Présentation[Notice]

  • Luc Bonenfant

Le Moyen Âge constitue à l’évidence une des références obligées du mouvement romantique. Il est presque même un cliché, tant il est repris partout. Comme l’écrit Martine Lavaud, « les “océans laiteux de littérature à castels” de Madame Bovary nous confrontent à un topos dont la survie en tant que cliché-repoussoir traverse le XIXe siècle et obsède le romantisme  ». Ainsi inscrit en creux dans le grand roman de la dénonciation romantique, le Moyen Âge est omniprésent dans l’esthétique du début du siècle, ce dont témoignent au premier chef les deux grands manifestes du temps. Dès 1823, Stendhal oppose ainsi à la prudence et au factice classiques une littérature actuelle et plaisante dont Shakespeare devient l’emblème. Son argument repose principalement sur le mélange — si inhabituel alors pour les Français — du spectacle de la guerre et de la peinture des passions amoureuses au sein d’une même pièce. Mais la référence explicite à la guerre de Cent Ans indique bien que, aux yeux de Stendhal, l’oeuvre de Shakespeare (mais aussi l’époque dans laquelle vit le poète anglais) constitue une extension des temps médiévaux qu’elle présente. Le titre qu’il choisit pour son opuscule, Racine et Shakespeare, inaugure ainsi une opposition romantique entre l’esthétique médiévale et la raison classique. Reprenant cette opposition pour la placerdans un continuum historique, Victor Hugo établira même quelques années plus tard un lien direct entre l’apogée du grotesque et les temps médiévaux. Il écrit, dans la « Préface » de Cromwell : Comme on sait, les idées défendues par Hugo font consensus parmi les romantiques ; il se brouille même avec certains qui leur reprochent de lui avoir volé leurs idées. C’est donc dire que l’équivalence établie par Hugo — et avant lui, par Stendhal — va de soi pour eux. Elle atteste sans équivoque la prégnance obsédante du Moyen Âge et de ses avatars dans l’esthétique du début du XIXe siècle. Néanmoins, ce rapport privilégié se lit de manière ambiguë dans les oeuvres. « [R]eflet déformé, renvoyé par le miroir des rêves et des attentes romantiques  », pour reprendre les mots d’Isabelle Durand-Le Guern, le Moyen Âge des romantiques prend des formes diverses selon qu’on le trouve chez Germaine de Staël, Prosper Mérimée ou Charles Nodier, pour ne nommer qu’eux. La première célèbre, par exemple, une forme courtoise — et somme toute naïve — d’amour alors que le second, plus voltairien dans son attitude, dénonce les atrocités guerrières du XIVe siècle dans ses « Scènes féodales ». Nodier se fera pour sa part « antiquaire », en cherchant à préserver les monuments historiques de la nation. Cette présence médiévale, à laquelle plusieurs articles du présent numéro s’intéressent, se prolonge néanmoins dans le siècle entier. Qu’on pense pour s’en convaincre à la fortune inégalée du motif de la cathédrale : d’abord franchement gothique, parfois même passéiste, elle devient rapidement moderne, voire commerciale quand elle prend la forme du grand magasin chez Zola. De la même manière, les nombreuses inventions génériques du siècle ne sont jamais des cas de générations spontanées : l’engouement pour les genres du conte et de la ballade témoigne vraisemblablement d’une projection des écrivains dans un imaginaire oral issu des temps médiévaux alors que la forme de la nouvelle trouve ses racines dans des formes comme le lai et le fabliau. La convocation de la période médiévale semble cependant poursuivre des objectifs différents chez les auteurs de la seconde moitié du siècle. En effet, La bibliothèque de Des Esseintes contient des livres médiévaux, notamment des chroniques mérovingiennes, dont l’horizon rétrograde permet à Huysmans d’exalter la modernité du monde ambiant. La …

Parties annexes