Études

L’enracinement et le déplacement à l’épreuve de l’avenir [Notice]

  • Émile Ollivier

Depuis quelques années déjà, on se préoccupe, un peu partout, de l’avenir des civilisations. Toutes les disciplines, médecine, sciences de la vie, sciences sociales, relations internationales…, s’affairent à prévoir l’avenir. Celui de l’humanité, celui des civilisations. Pourtant, cet exercice, excepté pour des personnes qui en font commerce, s’avère difficile, périlleux même du fait surtout que, trop souvent, sans se demander ce que signifie au juste cette expression, on s’empresse de trouver des règles à énoncer, des recommandations à transmettre, des résolutions à prendre. Ne serait-ce pas alors une « norme » rassurante pour conforter nos convictions, sous-tendre nos recherches ? Et me voici convoqué, pour parler à mon tour de l’avenir des civilisations. Pratiquement sans filet de sécurité, j’effectuerai cette acrobatie intellectuelle, en m’en tenant (me retenant devrais-je plutôt dire) à la partie visible de la montagne, à ce qui, dans le présent, me semble porteur d’avenir. D’entrée de jeu, au risque de soulever la controverse, je commencerai par affirmer que la mondialisation est notre contexte actuel et qu’il y a de fortes chances qu’elle soit le contexte des temps futurs. Nous venons de vivre un siècle qui a connu de grands bouleversements politiques, économiques et sociaux. Ce qui frappe de prime abord, c’est la mise en évidence de champs notionnels et conceptuels qu’il faut, dans la plus grande urgence, continuer à explorer : globalisation, éthique, droit d’ingérence, migration, identité, pluralisme culturel. Ces termes font partie intégrante du vocabulaire de ce début du XXIe siècle et possèdent une résonance planétaire. L’ensemble des champs de l’activité humaine sont traversés par cette déferlante globalisante qui interpelle universitaires, chercheurs et artistes. Tous, ils ont produit, ces dernières années, des tonnes d’analyses, d’observations qui abordent de manière frontale la question de la mondialisation. En prédisant « la fin de l’Histoire », « le choc des civilisations », certains, débordants d’optimisme, sont portés à croire que l’humanité va enfin se réconcilier avec elle-même ; d’autres, adoptant au contraire un point de vue catastrophiste, prétendent qu’on s’enferme dans une vision ultra libérale, qu’on s’abandonne au pouvoir sans partage de l’Hydre capitaliste. Mais quelle que soit l’option choisie, le résultat de ces visions paraît identique. Dans l’extase ou dans l’effroi, nous serions sur des voies qui conduisent toutes à des impasses et l’on semble perdre de vue ce qui fait la spécificité de notre époque : l’intensité de la circulation. Après des siècles de sédentarisation, le nomadisme a repris. Ce qui m’intéresse, c’est de penser ce formidable moment, en essayant de prendre en compte la manière dont cette situation ne modifie pas seulement la vie matérielle des populations, mais tend à donner un rôle inédit à l’imagination. Comment penser l’instabilité et le mouvement qui caractérisent le monde présent et qui sont probablement appelés à s’intensifier dans un proche avenir, sans pour autant perdre le rapport à la mémoire, à la continuité intellectuelle, au profit d’une exaltation du présent ? Voilà qui remet en question bien des notions, dont celle de l’identité. Jusqu’à une date récente, il ne pouvait exister d’être humain sans appartenance à une communauté qui l’intègre et lui lègue, de génération en génération, ses valeurs ; les représentations identitaires étaient assiégées par un code paradigmatique : le nationalisme et dans son sillage, la nationalité, le sentiment d’appartenance à un territoire, à une culture, à une langue, qui se présentait aux yeux de populations entières comme une source d’identification individuelle et collective. Or, de partout aujourd’hui, des voix s’élèvent et viennent désaccorder, troubler, problématiser ce code paradigmatique. Comment saisir ce que deviennent les identités culturelles à l’âge du mouvement et de la diversité ? Dans …

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