrie minière. Notre approche rejoint celle des cosmopolitiques, en ce sens que nous croyons que le projet colonisateur, la suprématie du paradigme scientifique ainsi que les forces globales du capitalisme n’éteignent pas la diversité culturelle et ontologique (Sahlins 2007).

Les données recueillies lors d’un terrain ethnographique de deux mois au printemps 2011 servent à supporter nos propos. Des entrevues individuelles semi-dirigées ont été réalisées à domicile avec 19 chasseurs inuit de la communauté, hommes et femmes âgés entre 34 et 79 ans. De plus, nous avons effectué deux visites à la mine ainsi que plusieurs voyages et séjours sur le territoire en compagnie d’Inuit de la communauté. Sans chercher à diminuer l’importance des multiples impacts environnementaux et sociaux de la mine[2], nous souhaitons montrer que l’exploitation minière qui a lieu à Qamani’tuaq n’altère en rien le rapport particulier que la communauté entretient avec son territoire, mais lui offre plutôt un nouveau contexte d’expression. Ce rapport au territoire dévoile une expérience et une perception spécifiques du temps, de l’espace et de l’environnement, qui forment l’ontologie inuit. Après avoir défini les concepts de territorialité et d’ontologie relationnelle, nous examinerons un ensemble de pratiques et de perceptions contemporaines en lien avec le territoire dans le but de mieux saisir la façon dont les Inuit, les caribous et les esprits du territoire interagissent et réagissent face aux activités minières. Nous comprendrons mieux pourquoi de nombreux Inuit se satisfont des bénéfices actuels de la mine, sans réfléchir outre mesure à l’avenir, tout en démontrant une préoccupation vis-à-vis d’une réalité qui dépasse celle la mine.

Les Nunamiut

Seul établissement inuit situé à l’intérieur des terres du Nunavut, Qamani’tuaq («là où la rivière s’élargit») se situe à environ 320 km à l’ouest de la baie d’Hudson, dans la région du Kivalliq et aux abords du lac Baker. Les Inuit qui y vivent furent longtemps appelés «Inuit du Caribou» en raison du rôle central de cette ressource dans leur mode de subsistance traditionnel (Csonka 1995; Rasmussen 1927: 87). Aujourd’hui, il nous semble pourtant plus approprié d’employer l’appellation vernaculaire Nunamiut[3] («habitants du territoire»), qui fait référence aux Inuit de l’intérieur des terres, ou encore Qamani’tuarmiut («habitants de Qamani’tuaq»).

Avant la sédentarisation, les Nunamiut vivaient en petits groupes familiaux semi-nomades dispersés sur un vaste territoire, mais liés par les échanges et le partage. Dans chaque groupe, un chaman (angakkuq) jouait le rôle de médiateur entre le monde surnaturel (sila) et celui des hommes. Doté de pouvoirs de guérison et de divination, et capable de métamorphose, il était assisté d’esprits auxiliaires appelés tuurngait, ou bien ijirait. Les ijirait sont les tarniit (âmes) de personnes décédées et transformées en caribou. Ils possèdent de nombreux pouvoirs, comme celui d’effacer les souvenirs et de prendre l’apparence d’une personne connue. Ils sont souvent associés à des lieux où il est risqué de s’aventurer en raison des phénomènes inhabituels, et parfois dangereux, qui y surviennent. Avec la disparition des chamans suite à la christianisation des Inuit, ces esprits se sont éloignés, mais habitent toujours le territoire[4]. Encore aujourd’hui, les Inuit les craignent et évitent de se retrouver seuls dans la toundra, d’avoir des pensées négatives à leur égard, et même de parler d’eux (Ouellette 2000: 113-114).

À l’instar des esprits, les animaux possèdent un tarniq (singulier de tarniit) qui fait d’eux des personnes conscientes et douées de volition et qui leur donne la capacité de revêtir une forme humaine. Afin de maintenir leur relation avec eux, les Inuit mettent en pratique un ensemble de règles de respect, notamment lors de la chasse et de la consommation. La chasse, lorsqu’elle se fait en accord avec ces règles, permet d’assurer le cycle de la vie et de la mort. Sans elle, les animaux risqueraient en fait de disparaître (Bates 2007; Laugrand et Oosten 2010; Wenzel 2000). Le respect envers la terre est tout aussi important; une offense à son égard risque de causer diverses catastrophes, telles que la maladie et la famine (Bennett et Rowley 2004: 118; Laugrand et Oosten 2010: 136). Il existe de ce fait une connexion étroite entre les animaux, le comportement humain, la terre (nuna) et l’univers (sila); un ordre moral commun à l’intérieur duquel les actions sont mutuellement rendues (Laugrand et Oosten 2010).

Développement minier dans le Kivalliq

Les habitants de Qamani’tuaq commencèrent à se sédentariser vers les années 1950 en réponse à une politique d’intervention adoptée par le gouvernement canadien. Cette politique avait pour motif l’exploitation des ressources naturelles du Nord (Damas 2002; Vallee 1967; Williamson 1974). À travers la construction de logements et d’une école ainsi que l’établissement de services sociaux et de santé, beaucoup plus d’emplois permanents devinrent progressivement disponibles et facilitèrent l’acquisition de motoneiges, désormais le moyen de transport principal des Inuit. L’interdépendance entre les activités de récolte (chasse, pêche et cueillette) et le travail salarié commanda dès lors le développement d’une économie mixte (Damas 2002; Wenzel 2000) dont la maisonnée constitue toujours l’unité économique minimale au sein de laquelle les revenus, tout comme les produits de la récolte, sont partagés (Usher et al. 2003).

C’est également autour des années 1950 que l’exploration minière s’intensifia dans le Nord canadien. North Rankin Nickel, en opération de 1957 à 1963, fut la première mine du Kivalliq, mais aussi la première au Canada à engager des Inuit (McPherson 2003: 7-9; Williamson 1974: 117)[5]. Dès la fin des années 1960, une vague d’exploration uranifère dans la région de Qamani’tuaq provoqua une forte mobilisation chez les Qamani’tuarmiut qui tentèrent, sans succès, d’imposer un blocus dans le but de réclamer un processus de consultation. Puis, en 1990, un plébiscite fut organisé pour que la communauté se prononce au sujet du projet Kiggavik. Ajoutée à des conditions économiques défavorables, une forte opposition populaire accueillant 90% des voix exprimées força l’entreprise à suspendre le projet (Bernauer 2011; McPherson 2003: 159-194). Aujourd’hui, plus de 20 ans plus tard, le projet Kiggavik est toutefois en voie d’être approuvé par la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions.

Meadowbank, une mine d’or à ciel ouvert, fut le premier projet entrepris en vertu de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, ce qui permet notamment aux Inuit d’en retirer des redevances. Le projet ayant été approuvé en 2006, la construction du camp et de la route a débuté l’année suivante, et la production en mars 2010. Meadowbank couvre environ 230 km2 de terres inuit et comprend de nombreuses infrastructures, dont une piste d’atterrissage, un campement pouvant accueillir plus de 350 personnes et une route toutes saisons reliant la mine à la communauté sur une distance de 110 km. Pour les Inuit de Qamani’tuaq, l’ouverture de cette mine génère sur tous les plans de multiples effets, à la fois positifs et négatifs. Il est difficile, et même délicat, de présenter une vue générale de l’impact de la mine, tant les expériences et les points de vue varient. Évidemment, les retombées économiques comptent parmi les bénéfices notables que procure la mine à la communauté[6], bien qu’elles comportent de nombreuses limites, telles que le taux important d’abandon chez les employés inuit, la difficulté d’accès pour les Inuit à des postes de qualité, et l’augmentation de la contrebande et de la consommation d’alcool et de drogues (Laneuville 2013; Maksimowski 2014: 81; Peterson 2012). Par ailleurs, les Inuit expriment certaines inquiétudes quant à la contamination du territoire et aux effets sur leur santé et celle des animaux (Maksimowski 2014: 74). Malgré tout, en 2011, les Qamani’tuarmiut se montraient généralement satisfaits de leur expérience minière (Bernauer 2011; Laneuville 2013).

Temps, espace et êtres: une ontologie inuit

Nous nous intéressons ici à la territorialité inuit en contexte de développement minier. Au plan social, la territorialité exprime d’abord le lien entre un groupe humain et l’espace qu’il occupe, espace partagé entre les membres de ce groupe au moyen de la communication et de la coopération. Les frontières du territoire sont ici sociales et non physiques, c’est-à-dire que l’accès à ce dernier dépend de l’appartenance au groupe, ou bien de sa capacité à établir une connexion avec lui (Dahl 1998: 61; Ingold 1993). En tant qu’espace habité, le territoire se présente sous la forme d’un système de lieux connectés à un réseau d’itinéraires (Bonnemaison 1981: 256; Ingold 1993). Au plan culturel et symbolique, il constitue la transposition spatiale de l’identité du groupe, puisqu’il porte les traces visibles — telles que les campements et les sentiers — et invisibles — telles que les toponymes et les mythes — de son histoire (Bonnemaison 1981; Collignon 1999). Ainsi, comme le souligne Collignon (1999), le territoire est une réalité subjective, puisque l’appréciation et la connaissance de ce dernier dépendent de l’expérience et de la mémoire collective.

Cette conception de l’espace est donc indissociable des événements qui s’y déroulent, autrement dit, inséparable de la notion du temps. Sack (1986) note que cette conception s’oppose à la conception métrique et abstraite propre aux sociétés occidentales modernes. En vertu d’une économie capitaliste et d’une organisation bureaucratique, l’espace est fragmenté et hiérarchisé par la privatisation et la construction de frontières; il devient alors impersonnel et vide de sens. Bien qu’une vision métrique favorise de façon générale la planification et le déplacement, elle ne se substitue pas aux autres formes de territorialité ancrées dans l’expérience quotidienne, mais s’y ajoute simplement.

En ce qui concerne la conception du temps, et plus spécifiquement du futur, celle des Inuit s’oppose aussi selon Bates (2007) à celle de la science moderne. Contrairement à la conception linéaire du temps chez les Occidentaux, constamment préoccupés par un avenir inconnu et obsédés par la planification et par la prédiction, la vision cyclique des Inuit se traduit par la simple acceptation de l’incertitude et de l’imprévisibilité. Cela est cohérent dans un milieu arctique naturellement instable où seules les prédictions à très court terme sont possibles, mais aussi nécessaires afin de tirer avantage des opportunités. Le contact étroit et continuel avec le territoire et les animaux, ainsi que la communication entre les chasseurs, sont également indispensables à la réussite de la chasse. L’incertitude face au futur justifie la réticence des Inuit à parler des changements environnementaux. Non seulement les connaissances sur l’avenir sont futiles, mais le fait de s’inquiéter et de parler de certains phénomènes risque selon eux de les provoquer. Ceci s’applique également aux populations animales, dont le comportement demeure imprévisible. Toute tentative de prédiction constitue une forme d’ingérence proscrite dans le cadre d’une relation respectueuse qui se veut garante du succès futur de la chasse (Bates 2007: 93; Wenzel 2000).

La territorialité des Inuit, en plus d’être un rapport du groupe avec son espace, est indissociable de leur relation avec tous les êtres habitant cet espace: les membres du groupe comme les étrangers, les vivants et les morts, et les animaux autant que les esprits. Pour cette raison, il est nécessaire de s’intéresser à la cosmologie animiste non pas en tant que système de croyances, mais en tant qu’ontologie et qu’épistémologie. L’animisme est défini comme une façon d’être au monde fondée sur une mise en relation avec tout ce qui le compose. Bird-David (1999) préfère parler d’épistémologie relationnelle pour mettre en évidence le savoir qui découle de ce mode d’être. Alors que le positivisme logique de la science moderne exige une mise à distance du sujet par rapport à son objet — l’objectivisme —, le savoir animique, lui, est construit à partir de l’action et de la relation avec les choses. Il consiste à développer les compétences personnelles et la capacité à maintenir cette «relationalité»[7]. Les chasseurs-cueilleurs ne socialisent donc pas avec les choses parce qu’ils leur attribuent une personnalité, mais leur attribuent une personnalité parce qu’ils socialisent avec elles (ibid.: 78).

Le territoire des Qamani’tuarmiut

Malgré l’établissement des Inuit dans une communauté fixe, le territoire demeure un espace largement fréquenté et à haute valeur identitaire. Si la vie villageoise est plutôt soumise à une spatialité et une temporalité propres à la culture occidentale, la territorialité inuit s’exprime fortement au-delà des limites municipales. En raison des nouvelles contraintes liées au travail salarié et à la vie sédentaire, la fréquence et la durée des activités sur le territoire changent toutefois selon les individus. Par ailleurs, l’occupation des différentes régions varie entre les familles en fonction des lieux qu’elles habitaient avant la sédentarisation, mais est également déterminée par leur accessibilité saisonnière, le savoir individuel concernant le territoire et le mouvement du gibier. En hiver, la topographie peu accidentée et plutôt plate, une fois couverte de neige et de glace, permet le déplacement en motoneige suffisamment aisé pour parcourir rapidement de grandes distances dans toutes les directions. À l’opposé, en été, le terrain rocailleux et bondé de lacs et de rivières limite et ralentit considérablement les déplacements en véhicule tout terrain (VTT). Nonobstant la navigation en bateau motorisé, les déplacements estivaux dépendent donc d’un nombre limité de sentiers de VTT primordiaux pour l’accès de l’ensemble de la communauté aux aires de chasse et aux sites de campement et de pêche.

Pour ce qui est de la présence du caribou sur le territoire, en tant que principale ressource alimentaire traditionnelle, avec le poisson, des Inuit de Qamani’tuaq, elle varie également de façon saisonnière. L’aire automnale de mise bas située au nord du lac Baker constitue sans aucun doute le lieu, et le moment, de chasse le plus important. Néanmoins, en raison de la faible densité, de la mobilité et de l’imprévisibilité du mouvement des caribous, la communauté dépend d’un vaste territoire de chasse pour subvenir à ses besoins. C’est pourquoi les membres de la communauté partagent le territoire et s’entraident par l’échange constant d’informations relatives aux conditions météorologiques et au mouvement des animaux.

La région de la rivière Meadowbank, où se situe la mine, fut particulièrement occupée par les Inuit entre les années 1950 et 1980. Plusieurs adultes de la communauté y sont nés (Laneuville 2013: 79). Si seuls les plus grands voyageurs n’hésitent pas à s’aventurer aussi loin encore aujourd’hui, pratiquement l’ensemble de la communauté fréquente régulièrement l’espace situé entre la mine et la communauté, où se situe la route. Ceci s’explique par la relative accessibilité, en été comme en hiver, de cette région, par l’existence de nombreux sites de pêche et de chalets familiaux, et par la présence quasi continue de caribous. L’accès estival était autrefois assuré par un long sentier de VTT, jusqu’à ce que ce dernier soit détruit lors de la construction de la route minière.

Opportunités à la mine et sur la route

Bien que l’industrie minière, du fait de son impact indéniable sur l’environnement et les animaux, puisse sembler incompatible avec la poursuite des activités de récolte, nous souhaitons montrer ici la façon dont les Inuit arrivent à concilier deux types d’activités de nature complètement distincte — la récolte et le travail salarié — et deux territorialités en tension. En tirant avantage des opportunités actuelles que présente la mine, ils démontrent leur capacité à s’adapter au nouveau contexte.

En premier lieu, pour ce qui a trait aux emplois miniers, à la fois le salaire, l’horaire et de lieu de travail favorisent d’une certaine façon la pratique de la chasse. D’une part, de façon générale, le salariat relié à la mine a fait accroître le nombre de VTT et de motoneiges dans la communauté et permet aux Inuit de se procurer plus facilement de l’essence. Ceci est bien sûr profitable à l’ensemble de la communauté, et non simplement à ceux qui travaillent à la mine, puisque les Inuit partagent équipements et revenus avec les membres de leur famille. D’autre part, pour les chasseurs particulièrement, l’occupation temporaire ou occasionnelle d’un poste peut être une façon de gagner l’argent nécessaire à l’achat d’un véhicule ou de tout autre équipement, ou bien de se garder occupé pendant une période de récolte moins intense.

Bien que les employés inuit soient nombreux à quitter leur fonction après quelques mois de travail[8], particulièrement au printemps, il demeure relativement facile pour eux d’être réengagés par la suite, puisque l’entente sur les impacts et les bénéfices (ERA) leur garantit des emplois (Knotsch et al. 2010: 61). Ainsi, bien que le roulement de la main-d’oeuvre inuit soit perçu par l’entreprise minière comme une problématique, du côté des Inuit, elle constitue souvent une tactique visant à conjuguer des activités et des besoins variés (Duhaime 1991; Green 2013: 49-50; Wenzel 1983: 90)[9]. Pour les Inuit qui préfèrent occuper un poste sur une plus longue durée, le cycle de travail (deux semaines à la mine suivies de deux semaines de congé), si on le compare à l’horaire régulier de neuf à cinq, présente toutefois une plus grande flexibilité pour la pratique des activités de récolte (Chenard 1979: 98-99)[10]. En plus de rendre possibles de plus longs voyages, il offre plus de chances de voir réunies les conditions sociales et environnementales favorables à la chasse, comme ces dernières ne surviennent pas forcément un samedi. Ainsi, plusieurs chasseurs occupant un emploi à la mine apprécient le fait que ce nouvel horaire leur laisse plus de temps libre pour la chasse[11].

De plus, par leur présence sur le territoire — à la mine et sur la route —, les employés inuit peuvent prendre facilement connaissance du mouvement et de la présence des caribous. En effet, il est moins propice de les apercevoir à partir du village puisqu’ils en restent plus éloignés qu’auparavant, comme nous le verrons. Les employés inuit peuvent ainsi prévoir leur prochaine sortie sur le territoire, mais aussi partager leurs observations avec d’autres, au village, qui pourront partir à la chasse sans attendre. Il est donc possible, pour les Inuit qui en ont l’intérêt, d’occuper un poste à la mine en conciliant la temporalité minière, fixée sur un cycle de travail régulier, et celle des activités de récolte, fondée sur les opportunités du moment présent et sur la variation saisonnière.

En second lieu, la route minière présente un avantage indéniable pour les déplacements des chasseurs et crée en conséquence une réorientation des activités de récolte vers le nord de la communauté. Son usage engendre toutefois une tension entre les territorialités inuit et minière; la première repose sur une liberté individuelle et le partage entre les membres de la communauté, alors que la seconde implique un contrôle externe à la communauté et une fragmentation de l’espace par la privatisation et l’imposition de frontières. En plus de la poussière produite par la route, polluant la faune et les eaux et incommodant les usagers, la réglementation et les restrictions entourant l’utilisation de la route sont mal perçues par les Inuit. Autrefois libres d’emprunter à leur guise un sentier collectif, ils doivent maintenant obtenir l’autorisation de l’entreprise minière et se soumettre à un ensemble de règles plutôt contraignantes. Par exemple, ils ne peuvent voyager sur la route qu’en VTT, à l’exclusion de tout véhicule de taille plus importante; ils doivent porter une veste de sécurité fluorescente, s’enregistrer à l’entrée de la route, s’éloigner de celle-ci pour tirer sur un animal et ne jamais dépasser le «quatre-vingtième kilomètre» inscrit sur la route. Cette dernière règle vise le respect d’un périmètre de sécurité entourant la mine et à l’intérieur duquel il est interdit de chasser. L’usage de la route est également restreint, voire interdit, lors de migrations importantes du caribou, des tempêtes de neige, des réparations routières, et enfin lors des périodes de plus grand achalandage des véhicules lourds. Ces dernières surviennent particulièrement en juillet, lorsque des cargos débarquent à Qamani’tuaq avec du matériel et du combustible à transporter au camp minier. Or cet inconvénient saisonnier entre en conflit avec les activités de récolte, très pratiquées aux mêmes moments dans le secteur.

Pour les Inuit, cette régulation a nécessairement pour effet de limiter leur contrôle du territoire et par conséquent leur liberté (voir aussi Maksinmowski 2014: 75). Il ne fait aucun sens pour eux de se voir imposer des règlements par des étrangers sur leur propre territoire. Mais plus encore, le respect de l’ensemble de ces règles, sous-tendues par une temporalité minière, est difficilement conciliable avec des pratiques fondées sur l’opportunité du moment présent et la variation saisonnière. Certains choisissent par conséquent d’éviter la route, quoique la majorité préfère en profiter. La raison est simple: la route présente des avantages indéniables pour les déplacements et la chasse, particulièrement en été[12]. Elle permet en effet de voyager plus rapidement et plus confortablement, et de parcourir de plus grandes distances. C’est pourquoi tant d’Inuit l’utilisent et qu’on retrouve désormais une plus forte concentration de chasseurs au nord de la communauté. Ceux-ci découvrent par ailleurs de nouveaux espaces de chasse estivale, plus éloignés et autrement inatteignables, et disposent de davantage de temps pour aller à la recherche du caribou et s’adonner à la pêche (voir aussi Peterson 2012: 106), comme l’explique David Mariq:

Avant la mine, on ne pouvait pas aller aussi loin. Mais avec elle, on va presque jusqu’au quatre-vingtième kilomètre en VTT maintenant. […] D’une certaine façon, j’aime la route, parce qu’elle me permet d’atteindre des lieux que je n’avais jamais vus en été. […] C’est plus facile de trouver du caribou maintenant, même en été et en automne. […] Ça prend environ une demi-heure pour aller au sud de Whitehills, ce qui prenait trois heures avant. […] On a plus de temps pour pêcher maintenant[13].

En somme, pour certains chasseurs du moins, les avantages de la route pour les déplacements font contrepoids aux désavantages de la réglementation. Il n’en demeure pas moins que les Inuit se réservent le choix de respecter ou non les règles; après tout, ils sont chez eux et personne, encore moins des étrangers, ne risque de les suivre pour les surveiller. En ce sens, ils maintiennent une certaine autonomie sur leur territoire. La route n’oblige donc pas à une rupture d’avec leur rapport au temps et à l’espace, mais est plutôt intégrée à leur territorialité. Elle sert même de repère pour les voyageurs, particulièrement les jeunes, qui connaissent moins bien le territoire et, grâce au trafic constant et aux refuges construits sur tout son long, elle assure une sécurité en cas de panne d’essence ou de bris de véhicule[14]. Une fois l’argent gagné, le congé arrivé et la route parcourue, reste cependant à savoir si le caribou sera de la partie.

De l’incertitude et des caribous

La protection du caribou constitue sans équivoque le plus grand enjeu relativement à l’exploitation minière à Qamani’tuaq. Se situant sur la route migratoire de l’animal, le camp minier tout autant que la route constituent une menace potentielle. À ce jour, les études menées par l’entreprise minière (AEM 2013: 122) n’ont cependant pas démontré qu’il y avait une perte ou une dégradation significative de l’habitat du caribou, ou des perturbations sensorielles considérables[15]. Sans induire un lien causal clair avec l’exploitation minière, les Inuit sont toutefois unanimes à affirmer qu’il y a moins de caribous à circuler près de la communauté depuis quelques années. La difficulté des caribous à se nourrir à proximité de la route et la présence importante d’hélicoptères en été expliqueraient selon certains cette diminution. Ils ont également remarqué une interférence entre la route et la migration des caribous qui a lieu principalement au printemps et en automne. Bien qu’ils finissent par franchir la route, les caribous éprouvent de la difficulté à traverser en raison du trafic constant et des bancs de neige. Des Inuit ont en conséquence observé une diminution de leur présence du côté est de la route en hiver.

Pour ce qui concerne le camp minier, il semble qu’il attire les animaux davantage qu’il les dérange ou les effraie. On y trouve en effet une abondance d’animaux qui perturbe même parfois le travail et la sécurité des employés (NIRB 2013: 24). Par conséquent, certains Inuit concluent que les animaux s’adaptent à la mine et profitent même des nouvelles possibilités qu’elle offre, comme l’exprime l’aîné Matthew Kuunangnat: «Je ne vois aucun problème avec la mine et la route. Les gens disent constamment voir des animaux à la mine; des loups, des caribous, des carcajous autour du camp, au camp, partout sur le territoire. Ça n’a pas changé l’environnement, d’aucune façon».

De façon générale, les Inuit sont loin de nier l’effet de l’exploitation minière sur le caribou. Si plusieurs expriment des inquiétudes — ou plutôt de l’incertitude — quant à cet effet, c’est moins l’impact sur le caribou en soi qui les préoccupe que leur capacité à les chasser. Si pour les Inuit il est impossible, voire importun, de prédire le comportement du caribou, ils croient par contre en leur capacité d’adaptation. Les chasseurs accordent en conséquence plus d’importance aux possibilités du moment présent. Profiter de ces possibilités, c’est non seulement rapporter de la nourriture à la maison, mais c’est aussi maintenir la relation avec le caribou et assurer la chasse future. Pour l’instant, comme nous l’avons mentionné, non seulement l’usage de la route permet une grande mobilité qui facilite la recherche du gibier, mais, en plus, les probabilités de trouver du gibier à proximité de la route en période migratoire sont relativement élevées[16]. Par ailleurs, considérant l’étendue du territoire sur lequel les caribous et les chasseurs peuvent encore voyager, ainsi que les mesures de protection du caribou mises en vigueur par l’entreprise minière, certains Inuit ne voient pas d’inconvénients à la poursuite de la chasse.

En ce qui a trait à la présence future du caribou, elle demeure nécessairement incertaine. Habitant un immense territoire, le caribou est depuis toujours soumis à un cycle d’abondance et de rareté pluri-décennal inconnu et à une variation saisonnière imprévisible, et rien ne démontre pour l’instant que la mine, par sa présence limitée dans le temps comme dans l’espace, vient altérer cette temporalité. Acceptant l’incertitude et évitant l’ingérence, il est intéressant de constater que beaucoup d’Inuit, loin d’être inquiets, sont convaincus que les caribous ne sont menacés ni par la mine, ni par la route. Ils continuent de se nourrir et de voyager où bon leur semble, à l’instar des Inuit, comme le mentionne un aîné de 63 ans.

La route ne semble pas avoir affecté les caribous et leur déplacement. Ils ont leur propre libre arbitre; ils pensent par eux-mêmes. Quand ils ont un objectif, ils vont où ils veulent. Ils sont encore dans leurs zones habituelles. Les gens les chassent encore là. Rien ne semble avoir vraiment changé. Même avant que la route soit construite, il y avait des moments sans caribou et des moments avec beaucoup de caribous. Ça vient et ça part.

Après quelques années d’adaptation aux infrastructures minières, certains Qamani’tuarmiut ont d’ailleurs constaté le retour des caribous, comme l’explique Irene Kaluraq, une aînée de 77 ans.

Quand [les employés] ont commencé à utiliser la route, les caribous ont été repoussés. Les chasseurs ont dû aller de plus en plus loin. Mais, au fil des ans, les caribous se sont adaptés et habitués à la route. Maintenant, ils la longent simplement, et les chasseurs n’ont plus besoin d’aller si loin. Les caribous commencent à comprendre. Ils reviennent.

L’extrait suivant illustre bien la façon dont les Inuit conçoivent la terre et la faune: ces dernières suivent un cycle de régénération constante que la mine à elle seule risque peu de perturber. La vision cyclique permet ainsi de croire au retour de l’abondance comme le mentionne Elijah Amarook.

Je crois qu’après [que l’entreprise sera] partie, ça va guérir à nouveau par soi-même. La faune va revenir, peu importe ce qui arrive. […] D’après ce que mes ancêtres disaient, la terre est toujours en changement de toute façon, même si ce n’est pas un changement soudain, ça prend différentes formes à travers le temps. Tout va repousser partout. La mine n’arrêtera pas les plantes de repousser, les oiseaux de revenir.

En résumé, le respect des Inuit envers le caribou ainsi que la confiance en sa capacité d’adaptation s’expriment simplement par la continuité de la chasse. En ce sens, les activités de récolte des Inuit peuvent se perpétuer malgré le projet minier. Le rapport au territoire ne se résume cependant pas à la chasse au caribou, mais il renvoie également à l’histoire de la communauté et aux ancêtres qui habitent les lieux.

À l’intersection du passé et du présent

La construction d’une mine dans une région où plusieurs Inuit ont vécu avant la sédentarisation n’est pas sans rappeler les souvenirs du passé et l’appartenance de certaines familles à cet espace. Selon Porteous et Smith (2001), la destruction d’un tel lieu par l’exploitation de ressources naturelles constitue un «mémoricide», en ce sens qu’il coupe les liens avec le passé et affaiblit la santé mentale, physique et émotionnelle, individuelle et collective. Or ce que nous avons observé chez les Qamani’tuarmiut est plutôt l’affirmation du lien historique qui unit la communauté à Apurtinaaqtuq, le lieu où se situe le campement minier, qui n’exclut cependant pas une certaine perturbation de la santé des individus et de la communauté.

Avant la mise en place du projet minier, le nom inuit et l’histoire de la région de Meadowbank n’étaient pas connus de toute la communauté. Tous n’y avaient pas vécu dans le passé et seul un petit nombre s’y rendait encore à l’occasion. Les souvenirs et les savoirs en lien avec cette partie du territoire ont d’abord été remémorés par des aînés lors de recherches sur les savoirs traditionnels menées par l’entreprise minière. Ajoutée aux études archéologiques, la mémoire des aînés a permis de localiser et de protéger une multitude de sites historiques dans toute la région touchée par les infrastructures minières. Les aînés ont mentionné la signification spirituelle d’Apurtinaaqtuq et le fait que des ancêtres y avaient été enterrés; certains ont même parlé d’une région hantée (Cumberland Resources Ltd 2005: 5-1, 5-4, annexe E). L’existence de tombes sous le camp minier n’a cependant été révélée qu’à partir d’événements particuliers survenus à la mine. La présence d’employés inuit en ce lieu rend en fait propices de nouvelles interactions avec les ancêtres qui vivent maintenant en tant qu’ijirait. Les rencontres engendrent cependant effroi et angoisse chez les Inuit en raison — rappelons-le — des pouvoirs que détiennent ces esprits[17].

Dès la première année qui a suivi l’ouverture de la mine, plusieurs employés inuit ont raconté l’expérience de phénomènes «paranormaux» et effrayants au camp minier. Par exemple, un employé inuk dans la quarantaine mentionne la disparition de nourriture et, plus effroyable encore, l’apparition d’un individu vêtu de fourrure de caribou. Pour cet Inuk, ces événements causent cauchemars et insomnie.

Quand je travaillais là-bas, j’avais des cauchemars. Je sentais souvent quelqu’un tirer sur mes cheveux. […] Je me suis retourné pour voir si quelqu’un était là, et, après, il manquait un sandwich, alors j’ai paniqué. Sur le coin de l’oeil, je voyais quelqu’un debout. Je pensais que c’était mon coéquipier, mais en regardant, il avait disparu. Alors, d’après ce que j’ai vu, c’est hanté, mais je ne suis pas sûr. […] J’ai entendu un gars d’ici qui a vu un homme [à la mine], un homme traditionnel, venant du passé. […] Il l’a vu, puis l’homme a disparu. Une autre fois, une femme était en train de faire du ménage. Elle allait chercher des couvertures, mais lorsqu’elle est revenue, le lit était rempli de couvertures. C’est pourquoi elle a quitté; elle a eu peur.

Si certains employés inuit ont quitté leur poste suite à ces événements, d’autres au village rejettent désormais l’idée d’y travailler un jour. Suite à ces histoires, des Inuit de la communauté, particulièrement des aînés, ont commencé à raconter qu’Apurtinaaqtuq était autrefois un lieu de rencontre pour les chamans et que certains d’entre eux seraient enterrés à l’endroit où se situe actuellement la cuisine du camp minier. C’est ce qu’explique l’employé cité précédemment: «Sous l’ancienne cuisine, il y a des tombes. […] Ils ont construit la fondation juste au-dessus des tombes. Ils ne sont pas supposés faire ça; ils dérangent les tombes. […] Quand je travaillais là-bas, les gens d’ici racontaient la même rumeur. Et les aînés disent que les chamans se réunissaient ici avant». Bien qu’aucun ne se soit clairement prononcé sur l’identité de ces apparitions, il s’agit vraisemblablement d’ancêtres chamans devenus des ijirait. Conscients que la mine puisse représenter une offense à ce lieu sacré, les Inuit s’inquiètent du fait que ces événements, de même que le feu ayant ravagé la cuisine du camp en 2011, soient l’expression de l’insatisfaction des esprits à l’égard de la mine. De ce fait, le respect comme la crainte[18] envers ces derniers sont de mise, ce qui implique de ne pas trop penser à eux. Un homme dans la cinquantaine ayant grandi à Apurtinaaqtuq a d’ailleurs remarqué que chaque fois qu’il s’inquiète à propos du camp minier, une activité «paranormale» y survient. Il conclut qu’il est préférable de ne pas y réfléchir.

J’ai remarqué que lorsque je commence à penser à [Meadowbank], ou à me stresser à propos de ça, il y a des apparitions, des rapports de fantômes à la mine. Alors, j’arrête juste d’y penser trop. Il existe un lien direct entre mon niveau de stress et les activités paranormales là-bas. Je suis né là, donc il y a une sorte de connexion qui se fait.

Loin d’être un lieu vide de sens et de vie, Apurtinaaqtuq est perçu et vécu par les Inuit en fonction de son histoire et c’est en continuité avec celle-ci qu’ils font l’expérience de la mine de Meadowbank. Avant d’être une mine et malgré l’appropriation qu’en fait l’entreprise minière, ce lieu demeure lié au passé et au présent de la communauté. Face à l’existence temporaire et ponctuelle, voir éphémère, de la mine, l’ancienneté et le grand pouvoir d’action sur le monde que détiennent les esprits justifient une attention particulière des Inuit à leur égard. Dans ce contexte, le comportement des ancêtres affecte la façon dont les Inuit vivent et perçoivent, de façon positive ou négative, l’exploitation minière. Si les Inuit se montrent satisfaits des retombées de la mine et tendent à éviter de se préoccuper d’effets incertains, les esprits, eux, ont le pouvoir de manifester leur mécontentement et d’affecter les Inuit.

Conclusion

Bien que les activités et les infrastructures minières engendrent une tension entre deux formes de territorialité et de temporalité, notre objectif était de montrer qu’elles n’effacent pas pour autant la manière particulière qu’ont les Inuit d’être liés à leur territoire et au monde en général. En fait, l’expérience minière des Inuit est structurée par leur rapport à l’espace, au temps, aux animaux et aux esprits. En transformant des contraintes en de nouvelles opportunités tout en respectant les multiples habitants du territoire, les Inuit démontrent leur capacité à adapter leurs pratiques et à maintenir leurs relations. L’usage tactique d’une structure imposée, actualisée et appropriée (de Certeau 1990), tels que l’emploi et la route, suggèrent clairement que les Inuit ne sont pas passifs vis-à-vis des activités minières, mais qu’ils y réagissent avec créativité, tout comme les animaux et les esprits d’ailleurs.

Bien que l’expérience de la mine semble pour l’instant généralement positive — le contexte économique et politique du Nunavut y est sans doute pour quelque chose[19] —, il faut rappeler la diversité des opinions et des expériences et aussi le fait que les entrevues furent menées exclusivement auprès de chasseurs actifs de la communauté. De plus, notre étude est ancrée dans une échelle à très court terme. Elle ne permet donc pas de tenir compte des changements à plus long terme, de la nature cyclique de l’industrie, ni même des effets cumulatifs de l’ouverture de plusieurs mines sur le territoire. Même si les Qamani’tuarmiut appréhendent déjà les répercussions socioéconomiques de la fermeture hâtive de Meadowbank en 2017 (Nunatsiaq News 2012), de nombreux employés devraient être transférés à Méliadine, la nouvelle mine d’or d’AEM qui ouvrira la même année près de Rankin Inlet. De plus, le projet uranifère de Kiggavik, situé à l’ouest de Qamani’tuaq, bien qu’il soit loin d’obtenir l’appui de toute la communauté, est en voie d’être approuvé. Certains se réjouissent déjà des nouveaux emplois et de la construction d’une seconde route, alors que d’autres s’inquiètent des effets de l’exploitation de ce métal dangereux dans une région importante pour le caribou et les Inuit (Bernauer 2011; Laneuville 2013: 148-149). Au fur et à mesure que les projets se développent, il est donc primordial de s’intéresser à l’expérience et aux connaissances des Inuit en lien avec leur territoire et l’industrie minière.